Caestrum-Heltary, la truie bedonnante, Clodius, Garm, Chienne, Titurius.

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À la sortie d'un large coude du fleuve, ils découvrirent le fort, il était bâti sur une grosse motte artificielle lové dans un des méandres, de telle sorte, que trois de ses côtés étaient protégés par l'eau. Par la terre la presqu'île n'était accessible que du levant. L’embarcation longea les fortifications faites de rondins aigus, qui formaient une sorte de gros huit, dont la tête plus petite et plus haute, était occupée par un donjon, gros cube, en grand appareil de pierres blanches, ceinturé d'une courtine de maçonnerie. En contrebas, le ventre du huit était protégé par une forte palissade recouverte d'un ciment blanchi à la chaux. Le bateau contourna la grosse tour, continua, arriva à l'embarcadère du fort. Non loin d'eux, au sommet de la large grève s'élever l'agger surmonté du Vallum*, des enlacements de branches fourchues, et durcies au feu le renforçait. Ils amenèrent la voile, le knarr glissa sur la berge de graviers dans un long crissement. A proximité du ponton, une tourelle de bois dont la base était faite de moellons les surplombait. Un feu de camp éclairait l'embrasure de la porte grande ouverte, deux sentinelles veillaient arme au pied. Elles ne tardèrent pas à les rejoindre. On entendit le son d'une trompe, déjà une petite troupe en armes, sans doute prévenue par les guetteurs du donjon arrivait.

  • Ave décurion, honneur et gloire ! Conduis-moi à ton centurion. Garm avait sauté à terre, faisant face au groupe.
  • Ave, qui es-tu ?

Garm déclina son identité, montra les insignes de sa fonction. Le décurion s'empressa de mettre un genou à terre pour répéter avec plus de révérence :

  • Ave honneur et gloire, c'est une fierté de te servir. Notre centurion le baron Titurius est d’ambulatura, il ne rentre que demain à la tête de trois manipules. Il y a une chambre d'apparat dans le donjon, si tu veux nous suivre...
  • Non, je vais aller à l'auberge de la truie bedonnante, ont-ils toujours le même aubergiste ?
  • Si fait, monseigneur légat, c'est toujours Res-Clodius le borgne qui la tient. Bien, c'est un vétéran, je crois qu'il sera heureux de me revoir.
  • Seigneur légat, je vais mettre des sentinelles à la garde de ton navire.
  • Merci et à demain, venez me prendre à la taverne dès que le centurion sera de retour, je veux visiter l’avancement du chantier des fortifications. Puis il ajouta pour finir : Ne m'accompagnez pas, je connais le chemin. Allez viens fillette, prend un flambeau, la nuit est bien sombre, je ne voudrais pas mettre le pied sur un stimuli*.

Chienne sur ses ordres s'était préparée. Le couple abandonna le knarr, et se dirigea vers le village blotti sous les remparts du fort. L'adolescente alluma la torche au feu de camp des gardes. L'obscurité qui les cernait, était saturée de parfums aux senteurs printanières, légères, pourtant entêtantes, puis rapidement céder aux odeurs âcres de la vase, au fumet des repas s'échappant des maisonnées, enfin le remugle des tas de fumiers remplaça les fragrances champêtres. Ils montèrent une petite pente gazonnée, franchirent le fossé sur un pont de planches qui résonna sous leurs pas. Si Garm marchait en silence, il n'en était pas de même pour son esclave, elle n'avait pas retiré ses clochettes, et son nouveau maître avait eu la faiblesse de l'autoriser à puiser dans une cassette de bijoux, qu'il avait trouvés cachés sous le pont avec d'autres documents. Ils entrèrent dans la bourgade. La rue principale bordée de chaumières les mena au forum. L’auberge, une grosse bâtisse en briques, haute de trois étages, donnait sur un des côtés de la place, la taverne trahissait les origines sudistes du propriétaire par son toit en terrasse. En traversant le forum, ils croisèrent un chien, qui aboya, donnant ainsi le signal à un concert de jappements et de hurlements repris par tous les cerbères des alentours, on entendait les maîtres s'efforçant de les faire taire.

  • Petite, je crois que je te préférais nue, et surtout sans bijoux. Tu fais plus de bruit qu'une légion en marche.

La gamine, penaude bredouilla des excuses, courageusement, elle s'approcha sans peur du molosse qui aboyait. À la lumière de la torche on distinguait ses yeux brillants, et ses crocs couverts de bave.

Garm surpris n'eut pas le temps de l'arrêter, elle souleva sa tunique jaune découvrant son ventre nu, l’animal approcha, renifla son pubis, elle lui caressa la tête, puis il lui lécha le bout des doigts, se tue, et se coucha à ses pieds. Elle le caressa un peu avant de s'éloigner en compagnie de son maître.

  • La prochaine fois, tu mettras un vêtement plus long, et d'une autre couleur, le jaune c'est la couleur des fous, et des prostituées, tu n'es plus une putain, tu es la propriété d'un procurateur lega des légions, et par les mamelles de Sybel tu vas me retirer ces saloperies de clochettes.
  • Tout de suite maître.

Elle allait s'accroupir pour s'exécuter.

  • Non pas maintenant, si on traîne trop longtemps ici, on va voir rappliquer tous les roquets du village attirés par ton odeur de petite chienne en chaleur.

Ils pressèrent le pas. Garm reconnu l’enseigne, faite d’une grande plaque de bois, et de plaques de bronze représentant une énorme truie sous laquelle était écrit :

« à la mode de la capitale. »

La porte elle-même était engageante car dessus on pouvait lire :

« Ici Mercure promet du profit, Apollon de la santé, Clodius, un bon accueil, avec la table. Qui voudra bien descendre ici, s'en trouvera bien. Étranger, regarde bien où tu ne logeras pas à mieux. »

Il poussa une porte basse incluse dans une beaucoup plus grande. Il embrassa du regard la taverne surpeuplée de buveurs, qui choquaient les chopes, les cornes à boire, et les gobelets. C’était un tapage infernal où se mélangeaient les cris, les rires, les réflexions obscènes, beaucoup étaient sur la pente de l’ivresse, certain déjà dans les bras de Bacchus étaient affalés sur les tables.

La grande salle mesurait au moins cent pieds de long, sur soixante-dix de large, deux rangées de piliers massifs la partageaient, et une grande cheminée occupait un bon tiers du mur du fond, sur le côté ce n'était qu'une succession de renfoncements aux banquettes en forme de U couvertes de peaux, de fourrures, ou même de belles couvertures à la mode de Shetlandus, des moucharabiehs* pouvaient les clore préservant ainsi l'intimité des convives. Un comptoir fait de tonneaux, de briques, de planches, placé en avant de la cheminée, courait sur presque toute la largeur du mur, il cachait de nombreuses barriques, ainsi qu'un grand nombre d'amphores.

Une femme en chalmide verte remuait à force de louche un des nombreux potages, qui mijotait dans une des marmites de bronze. Deux gaillards s'occupaient à tourner des viandes succulentes, et dorées empalées sur de longues broches, elles rissolaient au-dessus des braises ardentes, mélange, changeant du rouge au noir, palpitations crépitantes des baisers graisseux des quartiers de viande qui rôtissaient.

Des odeurs savoureuses, appétissantes planaient alentour.

Une vingtaine de jeunes filles, simplement vêtues de pagnes longs et étroits, noués à la taille par un fin cordon de satin multicolore, aux poitrines à peines masquées sous une légère gaze, s'affairaient autour des tables chargées de victuailles, elles se laissaient parfois enlacer par la taille, mais rapidement s’en dégageaient avec grâce. Elles entraient et sortaient des alcôves, de lourds plateaux posés en équilibre sur leur tête, cruches gouttant en main. C’était de belles équilibristes, accortes et besogneuses.

