Scipio, Honorius, Rachel.

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L'empereur occupé par ses pensées ne faisait plus attention à l'assistance et poursuivit son chemin. De nouveau des galeries où ses pas raisonnaient. Des dalles glis­santes et glauques, des couloirs déserts, des marches mystérieuses qui aboutissaient à des retraites de silence et d'ombre. Des siècles de secrets, de terreur ou d'amour avaient créé ces dédales.

À présent, une complainte lui arrivait, d'où venait- elle ?

Qui chantait ainsi, d'une voix si grave, une mélopée si désespérée ?

Un prisonnier sans doute ?

Une voix qui passait à travers les labyrinthes du palais. Un malaise, peu à peu, l'envahit. Il songeait à tous les drames que ces murs recelaient. Du sang avait coulé, il y a quelques siècles, hier encore, peut-être sur les même dalles où il avançait. Il s’arrêta enfin devant la cellule de Scipio. Deux légionnaires, deux véritables colosses montaient la garde devant la lourde porte.

  • Ave Kazsar !
  • Repos, ouvrez la porte. Comment va le prisonnier.
  • Il se remet de l’interrogatoire et de son passage sur l’échafaud Kazsar. Il encaisse bien pour un sé­nateur si je puis dire Kazar. Ajouta un des deux gardes.

La porte s’ouvrit en grinçant. La geôle n’était pas grande sans pour autant être petite. Une fenêtre large d’une coudée haute de quatre encombrée d'un seul barreau dispensait suffisamment de lumière pour qu'on n’ait point besoin de lampe. Honorius s’en approcha.

