Le véritable désir de Ren

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J’appréhendai de me retrouver en face des renards. Surtout, j’avais peur de constater que les membres de ma famille s’en étaient régalés. Mais, tombant sur Elbereth sur le pont du vaisseau, j’appris avec soulagement que Dea les avais pris en charge et mis à l’abri dans une zone bien isolée de la soute.

— On a réussi à les intercepter avant que Mana ne les voie, m’apprit la wyrm. Je connais la pensée d’Alfirin à ce sujet : j’ai donc pris cette initiative avec Dea. On les relâchera dans une colonie humaine sitôt qu’on aura quitté l’orbite du vaisseau d’Arawn.

J’ouvris grand les yeux, étonnée.

— Ah bon ? Première nouvelle !

Elbereth pencha sa fine tête noire sur le côté.

— Tu ne le savais pas ? Alfirin a décidé de repartir. Il a pris cette décision tout à l’heure, pendant le repas. Il trouve que cette cour devient trop dangereuse. Et il nous reste toujours à trouver Tyrn-an-nnagh.

Je laissai échapper un soupir de frustration. Je n’avais pas eu mon mot à dire. Au final, Ren avait pris cette décision avec Elbereth, comme d’habitude.

Bien décidée à confronter Ren sur le sujet une fois de plus, je me dirigeai vers notre chambre. Les deux petits dormaient bien tranquillement dans leur panier, suspendu à l’un des montants du grand lit. Je les pris contre moi un moment, puis les y remis : les très jeunes ældiens ont besoin de beaucoup de sommeil dans le noir complet, c’est nécessaire à leur bien-être et à leur croissance.

Je me tournai vers Ren, qui dormait, enroulé dans les couvertures, quelques bouquins chiants posés négligemment à côté de lui. Je les poussai et vins me lover contre son dos.

Il était nu. Lorsque je le touchai, je constatai que sa peau était chaude, et même couverte de sueur. Les mèches blanches de sa chevelure étaient collées à son front anthracite.

Il posa sa main sur la mienne et entrouvrit les yeux.

— Rika, sourit-il brièvement. Désolé… C’est pas le moment. Mieux vaut me laisser dans mon coin, ce soir.

Je passai outre et tâtai son ventre : il était dur et chaud.

— C’est les fièvres pourpres ? lui demandai-je, me souvenant de ce que m’avait dit Arawn.

Je ne voulais pas donner à Ren l’impression que je me moquais de lui, mais j’eus du mal à m’empêcher de sourire : la diatribe révoltée de Pas Douée sur les mâles ældiens qui font « pipi partout » pendant cette période m’était revenue en mémoire. Pauvre Ren !

— C’est rien du tout, tenta-t-il de me rassurer. Demain, ce sera fini. Rendors-toi. Ou prends un bain, si tu veux. Je ne peux pas te masser ce soir, mais si tu demandes gentiment à Elbereth… On t’a laissé également de la pidza dans la grande salle : c’est Dea qui l’a syntonisée.

Après des jours et des jours d’herbes de la forêt et de viande crue de « renard », j’avais bien envie de pidza… Mais je me sentais coupable de laisser Ren dans cet état-là. Dans mon esprit peu au fait du cycle reproductif des ældiens, s’il subissait ça, c’est parce que je ne dormais plus avec lui.

— Je mangerai la pidza plus tard, lui murmurai-je en glissant ma main plus loin sous les draps. En attendant, je vais m’occuper un peu de ton cas.

Ren se tortilla légèrement.

— Tu ne peux rien faire, dit-il. Je t’assure. C’est complètement indépendant de ta volonté, et de la mienne aussi d’ailleurs.

Il termina ses protestations en se mordant la lèvre. Souriante, je me redressai pour regarder par-dessus son épaule.

— Tu crois ?

C’était la première fois que je manipulais Ren sans mesurer deux mètres quarante. Ce n’était pas facile. Finalement, je poussai le drap et me mis à embrasser son ventre.

Ren exprimait peu ses émotions, au lit. Mais lorsque j’approfondis mes embrassades, il laissa échapper un soupir plutôt éloquent, qui me motiva à continuer en dépit de ce qu’il m’avait dit.

Je peux bien faire ça pour lui, pensai-je en sentant ses longs doigts se promener dans mes cheveux.

— Ça ne te dérange pas ? me souffla-t-il. Tu es sûre ?

Je lui jetai un petit regard.

— Pas la peine de me demander la permission pour tout, Ren, lui répondis-je entre deux caresses. Si je n’aime pas un truc que tu me fais, tu le sauras, ne t’inquiètes pas.

Parfois, je me surprenais à me demander comment, exactement, Mana s’y était prise la première fois avec lui. D’après ce que j’avais compris, les longues semaines où elle s’était enfermée avec Ren consistaient surtout en séances de dressage pour le mettre à sa botte.

Et on peut dire que c’était efficace, constatai-je en voyant à quel point Ren prenait sur lui en toutes circonstances.

Après lui avoir donné satisfaction pendant quelques minutes, je le lâchai et remontai me positionner sur son ventre. Assise sur lui, je caressai son corps aux muscles longs et fins, sa peau plus noire encore que les couloirs de l’Elbereth. Un parfait camouflage pour l’espace sans étoiles dans lequel nous nous trouvions n’eut été ses cheveux d’un blanc laiteux.

