II - Quand on est le nouveau (5)

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« On ne nous a même pas prévenus, nous ! Sa famille. M'exclamais-je une pointe de tristesse dans la voix.

  • Bien ! On va faire au plus vite. Je sens que vous avez besoin de prendre l'air. Depuis l'accident, avez-vous pris contact avec un psychologue ?
  • Oui le docteur Doxe, elle est très connue en ville.
  •  Ah ! Très bon choix. Une professionnelle ! Vous n'avez donc pas besoin des services de Madame Elmly,

Décidément ! Tout le monde l'apprécie, cette Marjorie Doxe. Peut-être même qu'elle est la psy attirée du directeur. Isaac Morris enchaîne vite, puisqu’il doit faire le discours de rentrée.

« Tout est bon pour moi. Attendez je dois vous donner deux-trois choses. » me dit-il en farfouillant dans son bureau.

Il en sort une petite boîte métallique grise et marron qu’il déverrouille, je me lève apercevant des clés entassées, portant une étiquette numérotée différente. Amen ! Le passe du dortoir. L’homme en attrape une petite, étiquetée du numéro 38 inscrit au marqueur bleu, il la pose sur la table devant moi.

« Voilà ! Vous serez dans la chambre numéro 38.

  •  C’est un pensionnat ici ou un hôtel ?  plaisantais-je en mettant la clé dans ma poche
  • Si vous saviez. »

Il hausse les épaules et sors à nouveau autre chose d'un tiroir. Eh bah ! Ici c’est la caverne d’Ali Baba, pire que le sac d’une femme, on trouve de tout dans le souk de Morris.

« Vous aurez aussi besoin de ça »

Il me montre un sac noir rempli qu'il renverse sur la table faisant apparaître l’objet en question. Oh ! Une broche ronde argentée, le logo de l’établissement y est gravé. L’accessoire est métallique, de petite taille et passe inaperçu.

« La plupart des élèves refusent de le porter, alors qu’il symbolise leur appartenance à cet endroit. Mais le règlement l'imposant, certains malins essaient de nous faire croire qu’ils ne l’ont jamais enlevé. Si nous les surprenions, leurs effets personnels sont confisqués. On ne joue pas avec le code d’honneur de l’Épi Noir ».

L’école ressemble de plus en plus à un couvent. Je range la broche dans mon jean. J’aime bien cet homme, il n’est pas comme les autres directeurs, de sales vieillards détestant les mômes. C’est quelqu’un de bien.

« Bien ! Je tâcherais de m’en souvenir. Autre chose ?

  • Oui ! Passez une bonne journée néanmoins. Même si elle commence difficilement.
  • Je me posais une question, il n’y a pas de code vestimentaire ?
  • Oh si ! C’est le même partout : pas de tenues vulgaires ni de coiffures excentriques. Bref ! Vous verrez ça tout à l’heure. »

Je remercie le directeur pour sa gentillesse et ses précieux conseils. Mon sac sur les épaules, la clé en poche, je pars cacher l’intruse. Une fois sorti, j'aperçois Sandra Nabush au téléphone. Décidément, elle y passe sa vie.

« Sandra !

  •  Oui ? Ah Benoît ! Tu vas mieux ? 
  • Ouais, merci. À bientôt ».

Je descends les escaliers plus vite qu'à la montée. RAH ! Me revoilà dans le couloir. Et je n'ai toujours pas trouvé les dortoirs.

Regagnant la cour, je profite du bon air frais. De nouveau ventilé, je peux apercevoir Miss Pétasse numéro 1. Elle est entourée de sa bande et de d'autres élèves, tout le monde attend monsieur Morris. Moi, je pense à soulager mon dos du fardeau félin.

Ah ! Tiens il y a la fille du banc. Elle est dissimulée dans la foule, mais son casque violet ressort bien, la musique est un point commun. Parfait pour commencer une discussion. Est-ce que je l’aborde et je fais un fiasco comme avec Barbara ?

« Votre attention s’il vous plaît. Bonjour à tous, et à toutes. Bienvenue à l’Épi Noir. Je suis madame Cresson votre directrice adjointe »

Mince ! Ce n'est pas la voix d'Isaac Morris mais celle d'une femme. Qu'est-ce qu'il fabrique ? Il ne serait quand même pas en train de finir son Sudoku. Je comprends à son intonation qu’il s’agit de sa collègue, madame Crochon. Non, Cresson. J’ai du mal avec les noms aujourd'hui.

