CHAPITRE 09 : La conjuration de Nicohélas Sacrésis. (Corr Anne.)

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  • Pour l’amour du messager du Dieu unique, nous devons châtier. Il faut que désormais toute superstition populaire soit condamnée. Il faut que cela soit plus qu'une loi, que cela devienne un saint dogme. Même s’il faut l’imposer par le sang et le feu. Désormais on ne prêchera plus au peuple que les sorciers sont des charlatans, mais au contraire des suppôts de l’enfer, qu’ils sont des apostats justiciables des supplices de l’hérésie.

Ainsi parlait le grand inquisiteur Nicohélas Sacrésis à ses frères mineurs, assemblés dans la Chapelle des Saintes Béatitudes.

  • Quant à la patrologie*, il s’agit de mieux l’interpréter. Pourquoi mettre sur un piédestal l’Évangile de Salamandrine, alors que plusieurs apôtres, et non des moindres, ont une autre version des actes de Messi ? Pourquoi faut-il la croire plutôt qu’eux ? En vérité, je vous le dis, mes frères, il faut réfléchir et méditer sur les écritures saintes. Messi et ses apôtres sauront nous guider. Mais pour l'heure, allez en paix et songez à ce que je vous ai dit. Maintenant, laissez-moi seul. Je dois me recueillir devant les saintes pierres et prier pour les âmes égarées.

Une trentaine de moines, au visage invisible sous leurs lourds capuchons noirs, sortirent en silence, ombres malfaisantes parmi les ombres du corridor.
Qui les aurait croisés aurait senti le moindre de ses poils se hérisser.
Nicohélas était un savant théologien infatué de ses idées délirantes, au point de soutenir envers et contre tous la réalité terrestre du Démon, des succubes, des incubes et autres billevesées.
D’ailleurs, ne parlait-on pas d’un être plus Démon que monstre, qui aurait asservi les terres brûlées du sud ?
L'inquisiteur prônait une lutte radicale contre l’hérésie, contre toutes pensées étrangères à sa vision du dogme.
Il n’admettait aucun doute sur la réalité des prodiges de la magie ou des envoûtements et il envisageait contre elle une lutte impitoyable de tous les instants.
Dans ses bouffées délirantes, il affirmait qu’il était nécessaire d’exterminer toute personne soupçonnée d’idées impies.
Certains le disaient atteint d’une sorte de folie de la persécution. Lui, se voyait entouré d’ennemis, de diables qui voulaient le détourner de la vraie foi.
Il haïssait les femmes qui le lui rendaient bien.
De mauvais Messiens prétendaient que, dans sa jeunesse à la cour de Salamandragor où il avait un temps été écuyer, que les dames se moquaient de ses piètres prouesses nocturnes.
On disait ainsi que son glaive était inefficace, autant sur le pré que dans un lit. Que sa langue, incapable de donner du plaisir, n’était bonne qu’à débiter des âneries superstitieuses. Sa crédule méchanceté était sans bornes.
Son père, chose rare, dut inverser les charges : son cadet suivrait la voie des armes, alors que lui revêtirait la bure.
Pusillanime en chambre, couard en champ clos, flattant les puissants, impitoyable avec les faibles, il ne pouvait que prospérer sous la prêtrise.
Il était d’autant plus dangereux que c’était un être obtus, pervers, quoique impuissant, obséquieux jusqu’à la caricature.
Malheureusement pour ses contradicteurs, il était secondé d’une mémoire phénoménale, de ruse et d'une patience reptilienne.
Il confortait sa morale, pour laquelle toute idée pouvait devenir un dogme, et s’imprimer dans le sang.
Il était capable d'ânnoner des pages entières des saints livres et ce, bien qu’il fût souvent incapable d’en comprendre la substantifique moelle.
Ses lectures pieuses, au mieux, il les prenait au pied de la lettre, au pire, il les interprétait de façon délirante.
C’était, comme on disait dans son pays, l’homme d’un seul livre.
Il progressa vite, beaucoup pensaient l’utiliser comme un pion, le jugeant malléable, terne, niais et borné.
On le surnommait le serpent, à cause de son léger zézaiement quand il s’énervait, de ses poignées de mains moites et molles, et surtout de son regard perçant, d’une fixité de cobra.
Et c’est vrai que c’était un serpent, avec cette même intelligence viscérale de la survie, et cette même dangerosité.
Comme le serpent de la bible Messienne, beaucoup de grands malheurs advinrent de par son fait.
Dans le nœud de vipères qu’était l’Inquisition, Nicohélas Sacrésis avait sa place, une place de choix.
Présentement, il convoitait le poteau des saints martyres, et pour ce faire, toutes les compromissions étaient envisageables.
S’appropriant la juridiction pontificale dans des choses qui n’étaient point auparavant hérétiques, il commença à sévir très cruellement envers les faibles, les accusant de maléfices et de sortilèges.
Beaucoup, pour attirer ses faveurs ou par intérêt, lui dénonçaient comme sorcières un grand nombre de pauvrettes qui subissaient son courroux.
C’est ainsi que, durant ces interrogatoires, il connut ses premiers émois. Il les considéra comme une manifestation divine, l’approbation des tortures qu’il infligeait.
Les malheureuses, parfois, avaient la chance de pouvoir racheter leur vie, ce qui lui créa d’abondants revenus, car à ses nombreux défauts, le moindre n’était pas la cupidité.
Il vint se placer devant les saintes pierres de la lapidation pour prier à voix basse, comme c’était la coutume.

