Scipio et la hache.

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Il était tôt ce matin-là, quand Honorius quitta ses appartements.

Le soleil à peine levé ne parvenait pas à dissiper le brouillard laiteux qui voilait la baie.

Il prit le chemin de son bureau des audiences privées. Il traversa une des salles de réception. Il passa devant des esclaves domestiques à genoux qui frottaient les dalles jusqu'à ce qu’elles deviennent des miroirs réfléchissant le plafond richement décoré. Au fur et à mesure qu'il avançait sa mine s’assombrissait. Il était triste, son cœur était lourd, il serrait les dents comme un homme qui vient de prendre une forte résolution dont il ne veut point se départir. Son front devenait menaçant par un froncement de sourcil, qu’il avait toujours en parcourant le front de ses armées.

Rien ne s’était passé comme il l’avait espéré et bien qu’elles fussent pour lui déchirantes, il devait en tirer toutes les conclusions.

À peine arrivé il convoqua Amphitrus Sévérus Milo. Il devait apporter quelques modifications à son triomphe. Puis Toila entra un léger sourire aux lèvres, sa femme hors de danger reprenait des forces peu à peu.

Il vint se placer derrière son empereur qui sous sa toge portait toujours sa légère cotte de maille cimmérienne.

Maintenant il attendait quelques sénateurs parmi lesquels Aeentinus Varro, Ursus Caton et Catalauni Parusse.

Honorius se méfiait depuis toujours de ses patriciens qui ne lui faisaient aucun cadeau. Il avait été bien trop clément avec eux, les épargnant après la guerre civile, allant même jusqu'à leur restituer leurs biens. Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il n'avait pas été remboursé de sa mansuétude.

Ne savaient-ils pas que Scipio avait été jugé par le consistorium ?

Que lui voulaient-ils de si bonne heure ?

Il s’en doutait bien, mais il ne désirait en rien les satisfaire du moins pas comme ils l'espéraient.

  • Je vous répète, cher sénateurs que vous plaidez en vain la cause de Scipio Phalas. En matière de droit je ne connais pas de distinction entre les classes. La loi est la même pour tous, du moins j’ose le croire. Et votre ami a franchi tous les degrés du crime et de la félonie. Il a été jugé et bien jugé. Maintenant il doit payer.
  • Pourtant, dit Ursus, Scipio n’est-il pas sénateur comme nous ? Et sa famille n’est-elle pas une des plus nobles? Honorius le regard dure toisa ses visiteurs.
  • Messieurs ceci ne rend t-il pas son crime plus inexcusable. Regardez le jugement. Toutes ces pièces sont à votre disposition. Lisez donc ! Et il jeta à leurs pieds des rouleaux de papier. Aucun des sénateurs ne ramassa les volumes.
  • Comment vous ne daignez pas même lire les attendus ? Seriez-vous à ce point au fait du procès ? Et vous êtes là, à me demander sa grâce ? Oui ! Car de quoi l’accuse-t-on enfin, d’une broutille, simplement d’avoir été le complice par non dénonciation du vol de la solde de la troisième légion, des subsides à la construction d’un fort. Et comme si cela ne suffisait pas, il a même assassiné un proxénéte. Un de ses complices a parlé. Un simple légionnaire du nom de Procus. J’ai fait saisir ce sénateur ou plutôt ce brigand, je l’ai soumis à une méticuleuse et impartiale enquête, mais s'il n'a rien avoué, les preuves elles sont accablantes. Ses juges l’ont condamné à mort. Tel est le verdict du peuple de Domina, que désirez-vous de plus ?
  • Sa grâce encore une fois… répliqua Aeentinus. Je n’ai pas besoin de ramasser ce ramassis de diffamations. Ce n’est pas à vous que je vais apprendre que sous la torture on peut tout avouer. Nos ancêtres ont sagement réglé la forme des jugements du peuple. Premièrement vous n’êtes pas sans savoir que les peines pécuniaires sont incompatibles avec la peine de mort ; en second lieu, personne ne peut être accusé sans assignation préalable ; en troisième lieu, le magistrat doit faire trois dénonciations à un jour d’inter­valle l'une de l’autre, avant de rien proposer ni de rien statuer sur la peine. De plus aucuns moyens n’a-t-été fournis au sénateur Scipio pour se défendre devant ses juges ! Il lui a été impossible de ré­clamer l’indulgence du peuple et vous savez César que l'on peut ainsi obtenir aisément sa grâce. Enfin si quelque incident... les auspices, une excuse légitime, empêche que le juge­ment n’ait lieu au jour marqué, tout le procès est renvoyé. Eh ! bien, si tels sont les usages, qu’on me montre les preuves, la dénonciation, l’accusateur, les témoins ? N’est-ce pas une indignité, qu’un citoyen, un sénateur qui a été arraché sans préavis à l’amour des siens, ni sommé de comparaître, ni accusé selon nos lois, voie son existence, sa fortune tout en­tière, à la merci du bourreau. Car enfin quoi ! sur quoi se base-t-on ? Sur les racontars d’une putain Valdhorienne et d’un légionnaire déserteur, la belle affaire. Si cette jurisprudence s’é­tablit une fois, vous trouverez des citoyens à se méfier de nos magistrats.

