Aucun rival ne verra le jour.

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-Il est l'heure de rendre vos copies ! Et pas la peine de râler, vous avez eu vos deux heures entières ! Allez ! Soyez positifs, c'est l'heure du déjeuner !

Une masse d'élèves angoissés se leva pour déposer les copies sur le bureau. Évidemment, comme d’habitude, il y avait des retardataires !

-Kévin ! Les deux heures sont passées, dis-je de mon air sévère de professeur.

-Mais monsieur, mon blanco est en train de sécher ! Je vous la dépose dans deux secondes !

Je soupirai mais hochai la tête en le surveillant afin d'être sûr qu'il n'en profitait pas pour grapiller du temps et répondre aux questions. L'adolescent finit par avancer vers moi et par me déposer, avec ses yeux de chien battu, son petit tas de feuilles. Je lui fis un sourire réconfortant qu'il me rendit maladroitement. Ha, ce Kévin ! La littérature, ce n'était pas son truc, certes ! Mais les élèves angoissaient tellement pour quelques notes ! S'il était bon dans les autres matières et que sa note n'était pas trop mauvaise, il aurait sans doute son année ! Il ne fallait pas angoisser comme ça !

En y repensant... Je me disais ça maintenant parce que c'était facile. J'avais réussi mes études, obtenu mes diplômes et j'avais un travail qui me plaisait. Pourtant, lorsque j'étais moi-même étudiant, j'en passais des nuits blanches ou trop courtes à réviser et angoisser pour les contrôles, les exposés et les partiels ! Ouais… Je pouvais comprendre. Mes études n'étaient pas si lointaines. Je ne les avais terminées que depuis trois ans.

Le gargouillis que fit mon estomac me rappela à l'ordre. Il était l'heure de manger ! Aujourd'hui, je n'irai ni au salon de thé ni à la cafétéria avec mes collègues. Une fois de temps en temps, j'appréciais de me cuisiner un petit quelque chose et de manger seul, au calme. C'était pour cette raison que la veille au soir, après être rentré du salon dans lequel travaillait Sébastian, je m'étais préparé un cake à base de courgettes et de fromage de chèvre pour accompagner mes quelques tranches de légumes, et un brownie.

Bon, allez ! Je pris mes affaires et me dirigeai vers la salle des professeurs qui devait être vide à cette heure-ci et dans laquelle se trouvait ce qu'il me fallait pour manger tranquillement. À peine la porte poussée, je tombai sur un de mes collègues qui avait apparemment eu la même idée que moi.

-Bonjour, Lucas !

-Bonjour, Antoine ! lui répondis-je dans un sourire en avançant vers le micro-ondes.

Il était assis à une des petites tables rondes et il mangeait ce qui ressemblait à des raviolis à la sauce tomate. Je pouvais noter qu'il lisait un livre.

-Qu'est-ce que tu lis ? lui demandai-je poliment, mais également par curiosité.

Il me sourit.

-Je risque de te décevoir, toi, le professeur de littérature, car mon livre n'a sans doute aucun rapport avec tes cours ! Je viens de commencer Dracula de Bram Stoker. J'ai dû voir tous les films s'y rapportant, mais je n'avais encore jamais lu le livre, dit-il en me montrant la couverture à la couleur dominante rouge.

Je sentis que je pâlissais. Une histoire de vampires... Pourquoi ?! Pourquoi l'univers me rappelait sans arrêt mon nouvel état et surtout, JOHN ?!! « Monsieur ours » ! « Monsieur autoritaire » ! « Monsieur bourru, grincheux, colérique, beau, sexy »... Hou là ! Mais à quoi je pense ?! Le petit bruit que fit le micro-ondes me ramena à la réalité, et je pris ma petite gamelle de nourriture en soupirant.

-Ho, je... Ça va, Lucas ? J'ai dit quelque chose de mal ?