Dans cette atmosphère chaude, à la pénombre bienveillante, l'ambiance était joyeuse, festive, on entendait de grands rires sonores, et des éclats de voix. L'auberge était bondée, ce joyeux brouhaha multicolore, contrastait avec le village qui paraissait endormi. Une scène de briques couvertes d'un enduit rouge, hautes d'une coudée*, occupée l'autre bout de la taverne juste à côté de l'escalier de bois, qui montait aux étages, ceux-ci comprenaient des chambres, ainsi que deux dortoirs. Devant la scène, était installé un trépied de bronze sur lequel était posée un loutérion, sorte de grande vasque de Pierre qui contenait une eau parfumée. Une jeune fille réapprovisionnait les nombreuses lampes à huile, dont les flammes tremblotantes essayaient d'éclairer la grande pièce sans trop y parvenir. Garm se retourna, regarda chienne habillée d'une caracalla à la capuche pendante. Son manteau était maintenu par un torque*, dont les extrémités avaient la forme de tampons sphériques d’argent aux torsades dorées. La demoiselle n'avait pas du dépassé 14 ans, elle était belle, fraîche comme une rose qui vient de sortir du bouton. Il avait dû lui ordonner de se vêtir tant elle avait l'habitude de déambuler nue ou presque. La pudeur était un sentiment qu'elle ignorait. Aussi avait-elle revêtu une courte tunique jaune d’un lin très fin, très largement échancrée, qui ne cachait rien des formes gracieuses, de son jeune corps à peine pubère.

Chacun de ses poignets étaient emprisonnés d'une vingtaine de bracelets d'or, d'argent, ou de cuivre, elle avait aussi des joncs d'or en brassard. Tous ses orteils bagués étaient reliés par des chaînettes aux bracelets dorés qu'elle avait aussi aux chevilles. Elle marchait nu-pieds, ses ongles étaient peints de carmin. Garm, en souriant pensa : « Ah les femmes. Je ne lui ai pas plutôt retiré ses fers, qu'elle s'en pare d'une multitude. » Il se remémorait l'heure qui avait précédé leur arriver au fort.

  • Chienne, habille-toi, nous vous allons arriver à Caestrum Heltary.
  • Moi habitude nue être, juste avoir péplos, ceinture de jonc, ou toge ouverte. En ville Lucius tenir en laisse, moi. Emmenait-moi dans ruelle latrinale, faire putain, argent des passes, lui avoir repas, boissons.
  • Tu n'es plus avec Lucius, je suis procurateur, pas un maquereau, alors couvre toi, il va falloir que tu parles mieux ma langue.

La petite l'avait écouté à sa façon, de fait elle était des plus aguichantes. Quant à lui il préférait porter des braies*. Sa cotte de mailles était dissimulée par un gambison de coton, son épée en baudrier pendait dans son dos, sa tenue était bien loin des canons Dominiens, mais il préférait ces habilles barbares. Il se dirigea vers le comptoir, demanda Clodius. Un rouquin bouclé et débonnaire d'une bonne quarantaine d'années apparut, un bandeau de cuir sur son œil gauche, un nez cassé, des boucles d'oreilles ainsi qu'une cicatrice sur la joue complétaient le personnage. Avant qu'il ne se lance dans de tonitruantes salutations, Garm lui fit signe mettant son doigt sur les lèvres, que ce n'était ni l'endroit, ni le moment pour de telles manifestations. Clodius comprit, indiqua une alcôve libre, tous les trois s'y enfermèrent, il tira les panneaux de moucharabiehs, l'aubergiste alluma des lampes supplémentaires.

  • Salut Res Clodius, excuse-moi mais je suis en mission, je ne veux pas attirer l'attention.
  • Salut à toi noble ami, par Junon, quelle surprise ! Mon humble demeure t'appartient. Comment dois-je t'appeler cette fois ? Général, sénateur, légat, ministre, maitre des assassins, ou bouclier de Kazar ! dit-il en riant doucement.
  • Garm suffira, mon ami.
  • Qu'est-ce qui t'amène dans ces contrées sauvages, loin de la capitale ?
  • À vrai dire, je ne sais pas encore mais…

On frappa, Clodius entrebâilla les panneaux, passa la tête, on lui parla à voix basse.

  • Garm excuse-moi, une de mes filles est sur le point d'accoucher, les matrones m'attendent en haut, je reviens dès que possible, en attendant une servante va venir s'occuper de vous. À tout à l'heure, par Jupiter n'en profite pas pour en engrosser une autre, Priape des légions.

Claquant des mains, Il sortit en riant.

Aussitôt une jeune servante aux cheveux teints de bleu, qui cachaient une poitrine menue, entra mains croisées sur les épaules. Elle s'inclina devant ses clients, avant de retirer d'une niche des couvertures, des coussins, avec lesquels elle réorganisa la banquette pourtant déjà confortable.

  • Demandez-moi ce que vous voulez, je suis à votre entière disposition, commandez, et votre humble servante obéira.
  • Manger et boire tout simplement !

Elle repartit et revint rapidement avec un cratère* qu'elle posa au milieu de la table, deux outres lui pendaient aux épaules, l'une de vin, l'autre d'eau.

  • Comment le voulez-vous ?
  • Moitié, moitié.

Elle fit le mélange, disparut à nouveau et réapparut avec un plateau de poissons à la moutarde, ils étaient agrémentés de panais, de navets frits et de carottes. Elle le déposa à côté du cratère. Une de ses compagnes la suivait avec une cruche de vin blanc très frais, et des cornes à boire transparentes. Durant tout ce temps, Chienne était resté debout son flambeau éteint en main. Une servante le lui prit, lui ôta sa capeline ainsi que le torque, qu'elle pendit à une patère. Garm laissa faire, il se débarrassa de son baudrier. Retira son gambison dévoilant sa cote de maille qu'il garda malgré la chaleur, et l'inconfort qu'elle prodiguait. Ils s'étaient maintenant assis, il attaqua le repas. Chienne n'osait rien faire, ne sachant si elle devait attendre, le servir, le cajoler, où manger. Il s'en aperçu, il lui fit signe qu'elle pouvait partager son repas. Alors, d'abord avec hésitation puis rapidement, elle se jeta sur la nourriture et la boisson. Le repas qui s'annonçait, était pour elle le premier festin où elle ne serait pas servante. Avec le poisson on présenta des tartines de caviar. Ce goût étrange, elle le connaissait, souvent Lucius péchait des esturgeons, alors elle pouvait se bâfrer des œufs, et du foie de ces poissons.

Avec la langue elle aimait presser les minuscules billes noires et salées contre son palais dans l'espoir de les faire éclater, c’était délicieux, cela donnait soif, mais le vin était bon et frais. De temps en temps, elle se léchait les mains pleines de sauce, et de chair de poissons. Les moucharabiehs avaient été repoussés, ainsi ils pouvaient observer la salle. Comme ils étaient dans la pénombre de l'alcôve, on ne voyait d'eux que de vagues ombres ripaillant. Des volailles, des viandes fumantes, arrivèrent déjà découpées, elles étaient dorées à point, assorties de truffes, de lentilles, et de bien d'autres légumes. Pour Chienne, dont les repères étaient chamboulés, l'avenir ne serait peut-être pas un lupanar, un harem, ou une crypte sombre, où elle serait sacrifiée. Elle se contentait de se laisser vivre, de prendre tout ce qui était bon. Sa jeune existence d'esclave lui avait appris à ne rien espérer de la vie. De son regard espiègle, elle épiait son maître. Cet homme capable de tuer six soldats, de leur trancher la tête, et de manger un en-cas juste après. Il ne l'avait pas encore battu, pourtant il aurait dû, il avait même eu pour elle bien des égards, il aurait pu tout aussi bien la laisser sur le bateau. Une pensée fugitive l'effraya, voulait-il la laisser là, dans cette auberge ?
Publius entra dans la taverne, il était accompagné d'un petit homme rondouillard. Le colosse quadragénaire à la barbe hirsute mais déjà grisonnante s'exclama.

  • Te voilà arrivé citoyen marchand, je pense avoir mérité mes gages.
  • Si fait, ce qui est promis est dû, tient voilà tes 2 zas d'argent !
  • Pour fêter ça je t’invite ! Ici j'ai table ouverte. Il se tut, et goguenard il ajouta : Comme dans beaucoup d'autres auberges d'ailleurs.
  • Tu te moques.
  • Non tu vas voir.

De par sa stature il était visible de toutes parts, beaucoup d'yeux se tournèrent vers lui. Plusieurs filles, avec de grands sourires se précipitèrent sur Publius comme les abeilles vers leur ruche. Trois d'entre elles lui sautèrent au cou, l'embrassant, le cajolant, lui caressant le torse.