Honorius se leva suivi de Toila, pour s’adosser à une tenture qui masquait une grande porte fenêtre, il fit craquer ses doigts et rit dédaigneusement.

  • Jamais je n’ai entendu le sénateur Aeentinus demander la grâce d’un plébéien, pourtant n’es-tu pas sénateur de la plèbe. Et comme tu le sais, ou feints de l’oublier, même un Empereur n’a pas le droit de faire torturer un noble. D'autant qu'il n'a rien reconnu. J'aurai bien voulu faire torturer un de ses esclaves, mais il n'en avait plus... Ses rares aveux nous les avons obtenus de la manière la plus douce qui soit.
  • Oui grâce au concourt d’une putain. Entre une plébéienne et un tribun ruiné pour cause de proscription il y a un monde. Dois-je te rappeler Kazar, que son père a perdu la vie et sa fortune pour avoir soutenu le tien. Dans le plateau d’une balance la louve et le sénateur n’ont pas le même poids, je fais encore la différence. Le sang noble de nos familles n’est pas fait pour couler aux pieds du Gémonies.
  • Qu'à cela ne tienne je le ferai garrotter !
  • Entre un plébéien et un patricien même s’il a commis quelques erreurs je ne veux pas croire que vous le sacrifiez à quelques vagues principes égalitaires, comment pouvez-vous…
  • Je te coupe cher Aeentinus avant que tu ne dises quelques bêtises dont tu as le secret. Un noble se doit de montrer l’exemple et puisqu’il faut un exemple pourquoi pas Scipio ? Peut être l'un d'entre vous veut-il prendre sa place ? Ne soyez pas hypocrites, Scipio ne manquera à personne ! Et son ton était lourd de menaces. J’ai souvenance que vous fûtes plus avares de vos largesses il y a une quinzaine d’année. Il est vrai qu’il ne s’agissait que de mon père. N’éveillez donc pas de sombres souvenirs. Honte à vous, honte à vous tous, car moi je n’ai rien oublié. Ne vous avait-il pas sauvé lors des guerres serviles et du sac de Domina ? Comment l'avez-vous remercié ? La réforme agraire qu'il préconisait était plus que nécessaire à l'époque il eut fallu donner un peu pour gagner une paix durable avec la plèbe et les campagnes. Vous n'avez rien compris. L’hostilité du sénat lui fut totale. Non content de ne pas voter la loi, vous avez fait massacrer mon père et ses amis en vertu d'un décret scélérat un senatus consultum ultimum qui vous a autorisé de les égorger au sein même du temple de Cybèle.

Il frappa dans les mains et un serviteur apporta une carafe fumante sur un plateau d'argent, il y avait aussi des cornes à boire finement taillées dans un cristal de roche qui ressemblait à de l’aventurine. Il fit servir tout le monde sauf Toila qui faisait son devoir de garde du corps.

Quand tous eurent en main leur hanap il tira une tenture qui dévoila un grand balcon surplombant une cour intérieure, un échafaud rouge occupait son centre. Là deux hommes attendaient l’un à genoux devant le billot, l’autre debout avec une hache.

  • Regardez ! dit l’Empereur, comment meurent les traîtres et les assassins. Et il vida son verre par-dessus la balustrade. Approchez mes seigneurs le spectacle vaut la peine. Ils étaient là sur le balcon, avec leur verre de vin chaud, partagés entre la fureur et le désarroi. Ursus le plus âgé des trois repris la parole dernier plaidoyer pour une cause perdue.
  • Honorius je t’ai connu enfant, tu surpassais en raison tous ceux de ton âge. Et tu agis maintenant comme un écervelé, si tu le fais exécuter. Les sénateurs prendront cela comme une insulte à leur dignité toute entière, le sang de ce jeune crétin leur servira de prétexte et si jamais ils étaient divisés, ils se réconcilieront sur son cadavre. Tu les unis contre toi. La sagesse voudrait que tu l’épargnes.
  • Vénérable ami ce n’est pas en étant sage qu’on devient Empereur. Et ne te tourmente point sur son sort car il l’a choisi, je lui ai proposé la vie sauve contre le nom de ses complices. Je sais bien que Scipio n’a pas l’envergure pour pareille action. Il pourrait encore racheter sa vie. Il a par je ne sais quels manoeuvres hérité d'un somptueux jardin. Il n'a qu'à dédomager la Valdhorienne qui a perdu son léno et le lui céder. Mais il reste, qu'il a quand même trempé dans le vol.

