L'arme secrète

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Le cair de Mana était en vue. Si nous arrivions à entrer dans sa zone d’attraction, nous étions sauvées.

Je nous croyais tirées d’affaire lorsque la sirène d’alarme du vaisseau résonna.

— Intrus à bord ! Je répète, intrus à bord ! fit la grosse voix oursine de mon IA.

Angraema se tourna vers les caméras du sas et du pont, qui révélèrent la face patibulaire d’un orcanide, armé d’une de leurs grosses massues hérissées de pointes.

— Merde, sifflai-je. On a un invité. Ça doit être le pilote du chasseur que Ren vient d’abattre.

— Il est pour moi ! gronda Angraema, les cheveux hérissés.

— Fais attention, murmurai-je. Ces orcanides pèsent 400 kg de muscles et ils sont d’une brutalité que tu n’imagines même pas.

— Je vais lui faire tâter de mon mithrine ! pérora Angraema en réponse. On verra s’il apprécie.

Peu rassurée, je l’observai configurer son sigil en cimeterre et se diriger d’un pas décidé vers le pont. Elle n’avait pas ouvert la porte que l’orcanide était déjà là, juste derrière, arborant un mauvais sourire. Il abattit immédiatement sa masse, alors qu’Angraema esquivait d’un bond gracieux.

— Ylfe ! rugit-il, le regard sanguinaire. Femelle ylfe !

Je pestai dans ma barbe. Les orcanides avaient dépêché de nouveaux chasseurs pour nous intercepter. Je ne pouvais pas lâcher le manche de mon astronef et venir en aide à Angraema.

— Je suis la fille de l’as sidhe d’Æriban, amenée à le dépasser ! Mon nom est Angraema ! Je vais te défaire, orcanide infâme ! clama-t-elle en réponse de sa petite voix pointue, qu’elle tenta de rendre la plus râpeuse possible.

Pas Douée avait attendu un certain temps avant de pouvoir prononcer cette déclaration de guerre. C’était le premier défi de sa jeune carrière : je savais que si elle y survivait, elle s’en souviendrait toute sa vie. C’était un grand jour pour elle.

L’orcanide répondit à l’invective en se frappant la poitrine, qu’il avait fort noire, dénudée et musclée. Angraema répliqua en lui montrant les crocs, malheureusement bien moins impressionnants que ceux de son adversaire. Moi, pendant ce temps-là, je tentais d’échapper à nos ennemis tout en suivant la scène, prête à tout lâcher pour foncer dans la mêlée si besoin.

— Moi, Brack’thal, orc-lige de Drorgo ! se présenta l’orcanide infâme. Brack’thal vaincre ylfes et offrir femelles à chef Drorgo ! Drorgo faire dun-dun femelles ylfes, clan orc faire dun-dun femelles ylfes, et ensuite, femelles ylfes jetées dans autremer pour venger frère Krorgo, tué par ylfe noir !

Je lâchai un hoquet d’horreur. Le chef de cette bande d’orcanides n’était autre que le frère de Krorgo, la brute qui avait tenté – et presque réussi – à me faire dun-dun !

Pour toute réponse, Angraema abattit sa lame sur Brack’thal en poussant un cri de rage. Afin de l’aider un peu, je poussai le manche, causant un décrochage brutal de l'astronef qui fit trébucher son adversaire.

Angraema avait un meilleur sens de l’équilibre que ce gros balourd. Elle sut profiter de cette ouverture. La jeune ældienne asséna à Brack’thal un coup de taille violent qui lui ouvrit l’avant-bras.

L’orcanide rugit en signe de défi, éructant force bave et odeurs nauséabondes. Puis, histoire de rester sur la même lancée, il planta ses crocs dans la blessure toute fraîche, l’élargit et en cracha le sang sur Angraema. Ces orcanides représentaient vraiment le degré zero de l’intelligence !

Je fus assez impressionnée en constatant qu’Angraema gardait son calme, même le visage couvert de bave et de sang noir. Elle n’avait pas relâché sa garde ni sa vigilance. Brack’thal parut également apprécier cette marque de professionnalisme, car il se mit la main au paquet et serra son entrejambe dans un geste équivoque, concluant ainsi son petit rituel guerrier.