  • Publius ! Comme tu nous as manqué vieille canaille, où te cachais-tu ? tu viens nous réchauffer ?
  • À mes belles bacchantes, je vous ai manqué ? Et à laquelle ai-je le plus manqué ?
  • À nous toutes !
  • Le citoyen et moi avons une faim de loup et grand soif ! Et dites à mon compagnon ce qui nous en coûtera ? Elles se regardèrent et pouffèrent, puis s'adressant au colosse :
  • Tu sais bien qu'ici tu es comme chez toi… Publius regarda le marchand il ajouta :
  • Je te l'avais bien dit, mais aujourd'hui c'est moi qui régale !

Il jeta sur la table 15 zas d'or, l'équivalent de près de 50 zas, une petite fortune.

  • Aujourd'hui c'est l'anniversaire de la victoire de la bataille du plateau de la Lune, j'offre les consommations à toute l'assemblée. Cria-t-il, pour que tous puissent l'entendre, il y eut un grand silence, tout le monde le regardait, le temps sembla suspendu, puis il continua, rajouta cinq autres zas.
  • Ça c'est pour les sacrifices à Bellone, et à Mars.

Il marqua encore une brève pause puis poursuivit en jetant 20 autres zas.

  • Et ça c'est pour vous toutes mes petites ménades*.

Elles crièrent de joie, sautèrent en l'air, battirent des mains, et le dévorèrent de baisers, il s'en dégagea avec peine. Tous les clients l’ovationnèrent, le remerciant par avance de ses largesses.

  • Tu m'as pris 2 zas d'argent, alors que tu possèdes une fortune que tu dilapides sans compter…
  • Minutes Fabius, c'est toi qui m'as proposé cette somme ! Moi je ne t'avais rien demandé ! Son rire puissant, et franc surpris le marchand.
  • Et puis, ce soir ce n'est pas l'anniversaire de la bataille... C'est demain ! Maugréa Fabius.
  • Tu ne vas pas apprendre l'histoire à un ancien primipile* de la septième légion tout de même !

Un jeune homme attablé à côté d'eux intervint. D'une petite voix, presque inaudible, comme pour lui, il chuchota :

  • Il a raison. C’est demain l'anniversaire.

Des regards assassins se tournèrent vers ce jeune freluquet, qui pouvait remettre en question les prodigalités de Publius.

  • Pour un vétéran… Publius leva la main faisant taire le marchand, et le jeune client, riant il prit la parole.
  • Je sais bien que l'anniversaire de la bataille proprement dit c'est demain ! Mais Honorius avait déjà gagné la veille, je sais j'y étais, je vais vous le conter, vous allez comprendre...

Autour d'eux les clients s'étaient assemblés pour écouter. Les danseuses qui sur la petite scène se déhanchaient, n'attiraient plus les regards.

  • Il faut vous dire qu'Honorius, que tous les dieux le prennent en grâce, et le protègent, était tout jeune, pas même 20 ans, il était déjà par dérogation du sénat préfet du prétoire*, à cette époque, tous nos généraux étaient soit morts, soit en fuite, ou dans les prisons du palatin pour incompétence, ou couardise. Cette fonction était à haut risque. Tout le monde l'appelait le chétif, et n'attendait que son échec pour confisquer ses biens, pensez donc, la troisième ou quatrième fortune de l'empire. Mais nous ses soldats, nous étions plus confiants. Il avait gagné notre respect lors de la déroute des Champs du Lys. Il commandait alors la deuxième légion de l'aile gauche, il nous avait sauvé, en nous faisant retraiter en bon ordre, tenant en respect les éléphants, et ce jusqu'aux marais. Ser son lieutenant, réussit même à arracher la cape de Subarnipal qui était pourtant au milieu de sa garde royale. Je m'éloigne quoi que... Je disais, nous étions avec Honorius dans un camp à 10 stades du plateau de La Lune, il avait réuni quatre légions, plus trois légions d'auxiliaires et trois légions Salamandrines dont tout le monde se méfiait, surtout après le Champ des Lys, mais il semblait beaucoup compter sur elles, surtout sur leur légion de cataphractaires. Honorius nous avait entraîné sans relâche, course à pied, maniement des armes, etc. etc. etc.… Bref on voulait en découdre, racheter notre honneur si souvent bafoué. Il nous avait fait construire trois autres camps qui étaient restés désespérément déserts. Les espions de Garm lui avaient assuré que la jonction de trois hordes et de deux armées ennemies se ferait à proximité. Nous, nous attendions sans savoir à quelle sauce on voulait nous manger. Là-dessus on apprend que les cavaliers d'une escouade d'Astural-Bala nous observent. Alors Honorius revêt de riches habilles de diplomate. Les cavaliers s'approchent un peu. Il leur fait parvenir par l'intermédiaire d'un licteur*, et d'un prêtre des auspices un message. Il les convie à entrer au camp, il ne leur sera fait aucun mal, ils pourront repartir libres, entre-temps, il avait dissimulé la majeure partie des cavaliers. Trois des leurs arrivent, notre général les reçoit avec une lyre, en chantant des péans*. Il leurs dit qu'il voudrait s'entretenir avec le chef d'armée Astural-Bala, demi-frère de Subarnipal, que demain serait un bon jour et il apporterait des présents de valeur en gage de bonne volonté, il les fait reconduire à la porte du camp, il leur donne même une bourse de pièces d'or. Les cavaliers interdits ne sachant que penser, prennent l'argent et s'en vont. À peine partie Honorius reprend son uniforme, tout le monde peu l'entendre rire. Quelques heures passent... Un messager se profile sur la crête d'une des collines. Le rendez-vous est pris. Sans attendre il ne nous fait rassembler, improvise un petit discours dans lequel il nous promet la victoire, il nous prédit que l'ennemi n'aura ni éléphants, ni cavalerie lourde, il nous dit aussi que Subarnipal et son armée ne participeront pas à cette bataille. Le lendemain à la pointe du jour, Honorius part pour l'entrevue, elle doit avoir lieu au milieu d'une plaine à 60 stades du camp. Je faisais partie de l'escorte. Nous n'étions 50 solides gaillards dans des armures rutilantes et dorées. Nous montions de très beaux étalons qui piaffaient d'impatience. C'était le printemps, et comme aujourd'hui il faisait déjà chaud. Une litière nous attendait à quelque distance du rendez-vous. Honorius démonte, choisit quatre soldats pour porter la litière, y prend place, et nous continuons notre chemin. Astural-Bala nous attendait déjà avec 50 de ses cavaliers. Sous un dais de taffetas, il était assis sur un tabouret au centre d'un cercle sacré tracé par les prêtres. Les féciaux* tout de blanc vêtu, qui présidaient aux traités de paix, et aux déclarations de guerre étaient aussi conviés, ils avaient du mal à garder les plis de leur toge orthodoxe. Avec son épée, Astural-Bala dessinait de la pointe, des motifs étranges, qui sur le sable avaient des airs d'incantations. Il était énervé, et cela se voyait. Les prêtres devaient veiller au bon déroulement de cette cérémonie. Quand notre chef descendit de sa litière, il était habillé d’une ridicule robe de tragédien, il faillit même tomber en marchant sur l'un des plis de sa toge. On entendit des rires moqueurs venant des rangs ennemis, et même des nôtres. Les prêtres jetèrent du sel, et allumèrent des bâtons d'encens.
  • Ton empire n'a donc que des mignons à nous proposer ! Où sont vos généraux ?
  • Vois, général, je t'apporte des paroles d'apaisement, et tu critiques mon habit, Je suis ici pour parler au nom du peuple de Domina, je représente le Sénat. Je peux si tu le désires, signer la paix, j'ai six coffres d'or pour l'acheter.
  • Qui a parlé de négocier ? certainement pas moi. Qui m’empêchera de saisir ton bien ?
  • J'ai quatre légions qui t'attendent de pied ferme, ce n'est pas un barbare qui va nous dicter sa loi, et puis j'attends de nombreux renforts, comme toi je suppose ? On m'a dit que ton très noble, très honoré, et très puissant frère, était encore à cinq jours de ton camp, je crois que tu devrais l'attendre, c'est lui le généralissime après tout ! C'est déjà bien que Je consente à te faire des propositions, et si je n'arrive pas à conclure avec toi... Je pourrai toujours tenter ma chance avec ton frère. Après un court silence il reprit. Tu lui diras que je voudrais lui rendre sa cape, il l'a perdu en s'enfuyant devant mes hommes... N'est-ce pas Ser ? Un homme à cheval opina du chef, son cheval racla du sabot.
  • D'ailleurs, ne vois-tu pas que mon aide de camp Garm, qui la porte, et avec élégance de surcroît… Il embrassa ses doigts, et souffla dessus en direction du chevalier. Astural-Bala semblait perdre le peu de calme qui lui restait, les veines de son cou se gonflaient, il s'empourprait serrant fermement le pommeau de son épée. Pour l'exaspérer un peu plus, Honorius lâcha :
  • Oui tu devrais l'attendre, mes renforts seront arrivés un peu avant ton frère. N'en pouvant plus Astural-Bala s'emporta :
  • Fillette, avant demain soir tu iras saluer Caron, je dormirai dans ton lit, ta tête sera plantée sur une pique devant ma tante, et tout ton bel or sera mien. Mais si tu te rends maintenant, je ne ferai que te châtrer pour que tu puisses mieux chanter mes louanges à ton sénat de vieux fous. Sauve-toi avant que je ne rompe mon serment, et que je déshonore le cercle sacré.
  • Bon puis-ce que tu le prends ainsi, mon or t'attendra au sommet du plateau de La Lune, vient le chercher si tu en es capable, mais auparavant, je t'avais promis un cadeau, voici une pièce d'or, la seule que tu pourras tenir dans ta main.
  • Puisque nous en sommes aux cadeaux d'adieu voici le mien, et profites-en bien. Il te reste peu de temps. Il leva la main, et un jeune éphèbe nu apparu, sortant des rangs, il avait un sexe long de près de trois paumes, il portait une ceinture de fer à laquelle ses poignets étaient attachés. Il avait été outrageusement maquillé, sa chevelure blonde et bouclée était parsemée de marguerites blanches, le bout de son gland était percé d'un anneau, auquel pendait des grelots. Le général se leva.
  • Suffit ! Par Mars et Jupiter, brisons là, j’ai assez ri, j’ai des ordres à donner.
  • Il sauta en celle, son cheval impatient soufflait des naseaux, remuait de la croupe. Il s'évanouit avec toute sa troupe, laissant derrière lui un nuage de poussière, des bruits de galop et de hennissements de chevaux. Honorius retira sa robe sous laquelle il avait une lourde cotte de mailles, il prit la monture d'un des nôtres.
  • Ne traînons pas, par Junon, on a une victoire à préparer. Que ceux qui sont à pieds courent aux chevaux. Tous au camp ! Ser du menton désigna l’éphèbe.
  • Et lui ! Qu'est-ce qu'on en fait ?
  • On l'emmène, j'ai des projets, il ne pouvait pas mieux tomber ! Publius arrêta son récit, trempa une coupe dans un cratère de vin pur, il en but une bonne lampée, claqua la langue contre son palais, se passa le revers de la main sur les lèvres et se tue.
  • Voilà dit-il !
  • Comment voilà ?
  • Et oui il avait gagné, il savait que ce fou d'Astural-Bala était âpre au gain, corrompu, et qu’il était aussi téméraire qu’avide. Il était moins habile stratège que son frère, il ne voyait que l'or qui d'ailleurs n'existait pas. Il combattrait là où Honorius le voulait, le piège se refermait inexorablement sur lui, il y fonçait tête baissée, comme le Minotaure face à Hercule. Il pensait que le nombre déjà important de son armée suffirait. Il ne voulait pas attendre son frère, les lauriers de la victoire, il les voulait pour lui seul.
  • Notre bien-aimé empereur que les dieux le bénissent, était aussi dans ce cas je suppose…Dit une voix qui s'échappa de l'assemblée des spectateurs.
  • Sancus, Dieu des serments m'est témoin que non ! S'offusqua le colosse. Un autre repris :
  • Oui, lui aussi il aurait dû attendre les renforts, je suppose que les camps vides étaient faits pour eux ?
  • Minerve, a été bonne avec notre empereur, il n'y avait pas d'armée de secours, nous n'attendions personne, les camps étaient des leurres.

