N'Orbb

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— Psst ! Angraema !

Les oreilles alertes, cette dernière se redressa, tenant encore son coussin.

— Rika ! Qu’est-ce qu’il y a ?

— Tu ne veux pas aller voir ce qu’il y a dans la soute neldë ? lui demandai-je.

Les oreilles d’Angraema s’affaissèrent quelque peu.

— Tu crois ?

— Tu es une sidhe, non ? fis-je de manière un peu déloyale. Un petit challenge comme ça ne devrait pas te faire peur ! Au contraire, cela devrait te stimuler !

Angraema se leva.

— Tu as raison. Allons-y !

Je jetai un œil dubitatif sur sa silhouette en pyjama.

— Tu ne veux pas t’habiller un peu d’abord ?

Lorsqu’elle se fut vêtue, je descendis avec elle. J’avais pris ma forme d’ældienne, pour pouvoir manier la lame à triple configuration de Ren – et aussi, au passage, bénéficier de capacités physiques supérieures. Angraema, elle, s’arma du Silevril, que Ren lui avait prêté en attendant qu’elle se fasse le sien. Personne n’y réfléchissait vraiment, mais pour obtenir son sigil, il allait falloir qu’Angraema tue un autre ædhel… Et l’époque des nobles combats du barsaman était bien loin.

Nous nous glissâmes dans le cair de Mana le plus silencieusement possible. Je savais qu’elle serait moins sévère avec sa fille qu’envers Tanit, mais elle avait été claire, la dernière fois : je ne devais plus venir fouiner dans son vaisseau. Heureusement, être une souple et féline ædhelleth me permettait, paradoxalement, d’être plus silencieuse et discrète que sous ma forme humaine.

— C’est là, murmurai-je à Angraema devant la porte de la soute neldë.

Angraema se pencha sur la porte. Elle passa sa main dessus, et des glyphes sur-gravés apparurent sur le mithrine.

— Il y a un dwol sur cette porte, fit Angraema. Il faut un mot de passe.

Un mot de passe… Qu’aurait pu choisir Mana ?

— Comment on dit esclave en dorśari ?

Iblith, me répondit Angraema.

Je tentai ce mot. Mais la porte ne s’ouvrit pas.

J’en essayai quelques autres du même acabit : jouet, serviteur, vengeance et même amant… Rien ne fonctionna. Finalement, j’eus une intuition :

— Et comment dit-on araignée ?

— N’Orbb, me répondit Angraema.

Je fis face à la porte.

— N’Orbb ! prononçai-je avec les r gutturaux de cette langue.

Et la porte de la soute s’ouvrit.

Il y faisait totalement noir. Mais, aux yeux d’un ældien, le noir ne l’est jamais complètement, et, alors que mon regard s’ajustait à cette obscurité, je distinguai une forme dans le fond de la soute, recroquevillée dans un coin.

— Tínin ? appelai-je. Est-ce vous ? Nous sommes venues vous secourir.

Angraema se tourna vers moi.

— Tínin ? chuchota-t-elle. Tu crois que c’est lui ?

Je hochai la tête.

— Oui. Je crois qu’il est prisonnier de ta mère.

Angraema me regarda d’un air inquiet. Elle connaissait cette dernière mieux que moi : peut-être avait-elle une idée précise des sévices que Mana avait fait subir au pauvre mâle.

— Tínin… Est-ce que vous m’entendez ?

Angreama referma sa main fraîche sur mon poignet.

— Écoute, je crois qu’on ne devrait pas être là, fit-elle d’un ton à la fois inquiet et assuré.

Je tournai un visage résolu vers elle.

— Mais il faut le secourir ! Même s’il a insulté ta sœur, il ne mérite pas d’être attaché, retenu prisonnier, torturé et violé. C’est un être vivant, intelligent et sensible ! On n’est pas des barbares. Ton père serait le premier à le dire, et c’est ton maître, maintenant ! Si tu ne montres pas de compassion envers les êtres sentients, il sera mécontent.

Angraema prit une grande inspiration et raffermit son regard. Je compris alors qu’elle avait seulement peur.

Peur de découvrir ce que sa mère avait fait à Tínin.

— Allez, fit-elle pour se motiver. Finissons-en !

Elle leva son sigil devant elle. J’y jetais un regard : j’avais pour ma part rangé le mien.

— Tínin... continuais-je. Répondez-nous s’il vous plaît ! Êtes-vous blessé ?

J’entendis alors un cliquetis, comme un bruit de chaînes qu’on remue. Et quelque chose de mouillé, comme un bruissement, et enfin, deux petits claquements secs. Cela venait du renfoncement du fond, un endroit plus sombre que les autres, d’où je ne pouvais rien voir d’autre qu’une masse profonde et obscure.

En me concentrant, je vis soudain émerger le visage du jeune en question. Il était en piteux état. Ses iris pâles nous regardaient d’un air vide, les traits sans expression, le teint blafard. Ses cheveux avaient jauni, ou plutôt blanchi : comme j’ignorais leur couleur de départ, c’était difficile de me faire une idée. Debout, les bras pendant le long du corps, il nous regardait sans bouger. Seul son torse était apparent : il était nu, et couvert de blessures. De larges entailles, comme des coups de fouet.

— C’est Tínin ? murmurai-je à Angraema qui me répondit en hochant la tête. Il est dans un sale état !

Je fis un pas en avant, décidée à porter secours à la malheureuse victime de Mana. Habituée à voir les ældiens beaucoup plus grands que moi, je ne m’étais pas interrogée sur le fait que le haut du corps de Tínin se trouvait surelévé. Ce n’est qu’en marchant vers lui que je me fis cette réflexion : j’étais sous la forme de Baran, et culminais donc moi même à deux mètres quarante. Et une fois encore, Angraema me rattrapa.

— Non ! N’avance pas. Ne fais pas un pas de plus !

Je vis nettement un éclair de frustration assombrir le visage de Tínin. Il tendit le bras… et avança vers nous.

Le hurlement d’Angraema couvrit mon hoquet d’horreur, alors que mon cœur tombait dans mon estomac. Tínin était accroché à une énorme, noire et grotesque arachnide. Les pattes fines et pointues de la créatures, ramassées tout le long des deux murs qui formaient coin, se déployèrent pour venir vers nous. Je réalisai alors qu’il n’y avait que cinquante centimètres entre celles de devant et moi : sans la peur instinctive d’Angraema, je serais allée me jeter tout droit dans la gueule du monstre.

— On ne peut plus rien pour lui, chouina Angraema. Sortons d’ici ! Vite !

Mais la créature qui avait tué Tínin – et qui l’animait d’une bien horrible manière – avait d’autres intentions. Se recroquevillant sur elle-même, elle pointa son abdomen gonflé vers nous et cracha un jet blanc et abondant, que je crus un moment être du sperme. Mais c’était une matière encore plus collante, qui se solidifia au moment même où elle m’atteignit.

Et ce lien me tirait vers elle, comme une ligne de pêche !

— Non ! hurla Angraema en se précipitant, lame en avant.

Son cimeterre trancha net le fil, provoquant le râle de frustration de l’araignée… Par la bouche de Tínin.

— Mais qu’est-ce que c’est que cette sorcellerie ? m’écriai-je, horrifiée. Cette araignée anime le cadavre de Tínin ?

C’est Tínin ! me hurla Angraema aux oreilles. Mère l’a offert à la Reine Araignée… Qui l’a changé en l’un d’eux. Vite ! Il ne faut pas rester ici.

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