IV - Premiers doutes (3)

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 Les sujets s’inclinent synchronisés. Des pantins, ces sbires de Barbara. L’heure tourne et je consulte ma montre pour éviter de la regarder, quinze minutes ont trépassé depuis l’annonce de la prof. Elles ne seront plus jamais récupérées, je devrais faire une veillée funèbre en leur honneur.

« Bah alors, vous faites quoi les gars ? » s’exclame Mélanie en nous voyant concentrés

— Regarde ta grande amie, elle croit qu’on a tout notre temps » lui explique Elsa mécontente.

— Mais qu’est-ce qu’elle fout encore ?

— L’Altesse Glaciale Barbara Castrella va descendre les escaliers, c’est un moment important dans la vie d’une reine de ce calibre. Celui du repas, seules les personnalités de haut rang sont conviées au Barbabanquet » poursuit Géraldine

— Et elle se croit drôle en plus. » lançais-je désespéré.

 Le quotidien de l’Altesse est annoncé par Géraldine, je me fais royalement chier. La jeune femme se dresse sur les escaliers et sort de son sac, un miroir de poche ainsi qu’un rouge à lèvres. On la voit aussi sortir un pinceau de maquillage.

« Et maintenant, chers sujets, l’Altesse Glaciale Barbara Castrella va se maquiller. Il est nécessaire pour une jeune femme de sang noble de se refaire une beauté, pour plaire et séduire la cour.»

— La fille se maquille pour aller à la cantine. Non mais elle croit séduire qui ? Le plat de nouilles aux crevettes. » plaisantais-je

— Chut ! Règle numéro 305 : Les nouilles aux crevettes sont interdites, pour ne pas concurrencer la beauté de l’Altesse Glaciale. »

Cette imitation de Mélanie fait rire tout le monde, la concernée n’a rien entendu, heureusement. Sinon elle nous aurait accusés de vouloir lui voler son titre. Après deux-trois couches de rouge à lèvres, l’Altesse est prête à aller déjeuner.

 « L’Altesse Glaciale Barbara Castrella remercie ses sujets fortunés de la soutenir, les autres, elle s’en fout. Merci à tous et à bientôt » finit Géraldine en descendant.

J’hallucine. Ça y est, cette folie est finie. Barbara et ses fidèles descendent les escaliers, on aura perdu au moins vingt minutes de repas. Vingt minutes en moins pour connaître Mélanie, inacceptable. Elsa laisse exprimer sa joie.

« Amen ! Marie-Antoinette va enfin nous foutre la paix. Bon ! C’est pas que je m’ennuie mais je vous laisse, les copains ».

La jolie rousse dévale les marches accompagnée de son sous-fifre, j’exagère, de Damien. Ignorant le regard qu’il m’a lancé, j’attrape le poignet de Mélanie et la force à descendre. Elle retire son casque et comprend que je lui parle depuis quelques minutes.

« Mélanie, tu viens ?

  • Oui j’arrive. Ne m’attends pas » me répond t-elle.

 Que du mystère cette fille. Le calme ambiant du départ de Barbara se transforme en évasion du bétail, les élèves des différentes classes sortent. J’aperçois Sarah et Ludivine, les deux autres maillons de la chaîne gelée. Mais pas de trace de Cassandra, où peut-elle être bien passée.

Un fantôme surgit de nulle part. Je vois la Fille Courant d’Air se dissimuler parmi la foule, pourquoi m’évite t-elle si je suis son frère. Qui es tu arnaqueuse, si tu n’es pas elle ? Le doute s’immisce dans mon esprit et l’envie de manger s’efface avec ma cohérence.

Les bruits de chaussures frottant le sol vont me rendre dingue, ils s’accumulent. Et Mélanie est toujours assise dans un coin, le casque greffé sur la tête, la musique sans doute à fond. Faire un suicide musical, c’est sûrement la plus belle façon de mourir.

Si jamais la Faucheuse croise ma route, j’aimerais qu’elle me perce le coeur avec sa faux et disparaisse comme la Dame en Noir qu’elle est. Mais comme je suis un être de lumière, je me remettrais de cette blessure.

Autopsy of Truth m’a volé l’idée, Final Time for You parle d’un amour consumé. Un homme trahi par sa petite amie. Est-ce que ce n’est pas ça, réellement mourir. Avoir son coeur arraché et dévoré par la mort.

 Je ne saurais comment réagir dans cette situation, n’ayant plus rien à perdre, abandonnerais-je l’espoir de connaître le bonheur ? De toucher les étoiles par la compagnie d’une femme ? On s’en fiche. Mélanie est mon étoile, ma nymphe. L’ombre qui terrassera la malédiction qui hante ma vie.

Il faut d’ailleurs que je la laisse, le secret s’envole comme un ange. Je m’élance me réjouissant que la chatte ne soit pas calée au fond du sac, puisqu’il se balance d’une épaule à une autre. Julia s’évapore d’un couloir à un autre, réapparaît dans une file d’élèves puis rejoint le ciel.

Après une quinzaine de minutes à courir, je suis épuisé, autant physiquement que moralement. Mais c’est la tristesse qui m’envahit, les élèves sont tous descendus. Je me laisse tomber contre le mur et laisse échapper mon chagrin, celui d’espérer que ma sœur soit vivante.

« Ben ? Ben ? »

On m’appelle, j’ouvre les yeux et me redresse. Ah tiens voilà Cassandra. Me relevant, j’essuie mes larmes et essaie d’esquisser un sourire. Les ténèbres qui sont en moi, cette part d’ombre que j’espère ne jamais être intégrale, s’agite. Mes idées colorées virent au noir et à la putréfaction.

