Archives de la Cour Exilée : Du dressage des aios

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Le jeune entra avec réticence, les oreilles basses et la queue étroitement enroulée autour de sa taille. Je remarquai immédiatement la taille conséquente de cet appendice, un fait plutôt inhabituel chez les jeunes mâles en âge de procréer.

— Quel âge as-tu ? lui demandai-je en me tournant vers lui.

Le jeune releva des yeux d’un vert intense sur moi. C’était un sil-illythiiri. Sa peau avait une belle couleur anthracite, et je devinai qu’elle allait encore foncer, avec l’âge.

— J’ai connu huit lunes rouges, dame, me répondit-il.

Sa voix était grave : il avait donc eu sa mue. Je le détaillai. Pas exagérément grand, mince, bien fait.

— As-tu eu tes premières fièvres ? m'enquis-je ensuite.

Il baissa la tête, et me répondit un timide « oui » du bout des lèvres.

— Et tu es encore vierge, remarquai-je en regardant sa queue.

Il acquiesça rapidement.

— Bon. Déshabille-toi, et allonge-toi sur cette banquette. Essaie de te détendre : ce sera rapide et peu douloureux.

Il releva la tête vivement, s’apprêtant à protester. Habituée à cette réaction chez les jeunes dont c’est la première visite, je ne lui donnai pas le temps de s’indigner.

— Tu es un sidhe, oui ou non ? Alors soumets-toi au règlement et fais ce que je te dis. Tous les mâles en âge de procréer doivent être examinés. C’est la règle.

Le jeune me tourna le dos. Il retira ses vêtements, qu’il plia soigneusement et posa sur un guéridon. Je remarquai que son dos était couvert de cicatrices : sous ses airs innocents, en voilà un qui devait donner du fil à retordre à ses maîtres ! Puis il s’allongea, le dos raide, la queue pudiquement placée entre ses jambes.

Je le laissai ainsi pour l’instant. Pendant qu’il observait la fenêtre dimensionnelle du plafond, qui ouvrait sur l’enchevêtrement de couloirs et d’escaliers de Minas Arainne – une réalisation dont j’étais assez fière – je sortis mon livre et ma plume de leur coffre et les plaçai sur le lutrin.

— Comment t’appelles-tu ?

Le jeune me jeta un regard rapide.

— Silivren.

— Parle plus fort. Je ne t’entends pas.

— Silivren ! répéta-t-il.

— Silivren quoi ? Silivren tout court ?

Il hocha la tête.

Je le détaillai. On l’avait sans doute appelé ainsi en référence à ses cheveux et à sa queue blanche.

— C’est un joli nom, lui octroyai-je.

Un joli nom pour un joli mâle. Il était mignon comme tout.

— Tu te plais au temple, Silivren ? le questionnai-je en posant mes mains sur son ventre froid.

Il sursauta.

— Détends-toi. Et réponds à ma question.

— Oui, me répondit-il d’un ton peu convaincu.

— Tes maîtres ne se montrent pas trop sévères avec toi ?

Il secoua la tête, tout en se tortillant. Un mensonge : son dos zébré de coups de fouet parlait pour lui.

— Arrête de bouger, lui ordonnai-je avec une petite tape sur le ventre. Je ne sens rien du tout si tu te tortilles comme une chenille !

Il s’immobilisa, docile.

— C’était quand, tes dernières fièvres, Silivren ? lui demandai-je en appuyant sur son bas-ventre.

— Ça a commencé à la dernière fête de Nineath, me répondit-il.

Je le lâchai.

— Et évidemment, tu n’as prévenu personne.

Il secoua la tête.

— Non, avoua-t-il.

— Pourquoi ?

Il tourna le visage vers moi. Je lus une étincelle d’assurance dans ses yeux verts. De l’assurance, et de la défiance, aussi.

— Je n’avais pas envie, osa-t-il répondre.

— Pas envie ?

— Pas envie, confirma-t-il sans préciser de quoi, exactement, il n’avait pas envie.

