La danse écarlate

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Cela fait six mois que nous dansons. Demain, je serai morte.

Pauvres de nous, danseurs éternels. Nous, peuple esclave, celui qui sème, récolte, fabrique, nourrit ces « maîtres », une fois par siècle, obligé à danser. Ces maîtres qui n’ont de cesse de s’amuser. Ils sont trop lourds, trop gras, trop patauds pour se mouvoir en symbiose avec la musique. Alors, c’est nous qui suivons les pas imposés, inlassablement, pendant un an. Bien évidemment, peu seulement survivent : peu de repos, peu à manger : seuls les plus forts passeront l’année. Ceux qui s’arrêtent : la tête coupée. Ceux qui font un écart : exécutés. Le joug que nous portons est sanglant ; leurs mains sont poissées de sang, mais ils s’en repaissent. Demain, je serai morte.

Mon compagnon a épuisé ses forces. Il ne tiendra plus bien longtemps. Courtes nuits, longues journées. Maigres rations ; des pas, une infinité. Il ne tiendra plus bien longtemps. Las ! Nous dansons à deux. Si l’un venait à mourir, l’autre le rejoindrait. Si l’un venait à mourir, l’autre serait assassiné. Nous ne sommes plus très nombreux. Les vieillards sont les premiers à tomber. Avant la majorité, nous ne subissions qu’un entrainement ; enchainement de punitions, mais pas de mort. Battus. Brimés. Frappés. A chaque faux pas : punis. J’ai souvent eu le dos lacéré. Je n’ai jamais eu assez de larmes ; nous ne pouvons même pas pleurer. Les larmes sont tristes ; la danse est joyeuse. Nous ne devons pas verser une larme. Danser. Danser. Danser encore, jusqu’à la mort. Il ne tiendra plus bien longtemps. Demain, je ne serai plus...

Un homme vient de tomber. Déjà, des bras le ramassent. Sur la guillotine, ils le jettent, comme une masse. Il ne peut plus bouger. Il est épuisé. Sa compagne est morte ; une balle dans le corps. Le rouge coule sur le sol. Le carrelage est ensanglanté. Beaucoup sont décédés, beaucoup sont destinés à tomber. Mon compagnon faiblit. Demain, je serais morte.

Nous dansons.

La corde est lâchée.

Nous dansons.

Tombe le couperet.

Nous dansons.

La tête est tombée.

Nous dansons.

Le sang est versé.

Nous dansons.

Demain, je serai morte.

Ses jambes ne le tiennent plus. Bientôt, il se trompera. Faux pas : il mourra. Je n’ai plus assez de larmes. Je ne parviens pas à pleurer. Nous dansons. Il tremble. Ses pieds hésitent. Il faillira. Nous mourrons. Nous dansons. Le pied glisse. Faux pas. Il tombe à genoux devant moi. La musique vieillotte continue. Coup. Les accords d’autrefois résonnent à mes oreilles. Il passe sa main sur ma joue, la peignant d’écarlate. Mes larmes roulent. Je pleure. Il tombe. Demain, je ne serai plus. Ma robe est sanglante. Les roses sont rouges. Ma main aussi. Je n’ai pas le courage de le retenir. Je serai morte. Je danse. Je tourne. Je tremble. Je pleure. Ma vue se brouille. Je tourne trop. Je trébuche sur son corps. Je tombe. Ma robe est éclaboussée. Mon cœur vient d’éclater. Je tombe. Je n’ai plus peur. Je meurs. Ce soir, je ne suis plus.

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