Le prisonnier avait la tête sur le billot et le bourreau levait sa hache. Tous regardaient cette scène.

  • Encore une fois Kazar. Intervint Ursus. Je vous supplie de l’épargner car tout Empereur que vous êtes, vous négligez ce que tous pourraient se rappeler.
  • Et quoi donc?
  • Ses amis et alliés, son sang et son rang.
  • Dans mon empire, chacun peut avoir des lauriers mais nul ne peut avoir des privilèges autres que ceux que je donne.

La hache s’abattit dans un silence glacial, la tête ne tomba pas.

Saisis de stupeur, ils fixaient le condamné toujours vivant.

  • À quoi jouez-vous Kazar ?
  • Comme je vous l’ai dit chers amis sénateurs, je lui avais promis la vie sauve le rachat de ses fautes. Il semble avoir choisi de dédomager la Valdhorienne, il est certain qu'il a fait une heureuse. C’est étrange je le croyais plus résolu, c’est étrange il me semble qu’il a changé d’idée en vous voyant boire à sa santé. En bas le prisonnier était emmené vers sa geôle.
  • Sire, je ne comprends pas une chose vous parliez des jardins et de leur valeur... mais n'auriez vous pas pu les saisir par voie de justice ? demanda Catalauni
  • Oui j'aurai pu mais en pareil cas on aurait dit que je l'ai fait pour le dépouiller.
  • Nous vous demandons l’autorisation de nous retirer. Reprit Catalauni sur un ton cérémonial.
  • Faites donc. Mais dites à vos amis que je ne crains personne et que d’ici peu de grands changements vont advenir. Avec ou sans votre accord. J’ai été trop conciliant pour trop peu de gratitude. Je ne vous retiens pas, j'ai à faire.

Les sénateurs saluèrent l'empereur et sortirent.

Honorius s'adressa à Toila.

  • Tu vois ami le grand secret pour venir à bout d'une conspiration, consiste non pas tant à la mettre à jour, que dans l'art de savoir y mettre la division à propos.
  • Oui Kazar celui qui maîtrise cet art est véritablement digne de commander un Empire.
  • Assez de flatteries il est temps d'aller visiter mon cher Scipio.

Honorius accompagné de ses chiens de Cimmérie, traversa à pas rapides des salles pavées de mosaïques multicolores qu'interrompaient des antichambres, où des soldats adossés à la muraille, veillaient glaive au côté, pilum en main.

Il traversa le hall des ambassadeurs avec ses marbres bleus, son dôme miroitant de cristal. Il pénétra dans la salle des princesses, pale comme un matin calme. Puis ce fut la flamboyante salle du sceptre, du vide autour d'un trône d’or et d’argent.

Le chambellan accompagné de nombreux pages causaient avec Ba-Marcon.

Le soleil embrassait les dentelles d'albâtre des fenêtres. Chaque baie d'azur sollicitait le regard. Elles encadraient tantôt l'esplanade du Palatin, tantôt les toits étagés orangés ou rouges de la ville haute. Parfois on apercevait les jardins de certaines domus. Des jets d’eau arrosaient de leurs pluvieuses transparences des parterres de fleurs. Tous se retournèrent vers le jeune empereur et le saluèrent.

  • Je ne veux plus voir ce trône faites-en des lingots, un fauteuil curule de cèdre rouge me suffira. Ba-Marcon ait la gentillesse de t'occuper de mes chiens, ils t’obéissent comme à moi.

Le cimmérien en retrait fit oui de la tête, un éclair passa dans ses yeux rouges. Deux officiers sortirent de l'ombre d'un des piliers, l'un de ces hommes au regard fier, à la moustache épaisse, était Nicéphore, chef centenier des gardes Cimmériens, l'autre était le capitaine Ugly, aide-de-camp du Duc Ba-Marcon. Son élégance sous l'uniforme, sa démarche féline contrastait avec le pas assuré du chef des gardes, son visage fin et olivâtre le faisait aisément reconnaître pour un étranger des terres lointaines.

  • On a bien du mal à te voir, j'ai cru un instant que je n'allais pouvoir te présenter à Dame Andréa Sophora. Elle compte ce matin même sur l'accomplissement de ma promesse. Elle nous attend dans sa domus.
  • La Dame Andréa Sophora ! Fit Ugly, en s'arrêtant, comme pour évoquer un souvenir, ah ! Oui, s'exclama-t-il, celle que l'Empereur a chargée de nous chaperonner.

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