J’en attrapai quelques mèches et les entortillai pensivement autour de mes doigts. De la soie… Comme celle d’Ungolianth. Les gardant toujours enroulés dans mes mains, je me penchai pour l’embrasser, trouvant un peu étrange d’être émoustillée par le souvenir de cette horrible créature.

— Ren, lui dis-je enfin. Elbereth m’a dit que tu voulais repartir, et que tu avais programmé ce départ pour bientôt.

Lâchant un soupir entre ses dents, Ren laissa retomber sa tête sur son oreiller. Pour lui, la récréation était terminée.

— On a déjà eu cette discussion, Rika, murmura-t-il, contrarié.

— Et tu sais que je ne suis pas d’accord. Pourtant, tu es passé outre mon avis.

La main de Ren se posa sur ma cuisse, qu’il se mit à tapoter négligemment.

— Ma fille a failli se faire tuer, aujourd’hui. Hier, mon autre fille a été lâchement insultée. La veille, c’était ma sœur, et l’avant-veille, moi… Les situations de crise n’arrivent jamais tout d’un coup : il y a des signes avant-coureurs. Et c’est le rôle d’un maître de guerre que de savoir les déceler avant tout le monde. Mon rôle.

Préférant ne pas débattre encore une fois avec lui de la cour d’Arawn et de ses dangers – après tout, je savais qu’ils étaient réels – je décidai de m’aventurer sur un autre terrain.

— Le problème, Ren, c’est qu’on ne peut pas partir. C’est quasiment sûr qu’on a basculé dans le Grand Vide. On ne peut pas naviguer normalement.

Et là, Ren me lâcha l’idée du siècle :

— On va passer par l’Abîme.

Je me figeai. Nous avions fait quelques petites incursions discrètes dans la Trame avant, ni vu, ni connu. Ce n’était pas la première fois qu’on profitait du réseau infrastructurel pour voguer vers nos objectifs : c’était même ainsi que nous étions arrivés là. Mais maintenant, Ren me proposait encore plus audacieux. Cela voulait dire emprunter des portions contaminées de la Trame, pendant une durée indéterminée.

— Tu es fou, soufflai-je. Et quand bien même, le problème demeure : comment y accéder sans coordonnées et sans vecteurs ? Il n’y a rien, ici ! Ni portail ni trou noir.

Sauf chez Arawn. Lui, il avait un portail dimensionnel ouvert qui pouvait nous permettre de nous échapper. Mais Ren refusait de l’entendre.

Le fin sourire qui apparut sur les lèvres de mon compagnon m’alarma. Il avait une idée. Et en général, les idées de Ren étaient audacieuses, pour ne pas dire dangereuses.

— Le trou noir… On va le créer. Avec le GBE. Un tir gravitationnel à pleine puissance, qui trouera le voile du réel pendant un court laps de temps, mais nous permettra de nous échapper dans la Trame. Bien sûr, il y a de fortes chances pour qu’on se retrouve dans une zone contaminée par l’Abîme… Mais on ne s’y attardera pas. De là, on trouvera un passage vers les portions saines de l’Autremer, et on pourra repartir à la recherche de Tyrn-an-nnagh.

Je me laissai tomber sur lui, découragée.

— Ren, tu aurais dû me dire que c’était ça. Tout ce que tu cherches, c’est une nouvelle lubie pour t’occuper ! Et une excuse pour faire joujou avec le dernier entré dans ton arsenal.

— C’est vrai que cette cour m’ennuie, avoua-t-il avec un sourire suave. Je ne m’y sens pas à l’aise… Et je sens qu’un danger va nous tomber dessus si on reste. Tu n’es pas d’accord ? Viens là.

Apparemment désireux de mettre un terme définitif à cette discussion, Ren attrapa ma taille et il me tira plus haut sur lui. Je sentis sa bouche sur mes seins, ses dents sur mes tétons.

— Doucement, le prévins-je pour la forme, tout en me disant que ce ne serait jamais pire que le nourrissage des petits.

Me sentant un peu nébuleuse – ça devait être le luith, très fort lorsque j’étais au lit avec Ren sans faire de configuration – je continuai à brosser ses cheveux en arrière et à tripoter ses oreilles tout en regardant l’arbre transparent qui apparaissait dans mon champ de vision. Cet arbre avait perdu ses feuilles rouges pour redevenir blanc et nu : Ren avait affiché ses couleurs.

— J’ai envie de toi, finit-il par murmurer dans mon cou.

Je hochai la tête.

— Oui, moi aussi j’ai envie de toi, lui répondis-je. Toujours. On se rattrapera demain soir.

L’étreinte de Ren se resserra autour de ma taille.

— Non, je veux dire, maintenant, précisa-t-il d’un ton impérieux.

Je baissai les yeux sur lui.

— Mais on ne peut pas, Ren. Je ne peux pas faire de configuration pour l’instant. Il faut que je récupère. Attends demain.

Je l’entendis grogner, agacé.

— J’en ai assez de ces configurations. Quand je dis que j’ai envie de toi, ça veut dire que je veux Rika, pas Baran !

Frustré, Ren me souleva et me poussa sur le côté. Je le laissai se lever et partir. Cela valait mieux.

Je restai seule dans le lit, songeuse.

Je veux Rika, pas Baran.

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