Revues cochonnes

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— Alors, cette mine de mithrine ? tenta à nouveau Louis Wu après quelques whiskies vidés. Elle est où ? On cherche une planète à terraformer en vue d’y fonder une colonie. Si elle pouvait nous apporter la fortune par dessus le marché !

Ren reposa son verre.

— Elle se trouvait dans le système d’Ultar, leur apprit-il, sur la planète Faërung. Tout cela n’existe plus, désormais.

Louis Wu ne le laissa pas s’en tirer à si bon compte.

— Alors comment ça se fait que vous ayez plusieurs kilos de ce superbe filon dans votre vaisseau ? Ultar n’est pas supposé avoir implosé il y a plusieurs milliers d’années ?

— Mon vaisseau est resté en veille, chargé de ce mithrine, dans un niveau intermédiaire de l’Ethereal où je l’ai récupéré après un sommeil de plusieurs milliers d’années, répondit Ren. Quand il sera entièrement écoulé, je n’en aurais plus.

— Un beau mithrine comme ça ! Ce serait bien dommage ! Je vous prendrai bien toute votre cargaison, mais je sais pas si j’ai assez de choses à vous vendre !

En guise de réponse, Ren se contenta d’un fin sourire.

— Et vous ? m’enquis-je. Qu’est-ce que vous faites dans le Dédale ?

— On passe par là pour éviter de se retrouver pris entre les tirs croisés de l'Holos et des indépendantistes, nous apprit Louis Wu en se resservant du whisky. Les hérétiques, y sont partout, alors on s’est dit tant qu’à faire, autant passer par la Trame… C’est dangereux, mais au moins, on a pas les cosmo-légionnaires ni les terroristes.

— On a croisé un vaisseau orcanide il y a soixante-douze heures de ça, intervint alors Geisto Doa. Un croiseur de guerre. On a réussi à se planquer derrière une petite planète avant qu’ils nous voient mais faut quand même faire gaffe : eux aussi passent par la Trame.

— On en voit de plus en plus dans le bras de Persée, renchérit Louis Wu. Eux, et les Desséchés… On dirait que les hérétiques préparent un grand coup !

Je jetai un coup d’œil discret à Ren. Les paupières baissées, celui-ci regardait son verre en silence.

Louis Wu embraya sur des nouvelles un peu moins inquiétantes, puis Ren et lui commencèrent à discuter des marchandises à échanger. Pendant ce temps-là, je sortis les enfants du sac à dos et les posai sur le rebord de la table. Le regard aigu que Ren lança dans leur direction ne m’échappa pas : la tension était devenue coupante, tout d’un coup.

— Oh ! Les adorables petits ! s’exclama Louis Wu. Qu’est-ce que c’est comme créature ? Gouzi gouzi gouzi !

Il tendit la main pour caresser Nínim, aussitôt intercepté par Ren qui le prit dans ses bras.

— Ce sont nos enfants, rectifiai-je. Ce ne sont pas des créatures, mais des perædhil, des semi-ældiens.

Louis Wu me jeta un regard bovin, la bouche entrouverte.

— Vos enfants…. Oh.

Ses yeux tombèrent sur Ren, puis il tourna la tête.

— Bon, reprit ce dernier, son fils toujours dans les bras. Et si on reparlait de la marchandise ?

Déconcentré, Louis Wu lâcha les grands yeux d'opale de Cerin pour se tourner vers Ren à nouveau.

— Euh, oui… Vous voulez le tiers de notre récolte hydroponique, c’est ça ?

— En plus de tout le reste, confirma Ren. Et est-ce que vous avez des livres et des cds ?

Louis Wu le regarda comme s’il avait proféré une énormité.

— Des livres… Et des cds, c’est quoi ?

— Des médias antiques de Terra, datant de l’âge pré-technologique, avant l’invention de la Crypte, précisai-je pour filer un coup de main à Ren. Vous n’en avez pas ?