Je vins m'asseoir à la même table que mon collègue, réfléchissant à ce que j'allais lui répondre sans paraître fou. Antoine était nouveau au lycée dans lequel je travaillais. Il n'était arrivé que depuis deux mois. Il était professeur de mathématiques et avait terminé ses études il y a peu. Il n'avait d'ailleurs que vingt-quatre ans. Il était gentil et joli garçon avec ses cheveux châtains et ses lunettes qui lui donnaient un air sérieux malgré ses yeux marron rieurs. Nous avions rapidement sympathisé.

-Non, non ! C'est juste que j'ai l'impression que tout tourne autour des vampires en ce moment...

-Ha, je vois ! Trop de films et de séries, tu veux dire ? Je peux comprendre ! Je ne te parlerai pas de mon roman, ne t'inquiète pas ! affirma-t-il avec un clin d'œil.

Je luis souris et ne cherchai pas à le contredire. Je lui en étais reconnaissant. J'en avais assez des vampires ! Je ne voulais pas penser aux morsures que je portais et que je devais cacher, ni à l'intimité partagée avec John, ni à John tout court d'ailleurs...

Le déjeuner se passa agréablement. Nous parlâmes surtout de nos cours, de nos élèves parfois assez exaspérants, mais aussi souvent encourageants dans notre enseignement. De voir nos jeunes étudiants progresser était si gratifiant !

L'après-midi passa rapidement. C'était une journée de contrôles de lecture et de compréhension de textes. Je devais savoir où en étaient mes élèves avec les romans au programme. À partir des résultats, j'adapterai mes cours. Leur réussite était importante pour moi.

-Lucas !

Plongé dans mes pensées, et alors que je nettoyais le tableau, je sursautai avant de me tourner vers la personne qui venait d'arriver dans ma salle de classe.

-Désolé ! Je ne voulais pas te faire peur ! Je me demandais si tu serais d'accord pour me laisser te raccompagner chez toi. J'ai déménagé et je vis maintenant à deux rues de la tienne. Ça serait sympa !

Le visage souriant et doux d'Antoine attendait ma réponse. Pourquoi pas ? Avoir une conversation normale avec quelqu'un de normal, qui n'avait pas connaissance du monde surnaturel dans lequel nous vivions, était si rafraichissant ! Même si je ne voulais pas dire que mon meilleur ami était bizarre ! Absolument pas, mais il était dans le même bateau vampiro-calicique que moi ! Et je venais d'en inventer un mot, en plus... Oui, ça me ferait du bien ! décidai-je.

-Avec plaisir ! D'ailleurs, tu peux venir boire un café chez moi avant de rentrer si ça te dit ! Je te présenterai mon chat, monsieur Pattoune !

En prononçant ces mots, mon cœur se serra étrangement et ma joie fondit comme neige au soleil. Comme si... je me sentais coupable ? Oui... J'avais cette impression que je venais de trahir une personne... Hein ?! N'importe quoi ! Je n'allais décidément pas très bien en ce moment, moi ! Lucas, reprends-toi vite !

Après avoir pris une grande inspiration, je me tournai vers mes affaires que j'entrepris de ranger avant de mettre mon manteau. J'essayais ainsi de cacher mon trouble. Je ne devais rien montrer de ce qui m'arrivait. Qui comprendrait ? Et puis, ça ne regardait que moi.

Nous marchions depuis un petit moment et c'était agréable. Antoine était de bonne compagnie, je l'appréciais beaucoup. Lui aussi aimait lire, même si ce n'était pas toujours le même genre de lecture que le mien. Et puis, comme moi, il appréciait d'aller au cinéma, il adorait son métier d'enseignant et il aimait les animaux.

-Lucas ?

-Hum ?

-Heu... Il y a un film que j'ai envie d'aller voir ce week-end. Ça te dirait de venir avec moi ?

GGGRRRRRRR

Je sursautai en même temps que mon collègue et me tournai vers le grognement sourd qui venait de se faire entendre dans la pénombre. Évidemment... Une haute et large silhouette se dessinait devant ma porte d'entrée. John... Sans hésiter, il s'avança vers nous qui nous étions stoppés, et je pus découvrir son visage aux yeux enflammés de colère. Qu'est-ce qu'il avait encore, celui-là ?!

