Chapitre 7 : Grande route de l’est, 20 ans plus tôt. (1/2)

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Le lendemain, Deirane et Jensen se levèrent aux aurores. Après un petit déjeuner bien chaud pour affronter la journée, ils se rendirent à l’écurie pour atteler leur cheval à la carriole. Festor et Jalia s’y trouvaient déjà. Le jeune lieutenant installait une selle de forme bizarre sur les deux étranges montures que les humains avaient aperçues la veille au soir. La simple d’esprit l’aidait, tout en le regardant, un air d’adoration dans les yeux.

— Vous partez aussi ? demanda Deirane.

— Nous avons une longue route à faire, répondit Festor, nous pourrions chevaucher ensemble. Je crois que nous allons au même endroit.

— J’en doute, répondit Jensen, mais je vous remercie.

— Vous allez consulter un chaman bawck au Chabawck.

— Comment… ?

Jensen en resta muet d’étonnement.

— C’est marqué sur le visage de votre fille, expliqua Festor. Aussi magnifiques que soient ces tatouages, vous voulez les lui faire enlever.

— C’est vrai, répondit Deirane, et vous, pourquoi y allez-vous ?

D’un mouvement du menton, il désigna sa fiancée qui venait de découvrir un nid de souris. Pour les observer, elle avait laissé sa tâche en plan, oubliant de fixer les sangles de sa selle. Elle était fascinée par les petits encore roses que la mère affolée essayait de mettre à l’abri dans sa poche ventrale.

— Je doute qu’il puisse grand-chose, je dois quand même essayer.

— Est-ce une bonne chose ? demanda Deirane. Elle est si innocente, un rien l’émerveille. Elle doit être la plus heureuse de nous tous.

— Le regard qu’elle pose sur le monde est très rafraîchissant, admit Festor, mais elle mérite mieux que cela.

Jensen alla régler la note pour la chambre et le fourrage utilisé. Le soldat, resté seul avec les deux femmes effectua un dernier contrôle. Il tira sur la sangle pour vérifier l’accrochage de la selle de sa compagne. Tout était bon. Il appela Jalia qui abandonna son spectacle. En passant devant Festor, un sourire illumina son visage. Elle lui passa un bras autour de son cou et l’embrassa.

— Il y a un domaine dans lequel elle est tout à fait normale, remarqua Deirane.

— Ses baisers et son amour n’ont rien d’enfantin, en effet, admit Festor. Au fait, nous ne vous avons pas dérangés cette nuit, car elle est un peu bruyante dans son plaisir ?

Deirane piqua un fard.

— Non, dit-elle, je n’ai rien entendu.

— Il est malséant d’aborder un tel sujet devant une jeune fille.

Personne n’avait entendu rentrer Jensen, aussi son intervention surprit-elle tout le monde. Festor s’excusa.

— Je suis désolé, j’avais oublié. J’avais oublié les tabous que votre peuple associait à cette activité.

— Ce n’est rien, mais faites attention à l’avenir. Et puisque nous allons chevaucher ensemble, il serait bon que durant le voyage, vous vous absteniez de… vous voyez ce que je veux dire.

— Là, vous en demandez trop. Je n’ai aucune raison de me priver sous prétexte d’épargner votre pudeur. Sans compter qu’elle ne comprendrait pas. Tout ce que je peux promettre c’est la discrétion.

— Je m’en contenterai.

Jensen se retourna en bougonnant dans sa barbe.

— Race luxurieuse, murmura-t-il.

Une petite main fraîche lui caressa la joue. Il leva les yeux et rencontra le visage de la simple d’esprit. Elle ne supportait pas la tristesse et en le voyant d’humeur sombre, elle avait entrepris de le dérider à sa manière. Il lui fit un sourire qui la mit en joie. Impossible de rester en colère face à une telle innocence, appartint-elle à une race mille fois maudite.

— Vous avez un problème ? demanda Festor, vous avez toujours l’air fâché.

— Ça se voit tant que ça ?

— Je commande une garnison, je suis censé voir les problèmes avant qu’ils ne surviennent.

— Ce voleur m’a fait payer le repas des types que vous avez mis dehors hier.

— Je vois, répondit Festor, je vais m’en occuper.

— Laissez tomber.

— Pas question. Qu’il facture sa perte passe une fois, pas deux.

— Vous aussi ?

Festor hocha la tête et se dirigea d’un bon pas vers l’auberge. Il revint quelques minutes plus tard et rendit ses pièces au paysan.

— Ça a été dur ? demanda Jensen.

— Il a suffi de lui boucher une oreille en la plaquant contre son comptoir et de bien dégager l’autre pour qu’il entende correctement. Et il faut connaître les bons mots aussi.

— Comme ?

— « Garde Royale ». Je l’ai menacé d’en appeler aux patrouilles qui surveillent cette route s’il ne restituait pas l’argent volé.

Jensen lui adressa un sourire de reconnaissance.

Festor aida Jalia à grimper sur sa monture. Une aide de pure forme, ce n’était pas son équilibre qui était attardé. Elle était une écuyère correcte, presque aussi bonne que le jeune lieutenant. Leurs cavaliers en selle, les deux montures sortirent de l’écurie. Dehors, Jensen et Deirane étaient déjà en place sur leur véhicule. Les deux stoltzt s’engagèrent sur la route de l’est, suivis par les deux humains.

