Une petite orgie : Garm, Chienne, Publius, Clodius et Titurius. Au fort.

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Ils arrivèrent devant le donjon de pierres construit en grands appareils, la bâtisse était forte, bâtit un peu à la manière des Salamandrins, mais revue par les ingénieurs, et les architectes Dominiens, elle avait quelque chose d’élégante, qui adoucissait sa nature belliqueuse.

Mesurant près de trente mètres, percée au dixième de sa hauteur par une grande porte de fer, son seuil était protégé par un assommoir, et une herse.

Ils y accédèrent par une passerelle de bois. Titurius en sortait, et venait à leur rencontre. Après les salutations d’usage, il les invita plus que courtoisement dans la salle des banquets, une pièce aux hauts murs blanchis à la chaux, aux hautes et étroites fenêtres. Titurius ravi, et impressionné par la visite de Garm, fit un rapport des plus précis sur la situation du district.

Ils parlèrent de l’avancée des travaux, dont Ser était le commanditaire.

Ce camp permanent était situé entre la troisième légion, et Aquilata, juste avant les gorges, bientôt il serait à l’embouchure du nouveau canal. De plus une des voies qui empruntait le défilé de Nimrud-D’agui passait à proximité. Ser jugeait qu’il était prudent d’avoir en ce lieu stratégique, naturellement défendu, un grand casernement, une place forte sûr et bien approvisionnée, d’autant que les voies terrestres ou fluviales passaient dans des contrées assez difficiles. Le fort devrait contenir au besoin trois légions, avec leurs auxiliaires, soit environ trente mille hommes.

La forte palissade de bois, serait rapidement remplacée par un rempart de pierres, le vicus devrait se transformer en ville et s’agrandirait.

D’ici peu Caestrum Heltary, aurait tout d’une petite ville de province, d'ailleurs les travaux de creusement du fameux canal voulu par Honorius et Ser, afin d’éviter les rapides de la gorge hurlante étaient sur le point de s’achever. Il était question de donner à la bourgade les droits de cité et l’empereur par décret avait déjà réparti les lots de l’ager Publicus.

Ser dans ses plans, avait inclus Caestrum Heltary dans sa seconde ligne de défense.

Garm prit connaissance des directives de l'Empereur. Devant lui sur une table, le plan de la future citée était déroulé, avec une mine de plomb, il rectifia le dessin de la porte prétorienne, ajoutant des détails dont il avait pu juger de l’efficacité durant son séjour à Salamandragor.

Le croquis de la porte décumane, fut doublé d’une poterne bien protégée. Il faudrait défricher le terrain sur une portée de deux balistes autour des futurs murs, ainsi les rondes extérieures pourraient se faire sans difficulté.

Il écrivit rapidement une missive pour rassurer les deux frères.

Le courrier partit au galop, alors que l’encre séchait à peine.

Il fit aussi le nécessaire pour que toutes les légions et les forts de la région soient mis en alerte. Il se créa aussi une fausse identité pour mieux pénétrer les bas-fonds d’Aquilata, il fit aussi préparer son bateau pour un départ rapide.

Publius et Clodius étaient restés au fort, ils avaient plusieurs affaires en cour à régler.

Garm décida de faire le tour du village, pour constater de visu l’avancée des travaux, les plans c’était une chose, la réalité une autre.

Mais pendant ce temps, à la truie bedonnante, Chienne ou plutôt Xanthie, finissait de s’habiller, on lui avait donné une tunique de lin blanc pour remplacer la jaune, dont Garm ne voulait plus.

Elle la trouva trop longue à son goût. Elle la raccourcit, elle voulait que la jupette lui couvre tout juste le haut des cuisses, elle se voulait aguichante pour son maître, car elle pensait que Garm, malgré son airs strict, aimait bien la voir déshabillée ou presque nue, c’était une des choses qu’elle savait des hommes de sa trempe.

La chambre avait chose rare, une psyché de bronze polie, elle s’y contempla avec ravissement, elle tendit ses bras à l’horizontale et tourna rapidement sur elle-même, son chiton se souleva laissant voir son con glabre, ses fesses nues, elle avait remis les clochettes à ses lèvres, elle sauta en l’air plusieurs fois, retomba faisant le grand écart. Elle n’avait jamais été aussi heureuse. Elle se ravisa, retira les clochettes.