« Monsieur Morris et moi-même arrivons dans quelques instants. Veuillez nous excuser du retard du à un problème administratif, réglé sans gravité. »

Est-ce que je suis concerné ? Car j’ai récupéré ma clé tardivement ? Ou alors c’est ce sosie de Julia qui a donné des sueurs froides à toute la direction, je comprends mieux l’absence d’appels ou de messages.

Avec un peu de chance, j’aurais la possibilité de ranger mon sac et d’appeler ma mère avant le coup d’envoi. En regardant derrière moi, je vois une jeune élève, lunettes sur le front. Elle, peut me dire où sont les chambres.

« Hey ! Tu saurais pas où se trouvent les dortoirs ?

  • Toi t’es nouveau ici. Okay ! Alors tu vois le bâtiment principal avec les trois étages, c’est celui qui est juste derrière avec trois étages également. La symétrie c’est le péché mignon de l’Épi Noir.
  • Merci. À plus »

La fille allait répondre quelque chose, mais je m’étais déjà enfui. Les pensionnaires me regardent comme si je suis fou, très peu ont leur broche accrochée et il n’est pas question d’uniforme ici. Joggings, jeans, robes… Il y a de tout.

C’est plutôt sympa de la part de monsieur Morris de nous laisser nous habiller comme on veut, la dernière chose que je voulais c’était d’être déguisé et de perdre ma singularité. Ma course effrénée s’arrête face à un grand bâtiment blanc. Il semble très ancien.

Personne à l’horizon, je fonce. Une pancarte blanche au mur affiche trois étages : Filles 1er étage 1 → 30. Garçons 2e étage 30 → 60 Adultes 60 → 90. Oh ! Même le personnel dort dans le bâtiment, c’est une bonne méthode pour créer de la convivialité.

Je monte les marches avec rapidité pour ne pas rater la rentrée et le fameux discours de Morris. Arrivé à l’étage des filles, une petite déception m’envahit, ce n’est pas mixte. Pas de charmante demoiselle en ma compagnie la nuit, non, seulement un mâle rempli de testostérone et puant la virilité.

À contrecœur, mais pressé, je fais demi-tour et arrive en deux-trois minutes essoufflé à mon étage. 30, 31, 32, 33. Mes pas s’accélèrent au fur et à mesure et j’aperçois enfin la fameuse porte. Numéro 38. Bienvenue dans votre chambre Benoît Péruwelz.

Je sors la clé de ma poche et l’insère dans la serrure. Tournant ensuite cette dernière de deux rotations complètes, j’entends la porte se déverrouiller. Me voilà dans cette nouvelle chambre, ais-je le temps d’admirer les lieux ? Ou de m’admirer moi ?

[ Je n’ai pas vu un miroir depuis si longtemps. À quoi ressemblé je ? »]

Il est en face, je m’approche et rencontre mon reflet. Il n’est pas des plus réjouissants, fatigué, livide et triste tout comme je le suis. Les yeux sont le miroir de l’âme, les miens noisettes sont cernés, merci les parties endiablées de gaming.

Je peux rêver de me bousiller la vue, maintenant que je suis à l’Épi Noir. Quelques mèches me tombent sur le front, me grattant, je les remets en place et continue de m’observer.

Foutue cicatrice qui me tranche le visage en deux. Par chance, celle de la bouche est plus discrète, sur la commissure droite des lèvres. Ma peau mate est un peu bronzée, transmise par ma mère. Sur mon cou s’agite un trésor : un pendentif argenté serti d’un saphir associé à mon signe astrologique.

Ma montre qwartz au poignet gauche n’a rien à envier à celle dorée du directeur, argentée avec un cadran bleu et des aiguilles blanches, elle reflète dans la glace. Au droit, un bracelet en cuir noir où une tête de mort rouge est cousue.

Puis-je m’analyser qu’avec mes vêtements ? Veste en cuir noire ; sweat-shirt bleu sarcelle ouvert dévoilant un t-shirt blanc orné d’une tête de mort azuréenne. Un long jean gris clair avec deux poches affine mes jambes et des baskets montantes bleues et grises finalisent la toîle. Tu as la classe Ben ! J’aime mon style, je ne le changerais pour rien au monde.