  • La vue n’est pas vilaine d’ici on voit bien les boucles du Tibras et les quartiers de l’Aventin.
  • Dois-je te remercier pour le panorama. Répondit le prisonnier en secouant ses chaînes.
  • Pourquoi je ne t’exécute pas Scipio Phalas Pugio? Sembla t'il s'interroger. J’en aurai le droit, ne m’as-tu pas trahi. Poursuivit il songeur. Je suis ton empereur et tu tentes une ridicule insurrect­ion. Oui je devrai te faire exécuter. Mais vois-tu des dames m’ont demandé de t’épargner et je n’aime pas contrarier les dames. Et puis même si nous n'avons jamais été de vrais amis nous nous connaissons depuis toujours. Il est vrai que tu t’es plongé dans cette stupide conspiration pour une certaine idée de la liberté à ce que tu proclames. Tu n'as pas et tu n'auras jamais l'envergure de ma soeur ou de ma mère. Et si tu savais comme je l'ai voulu cette conspiration. Je dois dire que d'une certaine façon j'en suis le commanditaire.
  • Je voulais libérer Domina d’un tyran.
  • Foutaises, qu’avais-tu besoin d’offrir la liberté à tout un empire qui ne la désire pas. Tu voulais être libre ? Soit ! Les terres vierges ne manquent pas. Tu aurais dû rester le cynique que tu étais et appliquer tes préceptes à la lettre. Je ne vais pas t’apprendre que pour un cynique, la liberté, est le bien suprême. Un cynique ne doit pas être l'esclave de ses besoins, ni de ses désirs. Hors de ce côté je te vois plus comme un hypocrite débauché. Tu fréquentes trop les tripots et les catins en tout cas bien plus que les bancs du sénat.
  • Tu oublies que l'école des cyniques défend surtout un style d'existence qui critique les valeurs conformistes, qui s'affranchit de toutes limites, qui cultive le scandale et la provocation. Il est vrai que nous autres cyniques nous nous manifestons par une lucidité souvent mêlée de provocation.
  • Dans ce cas c'est vrai tu es un cynique.
  • Oui un cynique qui voulait que chacun ait son libre arbitre. Un cynique qui voulait que nos lois ne soient plus dictées par un despote.
  • Qu'a à voir le libre arbitre avec la liberté ? Tu mélanges tout. Tu as toujours été brouillon en tout Scipio. Le bien publique... taratata, il faudrait que tu ais une conscience, mais tu n'as jamais eu que des besoins des envies.
  • Je voulais vivre de mes choix et non des contraintes imposées par d’autres. J’ai la conscience tranquille. Je voulais la liberté. J’ai des chaines. Tu le sais quoi que tu fasses tes lauriers tu me les dois.
  • De la conscience ? Il eut fallu que tu en eusses ! Philosophons un peu. Qu’a à voir la conscience avec la liberté... Tu me laisses sceptique... Devrais-je vraiment te répondre... Je pourrai dire comme le sage, que der­rière cette ombre de liberté qui consiste à choisir, se montre aussitôt la liberté véritable. Mais la liberté véritable n'existe pas mon cher Scipio... Alors me demander d'être objectif sur un sujet qui n'a de réalité qu'en fonction de mon état d'esprit, ou de ton état d'âme... qu'en fonction d’un homme qui se l'imagine comme idéal... De ce que j'en conçois ou de ce que quiconque en penserait à ma place et bien… Ce serait tout simplement ridicule car chacun voit midi à sa porte... Parlez objectivement du choix ou de la liberté n'a aucun autre sens que celui d’un beau discours vaseux, surtout dans ta position… Tu parles de liberté de justice pour cacher bien des choses que tu n'as pas… Tu aimerais goûter à la liberté ? Mais qu’elle goût a-t-elle ? N’étais tu pas libre avant ? Maintenant que tu es dans les fers, tu sais seulement que tu ne peux la reprendre. Moi j’ai le choix car je peux te l’offrir et te l'exhiber comme un trophée.
  • Je mourrai donc pour la république avec la liberté de penser que je meurs pour une cause juste.
  • Allons bon… Tu as réclamé la liberté de penser ce qui est idiot. Si tu avais mieux étudié les sophistes tu saurais que ce qu’ils appelaient la liberté de penser était la liberté de penser tout haut ; c'est-à-dire de publier leurs pensées… La liberté de penser n’est donc pas comme tu le vois la liberté d’agir. Tu étais sénateur, ai-je jamais interdit à un sénateur de s’exprimer ? Vois-tu comme dirait un certain prètre de ma connaissance, l'homme est libre… Mais aucun homme ne l'est… L'homme n'existe pas plus que la liberté. Ce sont des descriptions idéales forgées par la pensée et non des êtres concrets… Jamais tu ne serreras la main de l'homme et jamais tu ne goûteras à la liberté… Ton intuition ne te dit-elle pas que j’ai raison… N'avais-tu pas un libre-arbitre, te disant que tu pou­vais choisir parmi tout ce qui s’est présenté à toi. Tu aurais pu ne pas t’impliquer dans la conjura­tion, tu aurais pu écouter la belle Rachel.
  • Tu sembles prendre plaisir à me prodiguer conseils et reproches… Déjà gamin tu étais chiant ! Ne crois-tu pas qu'il serait tout aussi facile pour moi de te rendre la pareille Honorius… Je vois bien que tu es comme Thrasymarque qui considère que l’homme juste est souvent trompé, et que seul l’homme fort peut gouverner, car lui sait engraisser les moutons pour son propre bien. Tu es un tyran sans l’ombre d’un doute. Et tu mérites plus que moi le trépas.
  • Tes propos ne t’appartiennent plus une fois sortis de ta bouche, voici pourquoi je questionne les propos et non ta personne qui est somme toute insignifiante, tu es ton pire juge et tu n'as pas besoin de mon aide pour te condamner.
  • Peut être as-tu raison. Mais si je n'avais pas mes chaînes, je t'en remontrerai. Je philosopherai à coup de poings. Je n'ai jamais aimé les lauréats, je ne suis pas un empereur quasi divin qui usurpe les habits de la république. Et je n'ai pas eu la chance d'avoir ta fortune ni un frère dévoué comme le tien, sans lui où serais tu Kazsar ? dit-il ricanant, avant de poursuivre, Avoir le choix de choisir, avoir la liberté de se libérer, avoir le désir de désirer, avoir le goût de goûter, c'est ce que j'appelle connaître la liberté. On n'a pas le choix avant de choisir… C'est ce que l'on choisit qui devient un choix. On n'a pas la liberté avant de se libérer… C'est ce dont on se libère qui devient une liberté. On n'a pas le désir avant de désirer…C'est ce que l'on désire qui devient un désir. On n'a pas la réponse avant de répondre… C'est ce que l'on répond qui devient une réponse. On n'a pas la liberté de choisir tant qu'on ne s'est pas libéré du choix lui-même… Sinon on est prisonnier d’un simple fait … L'obligation de choisir. J’ai choisi de revenir ScipioUn vrai citoyen libre cherchant la liberté et la république. Tu ne parles jamais de faits ; seuls les faits comptent. On change de discours quand on cesse de parler de faits pour parler de valeurs. Les deux ne sont pas sur un même plan. N'as-tu pas le pouvoir absolu dans tes mains ?
  • Cela signifie-t-il que je suis le mal ? Tu raisonnes comme Igfride, si tu savais comme je suis fati­gué de me battre contre l'ingratitude des hommes, depuis que je suis au pouvoir nous avons eu plus de neuf années de paix, pas de disettes, les barbares sont contenus derrière le limes et c'est un comble ! je suis un Empereur qui s'est appauvri en prenant la pourpre. Tu veux la république ! Laquelle ? Celle d’Aeentinus Varro qui affama la Capitale à la fin de la guerre civile. Celle d'Ursus Caton qui confisquerait le pouvoir au seul profit des plus riches Patriciens. Je ne crois pas mais les faits sont là, têtus, tu faisais partie d’une conjuration. Tu parles de liberté, Rachel parle d’argent et de pouvoir, je t’accorde le bénéfice du doute. Es-tu d'ailleurs pleinement conscients des causes de tes choix. Tu devrais méditer sur cette phrase d'Épictète: Être libre c'est vouloir que les choses arrivent non comme on le désir, mais comme elles arrivent. Je n'ai rien à perdre à te dire mon fait, à m’asseoir à tes cotés sur ta paillasse, à m'ouvrir pour partager ce que je prévois pour toi. Tu es cynique dis-tu ? Ce cher vieil Antisthène disait la richesse n'est pas un bien matériel mais une disposition de l'âme. Il te faudrait rejeter tout luxe pour te rendre indépendant à l'égard des choses, des hommes et de l'opinion. D’ailleurs cela te sera facile tu n’as jamais été riche. Le cynique fuit le plaisir, les passions. Là où tu vas aller tu ne seras pas dépaysé. Le cynique ignore la crainte et le désir, tu vas être servi. Il pense que la vertu s'acquiert par l'exercice et non par l'étude je sens que tu vas aimer... Il cherche l'amitié de ceux qui lui ressemblent mais se défie de l'amour et des affaires publiques. Cela ne pouvait pas mieux tomber !
  • Que projettes-tu ? Si tu ne m'exécutes pas tu me prépares sans doute une condamnation ad marmora; Sûrement l’oubli dans quelques mines ou les rames d'une galère.
  • Va-t-on savoir ?
  • J’aimerai pouvoir dire comme Diogène quand il fut capturé par des pirates puis vendu sur le marché aux esclaves. Quand on lui demanda ce qu'il savait faire, il répondit : "Commander ! Qui veut ache­ter un maître ?" Honorius partit d'un grand rire.

