Trahisons : III

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Je me précipitai, poussant Varma devant moi. Le tiroir s’ouvrit, révélant le corps nu de mon conjoint, recouvert de son panache blanc, aussi long et fourni qu’il l’avait été au moment de sa mort. Ses cheveux étaient redevenus courts, comme au début. Ses yeux lactescents, grands ouverts, ainsi que le troisième œil sur son front, fixaient le plafond.

— Ren, sanglotai-je en me précipitant sur lui. Anwë soit loué, tu es vivant !

Ren tourna ses yeux effilés dans ma direction. Sans rien dire, il me considéra, puis il se redressa, me faisant glisser sans ménagement sur le côté. Il devait être passablement sonné.

— On ne bouge pas, fit la voix de Varma derrière moi. Le canon d’un émetteur gravitationnel miniaturisé est pointé sur votre nuque. Lâchez le vôtre et relevez-vous lentement, les mains bien visibles.

Varma m’avait eue. Je ne l’avais lâchée du regard que quelques secondes… Mais cela lui avait suffit pour reprendre le dessus.

— Bien. Opérateur, allez au laboratoire B et rapportez-moi un collier à induction quantique. Allez-y en courant : vous avez une minute, pas plus.

L’opérateur, dont le regard apeuré allait de l’inquiétante silhouette de Ren à moi, s’exécuta sans se faire prier.

— Je savais que ce ne serait pas si simple, avec vous deux, murmura Varma avec un sourire satisfait. Restez où vous êtes, Ren. Vous êtes très bien comme ça.

Mais Ren n’avait aucune intention d’obéir. Il se leva, posant ses pieds nus sur le sol de titane froid.

— Vous avez entendu ce que je viens de vous dire ? répéta Priyanca Varma. Je tiens votre femme en joue. Je n’hésiterai pas à faire feu si vous vous montrez menaçant !

Ren la regarda, la fixant de ses yeux blancs sans humanité. Et soudain, je compris. Ren ne portait pas son cristal mémoriel, au moment où il était tombé dans le réacteur… En réalité, je ne l’avais pas vu autour de son cou depuis notre retour de Kharë, après qu’il l’eut enlevée pour me la montrer. Le syntoniseur avait reconstitué Ren, mais tel qu’il était lors de sa mort sur LVX, plus de quarante mille ans auparavant. Ren n’avait plus aucun souvenir de ce qui s’était passé dans cet intervalle.

L’Amirale avait bien merdé.

— Il ne vous comprend pas, glapis-je à Priyanca Varma. Il a perdu la mémoire : le syntoniseur l’a reconstitué tel qu’il était sur LVX !

Pour la première fois depuis que je la connaissais, je vis la peur sur le visage de Priyanca Varma. Elle recula, alors que Ren dépliait sa longue silhouette devant elle.

Pour ma part, j’avais confiance en mon compagnon. Je savais qu’il n’attaquerait pas deux femelles qui ne le menaçaient pas : cela allait contre le code d’honneur et l’éthique du combat qu’il avait toujours suivi. Je m’adressai à lui en ældarin, bénissant la détermination qui m’avait faite venir à bout de cette langue.

— Ren, tu ne me reconnais sans doute pas. Je m’appelle Rika, et je suis ta femelle. Nous avons eu deux portées ensemble. Il y a à peine quelques minutes, tu as été attaqué par les hommes de cette femme diabolique qui a détruit ton cair et ton corps est tombé dans un réacteur nucléaire. J’ai récupéré ton cœur et l’ai placé dans ce syntoniseur afin que tu sois reconstitué.

Ren m’avait écouté avec attention, apparemment surpris que je m’adresse à lui dans sa langue. Mais il ne me répondit pas, et ne me posa aucune question.

— Que venez-vous de lui dire ? s’enquit Priyanca Varma.

— La vérité.

Mais visiblement, ce n’était pas suffisant. Ren nous regardait sans réagir, le regard inexpressif.

— J’ai déjà une femelle, me répondit-il alors de la voix la plus glaciale qu’il avait en magasin. Une ædhel, comme moi. Où est-elle ?

— Mana. Je sais. Tu as eu une portée avec elle, avant moi. Mais elle est partie, et nous la cherchions, elle et tes deux dernières filles, avant que ces gens nous attaquent.

Ren releva la tête. L’ingénieur venait de revenir, escorté de toute une escouade de troufions qui se positionnèrent et pointèrent leurs armes sur Ren.

— Ne tirez pas ! leur ordonna Priyanca Varma. J’ai la situation sous contrôle. Vous, donnez-moi le collier.

L’homme s’exécuta, tendant une petite mallette à Priyanca Varma. Cette dernière l’ouvrit et en sortit une bande sertie d’un appareillage électronique, doublé d’iridium.

Puis l'Amirale braqua son arme sur moi.

— Passez-ça au cou de votre compagnon. Faites-le, où je vous abats.

Son ordre fut accompagné par le cliquetis des collisionneurs de l’escouade, qui braquaient leurs canons sur moi.

— Si vous tenez à lui, insista Priyanca Varma, faites-le. On ne laissera pas un individu aussi dangereux que votre Ren en liberté. Si vous n’obtempérez pas, ces hommes l’abattront, et cette fois, son organe S² partira directement à l’ingénierie énergétique !

Sans cesser de regarder Priyanca Varma, je m’adressai à Ren dans sa langue :

— Cette femme, Priyanca Varma, veut que je te mette ce collier autour du cou, afin de pouvoir t’emprisonner, t’étudier et t’utiliser, comme un vil esclave. Si on veut retrouver nos petits et notre liberté, c’est notre dernière chance, Ren !

Ren me regarda. Puis, d’un mouvement si rapide que personne n’eut le temps de réagir, il désarma Priyanca Varma. Ou plutôt, lui arracha le bras.

Cela fut suffisant pour décider les soldats à ouvrir le feu. Je me jetai derrière le syntoniseur, les doigts serrés sur l’arme que j’avais volée à Priyanca Varma. Un coup d’œil au dessus de mon refuge improvisé m’informa de la situation : Ren avait déployé son champ énergétique, et, le temps d’une respiration, il avait taillé dans les rangs de l’escouade comme un colon sur une planète sylvestre débite du petit bois.

Et il avait vidé les lieux. En me laissant là.

La menace incarnée par les légionnaires éradiquée, je sortis de mon refuge. Varma était au sol, tenant son épaule ensanglantée, son corps cybernétique atteint par de nombreux impacts. Elle avait évité les radiations, mais pas les rayons plasmas et les balles explosives de ses propres hommes.

Je viens me positionner devant elle, levai le bras et armai le CERG, ajustant le canon de manière à viser en plein milieu de son cortex cérébral.

— Je vous avais prévenue, lui dis-je tandis qu’elle relevait les yeux vers moi. Je ne vous laisserai plus mettre en danger ma vie et celle de ma famille.

Et, qu’on me pardonne, je tirai. De sang froid, je mis fin à la vie de l’Amirale de l'Holos.

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