— Brack’thal dur. Brack’thal premier sur fille ylfe ! Dun-dun toute la nuit !

— Ouais, on avait compris que t’étais pas le genre à faire de la philo, grimaçai-je, hésitant à me jeter dans la bataille et asséner un bon revers de piston mécanique à ce Brack’thal, histoire de réfréner ses ardeurs.

Heureusement, il fallait plus que des menaces de dun-dun pour effrayer Angraema, qui n’avait qu’une connaissance abstraite de la chose. Elle repartit donc au combat vaillamment, et je me concentrai sur le pilotage, les cris de guerre de ma nièce et de son adversaire orcanide dans les oreilles. Je parvins à abattre deux chasseurs, mais mon pilotage « sportif », comme disait Angraema, compliqua le duel qui se déroulait dans mon dos, et ce pour les deux belligérants. Entendant un cri plus aigu que les autres, je quittai mon écran deux secondes pour jeter un coup d’œil rapide par-dessus mon épaule : Brack’thal avait saisit la pauvre Angraema à la gorge, et il la plaquait présentement contre la carlingue, le rictus mauvais. Les risques de dun-dun étaient réels. Cette fois, je lâchai le manche et me précipitai à son secours.

— Lâche-là, espèce de monstre ! hurlai-je en verrouillant ma main assistée mécaniquement sur la crête blanche et tressée de Brack’thal.

La force de traction des pistons de mon armure, pourtant pensée pour exercer une pression capable de soulever un tank, fut à peine suffisante pour faire bouger Brack’thal d’un millimètre. Ces orcanides possédaient une force phénoménale ! Horrifiée, je compris que la fine et gracile Angraema, malgré ses deux mètres trente cinq, avait peu de chance de pouvoir lui faire quoi que ce soit.

Mais Angraema n’était pas la fille de Ren pour rien. Elle avait de la ressource, et des réflexes rapides. Profitant de la petite ouverture que je lui donnais, elle arma son genou et le lança à pleine vitesse dans les parties de Brack’thal.

— Je vais te montrer comment on castre les orcs, chez nous ! rugit-elle en se dégageant, alors que l’orcanide glapissait de douleur.

Mon navigateur s’était mis à clignoter : on était dans le rouge. Je me jetai sur le manche et remontai, évitant de justesse deux missiles. J’étais en train de me dire qu’il fallait qu’Angraema se débarrasse de ce Brack’thal rapidement, lorsqu’un hurlement sauvage vrilla mes oreilles. Elle venait de lui donner le coup de grâce et brandissait sa tête bien haut.

— J’ai tué mon premier adversaire, exulta-t-elle. Un guerrier orcanide ! Tu es témoin !

— Super, la félicitai-je. On va pouvoir apponter le vaisseau de Mana.

Nous étions entrés en effet dans la zone d’attraction du Bronagh, et en voulant nous suivre, les quatre chasseurs restant se crashèrent sur le bouclier de Mana.

— Et huit de moins !

Cela restait une petite victoire. L’armada orcanide était composée de six croiseurs, qui devaient chacun contenir au moins dix fois ce nombre. Et désormais, nous étions nous aussi positionnés derrière eux, séparés de l’Elbereth. Mais au moins, nous avions un minimum d’armement.

— Maman ne voudra jamais abandonner son cair, observa Angraema en se rasseyant dans le fauteuil, les yeux brillants et le souffle court, encore toute excitée.

Elle essuya sa joue souillée d’un revers de main.

— Il le faudra pourtant.

Je pris le micro et allumai mon système de communication, cherchant à obtenir une réponse de Mana.

— Ici Rika. Je suis avec Angraema. Je demande à docker le Bronagh. Tu peux nous ouvrir ?

Le pont extérieur du cair se déploya. Je vins me verrouiller dessus.

— Voilà. Ici, on est protégé par le bouclier. Pour l’instant… J’ignore quel est le plus gros calibre que ces orcanides ont à leur disposition, mais je ne pense pas qu’ils arriveront à briser un champ énergétique de sitôt !