Elle se dit qu’elle ferait bien un tour dans le village, mais sa tenue attirerait trop l’attention, c’est vrai qu’elle n’avait plus à racoler, alors elle fouilla les coffres de la chambre, trouva une houppelande, avec une grande capuche, elle s’en revêtit, regretta de ne pas avoir trouvé de torque, enfin elle sortit, se faufilant hors de l’auberge comme une petite souris. Elle déambulait au hasard, quand elle arriva au portereau, non pas là où ils avaient laissé leur knarr la veille, mais un autre plus en aval, on y déchargeait des marchandises et des matériaux de construction.

Une voix attira son attention, une voix qui la remplit d’effroi, elle rabattît sa capuche, mais point assez vite, un homme, une brute la saisit par le bras.

  • Mais c’est la petite putain de Lucius, qu’est ce tu fous là ?
  • Vous demander à Lucius. Moi partir, moi retard.

Elle se dégagea, et s’enfuit à toutes jambes vers l’auberge qu’elle n’aurait pas dû quitter. Dans sa hâte, elle avait laissé la houppelande aux mains de l’homme surpris.

  • C’est pas grave, je te retrouverai p’tite garce, c’est une des frusques des filles de la truie bedonnante, je les reconnais. Persiffla-t-il entre ses dents gâtées.

Elle courait vite sans regarder devant elle, belle impudique, presque nue, à chacune de ses foulées, sa tunique baillait, montrant tout de sa juvénile anatomie. Elle était arrivée près du petit forum, quand elle heurta une masse de muscle qu’elle reconnut, son bien aimé maître. Il la saisit sans difficulté sous les aisselles, la souleva.

  • Alors petit papillon, où va tu si court vêtue. As-tu vu Gorgone pour être ainsi pétrifiée ?
  • Maître pas bon, non pas bon, moi vu ami Lucius, lui très méchant, lui être en affaire.
  • Viens rentrons à l’auberge, tu vas tout m’expliquer, après tu feras tout ce que je te dis, tu devras m’obéir comme un petit soldat. Elle hocha la tête. C’est plus fort que toi, il faut toujours que tu aguiches, t’es toujours débraillée. Dit-il en la grondant gentiment.

Rien que pour entendre cela, elle aurait fait des montagnes de bêtises.

Dans leur chambre, elle lui expliqua du mieux qu’elle put, que Galatrix était un des hommes de main de Carretus, qu’il connaissait bien Lucius, le Saumon Rouge, et qu’il savait ce que voulait faire Lucius.

Elle ne savait pas ce qu’il faisait ici, normalement il était le plus souvent au bordel d’Aquilata. « Et bien il faudrait improviser » pensa-t-il, il allait pouvoir tester sa nouvelle identité.

Il lui demanda de jouer son rôle, celui d’une esclave putain, il lui expliqua que pendant un certain temps, il serait un peu dur avec elle, mais que cela faisait partie de son plan. Il suffisait d’attendre, ils descendirent dans la grande salle et s’attablèrent fasse à la porte, ce ne fut pas long. Un homme bedonnant, pourtant massif, et chauve entra, le même qu’elle avait vu au portereau, le même qui la battait comme plâtre, avant de la foutre, dans sa cellule d’Aquilata. Il s’approcha d’eux.