  • Ô doux Messi !
    Donne-moi la force.
    Donne-moi la volonté de tes saints messagers.
    Que n’ai-je leur mâle et lumineuse éloquence,
    Et ta détermination qui inspira l'effroi aux Dominiens?
    Mon âme délicate s’effraie à l’avance de la tâche terrible que tu m’as infligée.
    Des cadavres, des autodafés par milliers, des victimes sacrifiées à ta vraie foi, l’horrible carnage qu’en ton nom, je prépare ...
    Qu'importe puisque c'est le prix.
    Et le royaume sera lavé dans ce bain de sang.
    Qu’importent les trahisons, les complots ...
    J’en serai le maître.
    De tout ce chaos, je sortirai seul, unique vainqueur, pour ta plus grande gloire !
    Dieu saura pardonner à son humble serviteur, ses plus exécrables perfidies, la perte totale de toute une dynastie qui a failli.
    Car voilà ce que j’entreprends, je crains de faiblir et qu’une quelconque pitié m’égare ! Mais il est temps que je parte au souper de cette princesse décadente.

Nicohélas sortit de la chapelle où il priait.
Il traversa plusieurs couloirs, ombre fantomatique.
On lui ouvrit une petite porte. Sa longue et maigre silhouette pénétra à petits pas comptés dans la pièce, laquelle paraissait d’autant plus petite que son plafond était très bas.
Il glissa vers Salamandine et lui tendit le dos de sa main droite qu’elle baisa avec dévotion.