[ Ne sois pas aussi égocentrique que Barbara. S’il te plaît, ou je te fais chuter de ton piédestal]

Ma voix intérieure a raison, laissons Madame et ses règles à la con endosser le rôle de la narcissique. Je le suis un peu moins qu’elle. Bon ! Allez Cricri, dehors. Le sac s’ouvre et la chatte bondit ne sachant plus où elle est.

Un coup d’œil à ma montre me rappelle qu’il est temps de filer. Un petit baiser sur la tête du chat et je me sauve, mon sac bleuté sur les épaules. Je verrouille la porte. T’inquiètes minette, tu auras tout ce que tu veux après.

Je redescends les marches et me souviens que j’ai zappé d’appeler ma mère. Je n’ai aucune envie de lui parler. Tant pis ! Qu’elle aille se faire voir.

Comment a t-elle osé me cacher ça. Ma soeur toujours en vie. Elle savait où elle se trouve pendant tout ce temps. Bafouant toutes les règles de notre famille et nous faisant souffrir inutilement.

Pourquoi tout ce plaidoyer sur mon incapacité à me résoudre au pire, alors qu’elle connaît la vérité. Elle signe le formulaire d’inscription d’une portée disparue, une quasi morte. Et sans le moindre remord, sans avouer sa faute.

Pff! Je n’ai plus le temps de penser à ça, « le problème administratif » est réglé, celui qui a bousillé la rentrée d’une poignée de gens. Moi y compris. Voilà pourquoi le pensionnat n’a pas pris de mes nouvelles, ils savaient que j’allais arriver, car ils m’attendaient. Pour tirer cette histoire au clair.

Savoir si cette Julia est bien ma sœur ou une simple coïncidence, les pensées virevoltent dans mon esprit, tout tourne autour de moi. Il faut que je m’asseye, le surplus d’émotions va m’achever avant ma majorité, si je continue ainsi.

Que fait le directeur ? Je pensais que cette histoire était résolue. M’éloignant du peuple, je me colle contre le mur du bâtiment, recroquevillé, la tête dans les genoux. J’aspire à une meilleure vie, sans le poids d’un secret.

C’est raté. Le retour de Julia me rend moins heureux que je ne le voudrais, j’ai simplement peur d’être déçu. Morris a pu se tromper, confondre la signature de ma mère avec celle d’une autre, ou alors les photos ont été envoyées par erreur. Je n’y comprends rien.

La cohérence essaie d’arriver dans mon esprit mais est effacée par l’illogisme de la situation. Qui penserait que ce cas de figure se produise ? Sûrement pas moi, isolé de la foule gaillarde, prête à se créer de nouveaux souvenirs heureux. Je pense à mon passé polémique.

Pourquoi ma vie est si compliquée ? Même la plus sombre des peintures de ma mère est le fruit d’un cheminement de pensées logiques. Je m’abandonne à ma souffrance, me perdant dans les méandres de mon esprit. La musique n’étant pas là, je fais avec.

Un instant, je me sens comme transporté ailleurs. Le jour de l’accident, seule mon enveloppe corporelle était restée dans la voiture. Mon «moi » s’amusait gaiement avec Etsya, une héroïne de mon jeu, Alien Excision II. Korbor et Etsya, un amour rêvé.

Je ne trouverais hélas pas l'Etsya de ma vie dans ce monde pourri où même la plus innocente des colombes ment. Ta propre mère peut t’arracher le coeur après t’avoir poignardé, puis t’enlacer. Attitude paradoxale.

Les émotions se pressent, ma tête est une pastèque, prête à exploser. Un flux d’informations transite et m’électrifie la cervelle, semblable au choc du lac. Je me sentais en sécurité là-bas, éloigné de la triste réalité.

Julia. En vie. Dois-je connaître ma rédemption aujourd'hui ? Mais que fout la direction ? Ramenez vous, putain, ne me laissez pas là à souffrir seul comme un imbécile, changez moi les idées. Ils connaissent pas la ponctualité ou quoi.

[ Faîtes que cette journée s’achève. Et si je suis déjà mort, achevez moi encore.]

La peine que je gardais au fond de mon coeur se libère, inondant tout sur son passage. Tâchant mes manches, les gouttes se répandant de mes yeux au sol. Si mes larmes peuvent aider la planète, que les arbres poussent dans toute la cour.

Célia serait fière de moi, je fais quelque chose d’utile pour sa cause. Pleurer. Et imaginer que ça serve à quelque chose, à part me soulager. C’est mieux que d’arracher un pavé et de le lancer au premier élève du coin, évitons de cibler celle que j'apprécie peu.

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