Je ne te savais pas devin, et c'est vrai, je l'avoue, je t'espérai assez courageux pour ne pas dénoncer tes complices et il est vrai que malgré les menaces tu es resté muetJ’admire... Alors malgré la désapprobation de mes ministres qui me traitent de fou naïf ; je te ferai la réponse d’un de tes maîtres Antisthène... Comme on le traitait de fou, il rétorqua que la populace appelait pourtant généraux des individus sans compétence. Alors pourquoi pas toi ? Car vois-tu un autre a parlé et c’est toi qui endosseras le vilain rôle du traître. Je vois que tu ne dis plus rien. Tu as sans doute raison après tout. Je pourrai aussi te jeter dans une geôle et balancer la clef, mais vois-tu je n’aime pas gâcher inutilement les vies et les talents. Je sais que tu as été un bon soldat, n’avons-nous pas été adversaire lors de la guerre civile ? Il doit quand même te rester de beaux restes, du moins j’espère. Mais explique moi une chose mon bon Scipio, pourquoi toi qui est le rejeton d’une vieille famille aristocratique, toi qui est issu d’une famille patricienne appauvrie, toi qui es né dans le quartier mal famé de Suburra, pourquoi as-tu choisi de passer dans le camp des conservateurs chez les Boni, tous de l’aristocratie latifondiaire. Tu aurais dû choisir le camp des Populares, tu aurais dû me rejoindre. N'ai crainte. Je désire conclure un marché.

