Le rituel : I

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Les Mères n’eurent pas besoin de convoquer Ren. Il se jeta dans la gueule du loup tout seul, fulminant, les cheveux électriques, traînant le corps des deux gardes orcanides derrière lui, et réclamant qu’on annule le rituel. En apprenant le sort que les Mères lui réservaient dans le cas contraire, il devint mutique.

« Très bien, finit-il par lâcher d’une voix résolue. Je resterai ici tout le cycle, pas plus, en attendant que mes fièvres s’épuisent. Mon cair restera en orbite basse, avec ma femelle et tout mon clan à bord. Dans cet intervalle, les ellith désireuses de porter des petits pourront venir me voir : je ne les refuserai pas. Mais pour le reste, tenez vous-en aux services de vos mâles locaux ! »

J’étais catastrophée. C’était justement pour éviter cela que j’avais demandé la tenue de ce rituel… Heureusement, les Mères, par solidarité féminine sûrement, étaient gagnées à ma cause.

« Es-tu en rut en ce moment ? demanda la plus âgée, intéressée. Je ne sens rien !

— Il l’est, Mère, confirma la plus jeune. Son luith est suave et riche. »

Je jetai un coup d’œil à Ren. J’avais donc raison… D’habitude, pour éviter une fécondation intempestive, Ren faisait chambre à part pendant cette période. Sauf cette fois… S’imaginait-il que la configuration rendait ses gamètes inopérantes ?

Je cherchai son regard, mais Ren s’attachait à m’ignorer. En fait, il était furieux.

Une des Mères se pencha à l’oreille de celle qui venait de parler, la plus âgée. Une lueur intelligente dans ses yeux morts, puis elle s’adressa à nouveau à Ren.

« Le Conseil a pris sa décision, et a déjà engagé sa parole sous l’arbre-lige. Baran d’Aendel nous a convaincu. Pourquoi devrait-elle subir tes frasques ? Si tu voulais te constituer une harde de femelles à féconder à loisir, il ne fallait pas venir à Kharë. Ici, ce sont les ellith qui décident, pas les mâles arrogants ! Tu devras donc te consacrer exclusivement à cette jeune et courageuse elleth, et veiller à ce que tous ses besoins soient comblés, y compris si elle décide d’introduire dans le clan un second mâle. Lethë y veillera ! »

Cette fois, Ren daigna me regarder. Mais ses yeux étaient si froids, son visage si encoléré, que je tournai la tête.

On me conduisit dans des appartements luxueux, où on me laissa seule, en m’instruisant de bien me reposer, de prendre un long bain bouillant et de manger tout mon content. Le rituel devait avoir lieu au moment où la lune de Faërung – la planète d’origine de l’astéroïde – se trouvait à son apex. Une heure hautement symbolique, dont la mémoire avait été conservée dans ce coin sans astre de l’espace : l’Ethereal est en effet un océan sans étoiles.

« Tu dois amasser des forces pour cette nuit, m’indiqua de manière sibylline l’elleth qui m’avait accompagnée.

— Pourquoi ? Ce rituel-il est si éprouvant que ça ?

L’ældienne dévoila ses crocs adamantins.

— Tu verras cette nuit. Moi, en tout cas, j’ai hâte d’y être ! Raziel est une amie, tu le savais ? »

Et sur ces mots menaçants, elle referma la porte de ma cellule.

Je fus servie par le jeune esclave humain qui avait amené la perle au Conseil des Mères. Je tentai de lui parler, sans grand succès.

« Je suis capitaine de vaisseau, tu sais. Là où nous croisons, les humains sont libres ! »

Le garçon – vraisemblablement de l’âge qui était le mien à l’époque où j’avais connu Ren – releva un œil morne sur moi.

« Comment tu t’appelles ? lui demandai-je.

— Adræsh, me répondit-il à contrecœur.

Enfin, j’entendais le son de sa voix.

— Adræsh, lui souris-je. C’est un joli nom.

— C’est le nom qu’on m’a donné. Je ne me souviens plus de celui que j’avais, avant. »

Une lame brûlante perça mon cœur. Ce garçon était comme moi. Un orphelin, seul au monde… Sauf qu’il était tombé en de très mauvaises mains.

Je n’eus pas le loisir de l’interroger plus en détail. L’elleth qui m’avait servie de guide – l’amie de cette garce de Raziel – revint me chercher.

« C’est l’heure, dit-elle en me tendant un piwafwi pourpre. Les portes de l’outre-monde sont ouvertes : le rituel peut commencer. »

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