  • Où est Lucius ? ça fait deux jours que jl’attends. demanda-t-il, en saisissant le bras de la petite.
  • Tu la lâches de suite, elle est avec moi !
  • Toi j t’ai pas causé, va t’chercher une autre pute ! Garm se leva montrant sa haute stature.
  • Tu m’as pas compris, elle est avec moi !
  • Ça va te fâches pas, si tu veux la baiser j’attendrai.
  • T’as toujours pas compris. Elle est à moi, y a plus d’Lucius ! Il sert de repas aux poissons. T’es un d’ces salauds qui voulait nous empoisonner ? L’homme fit un pas en retrait.
  • Et oui, ça s’est pas passé comme tu voulais. C’est moi qu’ai l’bateau, et tout c’qu'y a dedans. Mais y a encore moyen d’faire affaire, j’suis pas rancunier. Qu’est ce tu proposes ?
  • Faut voir.
  • C’est tout vu, j’garde le bateau, le butin et la fille.
  • Si c’est comme ça, sur quoi veux-tu qu’on s’arrange.
  • Tu m’prends pour un blaireau, les papiers qu’étaient à bord tu veux que j’les brûle, ou que j’les fasse porter au centurion.
  • Ça va, ça va, faut voir.
  • Faut voir, faut voir, t’as qu’ce mot à la bouche, quoi t’es pas Œdipe, moi, j’vois qu’tu veux m’embrouiller. J’ai pas fait quinze ans d’légion pour me faire mettre par un nabot. Si tu veux foutre quelqu’un, t’as cas t’payer ma pute, tu connais l’tarif. Allez vient ma salope. J’ai pris une chambre dans l’quartier des pécheurs, ce sera plus intime, ici ya beaucoup trop d’monde. Galatrix t’as deux jours pour réfléchir, après j’descends sur Policastrum.
  • Attends, j’me paierais bien une passe avec elle, en souvenir du bon vieux temps.
  • Allonge la monnaie, dix has.
  • Putain, dix has pour une passe ! Tu m’prends pour Crésus, c'est qu'une pute des rues à deux has !
  • Tu sais ce qu’elle vaut, t’es un d’ceux qui l’on dressée, et puis la nostalgie camarade, ça n'a pas de prix.
  • Bon voilà l’argent, pour ce prix j’la baise où ? Parce que pour ce prix j’veux dl ’intime, j’veux pouvoir la bourrer tranquillos sans qu’on m’dérange.
  • Suis moi, Clodius loue des piaules pour les occasionnelles. J’avais déjà réservé, je pensais la faire turbiner en début d’après-midi, elle commencera plus tôt c’est tout.
  • J’savais pas que l’borgne louait…
  • C’est ton problème Galatrix, tu sais pas tout, et tu montes des embrouilles contre la guilde.
  • Tu parles bien de la guilde ?
  • T’en connais d’autres ?
  • Non, non. Dit-il déstabilisé et un peu fébrile.

Ils étaient descendus à la cave, Garm ouvrait la marche suivi de Galatrix, et de Chienne qui faisait la moue, elle n’était pas heureuse de devoir se faire foutre par le petit homme chauve, mais elle connaissait sa condition, elle savait qu’elle jouait un rôle important.

Elle était prête à faire n’importe quoi pour son nouveau maître. Garm ouvrit une porte, alluma les lampes à huile, la pièce ressemblait plus à une cellule qu’à une chambre de lupanar, sans trop de méfiance Galatrix et Chienne entrèrent. Garm prit la main de Chienne, la tira vivement à lui, puis rapidement il enferma Galatrix, et dit à voix haute pour bien être entendu.

  • Tu peux te branler tant que tu veux ! Moi je dois aller prendre les ordres, savoir si je peux traiter avec toi, te renvoyer, ou te liquider. Galatrix muet de surprise, resta interdit un instant, puis il se précipita sur la porte, mais elle était solide et bien fermée.

Il prit la seule chaise, et la fracassa sur le seuil qui ne bougea pas.

Garm se retourna, claqua les fesses de la fille, remonta les escaliers laissant Galatrix à sa fureur.

  • Xanthie monte dans ta chambre. Et n'en sort plus.
  • Bien, mon maître.
  • Je t’avais pourtant dit de rester à l’auberge, petite.
  • Pardon maître, moi vilaine fille, pardon moi désobéir, faisait si beau dehors.
  • C’est peut-être une chance après tout, mais je me demande ce que ce coquin faisait à Caestrum-Heltary, je pense qu’on va devoir le faire parler, et je le veux bavard. On va le laisser mariner un bon peu dans le noir. Remontons dans notre chambre, je vais avoir besoin de tes talents.

Elle se passa la langue sur les lèvres, « il va encore me faire bien jouir. » pensa-t-elle. Elle le précéda dans l’escalier, elle voulait qu’il voie son sexe, à peine caché par moments par les pans de sa tunique. « C’est vraiment une sacrée petite allumeuse, » pensa-t-il. À peine étaient-ils rentrés, qu’elle fut nue devant lui.

Il la souleva délicatement, il la reposa sur une chaise devant la table. Elle resta là, interdite, d’un coffre il retira des feuilles de papyrus et des pinceaux.

  • Tu vas me faire le plaisir de peindre toutes les personnes qui étaient les amis de Lucius. Applique-toi bien, tu as jusqu’à ce soir. Et alors tu pourras venir avec moi au banquet.
  • Bien maître.