-Ho... Tu as un invité, apparemment ! s'exclama Antoine d'un ton qui ne cachait pas sa déception.

-Je...

-Je ne suis pas un invité mais son compagnon, m'interrompit la voix tonitruante de John.

QUOI ??

-Je vois... J'aurais dû m'en douter, dit tristement le jeune homme avant de se reprendre et de sourire. Ravi de vous connaître. Je suis Antoine, un collègue de Lucas. Bon, je vais vous laisser. On se boira ce café une autre fois ! À plus, Lucas !

-At...tends...

Le mot mourut sur mes lèvres en voyant Antoine partir précipitamment, et alors que « Monsieur ours » se tenait près de moi, sa présence dominante m'irradiant de sa chaleur effrayante. Bizarre... Je soupirai et, sans un regard pour le vampire, partis jusqu'à ma porte que j'ouvris. Autant l'ignorer, son attitude m'exaspérait vraiment ! J'étais sur le point de la refermer qu'une main se posa fermement dessus et la repoussa, me forçant à reculer avant que le corps qui allait avec n'entre sans permission. Voilà une chose bien regrettable que je ne puisse pas interdire l'entrée de mon foyer à un vampire comme cela était le cas dans les films...

-Mais fais donc comme chez toi, ne te gêne surtout pas ! Ça serait dommage ! m'exclamai-je ironiquement en refermant la porte.

-Qui était cet homme ?

-Il te l'a dit, c'est mon collègue, répondis-je en retirant mon manteau. Il est professeur de mathématiques dans le lycée où je travaille également comme professeur de littérature. Le savais-tu, seulement ? Pour ça, il faudrait que tu t'intéresses un minimum à moi, et nous savons tous les deux que ce n'est pas... Ha !

« Monsieur ours » venait de me plaquer contre le mur. Non mais quel goujat, ce mec !

-Qui est-il pour toi ?

Il se baissa, ne s'arrêtant qu'à quelques centimètres de mon visage. Son regard reflétait sa colère. Il avait l'air... furieux. Merde ! Je n'avais pourtant rien fait de mal, et je n'allais pas me laisser démonter par « monsieur » !

-Je viens de te le dire. C'est un collègue et un ami en devenir. Il est arrivé dans mon lycée il y a seulement deux mois.

Il me jaugea un moment de son regard sévère et se recula lentement. Il avait dû comprendre que je disais vrai. De toute façon, ce n'étaient pas ses affaires ! Je ne savais vraiment pas comment j'allais pouvoir survivre à une très longue vie auprès de ce type... J'avais toujours le vain espoir qu'il changerait d'avis et laisserait les choses telles qu'elles étaient malgré ses paroles sur les conséquences de la première étape du lien.

Éloigné de lui, je respirais à nouveau ! J'en profitai pour partir à la cuisine afin de nourrir mon chat qui ne m'avait d'ailleurs pas accueilli, aujourd'hui. Bizarre ! Ha, non ! Pas si bizarre. Sa gamelle était pleine, et Pattoune me faisait toujours la tête lorsqu'il n'aimait pas sa pâtée ou ses croquettes. Quelle soirée de merde...

Je jetai donc la nourriture de mon Pattoune exigeant et lui en mis une autre avec un peu de croquettes et de l'eau fraîche. Voilà ! Mon petit chat avait ce qu'il fallait ! Restait plus qu'à le trouver, maintenant !

Alors que j'avançais jusqu'au salon, je m'arrêtai devant le spectacle qui s'offrait à mes yeux. Je ne savais pas si je devais en rire ou en pleurer ! John était assis sur mon sofa avec mon joli chat noir sur les genoux, et ce qui me frappa fut l'air apeuré de « Monsieur ours » !!

-Retire-moi immédiatement cette créature démoniaque.

-Que... Hein ?!

