Chapitre 3

8 minutes de lecture

Puisant dans le peu d'énergie qu'il me reste, je m'élance à la suite de Key. « Nous n'avons qu'à atteindre les mines, » me répété-je en boucle. Mais cela ne suffit pas à me faire avancer plus vite. Le monticule rocheux se trouve encore à plusieurs centaines de mètres et je sens déjà, dans mon dos, les volutes d'air chaud m'atteindre lorsque le vaisseau se pose.

Key ralentit alors, attrape ma main et m'entraine avec lui. Comment fait-il pour avoir encore autant de force ? Où trouve-t-il son énergie ? Nos pieds s'enfoncent dans le sable. Mes poumons crachent, saturent, et malgré les efforts de Key, nous nous arrêtons quelques mètres plus loin. J'ai besoin de reprendre mon souffle. De boire. Je n'en peux plus.

- Pas maintenant, m'intime-t-il sur un ton suppliant.

Nos regards se croisent et j'y lis le désespoir qui l'anime. Quand était-ce, la dernière fois que cette lueur l'avait traversé ? Je m'en rappelle... Le jour il avait appris que son père ne reviendrait pas. Depuis tout ce temps, l'idée que Key était orphelin s'était peu à peu ancrée en moi. Mais ce n'était pas le cas. Il avait un jour eu une famille, comme moi.

- Kimi, s'ils mettent la main sur toi, on est mort. On est tous mort. Tu comprends ?

Non, je ne comprends pas... La chaleur m'étourdit, j'ai du mal à respirer. Voyant que je ne réagis pas, il perd patience :

- Si tu ne te lèves pas maintenant, tu prouveras à tout Orkian que j'étais bien le plus fort, ce qui ne risque pas d'arranger ta condition de femme ! C'est ça que tu veux ?

Malgré l'étau qui enserre mon crâne, sa phrase me fait l'effet d'un électrochoc. Je regarde ses lèvres remuer en sentant monter la colère. Mais son attention est ailleurs. Il fixe le vaisseau et les soldats qui arrivent en courant. S'empare de mon bras et tire d'un coup sec.

- Cours ! m'ordonne-t-il.

Le ton de sa voix me donne la chair de poule. Je ne l'ai jamais vu comme ça, aussi déterminé, et je me demande quand est-ce qu'il a grandi. Quand est-ce qu'il est devenu cet homme qui se dresse pour me protéger.

Je pars dans une course effrénée. Le sable ralentit notre progression. Mon cœur martèle ma poitrine. Une fois en haut de la dune, Key se retourne pour voir les soldats nous talonner. Ils nous rattrapent, seront sur nous bien avant que nous atteignions la mine. L'un d'eux porte à sa ceinture un blaster, une arme extrêmement puissante qui n'existait, il y a trois minutes encore, que dans les histoires qu'on me racontait enfant. Je tente de ne pas y penser, de ne surtout pas me dire qu'un seul tir suffirait à nous achever. Nous dévalons le versant à une vitesse faramineuse :

- On y est presque ! halète Key. Pars devant je te rejoins.

- Sérieux ? Tu as d'autres idées aussi géniales que celle-là ? rétorqué-je dans l'ironie de l'instant.

- Très sérieux. Pars devant.

Dans mon dos, Key sort sa dague et retient le soldat qui arrive à notre niveau. L'homme se défend, s'écroule, tandis que les trois autres passent à l'offensive. La lame danse dans le vent. Sa trajectoire est maladroite, sa force incertaine, mais elle part les coups à chaque fois qu'ils arrivent. Et on ne laisse à Key aucun répit. Ses muscles se bandent sous l'effort, son corps devient souffrance ; il n'a jamais été épais, n'est pas préparé à ce genre d'épreuve. Je prie la Prêtresse pour qu'au moins la chance soit en notre faveur. Sauf qu'à peine ma pensée formulée, Key a le bras en sang.

Mon cœur s'arrête. Il retient son cri. Un mélange d'émotions folles m'assaille. Je cours pour le rejoindre : il est tout ce qui me reste, tout ce que je ne peux pas perdre. Je n'ai plus de village. Plus de famille. Je ne peux pas le perdre lui, je ne peux pas me perdre !

Dans son uniforme gris, le sous-fifre de l'armée me remarque. Il ne lui faut pas deux secondes pour se retrouver sur moi. Alors se mêlent à son arme des lampées de feu. Elles s'enroulent à sa garde, lèchent son bras dans les hurlements. Brulé à vif, l'homme n'en croit pas ses yeux. Il tente d'échapper au feu, se roule dans le sable. Je le regarde perdue, sans comprendre ce qui se passe.

Key me tire le bras. Le dernier des soldats git à terre, il vient de s'écrouler sous sa dague et rampe misérablement vers le vaisseau duquel sortent les renforts. Nous nous échappons tant qu'il en est encore temps.

Nous courons à travers le désert comme des forcenés. Courons pour notre vie, tandis que la confusion s'empare de moi et que je repense à ces flammes. D'où sortent-elles ? Est-ce moi qui... ? Une ancienne du village possédait un livre sur la question. Certaines rumeurs circulaient, à l'époque où les caravanes ralliaient encore les villages. Autrefois, les enfants d'Orkian étaient célèbres dans toute la galaxy.

Orkian est une planète de feu. Une planète de sable, de cristaux, de vents brûlants. De fusion, de roches et de dunes érodées. La braise qui nous a vus naître nous consume dès notre plus jeune âge. Elle nous traverse et nous nourrit ; plus que nos parents, c'est elle qui nous accompagne au file des nuits.