Au matin du lendemain nous étions tous rassemblés dans le camp, tous armés, et prêts au combat. Sur le forum il fallait voir les dizaines de milliers de scutums, aux couleurs du Sénat posés contre nos hanches. Voir nos loricas recouvertes d'argent étinceler au soleil naissant. Voir nos pilums aux poids de plomb dirigés vers le ciel comme des haies mortelles. Devant le praetorium*, personne, seul le drapeau blanc indiquant le centre du camp flottait au vent. Nous étions là, tous réunis dans un silence mystique, le regard dirigé vers la tante rouge. Soudain dans un bruit de cavalcade descendant la via principalis, Garm arriva au galop, démonta d’un cheval gris métal couvert d'écume, il entra rapidement dans le praetorium, la tenture de toile claqua derrière lui. Des valetudinaria on vit s'avancer les prêtres, les féciaux, les haruspices* et les auspices. Ils poussaient un mouton, un porc, et un taureau, tous étaient richement parés et décorés de guirlandes de fleurs.

Devant eux, les musiciens jouaient les airs sacrés du suovétaurile. C’était la première fois que je les voyais non pas en tuniques, mais en grand uniformes, ils portaient leurs cottes de mailles, et une peau de loup par-dessus leurs casques, les cornicines soufflaient dans leurs cornus, les tubicines levaient vers le ciel leurs instruments, appelants la bienveillance de Mars. Ils arrêtèrent devant le forum, Ser, Garm et d'autres officiers sortaient de la tante, à son tour, Honorius apparut. Les cris, les Ave retentirent comme le tonnerre de Jupiter, qui en plein été fait trembler les chaumières. Les légions saluaient leur chef. Il leva un bras vers la foule, mer humaine figée, tous se turent. Seul le cliquetis des armes, et le bruit du vent, faisant claquer drapeaux, enseignes, et fanions, sans doute la main de Mars passait elle sur nos têtes. Il était vêtu à la manière des salamandrins, une armure d'écailles métalliques, qu'ils appellent haubert recouvrait son corps, son capuchon était défait, dans sa main il tenait son casque à nasal. Il s’en coiffa avec autant de solennité, autan de majesté que s’il s’agissait d’une couronne, ou de lauriers. Le sacrifice des animaux allait pouvoir commencer, d'abord ils firent trois fois le tour du forum, Honorius prononça la formule des prières, qui convenaient à l'holocauste, ce fut un prêtre, dont la tête était recouverte d’un pan de sa toge, qui immola les victimes. Il leur asséna un coup de merlin avant de les égorger. Je me souviens que le bœuf, dans un grand meuglement déchirant plia des pattes avant, que sa gorge ouverte inonda de sang le tibicen assistant du sacrifiant, qui jouait de sa flûte. Et je pense, que nous devions tous, malgré notre multitude entendre le son aigre de cette musique sacrée. Le sang maculait les sacrifiant, les toges blanches des prêtres comme des éponges, s'imbibaient de ce don sacré. Sur le focus qu’on avait préalablement monté, et consacré devant la tente du général, les haruspices, sur l’autel mobile y étalèrent les viscères des animaux. Le feu sacré brûlait dans une vasque d'airain, pendant que Honorius jetait du sel, de l'encens, et versait une patère de vin, les auspices se concertaient devant les foies des victimes, leurs mains ensanglantées fouillaient la masse sanguinolente des viscères, les relevant au-dessus de leurs têtes. Nous étions tous suspendus à leur verdict, nous savions que nos ennemis étaient beaucoup plus nombreux que nous, et qu’ils nous avaient déjà plusieurs fois défaits. Mars, Minerve, Jupiter, Bellone, tous nos dieux ne seraient pas de trop en cette heure fatidique. À cet instant, toutes les musiques s'arrêtèrent. Honorius retira son casque, le remplit du sang des animaux sacrifiés, en bu, et le tendit à tous ses officiers qui l'imitèrent. On le lui rendit, il s'en coiffa, sa tête se macula d’écarlate. À ce moment le tibicen repris seul un air qui s'éleva vers les cieux. Il s'arrêta brusquement. Le prêtre dont la tête était recouverte de sa toge, se tourna vers Honorius, dans ses mains toujours levées, il tenait les viscères palpitants, encore fumants. Puis il pivota vers les 3 autres points cardinaux. Il cria, les auspices sont exceptionnellement bénéfiques. Toutes les légions poussèrent des cris de joie, et des hourras. Pendant un long moment les glaives heurtèrent les scutums, faisant un boucan de tous les diables, les boucliers comme des tambours raisonnaient, ils auraient rompu les charmes les plus puissants de Morphée. Notre chef était maintenant debout sur un bouclier, porté par quatre légionnaires revêtus de phalères d'argent, parmi eux il y avait Clodius votre aubergiste. Les clients manifestèrent leur admiration bruyamment, puis rapidement on entendit :