  • un marché ?

Honorius sourit, comme pour se moquer de lui même :

  • Tu es intelligent et courageux, je pense que tu sais dans quel merdier tu es, accepte de reconnaître la réalité. Scipio hocha de la tête.
  • Dans quelques jours tu seras sorti de ta cellule, tu demeureras au Palais. Tu auras même le privilège d'avoir six licteurs pour ta protection, ou pour t’empêcher de faire quelques regrettables bêtises. puis je te nommerai gouverneur d’un petit territoire qui n’a pas encore de nom. J’en trouverai un bien pompeux, qui achèvera de convaincre tous tes amis de ta trahison. Ainsi ma taupe pourra continuer à espionner en toute sécurité. Si cela peut te tranquilliser, tes amis ne seront pas autant punis qu'ils le méritent. Bref pendant ce temps, tu ne pourras plus me nuire, tu seras relégué sur un rocher bien loin de la capitale. Oui mon frère m’a décrit un fort ruiné bien en avant du limes du Nord-Est. Tu pourras y méditer tout ton saoul et pour que tu ne sois pas seul tu auras deux cohortes sous tes ordres, deux cohortes disciplinaires, le rebus de toute mes légions. Je sens, cher ex sénateur, future gouverneur, que tu vas beaucoup aimer. Ne voulais-tu pas créer une colonie ? Si les pillards des steppes ne te tuent pas, si tes soldats te laissent en vie... il parait que leur dernier général est tombé dans une embuscade, mais personnellement j’en doute. Mais entre canailles vous devrez je pense bien vous entendre. Sur ce je te laisse, mais comme je suis bon prince je te laisse réfléchir. Tu vois j’ai fait pendre à ton intention une corde au plafond de ta cellule si ce soir tu ne t’es pas suicidé c’est que tu acceptes mon offre.
  • Eh bien, dit Scipio du ton d'un homme qui demanderait une faveur à un ami, Sur mon honneur, si tu me libères de mes chaînes, sache que je demanderai ma revanche, car enfin si tu es où tu es, c'est que je t'ai épargné.
  • Je vois que tu es toujours aussi crâne, j'ai toujours pensé que ta place n'était pas à la légion, mais plutôt chez les Chevaliers de la Foi. Tu n'es pas né du bon côté de la frontière, ou alors tu aurais dû ac­compagner Ser à Salamandragor et y rester. Cette idée ressemblant à de la charité Messienne est désuète. Mais c'est vrai, je sais ce que je te dois et si tu es encore vivant, c'est que je paie toujours mes dettes et avec intérêts. Même si je ne te crains plus avec une spatha, je dois décliner ton offre sur ce point. répondit-il souriant à demi de l'empressement presque amical avec lequel Scipio insistait sur ce duel. Je vais te faire une réponse qui ne vaut ici que pour moi. Si le maître donne un berger au troupeau c'est pour l'avantage du troupeau et non pour celui du berger. Si j'avais un successeur qui pût tenir mon sceptre quand je cesserai d'exister, j'aurais la liberté comme j'en ai le désir, de m'essayer à prendre ma revanche. Donc d'une certaine façon je t'envie.
  • Tu dois avoir de jeunes officiers piaffant à l'idée de pareille mission. Je te connais assez pour savoir que tu n'es pas homme à sacrifier deux cohortes, même si elles sont aussi mauvaises que tu le dis. Surtout si comme tu le penses je suis un piètre spécimen de l'humanité.
  • Non, disons que tu es le meilleur spécimen disponible selon mon choix. Et puis n’es-tu pas mon meilleur espion.

