La transformation de John. (3ème partie)

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Cela faisait désormais huit jours que je me trouvais auprès de cet homme qui m'avait changé à tout jamais. Il m'avait expliqué tout ce que je devais savoir sur ce que j'étais devenu. Il m'avait également parlé de lui.

Il se nommait Sergueï Volochenko. Il avait été transformé, il y avait de cela quatre-vingt-onze ans, alors qu'il se trouvait dans sa trente-cinquième année. Il l'avait voulu, celui qui l'avait changé lui avait fait un portrait très flatteur et mensonger de la vie de vampire, il s'en était rendu compte bien rapidement. Se sentant trahi, il avait coupé tout lien avec son créateur.

Sergueï était né en Russie et y avait grandi durant une partie de son enfance, avant que sa famille ne déménage en France. Il passait désormais la moitié de l'année ici et l'autre dans sa patrie de naissance.

Il avait attendu de longues années son calice qui lui était promis, mais sa patience étant limitée, il avait décidé de prendre un compagnon en attendant que ce jour se produise enfin. Il m'avait donc choisi et s'était laissé attraper pour être auprès de moi et rapatrié en France de manière « plus amusante qu'habituellement » pour le citer. Selon lui, il n'était pas mauvais de faire cela, car même si le jour où il trouverait son calice, il mettrait un terme à notre relation, il savait que moi aussi, je finirais par trouver mon destiné. Alors, pour lui, cette situation était honnête, même si la rupture pouvait me faire du mal et m'obliger à être seul de longues années. Personnellement, je trouvais ce choix, qui m'était imposé, totalement égoïste...

Je m'habituais peu à peu à mes sens surdéveloppés et à ce nouvel état qui provoquait chez moi un appétit féroce que seul le sang pouvait rassasier, aucune autre nourriture dont j'étais si friand auparavant ne me faisait plus envie. J'avais cette étrange impression de ressembler plus à un animal qu'à un être humain, et cette idée m'épouvantait... Pourtant, si je devais écouter celui qui était responsable de ce qui m'arrivait, ma nouvelle condition faisait de moi un être supérieur. Alors, pourquoi avais-je l'impression qu'il s'agissait plutôt de l'inverse ?

-John, arrête un peu de broyer du noir ! Je te l'ai dit, tu vas finir par aimer ce que tu es devenu.

Je me trouvais accoudé contre la fenêtre à regarder de manière morose la forêt prise dans les ténèbres de la nuit, et sa voix moqueuse me fit sortir de mes sombres pensées. Je me tournai vers lui.

-Et que suis-je devenu ? m'écriai-je en colère. Un animal ? Un prédateur ? Condamné à finir sa vie dans les tourments de la solitude pour être sûr de ne pas attirer l'attention et surtout, de ne faire de mal à personne ?

Je l'entendis soupirer.

-John, John, John... dit-il en commençant à avancer vers moi. Ta négativité commence doucement à me fatiguer. Je me demande si j'ai bien fait de te choisir... Je ne pense pourtant pas que mon instinct m'ait trompé. Il te faut donc du temps, je l'ai bien compris, mais je ne suis pas quelqu'un de patient, alors ne me pousse pas à bout.

Ses yeux étaient menaçants. Pourtant, la colère se trouvait si présente en moi que je ne pris pas le temps de m'en inquiéter, et je sortis mes canines, le menaçant à mon tour, mon regard devant sûrement être devenu doré.

-John, ne me provoque pas.

Ajoutée à ses paroles, la tonalité de sa voix me lançait un avertissement, mais je m'en moquais. Je lui en voulais terriblement de m'avoir transformé sans me demander mon avis, d'avoir bouleversé toute mon existence, de m'avoir éloigné des miens. Qu'allais-je devenir à présent ?

Sans réfléchir, je m'élançai vers lui, prêt à le frapper et à m'enfuir, mais alors que je pensais réussir mon coup, je fus violemment projeté contre le mur. Je n'eus le temps que d'apercevoir deux yeux jaunes qui avançaient vers moi avant de sombrer dans l'inconscience.

**

Dure... La surface sur laquelle je me trouvais était dure. Cette odeur... Du sang ? Ce bruit... Comme des petites pattes qui marchent sur le sol... J'ouvris les yeux et découvris que j'étais allongé sur le sol glacé d'une cellule qui devait être en sous-sol si je me fiais à l'humidité ambiante. Il faisait sombre, mais à présent, avec ma nouvelle condition, je voyais tout distinctement. Je me levai et me dirigeai jusqu'aux barreaux que j'empoignai.