  • Des chut ! Des : Silences ! Et des : Continue Publius !
  • Je reprends donc, le chétif était sur le scutum, il nous fit un beau discours plein de vigueur, il nous galvanisa, et tous les soldats par moment, pour ponctuer son allocution, tapaient leurs gladius sur les boucliers, bruits de tonnerres roulants, qui par-delà les monts annonçaient la puissance de Domina, qui comme le Phénix renaissait. Je me souviens qu'il nous avait dits.
  • Aujourd’hui vous ne combattez pas pour moi, pas pour un général, nous n'avons pas de renforts, le Sénat préfère garder ces armées au chaud des casernes, personne ne viendra combattre, et mourir à nos côtés. Mais soldats, les dieux sont avec nous, pour leur gloire, pour la nôtre nous vaincrons. Il répéta trois fois nous vaincrons. À ces mots un grand aigle traversa le ciel, et vint se poser sur l'insigne de la légion. Aigle vivant, sur aigle de bronze doré. Honorius cria :
  • Messager des dieux va dire à Hadès, Mars, et Vulcain que nous combattons pour Jupiter, et l'empire. Vol vers le temple de Janus aux portes grandes ouvertes. Notre victoire, nous te l'offrons messager de Jupiter. À ces mots, l'oiseau divin avec de lourds battements d'ailes, s'arracha de son perchoir pour prendre la direction de la capitale.
    Garm, du fond de son alcôve écoutait en mangeant, il sourit. Il observait avec amusement l'ancien légionnaire raconter cette bataille dont il avait été l'un des stratèges, Chienne, bien que silencieuse comme il sied à une humble esclave, restait attentive malgré le vin, cette histoire pourtant ancienne la captivait. Garm se souvenait des semaines de dressage secret, pour que cet oiseau fasse de façon naturelle, ce qui passerait aux yeux de tous pour un prodige. Il avait fallu beaucoup de temps, et beaucoup d'or. Il avait eu du mal à trouver un homme connaissant cet art. C'était une idée d'Honorius jamais à court de stratagèmes. S'il ne le connaissait pas, il l'aurait pris pour un descendant d’Ulysse, l'homme de toutes les ruses. Avec Ser, il avait dû parcourir les steppes glacées de l’ouest sauvage, pour trouver cet oiseau rare. Partager un temps la vie des nomades, et pire que tout, manger des yeux de moutons, et des queues de yak confites de graisse, se souvenir lui était plus pénible encore que la bataille. Il est vrai que le vieil homme aux yeux bridés, à la peau de parchemin avait bien mérité son argent, le résultat avait dépassé toutes leurs espérances. À parcourir ces vastes étendues désertes, sur cette mer immobile hésitante entre le blanc, et vert, il avait pris conscience d'une chose, il n'était pas simplement un oublié de la mort. Parler avec ce chaman avait changé sa vie. L’envolé du rapace était devenue un mythe, même la septième légion avait été rebaptisée, légion de l'aigle couronné, seul corps d'armée où les enseignes étaient deux aigles jumeaux. Dans la salle, au fur et à mesure du récit, le visage de Publius s'illuminait, ses gestes étaient plus exubérants. Les clients verres ou chopes en main se pressaient, buvant beaucoup, jouant des coudes pour voir la représentation de cette bataille, reconstituée avec des aliments, scène étrange ou des armées de fèves faisaient face à des navets, où des carottes prendraient à revers des tranches de pain. La petite esclave rongeait la carcasse d’une grive, elle en suçait les os, en aspirait la moelle, elle remarquait bien que son maître était ailleurs, perdu dans ses pensées, happé par son passé.

Elle cherchait comment lui adresser la parole, comment le questionner.

Elle eut l'idée de lui verser à boire, elle lui tendit une corne de vin rouge et capiteux, il la remercia, elle ne se lassait pas de l'entendre dire ce simple mot… Merci.

C'était comme une caresse, comme un baiser posé sur son cœur.

  • Maître, lui parler de toi ? Toi être ce Garm-là ? Il haussa les épaules, et acquiesça
  • Maître, pourquoi triste ? Toi gagner.
  • Je ne suis triste que pour toi petite, si Publius raconte toute l’histoire, tu comprendras pourquoi. Écoute bien la fin si tu ne t’endors pas avant, car Publius est un fameux bavard. Je me demande ce que fait Clodius, sa servante met bien du temps à enfanter. Murmura-t-il pour lui-même. Il reporta son attention sur le récit épique que Publius mettait en scène. Il en était au moment où toute l’armée en haut du plateau de La Lune attendait l’apparition de l’ennemi. Garm, baignait dans sa transpiration, ce symptôme apparaissait à chaque fois qu’il se remémorait un de ses nombreux combats, bientôt il aurait aussi les mains moites, il les posa à plat sur la table de bois, seul remède qu’il avait trouvé à ce mal. Il reprit le fil de l’histoire, le légionnaire décrivait le positionnement des légions, des cohortes, des phalanges, et des escadrons de cavalerie.
  • Nous étions placés sur les hauteurs d’un plateau, qui ressemblait à un croissant ouvert vers le levant. Là où la pente était la plus abrupte, et sur une ligne, il y avait les cohortes*. Au nord les phalanges Salamandrines, toutes de rouge vêtue, avec leurs oplonds dorés décorés d’un T rouge, elles n’avaient qu’un seul mot d’ordre, tenir la position, ne pas reculer d’un pouce. Au sud les prétoriens, derrière cette rangée de fantassins, les compagnies d’auxiliaires, archers et frondeurs, qui avaient une grande profusion de flèches, chacun d’eux avait enterré à ses pieds un vase de terre cuite rempli d’huile de naphte. Sur la droite à côté des prétoriens, formant l’angle du front, un bataillon d’élites dont votre serviteur Publius. Disant cela il se redressa et montra ses biceps. Quelques curieux les lui tâtèrent, ils étaient encore impressionnants et durs malgré son âge.
  • En plus des pilums, nous avions des plumbataes, petites flèches aux longs dards plombés, vous savez on les prend par la queue, et on les jette à la façon des jeux de boules.

Publius continua avec des airs mystérieux, qui s’accommodaient bien avec l’atmosphère enfumée et sombre de la taverne.

