0. Prologue : Pour la République

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Corrigé (12/22)

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— Engagez B-12. À mon signal… Pour la République !

Un cri de guerre féroce franchit les lèvres sévères du major Ibanez, ponctuant l’ordre qu’il venait de donner à son commissaire de vol. En face, stratégiquement positionné derrière les lignes ennemies, le président Singh, ancien héros des Astra Leo, se trouvait en personne aux commandes de son bâtiment, un énorme croiseur de guerre sur lequel étaient amarrés deux collisionneurs, dont le fameux CERG. Et derrière lui se tenait Priyanca Varma, l’amirale de la flotte de l'Holos. Ce n’était pas le moment de déshonorer son unité.

— On va les pulvériser, murmura-t-il entre ses dents, son épaisse mâchoire serrée.

Depuis huit heures solariennes, les Astra Leo tenaient contre la charge incessante des terroristes. Ces derniers étaient apparus dans l’espace aérien de Medusa V, un petit satellite sans importance peuplé par seulement quelques familles de colons et situé beaucoup trop près de Solaris au goût de la République. Une déchirure de la Trame de l’hyperespace sans le moindre code d’autorisation la précédant, immédiatement suivie du terrifiant surgissement des vaisseaux-poubelles des contaminés : un énorme bâtiment en ruine datant d’avant la Guerre de Fondation et une dizaine d'autres, plus petits, récupérés dans quelque cimetière spatial. Rien de bien difficile à gérer pour le nouveau major des Astra Leo, passé outre le dégoût de guerroyer contre de tels ennemis. En soixante-dix ans ininterrompus de carrière militaire, Ibanez avait été témoin de bien des horreurs. Pourtant, il peinait toujours à s’habituer aux terroristes, surtout les Revenus, qui selon lui bravaient tous les bons principes auxquels il croyait. À savoir un univers bien ordonné, avec chaque chose à sa place : les morts au cimetière, les militaires au pouvoir, les hérétiques sur Astantor, les exos au zoo et les femmes à la cuisine.

Détournant les yeux des peintures et des slogans de mauvais goût qui ornaient les carlingues rouillées des terroristes – « réincarnation pour tous, néant pour personne » et autres conneries révolutionnaires – le major récemment promu avait lancé la procédure habituelle : le navire porteur de collisionneur sur le vaisseau ennemi de tête, une flotte d’appui dans son sillage pour le menu fretin. Mais, à peine les premiers tirs de plasma échangés, ces agitateurs avaient été rejoints par des renforts inattendus : toute une flotte Nekomate, pourtant alliés de longue date avec leurs anciens maîtres. Contrairement aux hérétiques, ces derniers étaient bien vivants, et non moins effrayants. D’autant plus que, pour des animaux, ils tiraient droit.

Sangre de dios, grogna-t-il en utilisant l’une de ses petites expressions antiques qui impressionnaient tout le monde. Si même les exos s’y mettent, maintenant...!

Ibanez sentit le regard ferme de l’amiral dans son dos. Cette femme le rendait nerveux. S’il n’était pas sans savoir que, dans l’infanterie mobile, les femmes tunées se battaient comme les hommes – et parfois mieux – il ne pouvait s’empêcher de penser que Priyanca Varma aurait plus été à sa place dans le vaisseau de Singh, sagement debout derrière lui, une tasse de nes à la main, attendant le moment propice pour la tendre à son homme pendant que ce dernier armait le CERG. Au lieu de cela, elle était sur son bâtiment à lui, à surveiller la façon dont il menait l’offensive. Comme si une femme y entendait quelque chose à la navigation militaire !

— Major, coupa soudain la voix froide et autoritaire de Priyanca Varma. Surveillez vos propos. On dit organismes extraterrestres exomorphes, et les Nekomats n’en font pas partie : ils ont une origine terrienne et un droit de citoyen, tout comme vous. N’oubliez pas que vous vous exprimez devant des cadres de l’état-major, mais aussi des soldats à qui vous devez donner l’exemple.

D’un geste nerveux, Ibanez essuya la sueur sur son front. Il aurait voulu répliquer, rappeler que les Nekomats n’étaient que l’évolution improbable d’expériences ratées sur des bestioles domestiques, qui ne valaient guère mieux que les morts sans numéro de citoyen qui vivotaient dans des corps bricolés de bouts de bidoche et de pièces de ferraille. Mais le regard polaire de l’Amirale l’en empêchait.

— Veuillez m’excuser, madame, dit-il en jetant un petit coup d’œil contrit sur Priyanca Varma.