Angraema acquiesça fébrilement. Elle n’en savait pas plus que moi sur l’armement orcanide.

Mais Mana, elle savait.

— Vous êtes folles ! hurla-t-elle en nous voyant, agitant dangereusement son sigil crépitant sur nous. Je comptais les affronter au moment où ils essaieraient de m’aborder ! Mais désormais, il faudra encore que je vous protège !

— Je viens de tuer un guerrier orcanide en combat singulier, lui apprit Angraema en la regardant dans les yeux, et Rika a abattu quatre de leurs chasseurs. Pour l’instant, c’est nous qui comptabilisons le plus gros tableau de chasse, dans cette bataille. C’est plutôt nous, qui allons te protéger !

Je jetai un œil peu amène à Mana, notant sa silhouette martiale. Elle avait revêtu son armure. Elle comptait peut-être tenter une sortie.

La reine ældienne posa un regard plus calme sur nous. Elle avisa mon armure blindée et le visage couvert de sang noir de sa fille.

— Mon plan était de tenter une sortie sur Héphaïstos, nous annonça-t-elle d’une voix posée. Et de là, gagner l’Elbereth. C’est impossible, maintenant.

— Héphaïstos est à bord ? demandai-je, incrédule.

— Oui, acquiesça Mana en croisant les bras. Il a demandé à venir lui-même : il trouve que le Bronagh est un environnement qui lui correspond mieux.

Je n’étais guère étonnée. Héphaïstos était une créature orgueilleuse et chaotique : en ce sens, le bord de Mana devait mieux lui convenir.

— Que fait Silivren ? me demanda Mana. Et comment se fait-il qu’il envoie ma fille, une jeune ædhelleth immature, et une humaine enceinte pour me protéger ? Pourquoi n’est-il pas venu lui-même faire son travail de maître de guerre pour sa reine ?

Je ravalai une remarque cinglante. Que Mana était ingrate ! Alors qu’on venait de tout risquer pour la sauver !

— Nous sommes venues de notre propre initiative, Mana, lui appris-je. Ren n’a rien eu à dire là-dessus. On est parties avant qu’il ne prenne la moindre décision.

— Je me disais bien que c’était étrange qu’il laisse partir sa dulcinée, prête à accoucher d’un instant à l’autre !

— Je ne vais pas accoucher d’un instant à l’autre, Mana. Je contrôle la situation.

— Bien entendu. Et quel est ton plan pour nous sortir de cette situation fâcheuse ?

Je me tournai vers la baie. Devant nous, les orcanides avaient resserré les rangs. Nous étions prisonnières.

— C’est leur tactique, murmura Angraema. Je l’ai lu dans les Chroniques des Grandes Guerres de l’Autremer. Ils forment une espèce de filet et forcent les vaisseaux capturés ainsi à les suivre, jusqu’à arriver à un endroit plus propice pour attaquer leurs défenses !

Je reportai le regard sur Mana.

— De quelle nature est la force offensive de ces orcanides ? Est-ce qu’ils ont un moyen de percer ton bouclier ?

— Oui, grinça Mana en me regardant dans les yeux.

— Bon. (Je marquai une pause). J’ai peut-être un plan pour sauver et nos vies et le vaisseau, mais je vous préviens, il est risqué et nécessite une bonne dose de courage. Surtout de ta part, Mana.

Cette dernière croisa les bras.

— Dis toujours. Je suis une Haute Prêtresse : je ne crains pas le baiser d’Arawn.

— Parfait. Alors tu vas sortir avec Héphaïstos, comme prévu initialement. Tu rejoins l’Elbereth avec Angraema et tu préviens Ren de prendre la tangente à 90 % de la ligne médiane : je vais tenter un tir de collisionneur CERG avec Bronagh.

Mana comme Angraema me regardèrent, stupéfaites.

— C’est impossible, me dit la première. Bronagh n’est pas un bâtiment de guerre ! Tu ne réussira pas.

