Chapitre 6

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La ville s'étend sous terre comme une vaste mine dont on a réaménagé les galeries. Je suis d'abord surprise en débarquant entre les canalisations rouillées ; la porte que nous empruntons ne constitue pas l'entrée principale. Mais c'est en arrivant dans l'effervescence du noyau que je comprends pourquoi elle a été oubliée.

Centria s'est battis dans le centre d'Orkian. Au milieu de la nuit, son ciel s'élève aussi haut, aussi noir que celui du désert, et perlent sur la roche des milliers de cristaux dans lesquels se reflètent nos lumières.

La place grouille de monde. De Rafteurs qui trainent, d'enfants barbouillés de terre. Et c'est Célie que j'imagine courir, crier à tue-tête. Célie, volé aux nôtres pas l'armée de la folie. Devant moi, des soldats avalent une dernière lampée de barbium. Je sens le goût amer de l'alcool me rester en bouche. Me brûler l'estomac tandis que deux robots brinquebalants, ivres de données, filent à toute vitesse dans l'air surchargé. Mes poumons se remplissent d'effluves gras. L'odeur imprime mes vêtements. J'étouffe, mais ne lâche pas Key du regard.

Devant moi, inconscient, il finit par disparaitre, happé dans une des centaines de galeries qui s'échappent du noyau. Je le rattrape à toute vitesse, manquant bousculer une femme sur mon passage.

Très vite, je remarque que la veine est beaucoup moins fréquentée. Quelques individus discrets longent la paroi. Dans l'obscurité, la lumière rouge incrustée à même la roche vacille faiblement. Je me retourne, cherche l'homme qui me suit du regard sans le trouver, panique. Seuls les bruits de pas qui me précèdent, plus loin dans le couloir, me permettent encore de croire à la présence de Key. Je me suis fait piéger, je ne le comprends que trop tard, alors qu'une main se pose brusquement sur ma bouche et me m'attire en arrière !

« Key... » supplié-je, intérieurement.

La voix qui susurre à mon oreille n'est pas la sienne. Elle est plus grave, résonne comme une menace latente :

- Maintenant je veux la version réelle, m'assène-t-il. Que faisiez-vous toi et ton compagnon dans ces tunnels ?

Il n'est plus l'homme qui a sauvé Key alors qu'il gisait sur le sol. Son étreinte me comprime les cotes, je peine à reprendre mon souffle.

- On... On n'avait pas le choix, parvins-je à articuler. Ils sont revenus nous chercher.

- Qui ?

- L'armée... du vide.

- Tu mens. Ils sont à Lérion où leurs soldats ont envahie la capitale. L'Impératrice a fait dépêcher sur place la moitié de l'armée. La galaxie est en guerre.

Il ressert son emprise.

- Il... Le Grand Commandeur est ici, insisté-je les larmes aux yeux. Lunia n'existe plus. Elle a été brulée...

Un long silence plane sur nous. Un silence pendant lequel je prends pleinement conscience des mots qui viennent de franchir mes lèvres. Et je pleure. Je me laisse aller, tandis qu'il relâche imperceptiblement son emprise. Son émoi est palpable ; de longues minutes durant, ni lui ni moi ne prenons la parole.

Quand enfin je finis par me calmer, un soupir triste accompagne ses mots.

- Lunia aurait de toute façon fini par disparaître, dit-il empreint d'une émotion sincère. Mais ils n'avaient pas besoin de s'en mêler. Comment avez-vous trouvé le sanctuaire ?

- Le... Le sanctuaire ?

- L'endroit où vous êtes arrivés.

J'essuie mes larmes en vitesse avec mes doigts crasseux.

- On avait une carte. Enfin...

- Je pourrais la voir ?

- C'est Key qui l'a gardée.

Il m'intime alors d'avancer, une main posée dans mon dos. Nous progressons dans le noir, nous enfonçons un peu plus dans le tunnel. Au détour d'une galerie secondaire, je dresse l'oreille : les bruits de pas ont disparu et Key avec eux. Les pires scénarios m'assaillent, même si je sais maintenant qu'on ne nous veut pas de mal. Qu'attend-t-on de nous ? Que faisaient ces hommes à proximité du sanctuaire ? Et pourquoi nous gardent-ils avec eux quand il leur suffit de se débarrasser de nous ?

- Comment vous appelez-vous, déjà ? le questionné-je, hésitante.

Il marque une légère pause avant de me répondre :

- Je ne vous ai pas donné mon nom.

L'aération fonctionne au ralentit, j'ai chaud. Nous savons tous les deux que l'autre a compris. Que son nom, il ne le révèlerait pas. Que je devrai me contenterai de son visage, de cette façade qu'il sert au monde quand il manigance à l'abri des regards. Qui est-il, au juste ?

Après de longues minutes, nous arrivons à l'extrémité des boyaux d'Orkian. Personne ne s'aventure aussi loin. La fin du tunnel a été creusée à la pelle, des amas de terre s'étendent encore à nos pieds. Il frappe discrètement. Deux coups, puis trois, puis deux, tandis que le battant s'ouvre et qu'une fine lumière s'infiltre jusque dans le couloir.

Je reste sans voix en pénétrant dans ce qui semble être le second cœur d'Orkian. Une seconde salle, dont la voute s'élève à plusieurs dizaines de mètres. Une seconde salle où grouillent machines et humains. Où l'armée secrète côtoie une technologie de pointe. Plusieurs vaisseaux s'alignent dans la base, assemblés, réparés par des techniciens de nos villages. L'espoir de notre génération. De ce qu'il reste de notre planète, rongée, dévorée par le sable.

A peine entrée, je repère Sian. Il revient vers nous soucieux, me jette un regard en coin avant de se tourner vers celui qui semble être son chef :

- Ca ira, Sian. Où est le garçon ?

- Avec le docteur Marteen. Vous voulez que je l'emmène ?

- Pas tout de suite. J'ai encore deux-trois détails à voir avec elle.

Il se tourne alors vers moi tandis que Sian prend congé.

- Est-ce que tu as déjà entendu parler de Cain ? Cet endroit a été découvert plusieurs années après la construction de Centria par un héritier qui cherchait à fuir Orkian. Au début, elle ne comprenait qu'une chambre adjacente de petite envergure, mais très vite, en suivant un filon de perles, il s'est rendu compte qu'une salle bien plus grande jouxtait la sienne. Celle-ci s'appelle Arkandia et constitue notre base. Bienvenue au sein de la résistance, Kimi.

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