La dette de Ren

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Nous arrivâmes exténués en vue du muret qui cernait la demeure d’Arawn, qui, vu de l’extérieur, ressemblait à une bâtisse abandonnée. C’était devenu le crépuscule : la nuit tombait, ce qui était normal pour cette cour figée éternellement à cette heure entre chien et loup. J’aperçus les lumières de la salle de bal briller entre les branches dénudées : mettant pied à terre, Círdan poussa la grille, tenant toujours la bride de sa monture où était Angraema, prostrée sur l’encolure.

— Dame Angraema, fit Círdan sans se départir de son air sérieux. Vous êtes en sécurité, désormais : les adannath ne peuvent franchir cette enceinte.

Il la souleva et la prit dans ses bras. Vaincue, Pas Douée laissa aller sa tête contre l’épaule du jeune ældien, ses longs cheveux noirs trainant par terre. Je constatai à cette occasion que ma pauvre nièce était blessée : une flèche noire dépassait de son épaule.

— Par Anwë, Pas Douée ! murmurai-je, catastrophée.

— Nous allons la soigner, fit gravement Círdan. Dame Tanit est très versée dans les soins et les potions.

— Mana et Dea également, précisai-je.

À l’intérieur, Arawn faisait les cent pas, frappant ses gants dans ses belles mains blanches.

— Mais que faisiez-vous, par la gueule puante de Courga ! Heureusement que je vous avais adjoint mon fils pour vous protéger ! Déjà que Tínin manque à l’appel, mystérieusement disparu depuis ce matin ! Mais que vois-je, dame Angraema est blessée ?

Ainsi, Círdan était le fils d’Arawn. Je me dis que j’aurais dû m’en douter – c’était le seul à avoir résisté aux assauts des deux sœurs Arda et Eren, sûrement briefé par son père – et pourtant, il n’y avait pas plus différents que ces deux-là.

— Je l’emmène à dame Tanit, Père, fit rapidement Círdan.

Mais je l’interrompis.

— Angraema sera soignée par notre médecin de bord. Aidez-moi à la porter sur l’Elbereth.

Círdan regarda son père : d’un geste vague et discret, ce dernier lui donna sa permission.

Avant de monter, il fallut affronter Ren, qui nous attendait dans le sas, sinistre. Il avait su, bien sûr, par Elbereth, qui l’avait informé du retour de son carcadann blessé dans sa matrice dimensionnelle. Barrant l’entrée de son vaisseau, Ren tendit les bras :

— Donne-la-moi, ordonna-t-il de sa voix froide et posée au malheureux Círdan.

Ce dernier accepta de lâcher sa dulcinée : il n’avait pas le choix. Ren l’emmena à l’intérieur, alors que le jeune ældien restait à la porte, indécis.

— Viens, l’invitai-je.

Après une brève hésitation, il s’exécuta.

Les eyslyns lui servirent une collation pendant qu’il patientait dans la pièce de réception, abattu, les oreilles collées au crâne et la queue étroitement serrée autour de la taille. Il se sentait responsable. Lorsque Ren revint dans la pièce, il se leva d’un seul bond.

— Elle n’a pas grand-chose, fit Ren sur un ton plus coulant, mais cette flèche de fer chauffée à blanc lui a provoqué une réaction. Surtout, elle est très choquée : elle ne pensait pas que des humains l’attaqueraient. Pour l’instant, elle se repose dans sa cabine.

Círdan hocha la tête, rassuré.

— Puis-je la voir ?

— Tu la verras après, statua Ren.

Je devinai que Pas Douée n’était sans doute pas présentable.

Plus loin derrière moi, j’entendis le sas s’ouvrir. C’était Mana, flanquée d’Eren et d’Arda, qui jetèrent un regard gourmand à Círdan en passant.

— Où est ma fille ? Je savais qu’un complot se tramait ! Pour moi, il ne s’agit pas d’un incident isolé, Silivren ! Il fallait lui interdire de participer aux activités de cette cour !