— J’ai de vieilles revues cochonnes qu’on a pas fini de mettre sur support holographique, admit Louis Wu en se grattant l’arrière du crâne. Humaines et vieilles comme Hérodius, alors je doute que ça vous intéresse, enfin…

Le capitaine de l’Astartes termina sa sortie par un raclement de gorge gêné, de toute évidence feint. Les frères Doa s’échangèrent un regard, se rendant soudain compte de l’énormité que venait de sortir leur chef.

Ren fit semblant de n’avoir rien entendu, très occupé avec Nínim qu’il dorlotait ostensiblement.

— Et qu’est-ce que vous avez d’autre ? demanda-t-il en relevant les yeux.

— Bah on a que ça, avoua Louis Wu en haussant les épaules.

Ren continua à papouiller son fils quelques secondes, puis il se décida :

— Bon, mettez-moi une caisse de ces revues cochonnes, alors, asséna-t-il à mon grand désarroi.

— ‘evues cochonnes ! l’imita Nínim, qui produisait là le premier mot de sa jeune vie.

Je fixai Ren, atterrée.

— Ren, tu sais ce que ça veut dire, revues cochonnes ? lui demandai-je en ældarin.

Mon intervention dans une langue étrangère, comprise de mon seul conjoint, amusa les trois hommes.

— Eh, faut pas en vouloir à vot’mari, capitaine Srsen ! Un type a besoin de distractions dans l’espace. Même un non-humain !

Et ils s’esclaffèrent.

Ren leur fit un bref sourire, histoire de ne pas perdre la face. Du reste, apercevoir la taille de ses canines calma aussitôt les trois hommes.

— Bon, on va vous préparer ça, décidèrent-ils de concert. En attendant, vous êtes libres de visiter notre bord. Allez voir les plantations en hydroponique, ça vaut le détour ! Notre IA de bord, Gaspard, va vous accompagner.

Ce vaisseau, configuré pour des missions de terraforming en espace lointain, était en effet lourd d’enseignements. Guidé par une IA guindée à l’apparence de grand blond athlétique (qui aurait pu être le frère de Dea), nous déambulâmes, Ren et moi, dans les immenses travées des anneaux du vaisseau. L’écho produit par nos bottes sur les passerelles en acier résonnait au-dessus d’un vide de plusieurs centaines de mètres, couvrant le ronronnement des machines qui entretenaient les cultures. Portant toujours Nínim dans les bras, Ren s’arrêta devant des épis dorés.

— Vous pouvez en prendre un, je vous en prie, proposa Gaspard, les bras croisés derrière son uniforme immaculé.

Ren en cueillit un épi et le montra à Nínim. Évidemment, après l’avoir rapidement reniflé et même léché, ce dernier le fourra tout entier dans sa bouche.

— Quel changeon, celui-là ! soupirai-je en lui retirant l’épi piquant, alors qu’il toussait et faisait la grimace. Qu’est-ce que c’est que cette plante ?

Ren me répondit avant Gaspard : « Du blé » fit-il avec un sourire qui me sembla provoqué par des souvenirs très lointains.

— C’est exact. Il s’agit de blé. Une plante vieille-terrienne qui avait disparu après la grande calamité, mais qu’on a recréé sur certaines colonies. Pour l’instant, on la réserve au terraforming, à titre expérimental. Mais on espère la commercialiser largement très bientôt.

Je me tournai vers Ren.

— Tu en as acheté ?

Il hocha la tête.

— Oui. J’ai même pris des souches. On pourra en planter dans l’Elbereth.

— Bonne idée.

Gaspard nous amena vers une autre passerelle.

— Là-bas, nous avons aussi du riz, du millet, du maïs, du quinoa, de l’épeautre et du sarrasin...

Impressionnée, je regardai se déployer les travées à l’infini. Sur le côté, on pouvait voir l’espace. Le ciel violet me rappela que nous étions dans l’Ethereal, un lieu qui était loin d’être de tout repos.

— Ren, fis-je en me rapprochant de ce dernier, on devrait peut être retourner à bord de l’Elbereth.

Je n’aimais pas l’idée de laisser un navire sans personne à la barre.

Ren acquiesça.

— Tu as raison.

Il se tourna vers Gaspard.

