2. Un signal dans le noir (2) : une nouvelle recrue

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CORRIGÉ

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Le vaisseau en question était un navire de fret de taille moyenne, d’un modèle assez ancien. Il tournait sur lui-même en répandant des débris qui suivaient sans cesse le même trajet, passant et repassant autour. L’image était macabre : il était certain qu’il ne contenait plus personne en vie.

— Je vais faire une sortie, annonçai-je en me dirigeant vers ma combinaison, toujours accrochée dans le sas d’entrée. Gardez une orbite stable.

Ren m’accompagna dans le sas.

— Je viens avec toi, dit-il en attrapant sa propre combinaison.

Je le regardai enfiler cet oripeau en mauvais état, surprise.

— Tu ne mets pas ton armure ? Ce serait sans doute plus simple, et plus efficace.

Il secoua la tête.

— Je ne veux pas effrayer les survivants, s’il y en a, m’expliqua-t-il en relevant les yeux vers moi. À chaque fois, les tiens prennent peur en me voyant, à cause de cette armure.

J’interrompis mes mouvements pour caresser sa joue, rendue accessible par l’apesanteur du sas.

— Tu es gentil, ne pus-je m’empêcher de ronronner en refermant mes mains autour de sa nuque.

Ren comprit le message et il m’attira à lui pour que je puisse l’embrasser. C’était extrêmement rare qu’il fasse preuve d’une telle marque de passion en dehors du cadre strictement intime du lit, avec le garde-fou d’une configuration : j’en profitai un peu et ce baiser s’éternisa. Elbereth vint nous rappeler à l’ordre d’une phrase simple :

— J’ouvre le sas !

Ren me lâcha, et tous les deux, nous couvrîmes notre tête du casque de sortie.

Nous flottâmes un moment dans l’espace, reliés l’un à l’autre. J’arrivai à la porte du vaisseau en premier et, m’y étant amarrée, je commençai à découper la carlingue abîmée avec ma scie laser intégrée. Ren, lui, observait les alentours tandis que je travaillais.

« USNS Ultimate Quest, lut-il sur la carlingue en détachant toutes les syllabes. Qu’est-ce que ça veut dire ?

— C’est de l’anglais, lui répondis-je en poussant du poing la porte nouvellement découpée. Cela veut dire que ce vaisseau appartenait à un naute particulièrement pauvre ou amateur de vintage, ou bien qu’il remonte à des temps antérieurs à l'Holos !

— Des égarés dans le Grand Vide, entendis-je Dea dans mon casque. Saint Nilarm ait pitié d’eux !

Je hochai la tête en silence. Effectivement, leur sort n’avait pas dû être bien enviable. J’avisai immédiatement trois corps congelés dans leur caisson de voyage, alors que Ren tournait tristement vers nous la momie du pilote, harnachée à son siège face à une baie sans vitre.

— Ces pauvres hères sont morts depuis au moins sept-mille ans, confirmai-je en constatant l’antiquité du matériel. Mais je peux prendre en charge leur journal de bord : il a une sortie ISB-1.

— Tu ne veux pas vérifier s’il n’ont pas d’agent pathogène ou quelconque dispositif de protection d’abord ? me conseilla Dea d’une voix inquiète.

— Un pare-feu ou un virus de cette époque ne me fera pas plus d’effet qu’un petit frisson dans la nuque, la rassurai-je en attrapant le câble de connexion de leur navigateur. Je te rappelle que je bénéficie de la toute dernière technologie de la République, moi ! Port ISD-4, antivirus Sabre et tout le toutim.

Ren me regarda enfoncer le câble inconnu dans mon port terminal avec un air réprobateur. Je savais qu’il n’aimait pas les modifications cybernétiques que m’avaient imposées l'Holos, les trouvant inutilement invasives et lourdes. C’était pourtant ça qui m’avait permis de me synchroniser avec Elbereth !

Le journal de bord fut traité par mon système de traitement de données sous la forme d’un petit écran qui apparut à droite de mon champ de vision. Je pouvais faire en sorte de le voir en immersion totale, mais je ne voulais pas que le sort probablement tragique de ces inconnus affecte mon humeur plus que de raison. En me voyant concentrée, Ren, concerné, se rapprocha, et me demanda la permission de se connecter « télépathiquement » avec moi. Décidant de remettre à plus tard la nécessaire discussion sur cette capacité qu’il m’avait cachée, je le lui permis d’un signe de tête, sans pouvoir cacher mon expression désaprobatrice. Aussitôt, le visage de Ren apparut aussi attentif aux évènements du journal de bord que je l’étais.