  • Or donc nous étions tous là, l’arme au pied à attendre, la matinée tirée sur sa fin sans aucune activité, nous prenions le frais, les cantinières nous apportaient à manger, et à boire, pour certains ce serait leur dernier repas. Pour passer le temps chaque centurie, chaque manipule, chantait des airs martiaux qui s’envolaient comme les oiseaux dans ce ciel serein. La musique des légions amplifiée par le vide de la plaine, qui s’étalait à nos pieds voulait appeler la faveur des dieux. Du côté des Salamandrins nous entendions leurs chants étrangement graves, des chants lents, qu’ils appelaient des Te Deum.
  • Publius tu nous la fais emphatique ? Tu te prends pour Homère.
  • Je crée l’ambiance, j’ai oublié le plus important. Abrités des regards, derrière le plateau, masqués par des murs de fascines* emplies de terre, les escadrons de cataphractaires* pieds à l’étrier attendaient. Au sud dans les hautes herbes, de la pente douce, étaient tapis les vélites*. On avait érigé trois grands mâts au centre du plateau près de la tente de commandement. Les éclaireurs allaient, et venaient au galop, démontaient, couraient sous l’abri de toile. Au milieu de l’après-midi Garm, l’un des généraux d’Honorius, arriva sur son cheval gris métal couvert d’écume, imitant les éclaireurs, il disparut sous la tente, ressortit, pour décamper avec une escouade d’archets montés, des farouches mercenaires des steppes de l’Ouest. À son nom Garm replongea dans ses souvenirs. De cette dernière entrevue avant les combats, il se souvenait des phrases lapidaires que Honorius adressait à son frère.
  • Dis-moi Ser, Plotu le chef des alaes me dit que la situation est désespérée et toi qu’en penses-tu ?
  • La même chose que toi frère, que Plotu s’occupe de ses unités de cavalerie auxiliaires, et qu’il te laisse le soin de la stratégie, je suppose qu’il veut retraiter ?
  • Tu sais Plotu, une armée qui bat en retraite n’a aucune tendresse pour celui qui la commande. Et nous avons la meilleure situation possible. J’ai reconnu ce terrain il y a déjà six mois, même Ser qui est prudent me pousse à combattre, de toute façon tu es la réserve, et je compte sur toi pour m’appuyer, dès mon appel rappliques, tu es ma botte secrète, tout peut dépendre de ta célérité.
  • Général si demain tu échoues, les dieux seuls auront pitié de toi, et encore. Plotu sortit après un bref salut.
  • Tu le laisses sortir ? Après ce que tu sais de ses intentions. Avait-il dit surpris.
  • Ne t’inquiètes pas, j’ai un œil sur lui, et j’espère qu’il me trahira au moment que je choisirai.
  • Par les dieux, si tu gagnes, tu honoreras l’art de la guerre.
  • Tout n’est que mensonge, et duplicité, tu verras la carte Plotu va nous ouvrir Domina.
  • Que les puissances t’entendent, et on verra bien.
  • Laisse les dieux où ils sont, on verra bien. Et c’est vrai on avait vu.

    Publius imperturbable continuait son récit.

Le ciel était devenu orangé, les nuages s’étiraient, rouges comme la promesse du carnage futur. Enfin Honorius apparut sortant de sa tente, son air calme, et serein nous tranquillisa, il monta sur une petite estrade et nous dit :

  • Allez les gars, il est temps de leur botter le cul ! Il leva sa longue spatha, et son bouclier en amande vers le ciel. Des hurlements de joie retentirent, la frénésie du combat nous gagnait. Les dracos furent hissés aux mâts. Ces enseignes de toile ressemblant à des dragons à la gorge gonflée par le vent flottaient, faisant face aux armées ennemies, qui se profilaient au loin. Les Sarmathis, et les Picthys, débouchaient avec armes et bagages sur notre gauche, ils passaient au large de nos phalanges. Une véritable marée mouvante, tumultueuse, je vous dis, une nation en marche. On entendait le grincement des essieux de leurs chariots aux grandes roues de bois, qui se rangeraient en trois grands cercles fortifiés. Bientôt les guerriers quitteraient leurs familles pour former leurs lignes de batailles, ils se jetteraient sur nous comme des fauves assoiffés de gloire, et de sang, leurs femmes peintes, à demi nues debout sur leurs chariots, les encourageraient de leurs cris gutturaux et même de leurs bras. Ils allaient s'assembler en de gros bataillons carrés, des masses compactes vociférant qui transpiraient la haine, c’est à vous donner la chair de poule ces trucs-là. Devant eux, une longue haie de soldats nus, peints en bleu, ou en rouge, des petits vicelards, qui se moquent de leurs ennemis en jouant avec leur sexe, avant de vous couper en rondelles, faut dire qu’ils sont armés de longues lames ou de haches à longs manches affutées comme des rasoirs, c'était leurs fous de guerre, les fiancés de la mort comme ils disent, une de leurs divinités Barbare. Ils couraient en ligne au-devant de nous, nous hurlant des insanités, espérant nous voir accourir à leur rencontre. Mais la vague déferlante s'arrêta au pied du plateau, nous attendions le reflux mais il ne vint pas, ils restaient là, gesticulant à nous narguer. Caltus, le chef de l'artillerie fit sonner les trompes, le tiers les machines réglées à moitié de leur puissance tirèrent, une masse impressionnante de projectiles traversa le ciel, pour s'abattre entre l'avant-garde barbare, et le gros de leurs troupes, bruits sourds des blocs qui roulaient dans l'herbe, l'échec patent de cette salve fit gronder de joie les assaillants, Caltus donna des ordres et une seconde salve s'envola avec le même résultat. Ivre de joie les barbares sautaient sur place, agitaient leurs armes, et se moquaient de nous. Ils ne savaient pas que nos tirs étaient volontaires, Caltus fit recharger l'artillerie avec des projectiles incendiaires la hausse était maintenant réglée au maximum, il attendit que les bataillons ennemis se soient fixés, sûr d'être hors de notre portée. La salve partit, hurlante, comme si toutes les harpies avaient jailli hors des enfers. Le ciel se zébra de flammes, et de fumées, comme si un volcan réveillé de sa torpeur entrait soudainement en éruption. Ce fut un carnage, une hécatombe, nous entendions distinctement leurs hurlements de douleur, leurs lamentations, les falariques* avaient embrochés des rangés de combattants, semant la terreur, la joie changea de camp. Nous regardions ces torches humaines s’agiter en tous sens avant de s’effondrer, cela ressemblait à une fourmilière sur laquelle on aurait posé le pied. Leurs chefs hurlaient des ordres, leur demandant de nous charger en formations dispersées, ils couraient à perdre haleine, espérant ainsi échapper à notre artillerie, mais deux autres slaves firent d’autres coupes claires parmi les barbares, ils arrivaient sur nous encore beaucoup trop nombreux, multitude vociférant qui tombait maintenant, sous les traits enflammés des tires plongeants de nos archers, leurs pots de naphte avaient depuis longtemps été allumés. Des nuages de flèches s’élevaient presque à la verticale, pour retomber comme une pluie d’orage sur nos adversaires, on entendait le crépitement des traits sur leurs boucliers ronds, puis après quelques secondes, les hurlements des blessés, et le silence de la stupeur, puis ils repartaient à la charge, toujours hurlants, toujours innombrables.

Garm regardait sa petite esclave qui malgré sa volonté s’était endormie, elle était allongée de tout son long sur la banquette. Abandonnée dans les bras de morphes, sa respiration lente trahissait son profond sommeil. Il lui glissa un oreiller sous la tête, la recouvrit d’une légère couverture bigarrée, après quoi il referma les moucharabiehs et s’allongea lui aussi à ses côtés. Inconsciemment elle sentit sa présence et se blottit dans ses bras comme un petit animal. Il aurait aimé lui caresser les cheveux, mais elle n’en avait plus. Il s’assoupit un instant. Publius avait fini son récit, et le silence qui suivit réveilla Garm, il se leva, s’approcha du moucharabieh, il entendait Publius qui allait au comptoir.

  • Bougres de putains des dieux, où est ce coquin de borgnes de Clodius, il m’avait pourtant promis …

Le colosse se tue, il venait d’entendre, venant d’une des alcôves une petites mélodie sifflée doucement. Sans hésitation, il se dirigea vers le renfoncement d’où venait le petit air, la chanson secrète des arcanis.

Devant le pare à vent de bois sculpté comme de la dentelle, il s’immobilisa, et tout aussi doucement, il sifflota lui aussi un autre air, celui de la reconnaissance des fils de la louve.

Les panneaux coulissèrent et se furent des retrouvailles, de frères d’armes, de grandes tapes dans le dos.

  • Par Junon, on m’avait dit que tu étais rentré de Salamandragor, mais je te croyais à Domina, qu’est-ce que tu fais ici ?
  • Une bien longue histoire, pleine de surprises. Et toi, que fais-tu à dilapider de pareilles sommes ?
  • J’appâte. Une bande de pillards écume la région, et j’attends qu’ils se manifestent, dans la salle j’ai quinze gars à moi, aussi discrets que moi je suis voyant. Ces pirates ont même volé les plans d’Aquilata.
  • Ne cherche plus, à l’heure qu’il est, ils doivent rendre des comptes chez Hadès.
  • Comment ?
  • Comme je te le dis, c’est une longue histoire.
  • J’ai tout mon temps, et à propos que fait Clodius ?
  • Une de ses filles accouche, il ne devrait pas tarder. Mais en attendant viens boire un pot, et fais-moi ton rapport.