Scipio reprenait un peu d'assurance.

  • Je crois que tu veux me flatter, Kazsar. Mais de là à dire que je suis ton espion…
  • Scipio. Si je croyais aux Dieux. Je dirai que tu es protégé et que d’une certaine façon, tu me protèges. Deux fois déjà tu m’as apporté la victoire, une fois lors de la guerre civile, une deuxième il y a presque deux semaines. Grâce à toi les pirates sont enfin sortis des Marais Pontins pour venir se jeter dans un piège. Pas un n’en n’a réchappé. Maintenant à la cour, je sais sur qui compter. Et cela, vois–tu. À la veille d’une guerre, cela n’a pas de prix. Je serai fou de me passer de tes services. Ma sœur. Oui tu connais ma sœur… est pour une fois du même avis que moi. Elle serait pour une certaine clémence. Elle est d’avis de te castrer et de t’envoyer au temple de Cybèle. J’avoue j’ai hésité. J’en aurai vengé des cocus. Sais-tu que Rachel m'a supplié à genoux de t'épargner ? Elle a même renoncé à la récompense. Qui y-a-t-il de plus surprenant qu'une courtisane qui s'éprend de son client, surtout si elle est un de mes meilleurs agents. Plusieurs fois durant l'instruction et ton procès je t'ai tendu la perche afin que les juges t'épargnent. Mais non, toujours, tu refusais de coopérer. À t'entendre tu étais le chef de la conjuration. Tu aurais voulus te perdre, que tu n'aurais pas agi autrement. Sang des Dieux ! On serait tenté de croire que tu manques de la paix du cœur. Est-ce que tu aurais jamais aimé ?

Scipio tressaillit. Il jeta un œil sauvage et menaçant sur le questionneur qui parut un instant mal à l'aise sous ce regard.

  • Aimé ! Tu demandes si j'ai jamais aimé ! s'écria-t-il. Ah ! Oui, j'ai trop bien, trop sûrement aimé ! Plût à Vénus que je n'eusse jamais connue cette fatale foutaise ! Alors, la perfide n'aurait pas troublé mon cerveau ni fait trembler mon bras.
  • Celle que tu aimais a donc été perfide ?
  • Jamais femme ne le fut davantage.
  • Était-elle belle aussi ?
  • Oh, ciel ! Sa beauté égale presque sa perfidie ?
  • Je pense bien sûr que tu parles de Rachel.

Puis, comme s'il ne s'apercevait pas de la présence d'Honorius il cracha par terre.