-SERGUEÏ ! SERGUEÏ !

Je finis par entendre des bruits de pas dans l'escalier qui menait à ma cellule. Le visage satisfait de celui qui m'avait transformé ne tarda pas à faire son apparition.

-Tu es enfin réveillé. Es-tu revenu à de meilleurs sentiments ?

-De meilleurs sentiments ? Non mais tu te moques de moi ? Tu m'as assommé, enlevé, transformé contre mon gré et maintenant, emprisonné ! Et tu oses me demander cela ?!

-Tu ne m'as pas laissé le choix, John. Sois raisonnable et je te laisserai sortir.

-Et si je refuse ? demandai-je avec provocation, je me sentais si en colère contre lui.

Il soupira bruyamment.

-J'espère sincèrement que nous n'en arriverons pas là... Je vais te laisser moisir dans cette cellule sans rien pour te divertir autre que les rats qui peuplent le sous-sol et surtout, sans rien pour te nourrir. Et tu pourras essayer autant que tu le voudras, mais tu es encore trop jeune pour pouvoir casser ces barreaux. Alors, sois raisonnable et accepte ton sort auprès de moi, John.

-Jamais.

-C'est ce que nous verrons lorsque la soif deviendra si intense que tu en deviendras fou, dit-il dans un sourire narquois avant de repartir, me laissant seul dans l'obscurité et enfermé...

Les heures passèrent, puis les jours et les nuits. J'avais pour seule compagnie les rats qui peuplaient le sous-sol, dans une petite cellule qui ne contenait même pas une couverture, rien d'autre que moi. La soif commença à se faire ressentir comme il me l'avait dit. Je fus bien sûr tenté de me nourrir de ces petites bêtes qui m'entouraient. Cependant, je ne savais pas si cela était parce qu'elles sentaient que je n'étais plus humain, mais aucune ne m'approcha assez pour que je puisse m'en abreuver. Et plus les nuits passaient et plus je m'affaiblissais...

Une nuit, alors que je n'arrivais même plus à me lever et que j'étais pris d'hallucinations - je ne savais pas toujours ce qui se trouvait être du domaine du rêve ou de la réalité, je rêvais de sang humain, de vampires, de ténèbres... -, j'entendis un fracas et des bruits de pas et de voix qui venaient d'en haut. Peu après, ne comprenant pas ce qui se passait, je me rendis compte que les bruits se rapprochaient.

-John ? Es-tu ici ?

Cette voix...

-Père ? appelai-je faiblement.

-JOHN EST EN BAS !

Sur ces mots criés, j'entendis plusieurs personnes descendre rapidement, dont mon père qui ouvrit ma cellule.

-Mon fils ! Tu es si pâle et tu as maigri... Que t'a fait cet homme ? me demanda-t-il en me prenant dans ses bras.

-Où est-il ? murmurai-je, toute énergie m'avait quitté.

-Ne t'inquiète pas, nous l'avons tué. Je l'ai transpercé de mon épée. Il gît désormais dans son propre sang. C'est tout ce que mérite cet homme pour t'avoir retenu enfermé ici durant des semaines !

Des semaines ? Vraiment ? Je n'aurais su le dire, car j'avais perdu toute notion du temps. Mon père me serra plus fort contre lui, me réconfortant, et ce fut là que je sentis son pouls rapide, que je sentis le sang qui circulait en lui. Je ne pus réfréner mon instinct, j'étais si affamé ! Alors, à peine mes canines furent-elles sorties, que je les plantai sans réfléchir dans le cou de mon père, buvant avidement son sang.

-HA ! JOHN ! ARRÊTE ! QU'EST-CE QUI TE PREND ?

Mais je ne l'écoutais plus, je n'en étais plus capable. Le sang qui coulait en moi me redonnait de l'énergie, et j'avais l'impression de boire le nectar le plus délicieux au monde. Je n'arrivais pas à m'arrêter et je fis basculer mon père sur le sol pendant que je le vidais de son sang. Heureusement, un de ses amis avait entendu ses cris, et avant que je ne puisse faire quoi que ce soit, je reçus un fort coup sur la tête et perdis conscience.