— Bronagh est une wyrm, et je la connais. J’ai eu un rapport privilégié avec elle sur Æriban. Et je connais le CERG, en outre, j’ai déjà effectué avec succès cette configuration. Tout ce dont j’ai besoin pour oblitérer cette flotte orcanide, c’est la puissance d’un wyrm et l’assurance que l’Elbereth ne se trouve pas dans ma ligne de tir. C’est à cause de ça qu’on a pas pu utiliser le CERG plus tôt, quand les orcanides sont apparus sur nos radars.

Mana hocha la tête.

— Je comprends. J’irais prévenir Silivren. Mais garde Angraema avec toi : c’est moins risqué.

Je secouai la tête.

— Non. Notre priorité, c’est de regagner le giron de l’Elbereth. Et puis Ren sera fou furieux s’il voit que j’ai gardé sa fille sur le Bronagh, derrière les lignes ennemies.

— Il sera fou furieux de me voir rentrer sans toi, de toute façon, observa Mana.

Angraema posa ses grandes mains sur mes épaules.

— Je veux rester avec toi ! On forme une bonne équipe. Toi et moi, nous allons nous couvrir de gloire dans cette bataille ! Nos exploits seront légendaires, chantés par les bardes dans toute la Voie !

Mana émit un ricanement amusé.

— Je doute que cette oie blanche de Tanit écrive la moindre ligne sur vous : elle n’en a qu’après Ren ! Peut-être qu’elle mentionnera votre mort, en revanche. En addendum, entre la perte du chien et d’un carcadann!

Cette remarque sarcastique me décida à accéder à la requête de ma nièce. Je ne pouvais pas lui refuser la gloire.

— Très bien. Tu protégeras mes arrières pendant que j’opérerai la configuration, au cas où. Mana, on te laisse tenter une sortie avec Héphaïstos.

L'intéressée accepta le plan. Avant de descendre dans la soute, elle se retourna: :

— Quoi qu’il arrive, n’entrez pas dans la soute neldë. Elle est condamnée. Si le vaisseau est envahi, ouvrez-la à distance et évacuez. Mais ne le faites que dans ce cas de figure, et ne vous en approchez pas. Est-ce bien clair ?

J’acquiesçai sans faire d'histoires. J’avais d’autres chats à fouetter.

Mais la curieuse Angraema se tourna vers moi sitôt sa mère partie :

— La mystérieuse soute neldë, murmura-t-elle. Mère nous a toujours interdit de nous en approcher. Qu’est-ce qu’elle y cache, à ton avis ?

— Je n’en sais rien, répondis-je, cherchant à me concentrer. Sûrement une arme secrète, comme un deuxième wyrm très agressif. Où est le câble de connexion, sur ce bord ?

Angraema le décrocha et me le tendit. Avant de me connecter, je vis la silhouette noire et hérissée d'iridium d’Héphaïstos qui étendait ses ailes dans l’espace, Mana en armure et masque de guerre sur son dos, ses cheveux blancs déployés au-dessus d’elle.

— On dirait une image d’un livre d’histoire, sourit Angraema. C’est comme ça qu’on faisait la guerre sur Ultar avant l’invention des cír.

— Ça devait être terrible, murmurai-je en regardant le spectacle de Mana, brandissant masse d’arme et sigil, alors que son wyrm faisait fondre un astronef orcanide ayant eu le malheur de croiser sa route. Elle fit la même chose en brandissant son sigil sur un autre chasseur, ce qui m’instruisit d’une manière inédite d’utiliser cet objet : on pouvait s’en servir tel quel, sans le configurer ! Puis, la ligne ennemie étant brisée, elle s’enfuit de l’autre coté du barrage orcanide, droit sur l’Elbereth.

Je ne me sentis soulagée que lorsque Mana eut regagné sans dommage le navire de Ren.

— Bon, c’est à moi, maintenant, annonçai-je en voyant le cair de Ren prendre la tangente demandée. Le message est arrivé à bon port.

Mais, au moment où je me branchai, une contraction terrible me saisit les entrailles.

— C’est pas le moment, grognai-je, tentant vainement de repousser la pression.

Angraema se tourna vers moi, inquiète.

— Qu’est-ce qui se passe ?

— Les bébés… Ils arrivent !

Le visage horrifié de la jeune ældienne fut la dernière chose que je vis avant de tomber à la renverse.

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