  • Eh bien, ma fille, soyez bénie entre toutes, et relevez-vous maintenant. Comment allez-vous ?
  • Fort bien, éminence, comment vont nos affaires ?
  • Elles sont bien engagées, Votre Altesse. Votre majesté connaît mon ardeur à la servir. Notre parti croît aussi vite qu’herbe après ondée de printemps. Encore quelques semaines, et nos prières seront comblées. Le Messi, par ma voix, l’ordonne, la bible ne dit-elle pas : ‘’ Ton Dieu a ordonné ta force.
    Montre-toi fort, ô Dieu, qui agit pour nous.
    Dans ton temple qui est sur Salamandragor,
    Les rois t’apporteront des présents ! ’’
  • Le ciel vous entende, grand inquisiteur ! Si même nos ennemis s’unissent pour aider nos desseins, et si vous aussi êtes des nôtres, qu’avons-nous à craindre ?
  • Rien en effet, mon enfant ; mais nous devons nous assurer durablement de la neutralité de ce païen de Subarnipal !
  • Mais comment allez-vous procéder ? Comment cet impitoyable adversaire pourrait-il se prêter à nos projets ? J’ai toujours redouté son intrusion dans nos affaires.
  • Heureusement, son entourage est facile à corrompre, et ce n’est pas l’or qui nous fait défaut. Cette neutralité, nous la gagnerons sur le dos des Cimmériens, vous verrez. Il convient d’occuper ailleurs Subarnipal, depuis le temps qu’il convoite la libre route de la passe de Roc-taillade...
  • Et pour Honorius ? Et Serre ? Que tous les diables les emportent, ces deux-là !
  • Princesse, vous jurez. Cela n'est pas bien. Il y a maintenant deux ans que notre clergé, et le conseil Épiscopal à sa tête, nous a prêté son concours pour bannir ce bâtard. Cela fait deux ans que le Dominien a quitté notre royaume. Son attachement pour Salamandra me le rendait odieux, son départ est le plus sûr garant de notre réussite. Même, sa mort, et celle de son frère, servirait bien mieux nos intérêts. Aussi, avec le concours d’un prêtre de sa religion impie, un prêtre qui a quelque vengeance à tirer, je saurai écarter la menace qu’il représente. Et puis, n’oublions pas que nous possèderons un otage de choix : son fils. Le monde est décidément bien fait pour les enfants de Messi ; il nous fournit un bien grand nombre de zélateurs. N’est-ce pas un signe de la volonté de Dieu ?
  • Peut-être, mais Honorius a su s’accaparer l’amour d’un peuple imbécile, il ne faudrait pas que l’on sache d’où vient la mort. Le sang laisse toujours des traces sur la lame. N’oublions pas que, jusqu’à présent, nous parlons d’un allié.
  • Un païen, rien de plus !
  • Le Duc Du Fillon ne saurait tarder. Il est nécessaire à nos plans, même si je dois, pour le gagner, consentir à des étreintes dont je vous demande de m’absoudre.
  • Je vous recevrai plus tard en confession, mon enfant. Mais pour votre consolation, n’oubliez pas que Salamandrine est devenue une sainte. Car le seigneur connaît et approuve la voie des justes, mais il hait et condamne la voie des impies. Une seule chose compte : vaincre. Et notre foi régnera ainsi sur ce monde. Le Trés Haut a dit : " vous les gouvernerez avec une verge de fer, et s’ils vous résistent, vous les briserez comme un vase d’argile". Or, ces promesses de Dieu tout-puissant s’accompliront. Un seul Dieu, un seul royaume, une seule église, telle est notre accomplissement ! Ne l’oublions jamais. La fin justifie tous les moyens, Dieu nous jugera sur nos résultats. Nos caisses sont pleines, bien que nous ayons si chèrement acheté la paix avec ce fou de Subarnipal.
  • Ah, comme vous parlez bien ! Comme je hais ces peuples impies, avec quelle volupté je me baignerai dans leur sang ! Quand je serai Papesse, je ferai de Salamandragor un royaume combattant, un royaume de combattants pour la vraie foi, et mon étendard flottera sur la terre entière !

Une clochette tinta.

  • Je pense que votre soupirant s’annonce.
  • Acceptez mes hommages, Princesse. Vous êtes toute en beauté en ce soir béni par votre seule présence, et recevez mes repects, Éminence, recevez le salut d’un fidèle parmi les fidèles.
  • Vos compliments me font rougir, beau Duc.
  • Mes enfants ! Occupons-nous d’ouvrages plus importants. Duc, où en sont nos projets ? Sur qui pouvons-nous compter ?
  • Sur les provinces du Sud et de l’Est à coup sûr, les satrapes d’Ophir nous sont acquis. Pour ce qui est de la Capitale, nous avons soudoyé les chefs de milice et les provéditeurs*. Mais il va falloir presser le pas, la conjuration commence à percer. Le secret sera dur à garder.
  • Sans doute, mais nous devons d’abord brouiller les Cimmériens avec Salamandra, et pour cela, j’ai un plan. Mais comme tout plan, il a sa part d’incertitude et de danger. Aussi, ai-je décidé de partir pour le palais de Subarnipal le plus tôt possible.
  • Et les autres pères de la sainte inquisition ?
  • Ils nous sont entièrement acquis et, si je puis dire, leurs âmes sont entre nos mains. Au nom de la Papesse, ils inspirent la terreur et la consternation auprès des chevaliers de la Sainte Ligue des Lances de Feu, l’un des derniers soutiens de Salamandra. Quant à la populace, je sais comment la calmer : beaucoup de messes, autant d’exécutions publiques, quelques poignées d’or, et eux aussi nous mangeront dans la main. Comment ne pas soumettre la masse, lorsque celle-ci est terrorisée ?
  • Dieu vous entende, car nous faisons cela pour la divine cause, n’est-ce pas ?