Je me réveillai bien plus tard, allongé sur un grand lit dans la demeure de mes parents, j'en reconnus immédiatement la décoration. La soif qui me tenaillait n'était plus. Je me sentais revigoré, le sang étant régénérateur, mais me souvenant pour quelle raison je me sentais si bien, je me levai précipitamment pour me quérir de l'état de mon père. J'eus la surprise de découvrir que la porte de ma chambre était fermée. Au lieu de la défoncer comme j'en avais l'envie, je tapai et appelai mes parents. Je finis par entendre des bruits de pas puis de clés. La porte s'ouvrit sur ma mère qui me regarda d'un air un peu inquiet et apeuré, ce qui me fit mal au cœur. Cependant, je ne pouvais la blâmer...

-Mère, je ne vous ferai aucun mal, je vous le jure ! N'ayez crainte... Est-ce que père va bien ? Je... Je ne voulais pas le mordre, je suis désolé ! Cet homme qui m'a enlevé, m'a changé ! m'écriai-je, ma voix se brisant dans un sanglot à peine contenu.

Ma mère s'approcha et mit sa main douce sur mon bras en posant son regard plein de tendresse sur moi.

-John, je le sais. Ce n'était pas de ta faute. Ce que cet homme t'a fait...

Elle se tut, serrant le poing de colère.

-Ton père est très faible, mais selon le médecin, il s'en remettra. Il lui faut quelques jours de repos et se nourrir de viande rouge en quantité. Tu as été arrêté à temps, alors calme-toi.

Je fermai les yeux et poussai un long soupir de soulagement. Je ne l'avais pas tué !

-John.

J'ouvris de nouveau les yeux.

-Nous avons mis longtemps avant de te trouver, et je m'en excuse, me dit-elle en me caressant tendrement la joue.

-Ce n'est rien, mère. Tout ce qui compte est que vous m'ayez retrouvé.

Elle hocha la tête.

-J'ai d'autres choses à te dire qui ne sont guère réjouissantes.

Elle fit une pause et j'attendis, appréhendant ce qui allait suivre.

-Lorsque ton père et ses amis sont remontés du lieu où tu te trouvais, ils ont découvert que le corps de cet homme... n'était plus là. Il ne restait que son sang. Il a disparu.

Il aurait survécu ? Je regardai ma mère, les yeux écarquillés.

-Ce n'est pas tout. Il se trouvait de nombreux livres chez cet homme dont un journal intime lui appartenant. Je l'ai lu et j'ai raconté à ton père ce qui s'y trouvait. Si je crois tout ce qui est marqué - et ce qui s'est passé lorsque ton père t'a retrouvé me laisse penser que tout est véridique -, alors je sais ce qu'il t'a fait, et j'ai conscience de ce que tu es devenu.

Une larme s'échappa de ses jolis yeux clairs. Cette vision me serra le cœur.

-Mère...

-John, m'interrompit-elle. Tu es et tu seras toujours mon fils. Nous allons trouver un moyen de te nourrir sans que tu ne fasses de mal à qui que ce soit. Tu pourras reprendre ton poste dans l'armée royale si tu le désires pour quelques années encore. Mets de l'argent de côté en plus de ton héritage, et lorsque le moment sera venu où tu ne pourras plus cacher que les années ne t'atteignent plus, alors tu partiras. Sache que tu ne seras jamais seul. Nous nous écrirons et lorsque tu te seras établi, nous irons te voir régulièrement.

-Mère ! m'écriai-je, complètement bouleversé, en la serrant dans mes bras.

C'est ainsi que je passai un accord avec les miens. Ils me donneraient chacun leur tour de leur sang pour que je puisse me nourrir, et je les protégerais eux et les futurs générations qui naîtraient. La nouvelle se propagea dans une grande partie de notre famille, ceux dont nous étions le plus proche - il n'était pas question d'alarmer tout le monde ni de passer pour des fous -, et je fis en sorte, à chaque fois que je partais, d'emménager là où une branche de celle-ci était installée. Mes nouveaux pouvoirs étaient à leur service si besoin était, et leur sang à ma disposition lorsqu'ils l'acceptaient. Je fus profondément touché par la réaction des personnes que j'aimais. Ils ne m'avaient pas rejeté après ce qui s'était passé. Ils m'acceptaient et m'aidaient. Ce fut le plus grand cadeau que l'on m'ait fait, et je me suis promis que tant que je vivrai, je les protégerai toujours. Ma famille est ce qui a été, est et sera le plus important pour moi...

(Fin du flashback)

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