Cette créature démoniaque ?! Mon doux petit chat ?! Si je me fiais à ce que je voyais, apparemment pour lui, oui... John avait les deux bras plaqués contre le dossier du sofa pendant que Pattoune se frottait contre son torse en ronronnant. La scène aurait pu être hilarante si j'avais eu le droit à plus de respect !

-La seule créature démoniaque que je vois ici fait environ deux mètres, ressemble à un ours et se conduit comme un rustre.

Ses yeux me lancèrent des éclairs mais rien à faire ! Et puis, c'était plutôt drôle de voir un grand type aussi baraqué avoir peur d'un petit chat tout mignon !

-Allez, viens mon Pattoune ! dis-je en l'attrapant et en lui faisant un câlin. Je pensais que tu avais meilleur goût que ça ! Non mais franchement, qu'est-ce que tu lui trouves ?

Ok, c'était de la provocation mais il l'avait cherché ! Sans plus me préoccuper de lui, je menai mon chat dans la cuisine afin qu'il puisse manger, avant de revenir vers le vampire.

-Tu sais que si tu n'aimes pas les animaux, tu n'as aucune chance avec moi ? Bon. Pourquoi tu es là ? Qu'est-ce que tu veux ? demandai-je, les bras croisés sur mon torse et face à lui qui était debout, à présent.

Ses traits, qui reflétaient sa colère en réaction à mes premières paroles, parurent s'adoucir légèrement. Mince... Ça n'annonçait rien de bon...

-Il s'agit de ton ami, Sébastian. Il a disparu depuis hier soir. Éric ne ressent plus leur connexion.

-Que... Quoi ?!

Je décroisai mes bras, les laissant tomber, en regardant John. J'étais complètement perdu et choqué. Je savais qu'il était sérieux. Je le sentais grâce au lien, mais aussi parce que ce n'était pas son genre de faire de mauvaises blagues, voire des blagues tout court...

-Je ne comprends pas... Je l'ai vu hier en fin d'après-midi... Il avait l'air d’aller bien ! Il ne paraissait pas avoir de soucis !

John s'avança vers moi, et je sentis ses bras m'enlacer. Je le laissai faire. Son réconfort me faisait du bien, et je n'avais pas la force de lui résister. Il passa tendrement sa main dans mes cheveux.

-Nous n'avons pas connaissance de ce qui s'est passé. Tout ce que nous savons, c'est qu'il a disparu après avoir fini sa journée de travail au salon. Il est parti mais n'est jamais arrivé chez lui. Éric a essayé de le joindre de nombreuses fois mais sans succès. Et ce qui est étrange, c'est que le lien a l'air rompu. Éric ne ressent plus la présence de Sébastian...

-QUOI ? l'interrompis-je, catastrophé en me dégageant de son étreinte et les yeux écarquillés sous le choc de ce qu'il venait de dire.

-Non, ce n'est pas ce que tu crois. Sébastian est toujours en vie, c'est une certitude, car si ce n'était pas le cas, Éric ressentirait une souffrance énorme, à tel point qu'il en serait terrassé. Et il va bien, je t'assure. Tout ce qu'il ressent en plus de sa crainte, ce sont les premiers effets de manque dus à la séparation. On ne doit pas séparer un calice de son vampire, cela les rend malade, les affaiblit. Éric comme Sébastian vont commencer à se sentir mal, mais je vais tout faire pour retrouver ton ami, ne t'inquiète pas. En attendant, ne sachant pas encore ce qui se passe, je refuse de te laisser seul. Je vais m'installer chez toi jusqu'à ce que toute cette affaire soit réglée.

Je me contentai de hocher la tête, n'intégrant pas réellement ses paroles et ne me rendant même pas compte qu'avoir la présence de John sous mon toit allait rendre la situation plus difficile pour moi maintenant que la première étape du lien était accomplie. Tout ce à quoi je pensais était mon meilleur ami, mon tendre Sébastian. J'espérais de tout mon cœur que personne ne lui faisait de mal.

Sébastian... La personne la plus gentille, la plus douce que je connaisse ! Où es-tu ?...

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