Chapitre 9

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La catae, lieu de vie où les rebelles se retrouvent pour manger, offre une vue imprenable sur les hangars. De l’autre côté des vitres, ingénieurs et mécaniciens conçoivent et réparent, effectuent les derniers réglages avant le vol de l’après-midi. Cian les observe le regard perdu dans le vide, quand deux de ses amis débarquent :

- Tu peux dire adieu au Rafale34, mon vieux ! lance le plus grand, en lui flanquant une tape dans le dos.

- La ferme.

Hilares, lui et son voisin s’invitent à notre table. Cian ne leur jette pas même un regard. Il n’est pas d’humeur. Il n’a d’ailleurs pas touché une miette de son plateau-repas depuis que l’on est arrivé. Il fixe le vaisseau qu’un mécanicien finit de vérifier, de l’autre côté de la baie vitrée.

- Belle bête, hein ? Ah Marie-Jane… qui ne rêve pas de la piloter !

- Cian se tourne vers moi et m’adresse un regard noir.

- Je te comprends mon pote, moi aussi j’aurais les boules à ta place. Enchanté, je suis Allan, et voici Thil, dit-il en se tournant vers moi pour me tendre une main. Ne lui prête pas attention. De toute façon, ce gars est une cause perdue depuis sa naissance.

Cian n’apprécie pas.

- Lâche-moi, tu veux ?

- Relax, mon pote. Peut-être que si tu demandes, enfin… si tu supplies, pendant un jour ou deux… Bon d’accord, disons plutôt une semaine, et que tu te montres serviable, avenant, aimable…

- Laisse tomber. Je ne suis pas un lèche-cul. Ca, c’est ton job.

Cian plaque son plateau sur la table et se relève. Mal à l’aise, je fais mine de m’intéresser à mon assiette, tandis qu’il me plante là sans le moindre scrupule.

***

Key dort toujours quand je regagne ma chambre. Au fil des heures, son visage se fond dans les draps. Il semble comme s’effacer du monde, s’effacer de cette nouvelle vie. Et pourtant, ses mains sont chaudes. Son corps entier brûle.

Allongée sur mon lit, je revisualise la simulation. Les sensations, le désir qui se noue dans mon ventre. Ce besoin nouveau de voler que je ressens en moi.

Moi, fille du sable.

Demain, les dunes porteront-elles encore nos traces ? Orkian portera-t-elle ses enfants ? J’ai le sentiment que ce monde se referme moi. Que ce n’est plus au sable, mais au ciel que je devrai mon salut. A cette galaxie, qui fait fondre à nos yeux les vaisseaux au fin fond de l’univers.

Perdue dans mes pensées, je m’installe plus confortablement contre le lit, et finis par m’assoupir. Quand je me réveille, le bip des machines retentit encore doucement dans la chambre. Combien de temps ai-je dormi ? Le docteur Sono est en train de changer la perfusion. Elle règle le dosage, m’adresse un léger sourire en remarquant que je suis réveillée. Puis sans prononcer le moindre mot, vérifie les pupilles de Key, remonte sa couverture et quitte la pièce.

Key n’a pourtant pas besoin d’être réchauffé.

Je soupire et me penche, pose le bout des doigts, prudente, sur son front. Celui-ci est toujours brûlant, même si on dirait que sa température a baissé… Une once d’espoir s’immisce en moi. L’idée que Key pourrait s’en sortir, que je ne me retrouverais plus seule. Je suis même prête à l’écouter se vanter pendant des semaines.

- Et toi qui rêvais de voyager… murmuré-je.

Ses yeux restent clos. Sa respiration, fébrile. La tête posée sur l’oreiller, il semble à des années lumières de se réveiller. Pour autant, je ne peux m’empêcher d’espérer. Son visage est le seul qui me soit encore familier. Sa présence…

Je me relève doucement, en silence, et prends sur moi pour ne pas pleurer. Je n’en ai pas le droit. Tout ce qui nous arrive est de ma faute. Si nous étions partis plus tôt, si j’avais écouté Key, si j’avais accepté la demande de Callie. Si nous n’avions pas été témoins de ce massacre… alors peut-être que ces larmes n’auraient pas un goût aussi amer.

Tremblante, je quitte la pièce dans l’espoir de regagner ma cabine. La culpabilité n’offre pas le droit de rédemption, c’est ce que je comprends à mesure que mes pas me ramènent à ma chambre.

***

En fin d’après-midi, je retrouve Thil et Al au centre de tir. La salle se situe dans une des artères qui donne directement sur le hangar. Des néons blafards guident mon chemin. A l’exception des pistes d’envol, situées au sommet d’Arkandia et auxquelles on accède par un monte-charge, je peux me déplacer où bon me semble. Certains raccourcis, certaines passerelles qui surplombent le Cœur, me sont encore peu familières, mais j’ai bon espoir de prendre un jour le temps de me sentir ici chez moi.

Dans le couloir, le personnel est pressé. Il est question d’altération du champ magnétique. De noms de pilotes que je ne connais pas. Puis d’un appel, qui résonne en boucle dans toutes les artères : « JY809, rappel à la base, JY̩809, rappel immédiat ».

Je presse le bouton et repère rapidement Allan qui m’attend près du comptoir d’enregistrement.

- Kimi ! C’est chouette que tu sois venue. Tu n’as pas encore d’identifiant ?

Je secoue la tête et hausse les épaules.

- Ce n’est pas grave. Viens par ici, fait-il en me tirant par le bras. Cian a préféré rester dans sa cabine, il nous rejoindra plus tard. Tiens, met ta main là.

Sans s’inquiéter de son geste, il saisit mon poignet et presse mon doigt contre la vitre. Mon empreinte digitale apparait, fluorescente. Il ne faut que quelques secondes à l’ordinateur pour afficher mon prénom, accompagné d’une photo de moi, prise plus jeune, devant la cabane de Callie.

- Et voilà, rien de plus simple, ajoute-t-il en me lançant un clin d’œil.

Je me sens tout à coup mal à l’aise. Tente de comprendre ce qui se passe, tandis qu’Allan m’entraine au milieu des simulateurs. Comment se sont-ils procuré cette photo ? Cela fait des années que même moi, je ne l’ai pas revue… Presque dix ans. Et pourquoi le visage de Key a-t-il été effacé ?

Tout à coup, une idée plus saugrenue encore me vient à l’esprit : et si je m’étais trompée à leur sujet ? S’ils n’étaient pas ceux qu’ils prétendaient être ? Je réprime un frisson, cette simple allusion me glace le sang.

- Tu n’as qu’à te mettre ici, dit Allan en démarrant le simulateur. Le paramétrage de la machine est moins sensible, mais il te permettra d’acquérir les bases efficacement. Si tu as besoin de moi, je serai juste à côté.

Il hoche la tête, m’adresse un léger signe du menton pour me faire comprendre que la simulation démarre, puis reporte son attention sur sa propre partie.

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