Menaces tissées

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Le lendemain, j’eus droit aux attentions renouvelées d’Arawn. Ses remarques me donnèrent la preuve définitive qu’il espionnait nos ébats, à moi et Ren, par le biais de ce miroir enchanté placé au-dessus de notre lit.

— Ainsi, j’ai appris que votre consort vous a laissée seule cette nuit ? vint-il s’enquérir auprès de moi, doucereux et triomphant. Par Anwë, comment a-t-il osé un tel affront ? J’aurais enduré mille morts plutôt que de délaisser la couche encore tiède d’une beauté comme vous !

— Comment savez-vous cela, seigneur Arawn ?

— Mes gens l’ont vu quitter votre chambre alors que la lune était encore haute, cette nuit. Il était auréolé d’une fureur si intense que trois eyslyn tombèrent raides mortes, rien qu’en le croisant !

— J’en suis désolée. Notre maison saura vous rembourser cette dette, tantôt.

Arawn eut un sourire confus. Visiblement, la mort de ces trois petites créatures ne le touchait pas.

— Ah, dame… Je ne sais si les maisons de Kharë-la-Noire remboursent leurs dettes autrement que dans le sang !

Ignorant totalement ce qu’il avait voulu dire par ce nom barbare, je lui assurai à nouveau que nous allions lui rendre ses eyslyns, au moyen des nôtres.

Il chassa l’idée de la main.

— Oubliez cela. Ce ne sont que des eyslyns. Leur durée de vie ne dépasse pas celle d’une flamme éphémère, de toute façon… Une forme de vie si fragile, si insignifiante !

— Tout de même, protestai-je, le coeur serré à l’idée qu’il pensait probablement la même chose des humains.

L’envie de lui confier des eyslyns appartenant à notre bord me plaisait moins. Je ne renouvelai pas mon offre.

— Avez-vous beaucoup de personnel, dans votre cair ? me demanda alors Arawn avec un intérêt poli.

— Nous avons une bonne vingtaine d’eyslyn, oui, et bien plus en réserve… Trois wyrms, une commissaire de navigation tactique solarienne…

— Trois wyrms ! Anwë-le-bienheureux, s’écria-t-il.

Je réalisai soudain que, dans l’univers connu, nous étions les seuls à posséder encore des wyrms. J’avais commis une bourde, une de celles que n’aurait jamais commises ni Ren, ni Mana. Pas Douée, à la rigueur !

— Oui, enfin, il ne s’agit que du corps d’emprunt de la personnalité de l’Elbereth, le cair de mon consort, et deux œufs à peine éclos… Rien de bien virulent.

— Deux œufs ! Mais où les avez-vous donc trouvés ?

Une ombre vint s’interposer entre Arawn et moi. Mana.

« Sur Æriban, répondit la reine ældienne d’un ton froid. Nous les avons trouvés sur Æriban. Ce sont les œufs que nous a confiés Bronagh, la reine wyverne qui me donna mon cair. »

Arawn se tourna vers elle.

— Deux wyrms en état de voler, deux cír de guerre et un ancien sidhe d’Æriban… Votre maison est puissante, reine Daemana !

— Puissante, et toujours prête à anéantir ses ennemis, menaça Mana. Ne cherchez pas à soutirer des informations à la concubine de mon frère, consort d’Anor. Elle est certes semi-humaine, mais je doute qu’elle le trahisse de sa propre volonté. Et si elle le fait, sachez que moi et mes filles veillons au grain.

— Et j’imagine que la colère de Lethë sera terrible, sourit Arawn, nullement déstabilisé par cette démonstration de force.

Il se pencha, soudain mystérieux :

— J’ai ouï-dire que vous possédiez également un trésor rare et merveilleux, caché dans le cair de votre frère… Quelque chose qu’il ne veut ni montrer, ni partager avec personne. Savez-vous de quoi il s’agit ?

Mon sang se glaça dans mes veines. Les enfants ! C’était sûrement à ça qu’il faisait allusion.

— Si tel trésor il y avait, fit Mana avec un mépris aristocratique, que Arawn prenne pitié du fou qui irait le disputer à mon frère. Silivren vous a cédé son titre par pure politesse, mais sachez que son deuxième nom est Immortel. Les Anciens ont été formels : personne n’avait vu un combattant comme lui sur Æriban depuis l’Exilé. Et puisque vous ignoriez qui il est, je suppose que vous y étiez à une époque bien antérieure… À supposer que vous ne nous ayez pas divertis par de belles fables, en vous disant vous même as sidhe !