Je ravalai un soupir. En voilà un qui allait poser bien des problèmes !

— Pousse ta queue, lui ordonnai-je en tirant dessus légèrement.

Silivren me jeta un regard outré. Visiblement, c’était l’instant de rébellion.

— Pousse ta queue, répétai-je, ou je fais venir un sidhe pour qu’il te la soulève !

Face à la menace, Silivren s’exécuta immédiatement. Aucun sidhe ne pouvait résister à la vue d’un jeune mâle offert sur une table. Le jeune Silivren devait bien savoir cela, dans sa chair même.

— Tu n’as pas à être embarrassé, le rassurai-je en voyant son air contrit. Très bientôt, un grand nombre de femelles sauront à quoi ressemble ce que tu dissimules avec autant d’insistance.

Il tourna la tête en maugréant. Je sentis qu’il avait envie de réagir, et je compris qu’il était nécessaire de le rappeler à l’ordre.

— Est-ce que tu sais que tu pourrais être sévèrement puni pour avoir caché à tout le monde que tu étais mûr pour l’accouplement depuis une lune, déjà ? le tançai-je. Tu comptes rester un hennëdel toute ta vie ? Je vois que tu es issu d’une portée unique et que ta mère n’a pas de fille. Que pensera-t-elle, si tu meurs demain, sans avoir assuré la continuité de sa lignée ? Les mâles aussi, s’ils ne transmettent pas le nom, ont cette responsabilité ! C’est ton devoir de te tenir à la disposition des femelles et de les féconder. Quand tu seras sidhe et que tu auras engendré plusieurs portées, tu pourras faire ce que tu veux, mais pour l’instant, tu dois te soumettre aux usages. Tu as bien compris ?

— Oui, admit-il faiblement, vaincu.

Après cette petite remise au pas, il supporta le reste de l’examen sans broncher. Quand ce fut fini, je trempai mes mains dans la bassine d’eau claire, les essuyai et me tournai vers lui.

— Tu auras tes prochaines fièvres très bientôt, lui annonçai-je. Je vais te déclarer apte à la reproduction. La prochaine fois que je te revoie ici, je veux que tu aie perdu ce panache, qui est déjà beaucoup trop épais. Tu vas souffrir, quand l’as ellyn te le coupera ! Ce sera bien fait pour toi. Écoute ce que les maîtres te disent et ne montre pas que tu as mal, sauf si tu sens que cela agrée l’elleth. Tu es à leur service et tu dois leur faire passer une nuit inoubliable. C’est bien compris ? Plus de refus, ni de cachotteries !

Il baissa la tête avec soumission. Mais je vis qu’il n’en croyait pas un mot.

— Allez, rhabille-toi et file, avant que j’appelle un sidhe pour qu’il te fouette encore ! Tu l’aurais bien mérité.

Silivren prit congé sans demander son reste.

Lorsqu’il revint la lune suivante, je remarquai tout de suite sa queue. Elle avait doublé de volume !

— Par Narda ! m'écriai-je tout de suite. Je me rappelle de toi, tu es le jeune Silivren ! Tu n’as pas du tout écouté ce que je t’ai dit la dernière fois !

Il me jeta un regard si insolent que je faillis appeler immédiatement Maître Aoíse, que je savais être dans la pièce à côté.

— Vous m’avez dénoncé, la dernière fois, me dit Silivren, révolté. Est-ce ma faute, si ça n’a abouti à rien ? Les ellith décident : moi, je n’ai rien à dire.

Dénoncé ! Déclarer un mâle apte à la procréation ! Hésitant entre le rire et la colère, je lui montrai la banquette.

— Allez. Tu connais le protocole.

Silivren s’allongea et croisa les bras. Depuis la dernière fois, il avait pris du muscle. Je renonçai à lui décroiser les bras de force et commençai à manipuler son bas-ventre. Je l’entendis maugréer, mais il n’osa tout de même pas pousser l’outrecuidance en feulant ou en se plaignant à voix haute.