— Merci pour cette visite très instructive, Gaspard, remercia-t-il aimablement. Mais je pense que les caisses sont prêtes, et nous avons à faire. Ici, il est préférable de ne pas stationner au même endroit trop longtemps.

— Certes. Merci beaucoup, madame, monsieur. Ce fut un plaisir de vous guider sur l’Astartes. En espérant vous revoir !

Son amabilité me rappela douloureusement l’ancienne Dea. Mais maintenant, Dea ne parlait que de tactique, de mesures de sécurité et de collisionneurs à neutrons.

Cette petite visite impromptue – et surtout, je le devinais, le contact avec des humains – m’avait fait beaucoup de bien. Après avoir déposé les enfants dans leur panier, car il fallait bien qu’ils dorment un peu, j’allais aider Ren à décharger les caisses que nous avions fait amener sur l’Elbereth. La wyrm du même nom et Dea se trouvaient déjà là pour l’inventaire, ainsi que Tanit.

— Vous êtes montés sur un autre vaisseau ? me demanda cette dernière, sourcils froncés. Vous auriez pu me prévenir.

— Je doute que cela ai constitué un évènement digne d’être transformé en chant épique, soupirai-je. En boutade, peut être, quand Ren a accepté une pleine caisse de revues cochonnes…

— ‘evues cochonnes ! brailla Nínim, qui m’avait suivi.

Je me retournai et baissai les yeux. La queue en tire-bouchon, Nínim était là, me regardant fièrement. Il était tout content de réussir à parler ! Je le pris sous les bras et le soulevai.

— Qu’est-ce que tu fais là, toi ? Allez, on retourne vite se coucher !

Je notai le regard appuyé de Tanit sur mon fils.

— Il est beau, fit-elle en caressant sa joue d’un air pensif. Je me demande ce que ça fait, d’être mère...

Le cœur serré, je me remémorai les raisons pour lesquelles Ren s’était montré réticent à prendre Tanit sur l’Elbereth : il disait qu’en tant que jeune femelle, elle allait forcément vouloir s’accoupler et avoir une portée.

— C’est infernal, lui appris-je rapidement. Après l’enfer des nombreux cycles avec un sac rempli de boules de bowling dans le ventre et la torture de l’accouchement, commence la véritable punition : la présence continuelle et horripilante de braillards toujours affamés. Plus de temps pour soi, plus le temps de dormir, de se reposer, de se laver… Mais si tu es prête à signer pour ce pensum, tu rencontreras sûrement un mâle volontaire sur Kharë : il paraît qu’il y a une colonie d’ædhil là-bas.

Tanit releva son regard azur sur moi.

— Des khari, précisa-t-elle. Des ædhil à la peau aussi sombre que le cœur… Je ne peux décemment pas m’unir à un khari.

Bien que choquée par tant de snobisme, je me hâtai d’acquiescer.

— Tu as raison. Tu as une si belle robe, ce serait dommage que ta descendance n’en profite pas ! Je crois que la robe sil-illythiiri est un gène dominant : Ren l’a transmise à presque tous ses enfants !

— Parce que la mère de sa première portée est sil-illythiiri elle-même, répondit Tanit. Mais regarde tes petits : leur peau est aussi blanche que la mienne. Pourtant, ta peau à toi n’est pas si pâle...

Je grimaçai, commençant à trouver le terrain marécageux :

— Tu sais, la peau de Ren est vraiment très noire. Je pense que le blanc vient de la part humaine, dans cette portée. Mais avec une ædhel, c’est quasiment sûr que Ren produira des petits sil-illythiiri. C’est Mana qui me l’a dit, et elle a fait des études poussées sur le sujet, ajoutai-je pour ajouter une caution ældienne à mon histoire.

J’espérai que cette mention un peu exagérée de la couleur de Ren allait dégoûter Tanit, qui semblait particulièrement rebutée par cette caractéristique. La barde se contenta de soupirer, et je considérai le problème clos. Après avoir contrôlé les caisses une dernière fois, je repartis dans le haut du vaisseau avec mon fils pour aller me coucher.

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