  • Bien évidement ! Il n'y a qu'une Valdhorienne qui puisse avec ses envoûtements vous prendre dans ses filets.
  • Alors, j'ai une autre surprise pour toi. Sache, que tu vas garder tes couilles et qu'avant de partir… tu vas l'épouser ! Tout compte fait, je pense que je vais demander aux gardes de retirer la corde. Je ne voudrai pas qu'une lointaine province, se voit priver d'un gouverneur si prometteur. Mon pauvre ami, le coup qui te frappe est pénible ; mais ne t'avise pas d'aller faire l'idiot parce qu'une courtisane t'a trompé. C'est une mésaventure, oui certes, surtout quand cette coquette doit devenir ta femme. Tu as été trahi pour une femme baisée par d’autres. Mais tu es homme, tu es philosophe et tu sauras accepter la vie comme elle se présente. Prends ton parti du mal que tu as forgé et force la mauvaise fortune à te devenir favorable. Écoute-moi et accepte l'offre que je te fais. Tu ne peux même pas menacer Rachel de dévoiler sa conduite. Enfin fais-toi craindre hors du limes et tu pourras me demander ce que tu voudras. C'est bien le moins que je puisse te promettre. Profites de la situation que ta nouvelle famille t'a créée. Après tout, Rachel n'est peut-être pas aussi coupable qu'elle le paraît. Je sais bien que la clameur publique l'accuse d'être la reine des putains, mais c'était son emploi. Ce qu'elle a fait, elle l'a fait sur mon ordre. Mais qui sait si notre amie n'est pas une drôlesse qui a profité de toi ? En général, les femmes ne trouvent rien de mieux pour se venger du mépris de celui qu'elles aiment, que de se faire faire un enfant. Quoi ? Tu ne savais pas ? Tu vas être papa. Dois-je te plaindre ou t’envier ? Moi, qui après dix ans de mariage ne le suis toujours pas. Je t’envie du fond du cœur ; j'aurai voulu te voir uni à une matrone d'un même rang que toi et d'une conduite moins basse. Ce n'est pas que je regrette beaucoup ton futur mariage, bien au contraire. Il va au-devant mes espoirs, mais bon ce qui m’embête le plus c'est que cette merveilleuse Rachel est maintenant grillée.

Le soir même il échangea sa cellule pour un appartement du palais bien plus vaste et beaucoup plus confortable. Et bien qu’il fût sous bonne garde on prit bien soin de lui. De bons médecins s’appliquèrent à faire disparaître toutes traces de mauvais traitements.

Rachel vint le visiter plusieurs fois. Elle était toujours aussi resplendissante, mais malgré ses prières, Scipio refusa toujours de la recevoir.

La prison l’avait changé, il était plus désabusé. Somme toute il était content de quitter Domina.

On le maria à Rachel. La cérémonie fut aussi brève que sobre. Pour cette occasion on dut lui remettre ses chaines, on avait trop peur qu’il fit une bêtise. Sur demande expresse de l’Empereur le mariage fut « per confarreationem. ». En signe d'union, les futurs époux mangèrent ensembles, le sacrifice eut lieu en présence du pontife et de dix témoins. Ils rompirent le pain consacré composé de farine de pur froment.

Rachel dont l'alliance fut ainsi contractée, accompagna ce geste d'autres formalités. Elle passa ainsi en la pleine puissance de Scipio, prenant le nom de celui-ci, elle fut considérée comme sa fille, et devenait aussi son héritière. Il était dit dans cette loi que l'épouse s'identifiait complètement à la famille de son mari, qu'elle entrait en communauté de tous les biens de ce dernier et de toutes les cérémonies religieuses qui lui étaient particulières ; qu'elle devait recueillir l'intégralité de sa succession s'il mourait « ab intestat » sans laisser de descendants. D'après la même loi, Rachel ainsi épousée ne pouvait être répudiée que pour certaines causes graves et déterminées. Si elle l'était en dehors des cas prévus, elle avait droit à une partie des biens de son mari, qui devait en sacrifier une autre partie à Cérès. Quant au divorce, il ne pouvait avoir lieu que par une autre cérémonie, dument approuvé que par l’Empereur et lui seul. Dernier tour pendable que lui jouait Honorius. Rachel fut richement dotée par le Consistorium. On la fit Comtesse des Marches de Cangle. Et c’est sans sa femme mais en tant que gouverneur de la nouvelle province impériale de Cerbère qu’il quitta la capitale.

Il était heureux d’être encore en vie, furieux de passer pour un délateur, encore plus furieux d’être marié à cette traitresse de Rachel et dépité d’être chaperonné de très près par une petite escorte qui devait le conduire après plusieurs semaines de chevauchée jusqu’au camp de la 3° légion la Lupus Steppus.

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