Pendant qu’elle peignait, il alla s’allonger sur le lit.

Les yeux fermés il repensait à tous les événements qu’il venait de vivre, c’était comme une mosaïque dont les tesselles auraient été mélangées, pour l’instant il ne devinait que vaguement l’emblema.

Il se souvint qu’il devrait être à Domina pour le triomphe, mais après tout que lui importait les honneurs, il avait soif d’action, et là il était servi.

Pour la première fois depuis longtemps, il se sentait revivre, alors au diable les parades. Xanthie qui avait fini, s’approcha du lit, debout devant lui, elle attendit Garm lui fit signe, alors elle se coucha à ses côtés, il l’enlaça lui disant :

  • Soit sage petite chienne, je te promets nous ferons l’amour ce soir.

Le soleil jetait ses derniers feux quand ils entrèrent tous ensemble dans la grande salle du donjon.

  • Point de triclinium ici ? S’étonna Garm.
  • Tu connais les origines de ma femme seigneur. Je crois que cela fait une décennie que je n’ai point mangé de façon civilisée, enfin je me suis fait à son habitude de manger assis devant une table. Je te le dis tout net, Honorius a eu une étrange façon de remercier ses braves, nous forcer à épouser des femmes barbares, c’était tôt ou tard nous forcer à suivre leurs habitudes, car si nous gouvernons une grande partie du monde ! N’oublions pas que nos femmes nous gouvernent.
  • Tu veux que je te dise, manger sur un lit m’emmerde, mais pour ce qui est des femmes, tu as raison.

Après quoi tous s'assirent autour d’une longue table chargée d’une montagne de charcuterie, de plateaux de mugilis, de saumons à la sauce verte, de sandres baignant dans des herbes amères, d’écrevisses à la queue grasse, et de volailles fourrées de truffes, c'était somme toute un repas frugal pour Clodius, celui-ci avait œuvré aux cuisines expliquant, penché à l’oreille d’Iwona avec des airs de conspirateur, les ingrédients de telle ou telle sauce. Elle ne perdait rien de ses recettes, car avec la rapidité d’un scribe de premier rang, elle s’empressait de les recopier sur la tabula qui ne la quittait jamais. Publius, pour faire rire Xanthie jonglait avec des amphores pleines de vin, et avec adresse, les envoyait aux serviteurs. Titurius, que l'ivresse commençait à gagner, commanda qu’on fit venir les musiciens.

Durant le repas, il avait parlé à ses convives d'une troupe des gens des lintres, qu'à grands frais, il avait fait venir des rives du Teck ; et d'une danseuse que Névia la lesbienne avait à son service.

Les musiciens entrèrent dans la vaste salle des banquets.

Ils étaient vêtus de longs kaunakês se terminant aux extrémités, par une frange verte mais laissait le torse nu. Ils venaient en effet du Teck, où ils se consacraient pendant la mauvaise saison à sculpter d'énormes phallus dans des bois de flottage ou à décorer les temples voués à Dionysos.

Mais à l'approche du printemps, comme les oiseaux migrateurs, ils couraient les berges du Teck jusqu'à sa jonction avec le Tibre, puis ils mettaient des roues aux lintres et remontaient par les voies Dominiennes jusqu'en Néo-Dalmatie. Ils allaient, se louant aux familles d'agriculteurs, pour les noces, les fêtes privées, publiques, ou les funérailles.

On les voyait aux fêtes des Saturnales qui mettaient en allégresse tout l’empire, et aux fêtes des vendanges où ils chantaient des vers fescennins pleins d’obscénités, ils escortaient les vendangeurs sortis du pressoir, tout empourprés du sang de la vigne.

Ils faisaient danser sur les forums, sous les tentes, les péristyles des temples et même sous les feuillages sacrés où se mêlaient les prières publiques, qui évoquaient souvent les noms d’Apollon de Dionysos et même de Déméter.

Ils conduisaient aussi, de la montagne aux cascades, les courtisanes sacrées qui pendant sept jours cherchaient dans le courant de l'automne, le reflet sacré d’un jeune dieu tombé sous la dent du sanglier pour mieux renaitre.

Seul les grandes villes et Domina leurs étaient interdites. Les musiciens portaient un grand nombre d’instruments.