Ces hommes venaient effectivement d’une époque bien antérieure à l'Holos. Ils étaient entrés dans un portail par erreur et s’étaient retrouvés ici, sur un autre plan. Après des années d’errance, au cours desquelles l’un des membres de leur équipage se suicida en menaçant la survie des autres, ils quittèrent la Voie sans le savoir et se retrouvèrent ici, dans le Grand Vide. Finalement, ils tombèrent à court de ressources, et ne bénéficiant pas d’une technologie leur permettant de sauvegarder leurs données, trois des quatre survivants décidèrent de se mettre en stase pour l’éternité, sachant que le système ne pourrait pourvoir à leur survie que quelques mois de plus, tandis que le dernier se sacrifia pour tenir la barre jusque-là. Tous les quatre moururent ainsi, chacun à son dernier poste.

— C’est terrible, ce qui leur est arrivé, fit Ren en me regardant, lorsque la dernière entrée de journal – celle d’une IA sans conscience qui annonçait le décès du capitaine – s’éteignit pour toujours.

Je hochai la tête.

— Oui. Attends, je le raconte aux autres.

— Pas la peine. J’ai partagé le lien avec Elbereth, et elle l’a elle-même transmis à Dea, m’apprit-il.

Je le regardai.

— Depuis quand tu peux faire ça, toi ?

Ren me scruta du coin de l’œil.

— Depuis que je partage un lien privilégié avec toi.

— C'est normal, entre deux amants ? Ou s’est parce que tu m’as permis d’opérer une configuration ?

Ren eut l'air géné. Je commençai à le connaître assez pour pouvoir lire son visage.

— C'est normal entre un ædhel et son... (Il marqua une hésitation.) humain.

Je levai un sourcil.

— Son humain ? Tu veux dire, son esclave ?

Ren s’empressa d’attraper mes mains. Elles paraissaient minuscules, dans les siennes.

— Tu n'es pas mon esclave, Rika. Jamais je ne permettrai d'accéder à ton intimité sans ta permission.

J'avais beau lui faire une confiance absolue, j'eus du mal à m’empêcher de me demander si Ren ne s’amusait pas à fouiller mon cerveau de temps en temps. Mais de son absence de réaction lorsque cette idée me vint en tête, je déduisis que ce n’était pas le cas. Ren avait beaucoup de merveilleuses capacités, mais il était mauvais comédien : il aurait eu l’air particulièrement outré si je l’avais accusé d’une telle traîtrise.

En explorant le vaisseau, je découvris que le système de communication était encore en marche. Mieux encore : il permettait de capter une fréquence de l'Holos. À l’heure actuelle, il était comme nous hors de portée de tout réseau, mais il avait gardé en mémoire les toutes dernières émissions, et par les miracles de la relativité, elles étaient plus récentes que nos dernières informations. En fait, au moment où nous étions entrés dans le Grand Vide, ces hommes étaient encore vivants.

Je copiai toutes ces infos en vitesse, résolue à les examiner au calme, installée au chaud sur l’Elbereth avec une bonne tasse de nes. Il était temps de quitter ce tombeau. Ren me laissa repartir la première. Je m’apprêtai à passer le sas lorsque je le vis se figer.

— Il y a une forme de vie sur ce vaisseau, murmura-t-il soudain.

Et, avant que je ne puisse le retenir, il fit demi-tour et entreprit de fouiller partout. Je le suivis. Au moment où j’arrivais, Ren avait mis au jour un petit caisson, branché sur une batterie indépendante qui, par miracle, fonctionnait encore.

— C’était moins une ! observai-je en regardant le pourcentage sur le moniteur.

Ren, quant à lui, essuya d’une main gantée la vitre du caisson. Je croisai son regard, alors qu’apparut sous nos yeux la forme endormie d’un petit chien tacheté.

— Un chien, dis-je tout haut sans pouvoir m’empêcher de sourire. Eh bien, notre mission de sauvetage n’aura pas été infructueuse ! Ren, nous avons sauvé une créature.

Ce dernier échangea avec moi un sourire lumineux.

— On l’emmène à bord, décida-t-il immédiatement.

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