Chapitre 13 - Blanc

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Le soleil se lève à peine à l'horizon. Je jette un coup d'œil en arrière, de peur de voir un ruban de fumée noir s'élever au loin. Mais non, rien. Que le ciel bleu, jusqu'à l'horizon, et ses nuages qui naviguent. Je soupire encore une fois, avant de me reprendre. Je n'ai fait que ça depuis que je suis partie. Je ne cesse de me retourner, et de chercher une trace de mes poursuivants, comme si j'espérais les trouver derrière moi. Je secoue la tête pour me rappeler que je fuis. Mon but est d'être assez loin pour ne mettre personne d'autre que moi-même en danger.

Et cette fuite est tout ce qu'il y a de plus humain. Combien en ai-je vu tenter de courir plus vite que leurs problèmes, et se faire terrasser à la fin ? Trop. Je leur ai dit maintes fois que les problèmes, il ne faut pas les fuir, mais les régler. Et combien sont morts à cause de mes paroles ? Beaucoup trop. Il n'est pas rare que l'on qualifie le savoir de malédiction. Pour moi, c'est plutôt la parole qui me maudit. Je parle lorsque je devrais me taire, je brise les murs de mots qui protègent les autres, et je les lance dans des batailles perdues d'avance. Mais je ne renonce pas.

Fuir, c'est renoncer, et je le sais. Je m'arrête au milieu du chemin et regarde autour de moi. La forêt que je viens de traverser s'achève brutalement sur une large plaine d'herbe. La hauteur des brins me permettrait sans problème de me cacher, mais je ne veux plus courir au hasard. Je dois me poser un instant pour réfléchir. Vaut-il mieux pour moi d'attendre au milieu de l'herbe qu'on vienne me chercher, ou bien dois-je marcher jusqu'à une ville pour tenter de passer inaperçu ?

Me cacher pourrait me donner un peu de temps, et je pourrais peut-être parvenir à reprendre contact avec les autres pour finaliser mon plan. Mais je ne suis pas certaine que ça fonctionne, et encore moins si je ne parviens pas à me cacher. Je ne veux pas amener la mort à des innocents, surtout si ce n'est que pour sauver ma peau. Mais je ne veux pas non plus me résoudre à me battre. Je suis depuis longtemps lasse de la violence, mais mon ennemi m'oblige à provoquer le combat, que ce soit par les actes ou par les mots. Il a lancé les hostilités, à moi de lui répondre... Mais comment ? En prenant le risque de sacrifier des villageois, ou bien en me rendant, aussi menaçante que je sois ?

Je croyais avoir le temps, mais j'avais tort. La colonne de fumée que je cherchais il y a peu s'est enfin élevée. Elle n'est pourtant pas aussi épaisse que je l'imaginais, et je me demande bien ce qu'ils ont pu faire brûler pour ne dégager que ces quelques volutes sombres. Je secoue la tête encore une fois. Ce n'est pas le moment de se poser ce genre de questions, il faut que je me prépare. De toute façon, je n'ai plus le temps de me cacher ni même d'aller bien loin. Il n'y a pas meilleure tactique que celle qu'on ne peut pas prévoir, et j'avoue que moi-même je n'aurais pas eu l'idée de chercher quelqu'un au milieu d'une prairie. Enfin, comme je n'ai pas le choix, il me faut préparer mes arguments.

Je m'assieds dans l'herbe et fais ce que je sais faire de mieux : penser. Le calme m'aide à respirer le plus sereinement possible. Cette nuit, j'espérais pouvoir comprendre pourquoi il m'avait quitté, ce matin je vais pouvoir le lui demander. Sa réponse ne me satisfera pas forcément, mais je me ferai un devoir de l'accepter, quelle qu'elle soit.

Un long moment de silence se succède au chaos de mes pensées. Puis, soudain, une volée de perdrix sort des bois. C'est probablement parce qu'ils arrivent. Je me relève doucement et commence à avancer. Je pourrais encore les attendre durant des heures. Je sors des herbes et les regarde venir. Visiblement, les fourrés n'ont pas été très gentils avec eux. Les premiers gardes sont maculés de boue et leurs vêtements sont pleins de déchirures. Ils ont ôté leurs heaumes et semblent avoir besoin de se reposer. Ils n'ont même pas levé les yeux, sinon ils m'auraient vue.

J'attends patiemment que tout le monde arrive pour me manifester. Même cet imbécile de Duc a préféré s'asseoir plutôt que de vérifier que je n'étais pas dans les environs. Je ne peux m'empêcher de douter. Est-ce vraiment la même personne ? Je ne me souvenais pas qu'il était aussi petit, ni que ses cheveux avaient autant blanchis... Ah, évidemment, je crois le retrouver comme il était à l'époque, mais l'âge surprend tout le monde, un jour ou l'autre, même les elfes. Il a perdu les quelques centimètres qui le faisaient paraître plus grand que tout le monde, mais il m'étonnerait tout de même, s'il était devenu plus petit que moi. Bon... Je crois qu'il est temps que je lance les hostilités.

" Alors, messieurs, vous êtes trop fatigués pour vous rendre compte que je suis devant vous ?"

Ils lèvent tous les yeux vers moi, et certains poussent des cris de stupeur. Je laisse échapper un rire, mais me reprend. Ils sont tous là, à me regarder sans comprendre, sans bouger. Ils murmurent parfois entre eux, mais je ne comprends pas ce qu'ils disent. Ezekiel est le seul à me répondre de manière un peu plus audible.

" Et toi, es-tu trop idiote pour te réfugier là où nous t'attendions ? Ma chère Helen, suis-je trop prévisible, ou bien trouves-tu que j'aie trop pris mon temps ?

- Pour être franche, si tu étais venu à l'instant où je m'étais échappée, je pense que tu aurais peut-être eu une chance, mais aujourd'hui, c'est trop tard, Ezekiel.

- C'est bien ce qu'il m'a semblé. Même en étant le premier Conseiller de Sa Majesté, il y a des choses que je ne sais pas à l'instant où je le devrais. Je l'avais pourtant prévenu, mais il n'a pas voulu me croire. Il a trop baissé le niveau de sécurité, et quelqu'un en a profité pour te libérer. Cependant, avant de brûler le manoir de ces chers Lahthon, j'ai lu ta lettre. Tu t'excuses de m'avoir blessé, mais sais-tu au moins ce qu'est la douleur de se lever un matin et de se rendre compte que tout n'étais que des promesses vides de sens, des rêves d'amour et d'avenir brisés, en éclats sur le sol ? Tu ne m'as pas blessé, Helen Mithra, tu m'as anéanti."

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