Des tambourins en peau de chèvre, des cithares, des lyres, des chalumeaux en cuivre, et bien d’autres encore. Des matelots qui revenaient de l’Ouest leur avaient fait don d’un ascaules qui était une sorte de cornemuse. Ils chantèrent d'abord en s'accompagnant, des airs de leur pays, des hymnes au Soleil, aux deux Lunes. Le conducteur de la troupe était un certain Ricalmir, vieillard dont jadis la beauté avait été célèbre sous le règne de l’empereur Salgon ; lequel, après l'avoir gratifié de ses faveurs amoureuses, l'avait chassé sur le désir jaloux de son amant préféré l’eunuque Tinière. Cet eunuque était mort peu de temps après sur la prière de la femme de Salgon. Ricalmir contait maintenant les légendes des guerres des Divins Empereurs du Ciel, et quelquefois il chantait les amours de Pollux et de Khrysèis qu'il avait arrangées en poèmes. Iwona battit des mains, et demanda que ces amours tragiques lui fussent contées.

Le vieillard qui regardait Garm avec respect et crainte, car il l’avait reconnu, attendit l'ordre de Titurius. Celui-ci, d'un signe lui commanda de les satisfaire. Le vieillard commença :

  • Au temps où le Temple d’Apollon sommeillait encore sous la roche. Éparpillés enfouis dans le sol, les mouvants vaisseaux, devaient en devenir plus tard les colonnes, elles pointaient vers le ciel, ces étranges nefs des Astréides. Semblant griffer le ciel rouge de leurs cimes comme des épées flamboyantes. Les pierres sourdes dormaient aux flancs des montagnes. Les galets hurlants couraient sur les rives désertes. Les poudres d’ors roulaient dans les lits des fleuves, et nos dieux n'avaient plus pour demeures, que les cubes de lumière noire. En ces temps jadis je fus aimée. L'amour est dur comme l’onyx battue par l'immortel océan. Mais l'océan fera toujours de la roche, du sable noir. Ô ! Hommes vous qui m'écoutez, songez-y ! L'amour est un écueil. Sur sa crête, que seule la blanche neige peut couronner. La neige qu'un seul baiser fait fondre ! Pour un baiser tant de sang ! Tant de héros morts ! Est-il un culte ? Ô, Hommes, songez-y ! Qui vaille tant de misères ? Mes amours sont source de tant de maux. Le Roi m'avait dit Khrysèis. Je t'aime plus que ma femme. Et mieux qu'une déesse. Et il a mis sa main sur mon sein. Et m'a embrassé et c'est par moi. Qu'il a connu la douceur passagère de la vraie amour. Ô ! Hommes qui m’écoutez, songez-y ! Pour lui seul je fus deux. Moi et mon ombre qui prit vie. Une pour mon père. Une pour mon roi. Mais Akhilleus jaloux…

Garm l'interrompit et lui jeta à une pleine poignée de pièces. Ce conte lui rappelait trop Honorata, et rouvrait des blessures d’amour.

  • Tu continueras ton chant plus tard. Il me rend triste et je veux de la gaîté ce soir.

Titurius tapa dans les mains et demanda les danseuses.

Elles entrèrent avec les courtisanes de la Truie Bedonnante. A leur tête marchait Rachel la Valdhorienne.

Elles quittèrent leurs petites sandales, s’alignèrent faces aux convives puis gracieuses, en saluant elles sourirent à l'assemblée. En silence elles montèrent sur les tréteaux d’une petite estrade recouverts de peaux de trabuks retournées et tannées.

On leur apporta des coupes en calcédoine pleines de vins épicés de Stygie. Elles levèrent leur coupe dans la direction des convives et elles burent à la santé de leur hôte.

Les musiciens commencèrent par tirer de leurs mandores, de leurs tympanons et des ouds des notes longues qu'ils affectaient de prolonger par la voix. Puis les bendirs et les timbales reprirent en cœur.

Rachel se détacha du groupe, d'un regard assassin, elle fixa Garm. Elle commença insensiblement à sautiller un sistre de bronze dans chaque main. Puis elle se mit à tourner, à tourner sur elle-même, d’abord lentement.

Les femmes, dans le fond, s'adossèrent au mur marquant la cadence en tapant dans leurs mains. Les bras de Rachel ondulèrent mollement comme deux basilics, comme s'ils appelaient quelqu'un se trouvant très près. Ensuite, ce furent ses épaules, sa poitrine et ses hanches qui amplifièrent les ondulations de cette invocation lascive.

