4. Réunion de crise

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CORRIGÉ

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Agacée, Priyanca Varma jeta un œil sur son utilitaire. Cela faisait déjà plusieurs heures que cette réunion durait, et aucune véritable décision n’avait été prise.

— Il faut décréter l’état d’urgence et autoriser le SVGARD à prendre les mesures qui s’imposent, éructait Din Ramatory, le secrétaire à la Défense de la Nouvelle Arkonna. On ne peut pas laisser ces morts-vivants faire la loi et détruire des colonies entières !

— Arkonna était un accident, Din, tempéra Singh en levant une main apaisante. Nos services ont établi que les Revenus n’avaient aucune intention hostile : c’est l’intervention conjointe des rebelles de Padma, menée par un ældien, et les tirs ayant accidentellement touché des armes Korridites non désamorcées qui ont provoqué cette tragédie.

Jon Dassow, l’un des plus gros armateurs de la République, tira une longue bouffée sur son cigare électronique.

— Vous n’allez pas recommencer avec ces ældiens, ricana-t-il. On ne parle que de ça, en ce moment. Les gens deviennent hystériques. On parle même de colonies entières disparues !

— Ce sont des rumeurs, coupa Singh. Ar-waen Elaig Silivren en revanche, existe vraiment.

— Personne ne peut le confirmer...

— Si. Quelqu’un le peut.

Priyanca garda le silence. Jamais elle ne se permettait d’intervenir lors d’une réunion du Président avec les principaux actionnaires de la République. Ce n’était pas son rôle. Si Manmohan estimait nécessaire de la faire intervenir, il le ferait.

— Qu’importe, ces Revenus comme ces rebelles séparatistes sont des dissidents qui contreviennent aux lois de la République ! Enfin, Manmohan, vous le savez ! On ne peut pas laisser n’importe qui transférer ses données vitales à sa guise. Ces gens n’ont même pas de numéro de citoyen !

— C’est bien pour cela qu’ils ne se réincarnent pas, sourit Singh. Mais mettez-vous un peu à leur place : disparaitre purement et simplement, alors que la technologie existe, tout ça parce que vous n’avez pas les moyens de se faire implanter ? C’est injuste. C’est ça, que ces rebelles fustigent.

— On n’a pas les moyens matériels d’implanter tout le monde, ni d’accueillir toute la misère du monde dans le Crypterium, grinça l’Administrateur du Réseau.

— Et ces organiques des colonies se reproduisent comme des lapins... Ils veulent vivre selon leurs lois, loin de la République, eh bien ! Qu’ils meurent comme tels.

Une sonnerie bienvenue tira Priyanca de toute cette agitation. Un message de son aide de camp. Elle sortit de la salle et prit la communication.

— Oui ?

— Les rebelles, Amirale.

— Quoi, les rebelles ?

— Les fuyards de Padma. Ils sont revenus.

*

Les fuyards, c’était beaucoup dire. Une poignée de croiseurs quasiment à l’état d’épave, voilà tout ce qu’ils restaient de la fière flotte indépendantiste. Leur flotte avait subi une débâcle terrible. Le chef de l’escadron de chasseurs, le légendaire Levi Fenrig, était l’un de ceux qui avaient survécu. Priyanca se félicitait à avoir été prévenue la première : elle voulait l’auditionner elle-même, avant que le SVGARD ou autre ne lui tombe dessus.

Fenrig était assis sur une table nue, ses deux mains liées posées dessus. Derrière la vitre sans teint qui la séparait de la cellule d’interrogatoire, Priyanca prit le temps de bien l’observer. Son visage, dévoré par cette barbe de trois jours qui lui donnait l’air si séduisant, avait viré au gris. Ses yeux noirs si fiers semblaient éteints. Qu’était-il arrivé à cet homme pour le transformer ainsi ? Fenrig avait longtemps été sa Némésis, l’ennemi ultime auquel elle prenait plaisir à se mesurer. Mais ça, c’était avant Ar-waen Elaig Silivren.

Finalement, elle fit signe pour qu’on lui ouvre la pièce.

— Lieutenant, s’annonça-t-elle, utilisant le grade de Fenrig avant qu’il ne déserte l’armée régulière.

— Amirale, répondit-il sombrement.

C’était un bon début.

— On m’apprend que vous vous êtes constitué prisonnier de votre propre chef. Cela m’étonne... et votre escadron est en mauvais état. Où est le reste de la Flotte ? Et Padma, la colonie ?

— Anéantie. Il ne reste plus rien. Mes hommes et moi sommes les seuls survivants.

Priyanca fit mine de ne pas réagir, pour lui aménager une respiration. Mais dans sa cage de titane, son cœur — seule partie organique qui lui restait avec le bulbe rachidien — battait à tout rompre.

— Qui ? finit-elle par demander, doucereuse.

— Vous le savez déjà, grinça Fenrig. Sinon, vous ne seriez pas venue m’auditionner en personne.

— Je veux vous l’entendre dire.

— Les ældiens, cracha-t-il.

Je le savais.

Néanmoins, Priyanca prit la nouvelle comme un uppercut. C’était exactement ce qu’elle avait craint.

Ils sont de retour.

— Combien ?

— Toute une flotte. Mais on les a à peine vus. Trop rapides... et bien dissimulés. Ils sont apparus dans notre espace aérien d’un seul coup, et la seconde d’après, nous avions déjà subi 70% de pertes. Tout est allé très vite.

Fenrig lui tendit une barre de données.

