Chapitre 5

4 minutes de lecture

De l'autre côté, à plusieurs foulées de sable, une grande porte en fer est encastrée dans la roche. Ses battants sont hauts comme deux hommes et verrouillés de l'intérieur. Key, allongé sur le sol, pousse un long soupire. Il fixe la voute sans énergie et je me prends à contempler le ciel, ce ciel de perle qui nous surplombe, illuminé des étoiles de la terre.

- C'est beau, soufflé-je émerveillée. Si j'avais su ce qui m'attendait, j'aurais quitté Lunia plus tôt...

- Mmm...

- Tu es déjà venu ici avec ton père ?

Key marmonne une brève réponse.

- Tu crois qu'il connaissait cet endroit ? Oui, probablement... Il n'était pas souvent au village. Je me souviens de la fois où tu l'avais attendu toute la nuit. La tête qu'il avait fait en te trouvant au petit matin. Tu dormais à l'entrée de la cabane comme un renard des sables !

Le doux scintillement des perles m'intime au silence. Nous savourons cet instant de répits retrouvé. Puis un léger tintement en provenance des couloirs me fait redresser la tête. Je me relève, somme Key d'en faire autant, mais il ne bouge pas.

- Key ?

Pas de réponse. Quelque chose ne va pas. Mon cœur s'affole.

- Key !

Je me précipite à ses côtés, prends son pouls, si faible que je le sens à peine. Il est brûlant. Son visage suinte de la fièvre qui l'accable.

- Non, pas maintenant, pas maintenant, supplié-je au fond de moi.

A une vitesse ahurissante, je me relève et cours vers les portes en fer que je tambourine de toutes mes forces.

- Ouvrez ! Ouvrez-nous ! Il est en train de mourir !

Je m'acharne sur le bâtant de longues minutes sans que personne ne m'entende. Je dois me rendre à l'évidence, je suis seule et Key est si mal en point que je ne sais pas quoi faire. Après un regard à son corps inerte sur le sable, mes larmes coulent et filent dans mon cou. J'aimerais... non. Je veux être là pour lui comme il l'a été quand les soldats nous ont pris en chasse, mais je me retrouve si impuissante que je perds patience.

- Ouvrez, je vous en supplie, ouvrez-nous...

Après avoir inspecté la porte sous tous les angles, je comprends qu'elle n'a pas été poussée depuis des mois, voir plus. L'espoir s'envole alors. Je retourne auprès de Key le cœur lourd. J'ai peur qu'il s'en aille sans moi, peur de me retrouver seule sur Orkian. Je ne sais même pas où aller ; c'est lui qui sait. Lui qui a toujours su...

- Tu as intérêt à aller mieux, tu m'entends ? dis-je en lui agrippant le bras.

Seule ma voix résonne dans toute la grotte. Alors je comble ce vide béant que son absence de réponse créé :

- Tu sais, même si parfois tu m'énerves, même si parfois j'ai vraiment envie de t'étrangler, même si parfois...

Je soupire et avale ma salive.

- Même si parfois tu es juste insupportable, tu as toujours été là pour me remonter le moral... Et je ne te l'ai jamais dit, mais toutes ces fois où tu faisais semblant de ne pas attendre ton père, je savais que tu retournais à la Prêtresse pendant la nuit. Je t'ai vu plusieurs fois quitter la cabane quand je n'arrivais pas à dormir, mais je n'ai jamais rien dit, parce que je trouvais ça admirable. Parce que j'aurais aimé, moi aussi, pouvoir attendre quelqu'un comme tu l'as fait. Et aujourd'hui j'ai la chance de pouvoir devenir quelqu'un que j'ai toujours voulu être... Alors je vais t'attendre. Je vais croire en toi, et tu vas guérir. Parce que tu ne peux pas me laisser seule, toi aussi...

Un lourd hoquet résonne brusquement contre les parois. Je me retourne surprise tandis que mon cœur se met à battre à toute vitesse. C'est la porte qui s'ouvre, qui grince, qui gronde dans un vacarme assourdissant.

- Accroche-toi, Key...

Des hommes s'approchent en trottinant. Ils sont trois, portent des armes, me jettent un coup d'œil méfiant en arrivant à mon niveau. Mais celui qui m'adresse la parole le fait posément :

- Depuis combien de temps n'avez-vous pas bu ?

Sa question me prend au dépourvu et il semble le remarquer.

- Vous arrivez du désert ?

- O-oui... balbutié-je. Je ne sais pas... six heures, peut-être sept... Je... vraiment je ne sais plus.

Il me fixe une fraction de seconde, puis désigne Key du menton :

- Chris, Sian, ramenez-le en ville. Quant à nous...

Il soupire, se passe une main dans les cheveux. Sa barbe grise de trois jours le fait paraitre plus vieux qu'il ne l'est probablement. Son regard marqué, d'un bleu aussi profond que le désert, me dévisage tristement.

- Pardonnez-nous du retard... Ca fait des années que nous n'avons plus eu de visites de ce côté-là. Généralement il n'y a que les pirates pour oser s'aventurer jusque là. Une chance qu'on vous ait entendu... Et une chance que les gaz toxiques n'aient pas eu raison de vous, il est presque impossible de respirer là-dedans, précise-t-il en pointant du doigt le cou couloir par lequel Key et moi sommes arrivés.

- Il va s'en tirer ?

- Difficile à dire... Nous avons beau connaitre la médecine, parfois c'est juste le corps qui en décide autrement.

Je regarde Key, porté par les deux hommes, passer les portes de la cité. Ses bras pendent sur les côtés. Sa tête ballotte légèrement. Le voir aussi faible me met mal à l'aise et je ne peux m'empêcher de ressentir de la culpabilité. Key a inversé les rôles avant de partir. Selon lui, je suis celle qu'on recherche, sauf qu'il est celui qui possède le don. Il est celui qui renferme cet héritage tant convoité. Alors que dois-je comprendre ?

Meurtrie des émotions dela journée, je reste en retrait. Son visage me donne l'impression d'un Key paisible, serein, presque accessible. De ce Key qui a peut-être grandi sous mes yeux, mais loin de mon regard. Et cela me rend triste.

Le cœur serré, je leur emboite finalement le pas en me disant que si je reste assez longtemps à ses côtés, si je finis par lui faire confiance, alors peut-être qu'il me pardonnera. Peut-être que je me pardonnerai...

Annotations

Vous aimez lire Gwenouille Bouh ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0