Alors Clodius lui parla des désordres qui régnaient aux marches de l’empire. Des agitateurs qui sous couvert de prosélytisme fomentaient des révoltes, des refus de levés d’impôts. Cela aller mal, et puis ces bruits au sujet de l’apparition de cette étrange horde, celle des hommes miroirs, que l’on appelait aussi armée de Mùspell, ou de Niflheim. Sauvages parmi les sauvages, grossière, et violente humanité que l’on disait descendues des lointaines terres glacées, d’au-delà de l’Hyperborée, où des montagnes cyclopéennes de la ceinture de feu clôturaient les terres connues. Les rumeurs les plus folles couraient à leur encontre. Il finissait son exposé quand Clodius entra, ils fêtèrent la naissance d’un garçon, un petit Auréus, après quoi ils montèrent à l’étage où des chambres les attendaient.

Garm portait sa petite esclave endormie. Il la coucha, la borda, sous le regard goguenard de ses deux amis. Ils se retirèrent dans un petit salon contigu à la chambre, où ils burent, discutèrent encore un long moment du bon vieux temps, du temps où l’on tranchait quantité de têtes. Du temps, où l’on chargeait lances baissées les phalanges en déroute. Mais ce temps revenait, sauf que maintenant, ils étaient plus vieux. Ils se donnèrent rendez-vous au matin, dans la chambre de Garm, avant d’aller au castrum. Mais avant, ils devaient tous comme le veut la tradition, aller congratuler la jeune maman, ils franchirent le seuil d’une porte décorée de couronnes de fleurs, là déjà des jeunes filles s’extasiaient sur la ressemblance du nourrisson avec la maman, l’enfant était déjà enveloppé d’un lange blanc. On avait déjà paré les seins de l’accouchée avec des bandelettes préparées dans le temple.

  • J’ai demandé à trois serviteurs de faire une ronde autour de l’auberge, afin d’écarter le vilain dieu Sylvain*. Ils portent la hache le pilon, et le balai, comme le veut la tradition. J’ai même fait dire des prières à Intercidona et à Deverra.
  • Demain je ferais des sacrifices à Junon. Ajouta Publius.
  • Je t’en prie Clodius, laisse-moi allaiter ma fille, je ne veux pas d’une nourrice. Je veux être tout à fait la mère de mon petit.
  • D’accord belle enfant, comme tu voudras, de toute façon, je trouve la coutume de la nourrice stupide, et ta poitrine est assez opulente pour satisfaire tous les enfants de Chronos.
  • Pour ma part je fournirai la bulle* qu’on lui attachera sur le front, et elle sera en or. Annonça Garm qui n’avait encore rien dit.

Publius se retira, appela trois jeunes filles pour chasser l’ennui d’une nuit solitaire, il avait assez de vitalité pour en satisfaire bien plus, mais il fallait rester modeste, des fois que … On ne sait jamais. Clodius quant à lui descendit aux cuisines pour surveiller la fin du service, et apporter quelques nourritures à ses serviteurs qui montaient la garde.

Garm regagna sa chambre, s’allongea nu auprès de sa jeune esclave endormie. Nu près d’une adolescente, presque-une enfant, alors que tout bon Dominien aurait dû garder sa tunique, il sourit en s’endormant pensant à Honorius qui faisait de même. Étaient-ils de bons citoyens, de bons quirites* ? Peu importe, ils avaient le pouvoir, et les choses changeaient selon leurs bon vouloir. À la pointe de la fraîche aurore, Garm se réveilla, il laissa dormir sa compagne, après s’être débarbouillé, et avoir passé une tunique, il descendit prendre un petit déjeuner, il commençait à craindre par-dessus tout la cuisine de Chienne, qui bien que pleine de bonne volonté était toujours aussi exécrable.

Clodius était déjà aux cuisines devant ses fours à pains, il regardait ses boulangers fleurer, c'est-à-dire qu’ils prenaient de la farine pour la souffler sur le plan de travail. Un des fours était ouvert irradiant sa chaleur rougeâtre, on sentait une forte odeur de thym qui s’en échappait, Clodius en faisait mettre de grandes quantités pour l’allumer. Garm et lui s’assirent là sur un banc, ils discutèrent de banalités en regardant la fournée bronzer, ils attendaient le moment où l’on retirerait les nombreux pains réservés aux légionnaires, et à l’auberge, les miches finiraient de refroidir dans le chariot qui monterait vers le fort.

  • Tiens, je sais que tu aimes le bon pain. Dit Clodius en rompant une miche toute fumante, qui répandit ses parfums subtils alentours, il en tendit une moitié à Garm. Je fais venir mon blé des plaines de la Baussette, c’est le meilleur, tu sens cette odeur ? Goûte !
  • C’est vrai qu’il est bon.
  • Il n’est pas bon, il est excellent, tu sens cette saveur de noisette ? Il n’attendit pas la réponse pour ajouter. Je laisse la pâte mûrir, et fermenter lentement, et je te dis pas comme mes boulangers la pétrissent. Bon je parle, je parle, et tu dois avoir faim après la nuit passée avec cette jeunette. Pour ma part, j’ai cette nuit fait un rêve de bon augure, oui j’ai rêvé d’épines et de bracelets de fer.
  • Oui je sais d'après le livre des songes d'Artémidore, rêver de fronts d'airain, ou de fer, porte bonheur aux aubergistes, et aux douaniers. Et il ajouta sur un ton rigolard :
  • On dit cela pour tous les gens sans scrupules, et voir des épines en songe, est d'un augure spécialement favorable, pour les brigands, et tous ceux qui trichent sur le poids, et les comptes, parce qu’on dit qu’ils ont tous l'habitude de tondre, et de plumer les gens, de même que les épines arrachent la laine aux moutons.

Clodius partit d’un grand rire, et prépara une fournée d’œufs au sable pour un petit déjeuner digne de ce nom, ils continuèrent à deviser de choses, et d’autres, Clodius semblait intrigué par la présence de Chienne, et par les attentions que lui prodiguait Garm.

Il se moqua gentiment de son chef qu’il ne connaissait pas si tendre.

Garm n’essaya pas de s’en défendre, ne voulant pas prêter plus le flan à d’autres plaisanteries, il attendait juste la venue de l’escorte qui le conduirait au camp, déjà il avait une idée de la suite, et des ordres à donner, mais les soldats n’arrivaient pas. Alors il fit porter un petit déjeuner dans sa chambre.

Quand il y remonta, Chienne dormait toujours.

Il ne put résister à l’envie de la découvrir, c’est vrai qu’elle était plus que belle. Il pensa qu’entreprendre d’en faire le portrait serait œuvre téméraire et imprudente. Décrit-on une fleur ? On la regarde longuement en retenant son souffle, on l'admire en silence, on l'aime délicatement, on tremble de l'effeuiller. La fraîcheur délicate et odorante de sa peau, son absence totale de pilosité la rajeunissait plus encore…

Le vert émeraude de ses yeux qui faisait de cette enfant un type de grâce, tel que les plus grands peintres l’auraient pris pour modèle.

Ainsi était-elle cette charmante dormeuse, ainsi était son trophée, son esclave. Plus belle encore, que de celle dont il croyait que c’était la fille. « Par Cupidon, je suis en train de tomber amoureux d’une gamine, d’une petite pute, et qui est peut-être une princesse, les Dieux me damnent ! » songea-t-il. Astrid, était-ce le prénom de celle qu'on appelait indifféremment Chienne, et que pour son bon plaisir, il nommerait Xanthie.

Car s’il est vrai que donner un nom à un objet c’est déjà le posséder, il voulait que Chienne fût désormais sa compagne, celle qui ne pourrait jamais le congédier.

Il la réveilla d’une claque sonore sur ses fesses aux deux jolies fossettes. Elle sursauta et s’excusa d’avoir encore tant dormi.

Il rit.

Elle prit au bord du lit la position de la levrette creusant ses hanches, prête à le recevoir.

Il eut envie de lui dire qu’elle n’était plus une esclave sexuelle, mais il n’en fit rien.

Il lui caressa la vulve, il la sentit frémissante. Il lui redonna une petite claque sur les fesses.

Il se contenta de lui dire qu’il n’avait pas le temps, mais qu’elle pouvait se restaurer tranquillement, elle lui répondit avec son accent étrange qu’il était son maître, et elle son esclave, et qu’elle avait l’habitude d’être prise même pendant qu’elle mangeait, cela l’amusa, mais il pensa qu’il avait trop abusé d’elle, même si c’était comme elle le disait son esclave.