Le susnommé calma sa sœur, la dirigeant vers la chambre de Pas Douée. Ne se sentant pas vraiment à sa place, Círdan s’apprêtait à faire demi-tour lorsque la voix grave de Ren l’interpella :

— Reste là.

Je me rapprochai, ne sachant pas trop ce que Ren réservait au jeune ældien. J’étais prête à défendre Círdan, s’il le fallait. Ren ne connaissait pas la situation. Mais, alors que Círdan attendait, résigné, Ren, qui était venu se poster devant lui, lui prit les mains.

— Merci d’avoir sauvé ma fille, fit-il chaleureusement. Comment tu t’appelles ?

Le jeune ældien donna son nom en s’inclinant.

— Lhaliwín Círdan, fils d’Anor Imiyirl et d'Arowed Finardan, dit Arawn.

Ren le regarda avec intérêt.

— Je veux te remercier pour ce que tu as fait pour ma fille, Lhaliwín Círdan. Dis-moi ce que je peux t’offrir en échange.

Le jeune bafouilla.

— Je vous remercie, Alfirin, mais… Je vous assure que mon geste était tout à fait désintéressé. Je ne souhaite rien d’autre que l’amour de votre fille et votre bénédiction sur notre union, osa-t-il.

— Si c’est ce que tu demandes de ma part, alors tu l’auras, concéda Ren. Mais réfléchis tout de même à quelque chose que tu pourrais me demander. Quelque chose d’important, d’aussi important que la vie de ma fille.

Círdan s’inclina.

— J’y réfléchirai.

Et il quitta le vaisseau. Ren se tourna vers moi.

— Je préférerais que tu restes ici ce soir, me confia-t-il, inquiet.

Je vins me serrer contre lui.

— Pas Douée n’a pas été victime de la cour d’Arawn, lui rappelai-je alors qu’il refermait des bras protecteurs autour de moi. Il s’agissait d’humains, des primitifs, d’une sorte que je n’avais jamais vue.

— Je sais. Mais s’il advenait que tu perdes ta configuration… Les ædhil de cette cour te mettraient à mort, Rika. Visiblement, leurs relations avec les humains ne sont pas les meilleures.

— Est-ce que tu mettrais à mort une humaine mariée à un ædhel juste parce que des humains t’ont attaqué, toi ? lui demandai-je.

— Non, bien sûr, mais…

— Alors, cesse de t’inquiéter. Ces ædhil sont des gens bien. Regarde ce jeune, Círdan ! C’est le fils d’Arawn et de sa reine. Cela prouve qu’ils sont bien intentionnés.

— Je m’inquiète pour toi, protesta Ren, les mains sur ma taille. Je ne peux pas m’en empêcher. Je n’aime pas te savoir toute seule dans cette cour sinistre, alors que je suis là, avec ceux qui forment toute ta famille et tes amis.

Je l’embrassai sur la joue, brossant ses cheveux derrière ses oreilles.

— Invite Mana et tes filles à dîner, ce soir, de façon à ce qu’elles soient auprès de Pas Douée. Regardez un film, amusez-vous, et surtout, cessez de vous inquiéter. Tiens, si tu veux, tu peux même… dormir avec Mana. Si elle te le propose, s’entend.

Ren s’écarta et me regarda, les sourcils froncés.

— Comment peux-tu insinuer une telle chose ? murmura-t-il. Moi, je n’aimerais pas que tu dormes avec qui que ce soit d’autre que moi.

Je lui souris. Comprenant que je venais de le tester – enfin, à moitié – Ren se détendit.

— Je n’aime pas quand tu fais ça, sourit-il en posant son front contre le mien.

Mais comme la veille, je retournai à la cour d’Arawn après avoir fait un câlin à mes enfants et à leur père. Sauf que cette fois, j’étais seule. Pas Douée, convalescente, resta dormir sur le cair de Ren.

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