*** Le 27 juillet 2022 - 08h30 *** (03) Ravitaillement

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Lorsque nous sommes arrivées sur le parking du magasin, celui-ci était bondé de monde ce qui était prévisible. J'avais le cœur dans les talons et le souffle court. Élise s'était calmée, mais je voyais bien à ses yeux écarquillés qu'elle était aussi apeurée que moi. Un coup d'œil a maman, me permis de constater qu'elle tentait de garder contenance. Quand elle a trouvé une place de libre, elle s'est garée et a couper le moteur avant de se tourner vers nous.

— Nous y sommes ! Voici de l'argent pour chacune, j'ai pioché dans mes économies secrètes. Cachez-les dans vos poches et ne les perdez pas. Normalement vous aurez assez et de toute façon je n'ai rien de plus à part ma carte bancaire. Maintenant on y va ! On se donne rendez-vous dans 30 minutes et pas une de plus ! Soyez prudentes.

— Promis, maman ! Nous serons prudentes, la rassurais-je. 

Nous avons ouvert nos portières à l'unisson et nous nous sommes arrachées de la voiture. Le bruit de nos pas résonnait sur le macadam, tandis que nous nous approchions du magasin afin de nous emparer chacune d'un caddie. Ce faisant, nous pouvions apercevoir la foule qui se trouvait à l'intérieur du grand magasin. Nos caddies en mains, le brouhaha ambiant nous a surprises lorsque les portes automatiques se sont ouvertes sur notre passage. Il y avait autant de monde qu'un samedi après-midi en période de Noël. A contre-cœur, nous nous sommes lancé un dernier regard d'encouragement et nous nous sommes séparées vers nos directions respectives.

Certains rayons étaient déjà pratiquement vides, mais heureusement, pas encore totalement. J'essayais de me frayer un passage parmi tous ces gens qui s'agglutinaient par endroits, mais ce n'était pas chose aisée. La panique se lisait sur tous les visages et la nervosité ambiante était à son comble. Arrivée dans le rayon des fournitures, je me jetais sur les piles et autres batteries qui restaient. Puis, je me suis rendue au rayon camping afin d'y prendre des bonbonnes de gaz et d'autres petites choses utiles. En fouillant vite, mais bien, j'ai réussi à rassembler le nécessaire pour composer des sacs de survie. J'ai également jeté mon dévolu sur la nourriture lyophilisée, les barres énergisantes et les fruits secs. Lorsque mon caddie fût à trois quarts plein, je me dirigeai vers les caisses en comblant les vides avec des choses et d'autres qui se trouvaient sur mon passage. J'arrivais à destination à temps, car le caddie était désormais horriblement lourd à pousser. Il m'était impossible d'y ajouter quoi que ce soit au risque de faire du surplace.

Évidemment, les caisses étaient bondées, ce qui était également prévisible ! Cependant, elles étaient toutes ouvertes. Fin du monde ou pas, les caissières étaient fidèles au poste. Un coup d'œil à ma montre me confirma qu'il ne me restait plus que dix minutes sur le temps imparti. Je m'incorporais dans une file d'au moins dix personnes. La caissière suait à grosses gouttes, mais elle gardait un rythme soutenu, sans doute pressée de rentrer chez elle. Tant mieux pour moi ! En parcourant l'espace des yeux, je finissais par repérer Élise avec un caddie aussi chargé que le mien. Elle se situait à quelques mètres de moi dans une autre file. Un instant plus tard, maman était apparue à son tour dans mon champ de vision. Ce qui ne manqua pas de me rassurer. Elles étaient là et elles allaient bien !

Élise a eu fini la première et quelques minutes plus tard, ce fût à mon tour de la rejoindre à l'entrée du magasin où elle m'attendait impatiemment. Je jetai un regard à maman qui hocha la tête en direction du parking. J'enjoignais le geste à la parole et entraînait Élise vers la sortie. Nous avons toutes deux galéré à pousser nos chariots, mais nous y sommes finalement arrivées sans encombre. Je me dépêchais de prendre la clé dans ma poche et déverrouillait le coffre à toute vitesse. À peine était-il ouvert que nous y transférions déjà nos victuailles. Mes bras étaient douloureux, mais j'y faisais abstraction. Élise soufflait comme un buffle, elle était à bout de force. Nos caddies étaient à ¾ vides quand maman nous rejoignit les bras chargés, elle aussi.

— Courage les filles, nous y sommes presque ! Alycia, tout est encore civilisé là-bas. Retournes-y pendant que je décharge le reste avec ta sœur, voici la carte de banque. Élise, va te donner l'argent qu'il lui reste. À nouveau, prends tout ce que tu peux, et retrouve-nous ici. Ensuite, nous irons faire le plein d'essence de la voiture à la pompe d'à côté, puis nous rentrerons à la maison.

Mes bras tremblaient, je n'en pouvais plus et je n'avais aucune envie de retourner là-bas... Cependant, je savais parfaitement qu'elle avait raison, si la situation empirait nous aurions besoin d'un maximum de vivres. Je me dépêchais, alors, d'aller chercher un chariot et pénétrait à nouveau dans le centre commercial.