Elle avait le museau dans une bouillie d’avoine, de lait, et de miel mélangé, elle était heureuse, elle se régalait, négligeant la cuillère. Il la lui mit sous son nez.

  • Petite, si tu veux me suivre, il va falloir que tu apprennes à manger proprement.
  • Bien maître. Elle prit la cuillère à pleine main. Ce n’est pas gagné pensa-t-il.
  • Maître sûr pas vouloir baiser ? demanda-t-elle entre deux bouchées.

On frappa à la porte, c’était Clodius et Publius, il les fit entrer, ils avaient tant partagé d’épreuves, de champs de bataille et de filles à soldats, qu’ils n’avaient plus de ces vaines pudeurs les uns envers les autres.

Il leur demanda si des légionnaires s’étaient pointés. Ils lui répondirent que non, mais qu’eux, venaient aux ordres.

Clodius admira en connaisseur la beauté, et la fraîcheur de Chienne, ainsi que la carrure de son commandant, qui tout en donnant ses directives, s’était déshabillé pour se changer.

Chienne toute nue au milieu du lit, assise les jambes largement écartées finissait son écuelle, elle la léchait, elle était fort mal élevée.

  • Viens plutôt me laver. Gronda-t-il gentiment.

Puis pendant qu’elle lui passait l’éponge, et le frictionnait, il finit de donner ses derniers ordres. À qu’elle belle invention que le savon. Il se souvenait quand dans son jeune temps alors qu'il devait passer pour un autochtone, il devait s’enduire d’huile d’olive avant de passer le strigile*.

Ce fut après leur victoire contre Igfride que dans ses bagages on découvrit ces pains que lui connaissait, et qui permettaient de se laver de sentir bon, et cette découverte de la mousse, plus que l’or des vaincus, le savon était l’une des plus belles prises de guerre.

Clodius, toujours en connaisseur, se permit quelques remarques du genre :

  • Par Vénus, je pense que cette jeunette est une acheveuse d’homme ! Elle doit sucer, et branler son homme comme une déesse. Je parie qu’elle est du genre à t’épuiser, et de laisser sur le flan comme un lapin ! Où là tu trouvée ?
  • C’est le cadeau d’adieu de quelques légionnaires étourdis.
  • Étourdis dis-tu ?
  • Oui au point d’en perdre leurs têtes.

D’autres que ses amis ne se seraient point permis de telles remarques, mais Garm, loin de s’en offusquer, appréciait la vie des camps, et le langage direct voir cru. Alors qu’elle lui savonnait le dos, il ne put s’empêcher d’ajouter :

  • Oui, je puis vous dire qu’elle est adroite en amour, elle connaît sur le bout des doigts, et de la langue son affaire.

Elle tournait le dos à Clodius et à Publius, aussi virent-ils sa marque au bas des reins.

  • Je comprends, elle vient de chez Carretus-Ictus, le proxénète le plus vicieux d’Aquilata. Ajouta Publius.
  • Je croyais que Ser voulait l’arrêter ?
  • Oui, mais il a des protections dont même un Empereur doit tenir compte. Pour l’instant on a d’autres priorités.

Chienne qui bien que parlant mal cette langue, n’en comprenait pas moins les propos qui la concernaient, elle en était des plus fières, pourtant elle était vantée comme une belle marchandise, comme un animal bien dressé.

  • Chienne j’ai décidé de changer ton nom, désormais tu t’appelleras Xanthie, car je t’ai trouvé attachée à un saule, et laisse-toi pousser les cheveux, je suis certain que tu dois les avoir fort beaux.

Une petite heure s’était écoulée, quand deux légionnaires vinrent chercher Garm, il les suivit en compagnie de Clodius et de Plotu, Chienne, ou plutôt Xanthie, resta malgré ses plaintes et ses suppliques à l’auberge en compagnie des femmes. Ils traversèrent le village en pleine mutation.

Beaucoup de maisons, ainsi qu’un mur d’enceinte étaient en construction, des ouvriers, et non pas des esclaves s’affairaient dans la bonne humeur. De nombreux chariots chargés de matériaux de construction stationnaient un peu partout, dans ce qui ressemblait à un grand désordre. On entendait les maîtres d’œuvre crier, s’arrachaient les cheveux, et au milieu d’eux, des gamins jouaient, couraient en tous sens, n’écoutant pas leurs remontrances, ni leurs menaces. Le forum était envahi par une cohue que l’on n’aurait pu imaginer la veille au soir.

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Vallum*: (Palissade de rondins garnissant un talus, dans la fortification Dominienne ; Ensemble de la palissade et du talus, précédé d’un fossé, qui constituait la défense ordinaire des camps).

stimuli*: (aiguillon).

moucharabiehs*: (Grillage fait de petits bois tournés et assemblés, permettant de voir sans être vu).

coudée*: (Ancienne mesure de longueur, définie comme la distance du coude à l’extrémité du grand doigt, lorsque le bras et l’avant-bras sont pliés en équerre et que la main est ouverte, la coudée valait un pied et demi, soit un peu plus de 0,443 m).

torque*: (Collier fait d’une tige de métal (bronze ou or)).

braies*: (Culotte, pantalon serré aux chevilles).

cratère*: (Cratère à volutes Vase à large ouverture, et de grandes dimensions, qui servait à mélanger l’eau et le vin).

Bellone*: (Antique divinité Dominienne de la Guerre, celle qui assurait une issue heureuse aux combats).

ménades*: (Compagne de Dionysos. Femme consacrée aux mystères de ce dieu et adonnée aux transes sacrées ; bacchante).

primipile*: (Premier des centurions d’une légion Dominienne).

préfet du prétoire*: (Préfet du prétoire, chef de la garde prétorienne).

licteur*: (Officier qui marchait devant les principaux magistrats de Domina, portant un faisceau de verges qui enserraient occasionnellement une hache ; (Au nombre de 12 pour les consuls et de 2 pour les préteurs, ils avaient pour tâche d’écarter la foule))

péans*: (péan ou pæan nom masculin, chant choral honorant, à l’origine, Apollon et Artémis pour le salut et la délivrance des maux ; chant de combat ou de triomphe ; chant d’allégresse ou même chant funèbre).

féciaux*: (fétial ou fécial nom masculin ; Prêtre et magistrat dont la fonction était d’accomplir les formalités juridiques et religieuses relatives à la guerre ; (Les fétiaux procédaient aussi aux cérémonies symboliques de la déclaration de guerre)).

praetorium*: (Au centre du camp se trouvaient le praetorium, logement du général, le forum, où se dressait son tribunal, et la chapelle des enseignes).

haruspices*: (haruspice ou aruspice nom masculin. Devin qui interprétait la volonté des dieux exprimée par des prodiges ou par l’apparence des entrailles des victimes des sacrifices ; (à Domina, les haruspices formaient une corporation spécialisée ; ils étaient constitués en collège)).

cohortes*: (Cohorte nom féminin Unité tactique de base de la légion Dominienne* (environ 600 hommes, soit un dixième de la légion), constituée de trois manipules).

fascines*: (fascine nom féminin. Fagot de branchages liés par des harts, en bois ou en fer, et employé dans les travaux du génie civil ou militaire).

cataphractaires*: (cataphractaire ou cataphracte nom masculin ; Cataphracte nom féminin Armure à l’usage des cataphractaires, faite de toile ou d’une peau sur laquelle étaient cousues des lames de métal disposées en écailles).

vélites*: (vélite nom masculin Dans l’armée Dominienne, soldat des troupes d’infanterie légère).

falariques*: (Arme de jet en forme de flèche garnie d’étoupe enflammée).

Sylvain* : (Dieu de Domina des Bois. Il fut rapidement identifié à Pan. Son culte était celui des lares).

bulle*: (À Domina, petite boule que tous les garçons de naissance libre portaient autour du cou jusqu’à l’âge de quinze ans).

quirites* : (À l’origine, citoyen Dominien de vieille souche, Citoyen résidant à Domina)

strigile*: (strigile nom masculin Racloir recourbé en forme de faucille, avec lequel les Dominiens se nettoyaient la peau après le bain de vapeur ou les exercices athlétiques).

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