J'ai oublié

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Hier, c'était la treizième fois que l'inconnue du miroir me rendait visite. À 22 h 12 précises, comme tous les soirs, la flamme de la bougie a vacillé juste avant son apparition. La première fois, j'en ai eu peur. Une peur bleue, comme jamais je n'en avais eu de ma vie. Une peur qui vous comprime la poitrine et qui fige vos membres, jusqu'à vous transformer en statue. La fois suivante, je compris qu'elle ne me voulait aucun mal et qu'elle était bien plus effrayée que moi encore. Elle apportait un message depuis l'autre monde. Un appel au secours. Elle m'en distillait jours après jours une infime partie, jusqu'à ce que j'assemble enfin les pièces du puzzle. Ce soir, il est 22 h 30 passées et le miroir n'a reflété ni son visage pâle, mi-angélique mi-fantomatique, ni le noir absolu de sa chevelure flottante. La flamme jaunâtre n'a pas dansé. Sans doute attend-elle de moi que j'agisse, maintenant. J'ignore pourquoi elle m'a choisi, mais je dois l'aider, je le sais du plus profond de moi-même. Comme si je venais de découvrir un sens à ma vie. Je regarde une dernière fois le papier volant bleu ciel sur lequel j'ai inscrit l'adresse. Mes soucis de mémoire m'obligent à écrire la moindre chose. Jusqu'à utiliser un système de couleurs, pour classer mes nombreuses notes par thèmes. Cela a toujours été ainsi. Demain matin, à l'aube, j'irai là-bas, accomplir ma mission.


La route est droite, longue et ennuyeuse. Le brouillard matinal et la buée qui envahit mon pare-brise, réduisent la visibilité à néant. Je suis passé devant le numéro onze il y a quelques minutes maintenant et commence à me demander si je ne suis pas allé trop loin. Pourtant, à cette vitesse, même par un tel temps, il faudrait être aveugle pour manquer une maison en bord de route. Soudain, une silhouette de pierres se dessine enfin. Je m'arrête devant l'entrée de la propriété et baisse la vitre côté passager, invitant ainsi un air glacial à entrer. Sur le portail vert rouillé, je distingue les nombres un et deux, presque effacées par le temps. Je quitte la route principale et emprunte le chemin de terre cabossé sur quelques centaines de mètres et m'arrête sur le côté, devant le grand chêne. Pour le moment, tout se déroule comme prévu.

Le temps humide ayant ramolli ce sol exempt de cailloux, me facilite la tâche. J'enfonce la pelle dans la terre, avec l'appui de mon pied droit. Je creuse à mi-distance de l'arbre centenaire et de la clôture du champ, comme me l'a indiqué le mystérieux visage du miroir. Mon cœur bat fort, car je sais ce que je vais trouver sous mes pieds. C'est triste et affreux en même temps. Les larmes montent. La colère aussi. Cela me pousse à creuser encore et encore. J'exerce une pression toujours plus forte sur la pelle, soulevant toujours plus de terre à chaque passage. Au bout de quelques minutes, un trou conséquent s’est formé et ma pelle heurte l'insoutenable. Le crâne de la petite fille portée disparue depuis dix ans. Je jette la pelle sur le côté et empoigne ma truelle de maçon. Délicatement, je dégage la terre tout autour de lui, sans l'extirper. Ce n'est pas à moi de le faire. Dans le tas de terre que je viens de créer, je remarque un petit objet doré. Je le saisis et le frotte délicatement avec mon pull pour le nettoyer. C'est un pendentif en forme de cœur, sur lequel est gravé un prénom. Léa. Je glisse l'objet dans ma poche et me dirige vers ma voiture. Je dois maintenant prévenir les autorités au plus vite et quitter les lieux. Le corps ainsi découvert permettra de faire rouvrir l'enquête et de retrouver le coupable. Justice sera faite et la femme du miroir, apaisée, pourra rejoindre définitivement l'autre monde.

Ce soir, c’est avec une minute d’avance que la flamme entame sa chorégraphie, tel une danseuse étoile. Soudainement, elle s’éteint, libérant l’arôme vanille de la bougie. C’est la première fois que ce phénomène se produit. Malgré la faible luminosité provenant de l’éclairage extérieur, j’aperçois le visage. L’entrevue est différente des autres. J’ai posé le pendentif sur la table, entre le miroir et moi, de façon à ce que la jeune femme sache que j’ai fait ce qu’il y avait à faire. Elle paraît plus resplendissante que jamais, comme libérée d’un poids. À sa façon, elle me remercie et me fait ses adieux. Désormais, elle ne cherchera plus à communiquer avec le monde des vivants. Son image disparaît à jamais du miroir et la bougie se rallume, comme si elle ne s’était jamais éteinte. Comme si tout cela n'avait jamais eu lieu.

Des mois se sont écoulés et étrangement, toute cette histoire ne s'est pas totalement effacée de ma mémoire, comme c'est souvent le cas en général. Durant les premières semaines, j'en ai même fait des cauchemars. Ce moment où j'ai découvert la petite fille, ou plutôt ce qu'il en restait, a été responsable de nombreuses nuits blanches. Le miroir, quant à lui, a pris place au fond d'un placard, pensant que ça m'aiderait. Ce qui a fonctionné. Les choses se sont améliorées et j'ai fini par retrouver le sommeil et par penser de moins en moins à cette histoire. Jusqu'au jour où les hommes en uniforme sont entrés chez moi. Ils ont enfoncé la porte de mon appartement, armes en main. Je me rappelle encore de l'homme qui m'a passé les menottes, m'annonçant que j'étais en état d'arrestation pour le meurtre de Léa. Je n'ai pas opposé la moindre résistance, car cet événement produisit un véritable électrochoc en moi. La mémoire est revenue. En quelques secondes, les années oubliées ont défilées dans ma tête et j'ai vu un drame. Il y a dix ans de cela, j'avais une femme et une fille, prénommée Léa.

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