— Voilà les enregistrements de notre IA centrale, qui a sauvegardé la mémoire de tous les navigateurs. Faites-les vérifier si vous voulez. Il y a tout dessus. Les massacres, les horreurs que les colons ont subis... moi, je veux plus en parler. Dessus, vous trouverez les sauvegardes de nos colons. Tout ce que je vous demande, c’est de ne pas les effacer. Je me suis rendu en échange de leur survie.

Priyanca referma ses doigts sur la petite clé.

— Ils seront transférés dans une zone sécurisée du Crypterium, j’y veillerai personnellement. En échange, vous et vos hommes allez réintégrer la flotte sous mon commandement direct et servir pour un temps indéterminé. Acceptez-vous cet arrangement ?

Fenrig hocha la tête.

— J’accepte.

— Vous m’en voyez ravie. On a besoin d’hommes capables dans nos rangs, et surtout ceux qui ont déjà affronté des ældiens.

— Ça n’avait rien à voir avec la bataille que vous avez livré à un contre un avec Ar-waen Elaig Silivren, fit Fenrig en vissant un regard féroce sur l’Amirale. Ceux-là n’obéissaient à aucun code d’honneur, ils étaient juste là pour tuer.

Priyanca hocha la tête.

— Vous les avez vus ?

— Sur les enregistrements, oui, avoua Fenrig comme à regret. Mais je ne veux plus jamais regarder ça.

L’Amirale en profita pour avancer une idée qui lui trottait dans la tête depuis un moment :

— Quelle est la différence, pour vous qui en avez vu de près, entre ces ældiens sauvages et les « orcanides », ces monstres que les trafiquants d’armes font parfois courir aux arènes ?

— Aucune. C’est la même chose : ces orcanides sont créés par les labos à partir de souches ældiennes.

Varma leva un sourcil.

— De souches ældiennes ? On en a trouvé qu’un seul gisement : celles d’où proviennent Ar-waen Elaig Silivren et sa compagne.

— Il y en avait, dans de très vieilles banques de données. Celles datant de la Guerre de Fondation.

L’Amirale prit un moment pour réfléchir. La Guerre de Fondation... tout ramenait à ça.

— Il y en a aussi qui disent que ces orcanides sont une tribu ældienne qui aurait dégénéré, continua Fenrig. Ou fait scission, un truc comme ça. Il se raconte que les clans sont très variés, chez eux, et qu’ils ont chacun leur identité. Il y a une constante, cela dit : la pratique de l’esclavage, et le fait qu’ils nous prennent pour des proies !

— L’esclavage ?

— Ils ont pris des captifs, parmi les survivants, frissonna-t-il. Je n’ose pas imaginer ce que ces malheureux vont subir... il aurait mieux valu qu’ils meurent. Enfin, vous verrez tout ça vous-même.

— Cette Rika Srsen, qui vous a aidé à franchir le portail arkonnien... elle était elle-même « esclave » de cet ældien, n’est-ce pas ?

Pour la première fois, Fenrig détourna le regard. Il haussa les épaules, l’air gêné.

— Je ne suis pas sûr... mais elle a eu une aventure avec l’un de mes hommes, et son commandant ne l’a pas supporté. Il l’a convoquée sur son cair et lui a mis un tir... certains disent qu’il l’a punie.

— Elle avait des rapports sexuels avec cet ældien ? asséna Priyanca tout de go.

— Non, non... enfin, elle m’assurait que non. Tout le monde le croyait, mais...

— Mais quoi ?

Fenrig se gratta la tête, embarrassé.

— Je ne sais pas. Elle était fascinée par lui... comme... envoûtée.

De nouveau Priyanca hocha la tête.

— Le luith. C’est une substance psychotrope qu’ils émettent. Il devait la tenir en son pouvoir par ce moyen.

— Il ne lui faisait pas de mal. Il était différent de ceux qui nous ont attaqués... même son vaisseau l’était. S’il avait été là, on aurait survécu.

— Vous pensez qu’il aurait pu tenir contre cette flotte ældienne qui vous a attaqué ?

— C’était un petit escadron. Pas une flotte. Mais pour nous, c’était tout comme. Le combat était inégal.

— S’ils étaient si inexpugnables, comment avez-vous pu vous enfuir ? Leurs vaisseaux ont une technologie supérieure à celle de vos croiseurs : ils auraient pu vous rattraper facilement.

— Ils n’avaient eux-mêmes que de petits chasseurs, bien plus petits que le vaisseau de guerre de Rika Srsen et son commandant ældien, expliqua Fenrig. Et puis... je crois qu’ils nous ont laissé partir sciemment.

Priyanca releva un sourcil.

— Pourquoi ?

— Pour susciter la peur dans le noyau du monde humain. Pour qu’on passe le message.

Priyanca s’apprêtait à poser une autre question, lorsque Fenrig releva les yeux vers elle.

— Ils vont venir, prophétisa-t-il, la voix hantée. Ils vont venir ici, au centre de la République. Pour l’instant, ils attaquent les colonies éloignées, les perdus comme nous. Mais ce n’est pas comme la peste de l’espace. Ils ne naviguent pas à l’aveugle. Ils savent que vous êtes là, et ils vont venir reprendre ce qui est à eux.

Ce qui est à eux ?

— Nous, murmura Fenrig, et le monde humain.

— Comment cela ?

— Demandez à vos chiens de guerre du SVGARD : eux, ils savent tout sur nos ennemis.

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