Arawn ne répondit pas à l’insulte. Mais il resta yeux dans les yeux avec Mana pendant une bonne vingtaine de secondes, un sourire dentu aux lèvres.

— Bien… Je vous découvre très solidaire de votre frère, dame Daemana… C’est bon à savoir.

Et il se tourna vers moi, troquant son expression menaçante contre un masque d’amabilité et de charme. La transformation fut si soudaine que j’en hoquetai.

Arawn sembla prendre ça comme une preuve que sa séduction opérait sur moi.

— En attendant, dame Baran… Si vous désirez réchauffer votre solitude, sachez que ma porte vous est ouverte. Vous découvrirez à cette occasion que les véritables maîtres d’Æriban ont un savoir-faire qui dépasse l’étude de la mise à mort, et sûrement aussi les manières soumises et égoïstes des mâles khari.

Visiblement déterminée à protéger les intérêts de son frère ainsi insulté, Mana s’avança d’un pas menaçant.

— Attention à vos paroles, Arawn… Aucune insulte envers mon clan ne sera tolérée !

— Ren est tout sauf ce que vous dites, répliquai-je pour ma part en me levant. Je pensais que vous l’aviez compris, à force de nous espionner toutes les nuits !

Je le plantai là, le laissant s’expliquer avec Mana. Mais cette dernière m’emboita le pas.

— Tu n’aurais jamais dû lui dire, pour les wyrms, souffla-t-elle en Commun dans mon oreille. Enfin, au moins, il sait maintenant que nous ne sommes pas à prendre à la légère !

Je m’arrêtai et lui fis face.

— Mana, et si nous mettions un terme à toutes ces petites intrigues qui ne mènent nulle part ?

— Petites intrigues ? me morigéna-t-elle. Tu ne vois donc pas que notre clan est en danger d’anéantissement par cette cour de carnaval ?

— Avec Ren en pleine forme, deux wyrms et un cair en bon état, non, je ne nous vois pas en danger du tout, Mana, lui répondis-je sincèrement. Danger d’ennui, peut-être ? C’est cela que tu crains ?

Mana me toisa sévèrement.

— Ren lui-même est inquiet. Il me l’a avoué cette nuit. Il trouve ton manque de jugement dans cette situation particulièrement fâcheux, d’ailleurs ! Mais à quoi pouvions-nous nous attendre ? Tu n’es pas des nôtres, après tout.

Ainsi, voilà où Ren s’était rendu après avoir quitté mon lit, cette nuit. Droit dans la chambre de Mana !

— Est-ce qu’il..., commençai-je, m’arrêtant à mi-chemin. Je n’allais pas donner à Mana cette joie.

Cette dernière me sourit largement.

— Tu veux savoir s’il a fini sa nuit avec moi ? Non, lâcha-t-elle, magnanime. Il était préoccupé et énervé. Je lui ai bien proposé un peu de détente, mais il a décliné l’offre. Après m’avoir confié ses craintes, il est allé veiller sur le sommeil de ses filles. Il les pense particulièrement en danger.

Pourquoi, une fois de plus, Ren refusait-il de se confier à moi ? J’avais conscience qu’il ne voulait pas tout me dire. Peinée et inquiète, je quittai le giron de Mana et partis errer dans les interminables couloirs du vaisseau d’Arawn. Je me sentais plus seule que je ne l’avais jamais été.

En arpentant pour la millième fois la salle de bal, vide, froide et triste, avec son arbre dénudé qui poussait en éclatant l’échiquier de dalles, je me surpris à passer un œil sur les étranges baies qui la perçaient. À l’exception notable d’une seule, elles étaient toutes noires, l’image qu’elles reflétaient éteinte. Je me penchai sur celle qui était encore allumée. Dehors, c’était toujours la même vue : des arbres tortueux délimités par un mur et un drôle de portail en fer, d’où l’on pouvait apercevoir, au loin, des vallonnements sous un ciel de crépuscule. Je touchai l’écran de la baie, m’étonnant de sa froideur. En le poussant un peu, j’eus la surprise de le voir s’ouvrir : il s’agissait d’une porte, qui donnait sur une autre pièce ! Après avoir jeté un rapide regard derrière mon épaule, je l’enjambai et passai à l’intérieur.

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