Dans le caddie défilaient les paquets de pâtes, les conserves, du sucre, de la farine, des boissons, quelques produits frais pour les prochains repas puisque le courant fonctionnait encore et pleins d'autres petites choses utiles. Les rayons se vidaient à vue d'œil et l'atmosphère commençait à se faire plus lourde et plus tendue. Des disputes éclataient çà et là, sans pour autant dégénérer. Je me dépêchais, tout de même, de terminer mes emplettes et repassai à nouveau par la caisse sans encombre.

À l'instant où je suis arrivée à la voiture, maman et Élise en sont descendues pour m'aider à décharger. Cependant, maman a voulu que j'aille m'asseoir pour me reposer quelques minutes, ce dont je la remerciai chaleureusement car j'étais en nage et la tête me tournait. Je commençais à me sentir un peu mieux lorsque maman et Élise me rejoignirent dans la voiture.

— Vous avez été parfaites, les filles ! Je suis très fière de vous. Maintenant, nous devons aller chercher de l'essence, puis nous pourrons rentrer à la maison.

C'étaient des biens sages paroles auxquelles nous acquiesçâmes toutes les deux en cœur.

Cela faisait un peu plus d'une heure que nous étions parties et je ne pouvais plus nier l'effervescence inhabituelle qui régnait en ville. Ça klaxonnait de toute part et les gens traversaient de partout sans lever le nez de leurs smartphones. Maman s'engageait prudemment dans l'une des files afin d'avoir accès à une pompe et nous attendîmes patiemment notre tour. Une idée devait avoir germé dans sa tête, car elle se retourna soudainement vers nous avec un petit sourire en coin vissé sur le visage.

— Mes chéries, j'ai un dernier petit service à vous demander. Dans trois voitures, ce sera notre tour. Cela vous laisse le temps de vous rendre dans la boutique de la station-service pour acheter les plus gros bidons que vous pourrez porter. En revenant, videz leur contenu dans un égout et rapportez-les-moi, nous allons faire une petite réserve d'essence. Je pense que cela pourrait être utile en temps voulu. Mais soyez prudentes, car les gens ont l'air de plus en plus énervés. Je ne bouge pas d'ici pour ne pas perdre notre place et j'attends notre tour à la pompe.

Je ne pouvais qu'approuver cette idée car elle avait totalement raison ! Au vu de la situation actuelle, nous ne savions pas si nous aurions encore l'occasion de faire le plein d'essence de sitôt, alors autant en profiter un maximum tant que nous étions sur place ! Nous nous exécutâmes, donc, à toute vitesse. La boutique de la station-service étant juste à côté, il ne nous a pas fallu longtemps pour l'atteindre.

Ici aussi il y avait eu une razzia, les présentoirs étaient pratiquement vides. Mais, fort heureusement pour nous, il restait tout un tas de bidons de produit lave-glace et d'antigel. Forcément, les gens les avaient délaissés puisque ça ne se consommait pas... Nous nous sommes donc chargées au maximum du possible, puis nous sommes allées payer tout ça à la caisse. Le jeune vendeur boutonneux ne manqua pas de ricaner de notre allure ridicule avec tous ces bidons dans les bras. J'étais rouge pivoine à cause de l'effort, mais aussi de honte. Ma malicieuse petite sœur, elle, ne manqua pas de lui tirer la langue avant de partir.

A l'extérieur, nous les avons vidés les uns après les autres dans un égout qui se trouvait à proximité. Je me sentais terriblement coupable de déverser tous ces produits chimiques dans les eaux, même si elles étaient usées. J'entendais ces litres se déverser au son du plop plop caractéristique d'une bouteille que l'on vide trop rapidement, ce qui finit par nous fit rire bêtement Élise et moi. Quand le flux s'est enfin tari, on est allées retrouver maman à la voiture où elle était déjà en train de faire le plein d'essence. En nous voyant arriver, elle afficha son plus beau sourire et haussa significativement la voix pour se faire entendre.

— Juste à temps, les filles ! Donnez-moi tout ça, je me charge de les remplir. Vous, essayez de les caser où vous pouvez lorsque ils seront pleins.

Ce que nous fîmes sans broncher, car derrière nous la file de voitures ne cessait pas de s'allonger. Les gens commençaient à s'impatienter, ils faisaient ronronner leurs moteurs de manière agressive et klaxonnaient à tout va. Nous étions dans une vraie cacophonie assourdissante, qui n'était pas sans me rappeler la liesse qui régnait dans les rues lorsque les diables rouges gagnaient un match lors de la coupe du monde. Ce qui était inquiétant, dans ce cas-ci, c'est que les gens n'étaient pas du tout joyeux, bien au contraire.

Lorsque nous rebouclâmes nos ceintures prêtes à partir, nous étions chargés comme des baudets. J'avais deux bidons sur les genoux et Élise tâchait de se faire toute petite sur le siège arrière. L'odeur d'essence qui empuantissait l'habitacle me mettait le cœur au bord des lèvres et une migraine féroce ne tarda pas à poindre dans mon crâne. J'étais impatiente d'arriver à la maison, car cette petite escapade m'avait littéralement achevée !

Mon vœu fut exaucé une vingtaine de minutes plus tard lorsque maman arrêta le moteur et referma la porte du garage derrière nous. J'en soupirais de soulagement ! C'était plus fort que moi, je savais pertinemment que désormais le ciel pouvait nous tomber sur la tête à n'importe quel moment. Pourtant, il suffisait que je passe le pas de la porte de ma maison pour me sentir instantanément apaisée et en sécurité.  

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