Xanthie, comme si elle était ensorcelée, répondit à ce langoureux appel, elle se leva et sans demander la permission à Garm bondit sur la table de banquet. D’un revers du pied, elle balaya tout ce qui était devant elle, et, de là, telle une gazelle, elle bondit les jambes faisant le grand écart les bras parallèles à celles-ci … le temps s’arrêta et l’espace d’un instant tout sembla figé, puis elle retomba sur l’estrade. Elle se releva avec grâce. Elle entama alors une série de sauts verticaux faisant passer ses pointes baissées l'une devant l'autre avant de retomber sur le sol. Ses jambes comme deux papillons tremblèrent dans l’espace et enfin elle retomba doucement faisant un nouveau grand écart, sa chute fut étouffée par les tapis en peaux de trabuks.

Les mains à plat, un des musiciens fit résonner successivement un tbila* et une derbouka* à peau de poisson.

Sur l’estrade, Xanthie s'était redressée. Sa tunique de safran ne l'habillait guère et le bandeau de fil d'argent qui lui serrait la taille faisait saillir son buste juvénile.

Comme la délicate flamme d’une bougie, elle dansait doucement face à Rachel qui tenait maintenant en l’agitant un ruban de soie, dont Xanthie énervée et langoureuse saisit l’autre extrémité.

Mais voici que véritablement, le duo débutait une danse pleine de promesses sensuelles. Avec des allures de bêtes lâchées, les seins de Rachel dégagés d’un corsage trop étroit pointaient en avant. Une épaisse frange de cheveux noirs enduits d’huile d’argan les faisait friser et encadraient son visage, ils retombaient en une lourde natte. Les danseuses étaient plantées droites toujours face à face, du feu dans les yeux.

Le haut de leurs corps demeurait complètement immobile, poitrine contre poitrine et le bas de leurs jambes semblaient plantées sur l'estrade, mais tout le reste, des genoux au nombril, s'animait d'un mouvement de rotation et de va-et-vient que l’on ne pouvait mieux comparer qu'à celui d’un roseau se balançant dans le vent. Lent d'abord, il s'accélérait peu à peu, pressé, rapide, quoique toujours régulier et leurs corps impatients en entier se cassaient dans une désarticulation générale. Le ruban de soie était le lien magique qui les unissait l’une l’autre, qui harmonisait ce duel qui ne voulait pas dire son nom. Elles semblaient se renvoyer le roulement de leurs hanches, c’était comme une joute entre elles qui s’épiaient, et se copiaient. Elles dansaient pour elles seules. Sur un silence des musiciens, les femmes s’étaient arrêtées un instant pour passer à de nouveaux pas de danse plus aériens, enchainant entrechats et pas de deux.

Xanthie, qui reprenait son souffle, souriait à Rachel, lui signifiant qu’elle passait son tour, alors la peau du ventre de Rachel, froncée de mille plis, se tendit et se détendit comme celle d'un soufflet, donnant à sa jupe tombante des saccades brusques, qui parfois la relevaient jusqu'aux haut des cuisses.

Ses seins nus échappés du corsage palpitaient, animés du titillement convulsif des anneaux de ses mamelons ; puis son ventre, se gonfla par un effort brusque, son nombril obstrué d’une pierre brillait tel une étoile au milieu d’un cyclone, alors elle se mit à décrire un mouvement ondulatoire d'une amplitude extrême.

Les deux danseuses enfin se cambrèrent, et à plusieurs reprises elles se rejetèrent en arrière, jusqu'à toucher l'estrade de leurs mains, elles dessinaient ainsi, avec leurs corps, une courbe parfaite qu'aucune saillie n'interrompait. Elle se redressèrent, s’embrassèrent. Alors, entre elles deux, la pantomime amoureuse commença. Rachel était drapée d'une étoffe pourpre qui formait comme une longue jupe fendue en de nombreux endroits.

Xanthie portait une longue tunique safran fendue que sur un côté qui embarrassait un peu ses mouvements. Quoique plus jeune elle s'appliqua en dansant des retroussis exagérés, mais gênée, d'une main elle déchira l’autre coté de sa tunique, son corps ainsi dévoilé faisait étinceler le regard des mâles. Garm la contemplait farouche, avec des yeux de fièvre. L’autre danseuse s’approcha, et les rôles, alors, changèrent.

