Chapitre 20 - Blanc

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Le palais royal n'est pas ici, dans la ville. Il est plus loin que je ne le pensais, mais je vais m'y rendre par n'importe quel moyen. Même s'il me faut courir jusqu'à en perdre haleine, je ne m'arrêterais pas avant d'avoir atteint les grilles du palais.

Je remarque à l'instant où ils entrent dans la ville un noble et sa monture, fraîche mais accablée par autant d'égoïsme. Je ne peux le supporter. Je m'élance vers lui, attrape la bride de son cheval et le pousse vers l'arrière. Il m'attrape le bras mais je l'amène vers moi, et il perd enfin l'équilibre. Il me bouscule, mais son cheval fait un écart pour ne pas se retrouver les naseaux sur la pierre. Il se retrouve sous ses sabots lorsqu'il tente de se cabrer pour m'empêcher de monter, mais il ne monte pas bien haut. Je m'agrippe aux rênes et le fait tourner vers la sortie. Il me montre sa réticence en ruant une ou deux fois, mais veut bien m'obéir et galoper le plus vite possible jusqu'à ce que j'aperçoive la silhouette immaculée et auréolée de l'or du matin, aussi imposante qu'une montagne et aussi déplacée en ces lieux que moi je le serais si j'entrais en elle.

Ce grand ciel bleu, exempt de tous nuages, ment. Il sait comme moi que le soleil est parti. Il sait comme moi que maintenant, il n'y a plus d'ombre, car en fait, il n'y a plus que l'ombre. Je suis secouée d'un frisson terrible à la vue de cette espèce de monument, blanchi et lieu de repos d'êtres sans lois. Je pousse ma monture à entrer dans la ville sans ralentir, et je la dirige sur la grand-route. Je bouscule nombre de preux chevaliers, de nobles dames, d'aristocrates véreux et de grandes divas dont les hommes se disputent la vertu. La garde, avec ses armes et ses armures rutilantes, n'est pas capable de se mettre en travers de mon chemin. Je franchis la porte principale et entre dans le château sans descendre de ma monture. J'avoue que je m'amuse beaucoup à prendre par surprise les grands nobles et à salir les tapis, mais ce qui m'étonne le plus, c'est la facilité de ma monture à grimper des escaliers. Même si elle n'a pas l'air d'être plus perturbée que ça par le fait d'être à l'intérieur du palais, et par le bruit de ses sabots sur la pierre, moi j'ai comme l'impression d'être dans un autre monde.

Je suis à une hauteur qui n'existe pas, dans un bâtiment où le sol est de marbre et où le plafond est doré, chevauchant une créature qui semble prendre beaucoup de plaisir à cavaler dans les couloirs. Je parviens à bloquer dans un coin un des courtisans, visiblement très surpris par ma présence et celle du cheval.

" Où est le Roi ?"

Il perd instantanément toute contenance et semble devenir fou. Il commence à murmurer, avant de hurler des mots sans aucun sens. Puis, alors qu'il semble trop fou pour que j'en tire quoi que ce soit, il m'attrape et me crie :

" Il est là-haut, avec tous les autres ! Ils veulent tout changer, tout détruire, ils veulent rendre le pouvoir aux créatures originelles, aux Immuables ! "

Je le fixe sans comprendre.

" Là-haut ? Où, là-haut ? Tout en haut ?

- Tout en haut de la plus haute tour, ce n'est pas compliqué ! Vous prenez l'escalier à droite et vous montez..."

Je ne le remercie pas et lance mon cheval dans le couloir, avant de le faire bifurquer dans les escaliers. Il s'arrache plusieurs fois du sol et saute les marches. Ce n'est pas forcément très agréable, mais je ne voudrais pour rien au monde les monter moi-même.

Qu'il m'ait donné toutes les informations que je voulais, c'est pire qu'un crime, c'est même la pire trahison possible. Je ne comprends pas ses motivations. Et puis, au vu de l'état dans lequel il était, je ne peux pas croire à un mensonge. Que les Rois veuillent tout changer, tout détruire, pour eux-mêmes, je peux comprendre, mais qu'ils rendent le pouvoir aux créatures originelles, les Immuables, c'est une folie qui n'est pas attribuable à la bêtise humaine ! L'être humain n'est pas du genre à donner aux autres ce qu'on lui a attribué en lui faisant croire que c'était sa destiné. Non, il a dû mal comprendre l'objectif de la réunion des Rois, mais... Qu'une telle idée puisse germer dans les esprits à cause de mes mots, c'est déjà une victoire !

Cependant, ça m'étonnerait énormément que je parvienne à faire quoi que ce soit contre les douze Rois rassemblés. Je ne suis armée que d'un coupe papier, et je me vois mal foncer dans une porte sur un cheval avec seulement une arme aussi ridicule. De plus, ce pauvre animal doit être bien éreinté, à galoper comme ça sur les routes, dans les couloirs, et même dans les escaliers.

Il me mène jusqu'à une hauteur plus qu'absurde pour une tour. Elle correspondrait probablement plus à ma prison, à la tour noire, au lieu où j'ai passé cinq cents ans dans mes fers. J'étouffe un rire fou. À cette époque, on n'avait même pas cherché à m'écouter. Jamais on n'aurait laissé paraître un livre qui distribuerait des idées aussi révolutionnaires. En fait, même mon existence faisait de moi une hors-la-loi. Pire encore, parce que je n'avais pas peur de dire ce que je pensais, on m'a condamnée, traitée comme une folle, accusée de trahison, et lorsque j'ai voulu me défendre, on n'a même pas fait semblant de m'écouter. C'est pour ça que je me suis révoltée, c'est pour ça que je me suis battue. J'ai appelée ça liberté d'expression, et parce qu'on voulait me faire taire j'ai crié plus fort.

Mais bon... Ça n'avait pas marché, cette fois-là, puisque je n'avais pas réussi à m'introduire dans le palais. En fait, j'étais trop prudente, je réfléchissais trop. En fait, jusqu'à il y a peut-être une heure, je croyais que seuls les plans que j'échafaudais pouvaient me sortir d'affaire. Mais maintenant, je crois comprendre que tant qu'on n'a pas essayé de donner son maximum pour atteindre notre but, ça ne peut pas fonctionner. Et puis... Je leur dois bien ça. Il ne faut pas que tous ceux qui sont morts pour une cause l'aient été en vain. Je ne veux pas avoir emmené tous ces gens à la mort. Je ne veux pas que tous ceux qui ont souffert par ma faute, tous ceux qui ont été brisés, et ceux qui ont vu leurs rêves partir en fumée, je ne veux pas que tous ces gens se demandent pourquoi.

Et puis, c'est pour toi aussi, Hartley. C'est pour que ni ton amour, ni ton sacrifice ne soient que des actes sans aucun sens. C'est pour enfin justifier nos vies. C'est pour donner un sens à mon éternité, et à celle que vous passerez à contempler le monde que vous aurez aidé à changer.

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