Ils n’avaient pas parcouru une demi-longe qu’un lézard poussa un cri d’avertissement. D’un geste de la main, Festor immobilisa le convoi. Tout en étant attentif, il prit l’arme passée à sa ceinture, une arbalète de toute petite taille, moins encombrante que celles utilisées lors des sièges. Elle était moins puissante, mais tout aussi capable de tuer. Et comme arme de poing, elle convenait parfaitement.

Le lézard dragon poussa un second cri et tourna la tête vers la forêt qui bordait la route. Festor le fit pivoter pour regarder dans cette direction.

— Je sais que vous êtes là. Sortez et cessez de vous cacher ! ordonna-t-il.

Comme il n’obtenait pas de réponse, il continua.

— Je compte jusqu’à douze, puis je décoche une flèche dans le buisson.

Il visa celui qu’il avait vu remuer. Il était sûr que quelqu’un était planqué derrière. Il ne se trompait pas. Voyant l’arme dirigée vers lui alors qu’il se croyait invisible, l’embusqué sortit. Les voyageurs reconnurent l’un de ceux qui les avaient agressés à l’auberge, la veille. Festor ne le quittait pas de son arme. Brutalement, il pointa le bras vers le feuillage d’un arbre.

— Ne tirez pas, lança une voix où se reflétait la panique, je descends.

Un autre humain se laissa tomber d’une branche basse. Finalement, deux autres personnes sortirent de leur cachette, parmi eux, le chef de la bande de la taverne.

— Et maintenant, que vas-tu faire ? lança celui-ci. Nous sommes quatre et tu n’as droit qu’à un seul tir. Quand tu auras tué l’un de nous, les trois autres t’achèveront.

— D’accord, répliqua Festor, lequel d’entre vous se sacrifie pour que les autres puissent se partager le butin ?

Les brigands hésitèrent.

— C’est ainsi que tu manifestes ton courage ? reprit le chef. Tu n’as même pas l’honneur de nous offrir un combat à la loyale.

— Quel honneur ? Il n’y a aucun honneur dans le combat. Ce n’est que le moyen appliqué par le plus fort pour faire respecter sa loi, au mépris de toute justice.

— Tu parles bien, serpent. Manies-tu aussi bien l’épée ?

— Je t’ai démontré ma valeur au combat à mains nues hier soir. Ferais-tu le pari que je serai moins bon avec une épée ?

Le brigand ne sut que répondre.

— Tu vois cette bague à mon doigt, reprit Festor. Elle signifie que je suis un grand-maître guerrier. En clair, je fais partie de cette petite catégorie de combattants qui passent leur vie à imaginer de nouvelles techniques de combat pour perfectionner leur art. Alors tu veux toujours te battre à la loyale ? Je peux te prendre dans le style que tu désires, mains nues, épée, dague, selon la technique bawck. Et pourquoi pas la drow ? Celle des meilleurs combattants que ce monde a jamais portés.

Hermen ne répondait toujours pas. Calmement, Festor rangea son arme. Puis il reprit sa route, suivi par ses compagnons. Alors qu’ils étaient presque hors de portée de voix, le chef des brigands lança :

— Tu parles trop l’Helariasen, un jour, un adversaire te tuera rien que pour te faire taire.

Festor stoppa et fit mine de reprendre son arbalète. La bande s’enfuit sans demander son reste sous le sourire du jeune lieutenant. L’interlude était terminé, ils repartirent.

Jensen interpella Festor qui vint chevaucher à leur hauteur.

— C’est incroyable, dit-il, je n’avais jamais vu ça. Gagner un combat sans qu’aucun coup ne soit donné et personne blessé.

— Je n’ai aucun mérite. J’étais nettement supérieur à eux par mes armes et mon entraînement. Il m’a suffi de leur en faire prendre conscience.

— Quand même, beaucoup les auraient tués sans scrupule.

— Et nous aurions provoqué un drame alors que nous n’avions affaire qu’à des imbéciles qui voulaient juste s’amuser.

— Permettez-moi de dire que je n’apprécie pas leurs jeux, remarqua Deirane.

— Le contraire serait insultant pour vous. Que vous ne les aimiez pas ne signifie pas qu’ils méritent la mort.

— Peut-être pas, admit Deirane.

— C’est vrai qu’hier soir ils y sont allés un peu fort. D’habitude, les bagarres dans un bar sont moins agressives.

— En général, tout le monde se tape sur la gueule, intervint Jensen. Quand plus personne ne tient debout, on paye une tournée générale et on devient potes pour la vie. Le lendemain, on se souvient plus du nom et du visage de notre nouveau pote. Les vrais coups qui font mal c’est quand on rentre à la maison et que votre femme vous refuse l’entrée tellement vous empestez l’alcool.

— C’est pareil chez nous, répondit Festor d’un ton amusé.

Deirane regardait son père, les yeux grands ouverts d’étonnement.

— Papa, dit-elle enfin.

— Ben quoi, moi aussi j’ai été jeune, bougonna-t-il gêné.

À ce moment, Jalia tourna la tête vers eux et sourit à son fiancé. Festor s’excusa et la rejoignit.

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