 Tout ça car on m’a rappelé l’existence de ce fantôme et qu’il hante ma vie depuis ce matin. Qu’il ne fait que jouer avec moi, me torturer, m’humilier. Il détruit les barrières mentales de mon esprit et me condamne à l’aliénation.

La brunette me parle mais ses mots naviguent dans ma tête sans qu’ils se posent. Des oiseaux de paradis qui battent incessamment des ailes, un manège infernal comme ce matin. Je parviens après quelques instants à reprendre le contrôle.

« Ouais ? Désolé j’étais en train de penser. Tu vas bien Cassandra ? »

  • Ça peut aller. Il faut que tu saches que j’ai entendu Barbara et Géraldine discuter.
  • Elles savent discuter ? C’est un miracle, moi qui pensais qu’elles étaient trop bêtes pour ça.

— CHUT ! Fais pas le malin, heureusement qu’elles ne t’ont pas entendu. Il se passe quelque chose en bas qui mérite le coup d’œil ».

 Je me demande bien ce que c’est, Barbara qui fait un autre spectacle où elle est annoncée pour chaque geste réalisé ? Damien qui a acheté une caravane et fait des prédictions ? La Givrée me fait un sourire et me montre d’un signe de la tête, les escaliers.

Mon regard se perd vers la dernière localisation de Julia et je ramasse mon sac le calant sur mes épaules. Un nouveau mystère en plus ? Nous descendons les marches faisant attention, elles sont assez dangereuses. En arrivant au rez-de-chaussée, cette scène surréaliste m’ôta les mots de la bouche.

Le nouveau arrivé en retard Léo Ahnild, allongé au sol et essayant de se débattre. Et à côté, Elsa qui crie sur Damien de le laisser tranquille, le blondinet l’empêche de se relever s’étant assis à califourchon sur son ventre. Les élèves sont médusés, j’imagine qu’ils doivent être habitués aux facéties de ce dernier.

Profitons en pour admirer le spectacle et analyser Elsa. Il était temps, ça fait quelques heures que j’attends de pouvoir l’examiner en détail. Notre guide et bibliothèque du pensionnat mesure ma taille, Mélanie est plus petite mais son charme n’en est pas moins réduit. Son trait de caractère sur la défensive la rend irrésistible à mes yeux. Et me pousse à l’étudier davantage.

Revenons à Elsa. Ses yeux sont bruns et sa peau est plus blanche que celle de ma nymphe. Je suis déçu par son pendentif qui est similaire à ce qu’aime Barbara : une tête de mort cyan retenue par un collier argenté. Ses cheveux roux sont bouclés et ses boucles d’oreilles argentées bougent quand elle secoue la tête.

 Habillée simplement d’un t-shirt à manches longues gris pailleté avec l’écriture Sky en turquoise, un jean slim bleu couvre ses jambes et est assorti d’une ceinture américaine. Le même dégradé de couleurs que sur le haut de madame Glascow. Ses pieds sont dissimulés dans des Converses roses fluo, le mélange est original et mignon. C’est tout elle.

Au poignet, elle a un bracelet avec des perles rondes vertes mais une particularité attire mon attention. Ses doigts sont divinement manucurés, un vernis à ongles étoilé qui représente la Voie Lactée, du bleu, du vert et du rose s y mélangent. Quelques paillettes violettes finalisent cette œuvre d’art.

La réalité revient vite, Damien et Léo dans une posture dégradante. Enfin surtout l’un, l’autre je m’en fiche. Je le plains le pauvre, arriver en retard, se faire engueuler par la direction, moqué par certains élèves. Et maintenant, être humilié publiquement.

« MAIS LÂCHE MOI PUTAIN ! CA FAIT TROIS FOIS QUE JE TE DIS QUE TU RACONTES DES CONNERIES.

  • Tu n’as pas voulu que je tire les cartes de ton avenir. Je connais ton destin. Laisse moi faire » lui dit Damien en l’attrapant le bras.
  • REPOSE MA MAIN TOUT DE SUITE. ESPÈCE DE CINGLÉ. ET VAS TE FAIRE FOUTRE AVEC TON DÉLIRE ».

 C’est la grande joie ici. Je ne vois pas Barbara ou Géraldine, mais où sont-elles ? Après vu la foule d’élèves c’est un peu compréhensible. Par miracle, il n y a aucun prof qui nous entend, enfin qui LES entend. Léo se souviendra de sa première journée à l’Épi Noir toute sa vie, moi aussi d’ailleurs.

Je vois au loin Mathilde qui était arrivée avec Léo, elle est d’une beauté incomparable. Elsa continue de crier sur Damien : Arrête, c’est ridicule, tu t’affiches. Mais ce dernier ne l’entend pas et il sourit, caressant son visage.

Est-ce que quelqu’un va réagir pour stopper cette folie ? Léo n’a déjà plus de voix à force de crier. Une seconde, j’entends quelque chose. J’ai comme un mauvais pressentiment, les garçons continuent de s’agiter au sol et certains imbéciles les encouragent. Cassandra discute au loin avec ses amies.

« AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH ! »

Un son nous stoppe tous, je lève les yeux, il provient sans doute d’en haut. Damien et Léo se relèvent perturbés par ce cri, plus personne n’ose parler. Un élève fait-il une crise ? Le fameux Ahinora dont parlait le directeur, non je ne crois pas.

Notre souffle est coupé quand la vérité se dévoile, un sac dévale les escaliers, de couleur foncée. Il est ouvert et toutes les affaires à l’intérieur s’éparpillent tombant des marches.

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