Rachel, avec des gestes d'homme, finit de la dénuder, apparut alors le torse nu, les petits seins et la renversant en arrière, elle la baisa sur la bouche. Ce fut comme un signal.

Toutes les courtisanes bondirent vers les Convives qui les happaient au passage, essayant de les empêcher de renverser les lampes qu'elles cherchaient à éteindre. Garm avait saisi Xanthie et Rachel par le poignet, il les entraîna vers le fond de la grande salle, là où il y avait des banquettes. S'adressant à Rachel :

  • Je crois que nous avons à parler toi et moi. Mais avant, je veux pouvoir juger du travail de Res Teixó. J'espère que j’éprouverai autant de plaisir à vous baiser qu'à vous voir danser.
  • Comme désire le Maître, répondirent-elles en cœur.

***

De rares lampes brûlaient encore.

Les hommes, et les femmes burent dans les mêmes coupes, les amphores vides roulaient une à une par terre, et comme à un moment Titurius avait fermé ses yeux, gonflés par l'ivresse, Iwona souffla sur les dernières flammèches avant d'étreindre son mari. L'orgie se fit plus silencieuse malgré les rires étouffés, et le bruit de vaisselle cassée qui de temps à autre ponctuait les ébats. On n'entendit que le gémissement des corps qui s’enlaçaient sur les dalles pendant que les musiciens quittaient les lieux.

  • Je ne devine pas tes projets, dit Titurius, mais je suis sûr que tu ne feras rien que de noble et d'héroïque.

Ser rentra dans la salle des gardes, il y trouva rassemblés une dizaine de légionnaires, les plus sûrs, tous choisis par Publius, ils venaient se mettre à ses ordres.

  • Tenez-vous prêts à partir, préparez vos paquetages je vous ferai savoir mes volontés avant le coucher du soleil. Ser remonta dans ses appartements mais, à mesure qu'il en approchait, un singulier tapage frappait ses oreilles.
  • Que se passe-t-il donc chez moi ? murmura-t-il. La main à son glaive il se hâta et pénétra dans la salle voisine de sa chambre. Il s'aperçut alors que c’était la jeune Xanthie qui causait à elle seule tout ce vacarme.

Elle était armée d'un gladius et tournait autour d'une haute chaise à laquelle était adossé un vieux scutum qui avait dû voir bien des campagnes.

Xanthie frappait du pied, poussait des cris étranges, insultait ce bouclier immobile et essayait de le transpercer impitoyablement de son glaive.

  • Que fais-tu là ? s’écria Garm moitié fâché, moitié riant.

Xanthie, à la vue de son maître, jeta son arme et se précipita à ses genoux.

  • Qu'est-ce que ça signifie ? Pourquoi mets-tu ce bouclier en pièces ?
  • J'exerçais moi guerre. dit la jeune fille d'une voix qu'elle s'efforçait de rendre bravache. Ça ! ajouta-t-elle en montrant le scutum, être amis Lucius. Garm se mordit les lèvres pour ne pas pouffer de rire.
  • Serais-tu brave, petite ?
  • Ah oui ! Si gladius coupait, hop moi craindre personne. dit la jeune fille.
  • Mars m’est témoin. Je crois que si c’était un vrai guerrier, tu te sauverais à toutes jambes.
  • Pas vrai ! s'écria xanthie en se relevant. Moi très méchante, moi souvent bagarre, souvent ! Une fois, arraché oreille à putain du quartier port, elle volait à moi client. Elle braillait renfort tenir oreille, moi rire, puis moi mordre cuisse, et hop moi sauté dans l’eau, hop disparu. Autre fois, avoir très, très, faim, moi voir gros rat moi jeter pierre, lui entrer dans cour, moi derrière. Alors gros chien venir pour dévorer moi, moi parlé lui chien sans peur. Après hop lui gentil. Dommage gros rat parti. Mais moi mangé gamelle avec chien moi être très gentille avec chien.

Ser réfléchissait en écoutant les histoires de Xanthie.

  • Voudrais-tu venir à la guerre avec moi ? dit-il tout à coup.
  • Ah mon maître ! s'écria la jeune fille en joignant les mains, prends-moi, moi souple comme serpent, agile comme belette, savoir entrer partout, tu verras. Première fois que moi avoir peur, tu couperas tête à moi.

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