Chapitre 3

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Bravant la tempête, elle courait. Elle courait sans vraiment savoir où aller, ne pensant plus à rien d'autre que sa propre survie. Ses jambes la faisait horriblement souffrir, et la neige s'acharnait contre elle, entravant ses moindres gestes. Un brouillard opaque avait envahi la ville, et elle n'avait d'autre choix que de se diriger à l'aveuglette dans ce monde énigmatique et terrifiant.

Son pied heurta un obstacle, et elle se rattrapa de justesse, le souffle court. Pas le temps de se remettre de ses émotions, il fallait continuer. Tracer la route sans se retourner. Elle balaya d'un revers de la main une mèche de cheveux roux qui lui barrait le front, et repartit au pas de course. Elle s'efforçait de regarder droit devant elle, mais le mauvais temps ne lui permettait pas de voir à un mètre. Maudite ville à la con !

Scraaaatch !

Premier coup de tonnerre. Comme si cela ne suffisait pas, songea la malheureuse. Les éléments semblaient s'allier en sa défaveur, ajoutant toujours plus de pression. Pas même dans ses pires cauchemars, elle n'avait envisagé pareille folie. Elle ravala ses larmes, désirant plus que jamais rentrer à la maison.

Scraaaatch !

Son cœur manqua un battement. La neige se changea peu à peu en grêle, et c'en fut trop pour la pauvre fille. Elle se laissa choir sur le bitume, sentant ses forces l'abandonner. Sa poitrine se soulevait et s'abaissait en d'effroyables spasmes, et ses yeux se révulsaient. C'était la fin.

Non. Elle enfonça ses ongles dans l'asphalte, puisant dans ses dernières réserves. Il fallait qu'elle se relève. Elle n'avait pas le choix. C'était ça ou...

Un cri déchira le ciel. C'était l'un d'entre eux, et il venait pour elle. Il l'avait traqué, pourchassé sans relâche pendant des jours entiers, et enfin la victoire lui tendait les bras. D'une seconde à l'autre, elle allait le voir apparaître, ses crocs acérés luisant dans l'obscurité grisâtre, et il la dévorerait comme ce fut le cas pour tous les autres. Comme ce fut le cas pour sa mère.

Scraaaatch !

Elle se redressa aussi vite qu'elle le put, juste à temps pour éviter qu'un grêlon de la taille d'un œuf ne s'abatte en plein sur son visage.

***

Encore ce cri. À la fois strident et caverneux, il eût tout aussi bien pu provenir d'un mélange entre une chouette et un lion. Mais elle ne savait que trop bien quelle en était la source ; aussi préféra-t-elle ne pas traîner davantage. Dehors, c'était la mort. S'aventurer ainsi en pleine nuit tenait du suicide, mais elle n'avait pas pu faire autrement. Cela faisait plusieurs jours déjà qu'elle avait repéré ce petit magasin à l'angle de Walslis Street. Elle avait établi une carte mentale des lieux, avec un plan précis en tête. C'est fou comme le cerveau s'adapte si vite en situation hostile. Malheureusement, elle n'avait pas prévu que son séjour à Fairwood la rendrait insomniaque, ni qu'elle aurait épuisé tout son stock de nourriture en moins de deux jours. Alors, elle avait pris son courage à deux mains, empoignant son sac de randonnée –dans les faits, l'objet appartenait à sa cousine Tina, qui l'avait gentiment prêté, mais étant donné les circonstances, personne ne viendrait en revendiquer la propriété–, où elle avait fourré tous les vieux emballages de biscuits et de fruits secs, et avait poussé la porte. Elle avait prévu être de retour dans les dix minutes, le temps de faire le plein et jeter ses déchets. Le brouillard l'avait prise au dépourvue au moment de sortir de la boutique, son sac plein à craquer pesant sur ses frêles épaules.

C'est là qu'elle l'avait vu. Émergeant de la brume, le museau flairant l'air à la recherche de chair fraîche. Un chien. Ou plutôt, le cadavre d'un chien. Tranquillement assis sur la chaussée, il la regardait de ses orbites vides, guettant le moment propice. Rien, si ce n'est l'imperceptible mouvement du museau aspirant l'essence de vie qui s'échappait de sa future proie, ne permettait d'affirmer que l'animal était bien réel.

Ils étaient restés là, parfaitement immobiles, durant ce qui parut être une éternité. Elle, pétrifiée, luttant contre les tremblements et retenant sa respiration. Lui, grondant, babines retroussées en un abominable sourire carnassier, attendant son heure.

Ils auraient pu continuer encore longtemps ce jeu macabre, si le croassement d'un corbeau n'avait résonné du toit d'un immeuble voisin. L'oiseau n'avait arraché à la fille qu'un petit cri étouffé, mais il n'en avait fallu guère plus pour que le monstre se jetât sur elle, allongeant ses pattes tendineuses comme des ressorts.

***

Elle se faufila entre les planches. Le petit interstice était l'unique issue qu'elle avait trouvée dans sa folle course contre la mort. Et il lui avait à n'en pas douter sauvé la vie, car le chien était toujours sur ses talons lorsqu'elle avait tourné pour rejoindre Cornflower Boulevard, elle sentait encore son souffle putride dans son dos.

Avalant sa salive, l'infortunée porta la main à son poignet, effleurant son bracelet porte-bonheur. Elle murmura une prière et embrassa le bijou. À seulement quelques pas de là, le chien émit une longue plainte lugubre, auquel s'ajouta un autre, et puis encore un autre. Ils étaient une dizaine au moins, tapis dans les ténèbres.

Elle ferma les yeux, sentant une larme silencieuse couler sur sa joue gauche. Si seulement tout ceci n'était qu'un rêve...

Exténuée, la pauvre fille avança dans la pénombre, en quête d'un abri. Elle arriva enfin, malgré l'absence de visibilité, à se frayer un chemin jusqu'à un cabanon de jardin abandonné. Il y régnait un froid glacial et une puanteur sans nom, néanmoins, le moment était mal choisi pour être difficile. Elle se roula en boule entre un motoculteur et quelques sacs d'engrais qui n'avaient visiblement pas été utilisés depuis belle lurette (tout était mort dans cette foutue ville), et fredonna une berceuse.

Dehors, l'orage avait cessé.

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