Perles de sagesse

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Plus tard dans la soirée, que je passais avec les deux jeunes dans la soute terraformée autour d’un feu de camp – Ren achevait de raconter son histoire à Tanit et Isolda gardait les petits – je revins sur Śimrod et ce que vivait Angraema en ce moment.

« Le pire, c’est quand il m’attaque avec une masse d’armes, nous raconta Angraema, la tête sur les genoux de Círdan, qui, n’en revenant pas de sa chance, lui caressait les cheveux religieusement. Papa dit que Śimrod Surinthiel était un spécialiste du double sabre, mais c’était un spécialiste de tout ce qui fait mal, en fait ! Et au corps à corps, c’est l’enfer. Il devait peser au moins 600 kg, de son vivant ! Même l’orc Brack’thal était plus doux.

— Il te fait combattre d’autres maîtres ? lui demandai-je, curieuse, et désireuse de chasser les images sinistres que ces nouvelles informations d’Angraema avaient suscitées dans mon esprit.

— Oui. Mais le plus souvent, je me retrouve contre Śimrod. Papa dit que c’était le meilleur… Il m’a également avoué qu’il avait beaucoup étudié son style, et que c’est ce qui lui avait fait gagner le barsaman, d’après lui. Ça, et le fait d’avoir conservé sa queue. Du coup, il m’a conseillé de garder la mienne. Il paraît que c’est mieux pour l’équilibre ! »

Je jetai un coup d’oeil à Círdan. Vu la façon dont il câlinait amoureusement sa dulcinée, cette annonce n’avait pas l’air de trop le déranger. Angraema finit par se relever, et elle le poussa à venir contre son giron cette fois, ce qu’il fit après m’avoir jeté un regard discret et timide. Loin d’être embarrassée, ma nièce se mit à lisser la chevelure spectaculaire du jeune ældien.

« Comment ça se passe, avec ton père, à part ça ? lui demandai-je pour creuser un peu.

— Bah, comme d’habitude, me répondit-elle en agitant les mains, lâchant la tresse qu’elle était en train de faire à son amoureux. Il me fait la morale, m’explique tout un tas de truc sur le fait que, pour être un vrai guerrier, il faut surtout savoir quand se servir de son arme plutôt que la manière dont on s’en sert, des trucs comme ça. Tu sais, les perles de sagesse de papa, quoi ! »

Je souris. Angraema avait une image de son père fort différente de la mienne : souvent, j’avais l’impression d’être plus sage que lui !

« Il m’a raconté le combat contre Arowed, notamment, murmura-t-elle en Commun, profitant du fait que Círdan, apaisé par ses caresses et la chaleur du feu, ait fermé les yeux.

— Ah oui ? Et qu’est-ce qu’il t’a dit ? Est-ce qu’il t’as raconté avoir été en difficulté ? répondis-je dans la même langue.

— Non, il ne m’a pas pas vraiment parlé de l’aspect technique, mais plutôt psychologique, ou spirituel, je ne sais pas trop comment dire… Il m’a rapporté notamment la définition qu’Arowed avait donné d’un adversaire, par rapport à sa propre définition, à lui. Tout ça pour aller dans le sens de sa philosophie du combat, que je t’avoue ne pas trop comprendre pour l’instant.

Je la regardai.

— Et quelle est la définition d’un adversaire, pour Arowed ? m’enquis-je.

Angraema prit une grande inspiration.

— Pendant le combat, à un moment, Arowed lui a dit que les ennemis, c’étaient ceux qui menacent les ressources que l’on possède : nourriture, territoire, partenaires sexuels, petits et famille. Et il a dit à papa que, en ce sens, ils étaient tous les deux des ennemis l’un pour l’autre, donc condamnés à s’affronter dès le départ, puisque selon lui chacun convoitait les ressources de l’autre. Ce à quoi papa à répondu qu’il ne convoitait rien du tout, et qu’Arowed n’avait jamais été un ennemi, et que c’était pour cela qu’il avait toujours évité l’affrontement avec lui. À partir de là papa m’a fait sa petite leçon, en me disant qu’un ennemi, ou un adversaire, pour lui, c’est quelqu’un qui menace notre identité même, notre façon de voir le monde et de penser, nos valeurs, nos croyances et notre philosophie de vie. Il a ajouté que c’était la seule raison pour laquelle je devais me battre… Mais les orcanides, alors ? Ou Arowed lui-même, qui a tenté de le tuer et projetait de te prendre pour lui ? Papa m’a répondu que s’il le fallait, je devais être capable de tuer pour défendre ma vie et celle des autres, mais que je ne devais jamais considérer ce type d’antagoniste comme un ennemi. Pendant le combat, il a dit à Arowed qu’il ne menaçait pas sa façon de voir le monde, car ses convictions à lui étaient inébranlables, que ce n’était donc pas un ennemi, mais qu’il allait le tuer tout de même, s’il y était obligé. C’est cette distinction que je n’ai pas trop compris, entre les ennemis et ceux qui ne le sont pas mais qu’on doit tuer quand même… Je trouve ça un peu obscur et hypocrite. »

Moi, je comprenais. Et une fois de plus, je fus prise d’une grande admiration pour Ren. C’était cette façon de penser qui faisait de lui un tueur sans être une brute sadique, sans être quelqu’un d’insensible, voué à la destruction et au chaos. C’était cette philosophie qui faisait de lui quelqu’un de bien, tout simplement.

« Écoute attentivement tout ce que ton père te dit, lui conseillai-je. Un jour, quand tu seras plus grande et que tu auras vu plus de choses du monde, tu comprendras ce qu’il a voulu te dire. Fais-moi confiance. »

Angraema fit la moue, mais elle ne lâcha ni protestation ni réplique sarcastique. Sur ses genoux, Círdan sommeillait paisiblement, son beau visage détendu : je décidai de prendre congé et de les laisser passer leur dernière soirée en amoureux. Dès le lendemain, Angraema repartait faire ses classes.

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