Tous se mirent à rire.

  • Et la Papesse ?
  • Oh ! Pour elle, toujours la même chose, elle pouponne, je suis persuadée qu’elle ne voit rien venir. C’est plutôt de certains de ses ministres qu’il faut se méfier, surtout de ceux qui ont combattu au côté de Serre.
  • Je me suis permis de mander une des Nonces gagnée à notre cause, elle nous est toute dévouée. Elle attend dans une antichambre. Elle fait partie du plan qui dissoudra l’alliance entre les Cimmériens et la Papesse. De toutes les façons, sont-ils véritablement humains ? J’ai toujours pensé que ces montagnards blafards n’avaient point d’âmes, comme s’ils sortaient des limbes.
  • Je pense comme vous, Duc, il faudra bien crever l’abcès un jour ou l’autre.
  • Eh bien, faites-la entrer, que l’on puisse admirer cette arme secrète.
  • Oui, c’est le mot. Et il convient que l’arme d’un crime ne serve qu’une fois.
  • C'est-à-dire ?
  • Que vous importe ! Si l’omelette est bonne, il aura bien fallu casser des œufs !
  • Sait-elle ce qui l’attend ?
  • Que nenni. Le cheval d’un attelage n’a point besoin de connaître sa destination pour galoper. Et il ajouta plus bas presque en grimaçant : Surtout, s’il court à l’abattoir. De toutes les façons, il faut faire fi de nos scrupules, il faut être capable de sacrifier les meilleurs des nôtres pour le bien de tous. Même s'il s'agit d'une Nonce.

Nicohélas traversa la pièce et ouvrit une petite porte à l’intérieur capitonné. La nonce entra à sa demande. Etonnamment, c’était une belle jeune femme, du moins du peu que l’on pouvait en juger, car sa robe et son capuchon noir ne laissaient distinguer que son visage et sa silhouette.

  • Je vous présente la Nonce* Saavati de la Très Sainte Inquisition, greffière de premier rang auprès des tourmenteurs de Salamandrapour. C’est, elle qui portera en personne nos propositions à Subarnipal, n’est-ce pas Saavati ?
  • Je ferai de mon mieux pour être digne de votre confiance, noble princesse et noble duc.
  • Nous n’en doutons guère, Nonce Saavati. Il convient de vous rappeler que Ba-Marcon, le Seigneur des Marches de Cimmérie, ne doit pas revenir vivant de votre ambassade. Mais ne vous inquiétez en rien, toutes les dispositions sont prises à ce sujet, il sera moins difficile à écraser qu’une coquille de noix. Nonce, vous pouvez vous retirer et prier pour le parfait aboutissement de notre projet, ainsi avait parlé Nicohélas.

La jeune ecclésiastique se retira, non sans ayant été bénie par Nicohèlas.

  • Tout est bien calculé, absolument tout est prévu. Dans un mois, la messe sera dite. Et pour certains, ce sera un requiem.
  • Pour les fidèles de Salamandra ?
  • Mes troupes sont en manœuvres dans la province de Mandalay. Parmi elles, j’ai un grand nombre de mercenaires. Sur un signe de moi, elles entreront dans la Capitale. Elles n’auront qu’un mot d’ordre : le palais et le massacre général de tous ceux qui s’y trouvent.

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Patrologie* (étude de la littérature Messienne, qui comprend l’histoire des doctrines de l’Église Messienne).

Provéditeurs* : Ces magistrats, trois en nombre et comparables aux édiles romains, ont comme rôle : D'entretenir la propreté de la cité, de réparer ponts et pavés, de mettre la police sur les navires, pour éviter des surcharges, de connaître les privilèges des citadins, de taxer les nouveaux livres, d'exercer autorité sur les confréries d'artisans et les gondoliers de traverse. Ils prestent une charge de 16 mois et disposent d'une voix au Sénat.

Nonce*: Prélat chargé de représenter, de façon permanente ou temporaire, la papesse auprès d'un gouvernement étranger. (On dit aussi nonce apostolique.) Si à l'origine ce mot était masculin du fait de l'évolution du clergé Salamandrin, il peut être utilisé au féminin.

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