Amirale, le corrigea cette dernière. Et non, je ne vous excuse pas. Rompez.

Ibanez se détendit alors que Varma s’éloignait.

L’Amirale franchit le pont, se dirigeant vers la soute où était amarré son astronef. Elle en avait assez vu. Selon elle, ce sombre crétin de Tigo Ibanez n’était pas apte à commander une flotte d’élite comme les Astra Leo. Mais puisque Manmohan avait été appelé à de plus hautes responsabilités, il avait bien fallu le remplacer. Les candidats étaient nombreux, et l’état-major avait jugé qu’Ibanez valait plutôt mieux qu’un autre.

Priyanca Varma descendit vers le tarmac en étouffant un soupir. Depuis quelque temps, plus aucun soldat ne lui paraissait apte à rien du tout. Plus maintenant qu’elle avait compris la véritable nature des menaces qui pesaient sur l’Holos, et la signification réelle du mot puissance. Les Revenus, avec les faibles moyens dont ils disposaient, n’avaient pas représenté une véritable menace jusqu’ici. Mais s’ils s’alliaient avec les Nekomats, les séparatistes de Padma, ou des renégats comme Rika Srsen et Ar-waen Elaig Silivren...

— Amirale, puis-je vous conduire à bord de l’Aigle de la République ? proposa un soldat en faction devant son petit croiseur privé.

Varma secoua la tête.

— Ce ne sera pas la peine, lieutenant. Vous pouvez disposer.

Le lieutenant s’inclina, un air appréciateur sur son visage franc et juvénile. Tout le monde savait que Priyanca Varma ne laissait personne piloter à sa place : son goût jamais démenti pour le vol, même pour un petit trajet, était aussi légendaire que ses talents de pilotage.

Priyanca Varma retira sa veste d’apparat, celle qui arborait ses nombreuses décorations, et la plia au carré en trois gestes précis, avant de la glisser dans une poche spéciale de son attaché-case. Puis, après avoir enfilé sa combinaison de vol et hissé ledit attaché-case sur l’aile de l’astronef, elle s’y hissa souplement et se glissa dans l’habitacle avec une facilité qui démontrait un savoir-faire éprouvé. Admiratif, le jeune lieutenant la regarda récupérer son attaché-case d’une chiquenaude et le caler derrière son siège. Priyanca Varma était connue pour mettre un point d’honneur à tout faire seule : elle n’acceptait jamais aucune aide, même lorsqu’il s’agissait de se faire tenir son attaché-case l’affaire de cinq minutes. L’autonomie totale, c’était, selon elle, ce qui différenciait un troufion d’un guerrier.

D’une petite tape de son doigt parfaitement (mais discrètement) manucuré, l’amiral embraya l’allumage des rétrofusées. La douce vibration du moteur thermonucléaire amena, comme toujours, un imperceptible sourire sur ses lèvres fines. En dépit des démonstrations peu convaincantes de cet incapable d’Ibanez, Priyanca Varma se sentait satisfaite. Elle allait retourner sur son vaisseau et annihiler cette flotte terroriste, pouvant se permettre de tirer à pleine puissance : il n’y avait rien autour pour l’en empêcher. Ibanez, lui, se contenterait de regarder. Pourvu qu’il en prenne de la graine !

Avant de tirer la manette de contrôle, Priyanca Varma octroya un dernier regard à son tableau de bord. À l’opposé de la photo de sa fille adoptive, mais plus près d’elle se trouvait l’image holographique (malheureusement floue) d’une créature à qui elle jetait un coup d’œil à chaque fois qu’elle montait dans son astronef : un « grand chat-singe sylvestre », mâle et nu, sanglé sur une table de laboratoire. La mauvaise qualité de l’image et la peau obsidienne de la bête sauvage empêchaient de bien discerner l’expression de sa face bizarrement humaine. Varma aurait préféré une holographie en pied du type des identités militaires, mais l’animal, au cours de sa captivité, avait déjoué toutes les tentatives de prises de vue. Alors, Varma s’en contentait : c’était la seule qu’elle avait.

L’amiral contempla l’image un moment. Puis, fronçant les sourcils, elle tendit le bras vers son attaché-case et en sortit la holo d’une soldate eurasiatique au crâne rasé qui fixait l’objectif de son regard déterminé, une moue rageuse sur les lèvres. Elle la colla à côté de celle de la créature et émit un léger grincement de satisfaction.

— Je n’aurais jamais dû vous laisser filer, vous deux, murmura-t-elle à voix haute en les regardant.

Puis, le sourire élargi, elle lança la procédure de décollage.

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