Ce mâle était tout à fait bon pour l’accouplement. Même s’il mettait une mauvaise volonté évidente, il me paraissait clair qu’il ferait un excellent reproducteur. Je le laissai repartir, puis allai me renseigner à son sujet. Quelle ne fut pas ma surprise de découvrir qu’il avait déjà été demandé par une centaine de jeunes femelles ! Pourquoi avait-il encore son panache ? C’était un vrai mystère.

Lorsqu’il revint à la lunaison suivante, le panache encore plus épais, la musculature encore plus développée et le caractère encore plus obstiné, je décidai de rendre l’examen beaucoup plus humiliant et contraignant. Mais rien de ce que je pus lui faire ou dire ne parvint à briser cette fierté mal placée qu’il avait. Il ne poussa pas le moindre gémissement et n’eut même pas l’air gêné lorsque je m’échinai à le faire réagir, déployant pour cela des talents que je n’utilisais même pas avec le plus apprécié de mes amants. Entre le premier examen et celui-là, ce Silivren avait remporté le barsaman deux fois. Il se pensait donc invincible et au-dessus des autres. On lui avait même donné un nouveau nom, Ar-waën Elaig, et une épiclèse : « redoutable ».

J’abandonnai avant lui. D’un signe de tête, j’appelai le sidhe pour qu’il le détache, et le regardai tout en nettoyant mes mains trempées dans la bassine. Je voulais l’humilier. Qu’est-ce qu’il s’imaginait ? Pensait-il nous être supérieur, à nous autres ellith ? Voulait-il revenir aux temps archaïques où les mâles nous dominaient et nous imposaient leur loi cruelle ?

— Je vous conseille de le passer au fouet, celui-là, lançai-je à l’aios. Il est d’une insolence rare !

Silivren, qui s’était rhabillé, me jeta un regard coupant comme un rasoir.

— C’est le fils de Śimrod Surinthiel, répondit simplement le sidhe.

— Ah ! Je comprends mieux. Est-ce que cette grandiose et terrible ascendance le dispense des sanctions réservées aux insolents ?

Le maître jeta un regard en biais au jeune Silivren.

— J’imagine que non.

— Au contraire, je pense que cela mérite même de doubler la punition. Ce n’est pas parce qu’on est un champion du barsaman et le fils d’un maître de guerre célèbre qu’on doit se dispenser de montrer sa déférence à une elleth ! Appelez-moi quand vous le punirez, je veux y assister.

Furieux, Silivren se tourna vers moi.

— Mais je n’ai rien fait de mal ! gronda-t-il en me montrant les dents.

— Maintenant, si, lui appris-je. Allez, emmenez-le. »

Sur ma demande, Silivren fut fouetté en public. J’eus la satisfaction de l’entendre grogner sourdement tout le long, et je réussis même à obtenir qu’il soit choisi pour les lunes ardentes. Après l’avoir vu nu, débordant de sève et livré au désir tentaculaire du plus passionné de nos sældar, nul doute que les ellith allaient s’étriper pour l’avoir !

La fois suivante, je le fis attacher dès le début de l’examen, certaine qu’il essaierait de m’attaquer. Il ne m’octroya ni regard ni parole. Plus jamais je n’entendis le son de sa voix. Lorsqu’il arrêta de se présenter aux contrôles de fertilité, comme son père avant lui, je fus déçue mais guère surprise : devenu as sidhe, il ne venait plus sur Ælda et il n’y avait plus de moyens véritables de mettre la main sur lui. Apprendre qu’il mourut en portant toujours son insolent panache ne me surprit pas non plus. Ce mâle haïssait les ellith, et comme Śimrod Surinthiel avant lui, je me doutais bien qu’il se réjouissait secrètement de pouvoir en tuer une ou deux à chaque examen de sortie de l’académie d’Æriban.

Dame Mev Ainë, Journal, entrée XXVI

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