Mais l'arrivée des galaxites, il y a de cela soixante étoilées, a troublé notre monde. Car Orkian évolue dans la lenteur quand le reste de la galaxie file à la vitesse de la lumière. Nous autres Orkians ne nous mesurons pas au soleil. Il est la raison des Prêtresses de pierre. Il est notre héritage.

Dès l'arrivée des galaxites, de nombreux enfants sont nés comme moi, sans dons. En temps normal, notre température corporelle diminue dès que notre âge nous permet de fouler le sable. Mais le sang des autres peuples a réchauffé le notre. Et les flammes, quand elles étaient présentes, emportaient les plus costauds à la première fièvre.

Aujourd'hui, ceux qui possèdent le don sont rares. Et je n'en fait pas partie... Essoufflée, je regarde mes mains. Elles sont rouges, le sang afflue dans mes veines. A mes côtés, la respiration de Key se fait courte, lui aussi est à bout de forces quand nous atteignons enfin la mine.

Ses galeries sont étonnement fraiches. Des courants d'air s'en échappent ; rapidement, Key s'empare du sac et cherche la lampe qui s'est glissée au fond. Il met un temps fou à mettre la main dessus. Une fois trouvée, nous n'avons pas l'ombre d'un répit qu'il nous faut déjà repartir : à l'extérieur les soldats se rapprochent, leur voix entrecoupées nous parviennent.

Nous repartons de plus belle, nous engouffrons dans les dédales de la mine avec pour seul repère la vieille carte de Key. Plusieurs fois elle se révèle inexacte et plusieurs fois nous devons faire demi-tour. De temps en temps, l'écho des pas de l'armée du vide résonne dans les couloirs. Notre cœur s'arrête alors, tandis que nous nous glissons en silence contre les parois. Après trois arrêts cardiaques, je n'en peux plus et cherche à comprendre :

- Qu'est-ce qu'ils nous veulent, au juste ? Tu ne vas pas me faire croire qu'ils débarquent vraiment pour une vieille Prêtresse dont le pouvoir reste encore à démontrer !

Key m'ignore et file dans le couloir.

- Je n'en peux plus. Je m'arrête là. Si tu ne veux pas me dire ce qui se passe, tu peux continuer sans moi.

Cette fois, j'ai fait mouche. Key soupire et se retourne. Je discerne une pointe d'agacement dans son attitude. Les ombres révèlent des gouttes de sueur sur son front. Je fronce les sourcils : Key ne transpire jamais.

- Tu es sûr que ça va ? demandé-je hésitante.

- Autant qu'on pourrait aller sans eau, sans nourriture et perdu au fond d'une mine après avoir traversé le désert, rétorque-t-il. Tu as d'autres questions de ce genre ?

Mes mots se perdent, j'ouvre et referme la bouche comme un de ces lézards à collerette qui se faufilent entre les murs et nos paillasses. Tentant de dissiper le malaise, je pique la carte des mains de Key, qui s'adosse à la paroi. C'est la première fois que je le vois dans cet état. On dirait qu'il tremble. Pourtant cela fait un moment que l'air ne circule plus et qu'une chaleur diffuse émane de la roche.

Depuis que nos pas nous ont menés plus en profondeur dans la montagne, l'oxygène commence à manquer. Nous en ressentons tous les deux les effets même si nous n'évoquons le sujet. Key garde un œil sur moi, comme s'il avait peur que je disparaisse. Il profite de cette courte pause pour récupérer. Pendant ce temps je tente de déchiffrer la carte que j'ai récupérée : le chemin qui mène à Centria n'est pas défini. Il apparait entrecoupé d'annotations illisibles, de symboles et de zones vierges. Concentrée, je parcours à toute vitesse le dédale de galeries, tente de percer quel chemin serait le plus rapide, pour comprendre quelques minutes plus tard que nous ne sommes pas sortis d'affaires : cette montagne est une vraie trou d'astéroïde.

C'est la chaleur qui nous rappelle à l'ordre. La chaleur qui s'est emparée du couloir, rendant chaque inspiration moins supportable que la précédente. Gagnée de vertiges, je sens Key me rattraper avant que je ne m'effondre. Son souffle tiède effleure mon visage. Il est plus proche qu'il ne l'a jamais été et brûle de la fièvre qui l'accable. J'ôte mon cardan pour lui essuyer le front. Il me laisse faire en silence, sans bouger, puis éteint brusquement la lampe torche.

- Pas un bruit, m'intime-t-il si bas que je l'entends à peine.

Dans notre dos, les discussions des soldats nous parviennent. Ils sont plusieurs et certains commencent à s'impatienter. Comme pour nous, la mine ne leur fait pas de cadeaux. L'un d'eux se plaint d'avoir du mal à respirer, un autre de la chaleur. Au bout de trois minutes celui qui ne cesse de râler propose de faire demi-tour. On ne lui oppose pas de résistance.

- Si vous m'entendez, hurle-t-il à notre égard, sachez que le Grand Commandeur sait qui vous êtes, et que lorsqu'il vous aura trouvé, il saura vous accueillir. Parce qu'il vous trouvera !

- Tais-toi, tu vas leur faire peur, pouffe un de ses compagnons.

La pénombre s'illumine alors d'un doux halo orangé. En cherchant cette soudaine source de lumière, mon regard se pose sur Key et sur ses mains. Comme des braises incandescentes, le bout de ses doigts rougeoie, vibre d'énergie. Même contraint face au manque d'oxygène, son don le traverse...

Annotations

Vous aimez lire Gwenouille Bouh ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0