Chapitre 5

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 Wilthas s'était affalé dans l'ombre contre un mur. Il continuait de fixer les décombres de l'impasse, le visage décomposé et tombant. Était-ce cela qu'il était venu voir ? Était-ce la réponse à toutes ses questions ? Tout semblait presque trop simple. Balayer par les flammes. Plus rien pour lui rappeler son bien trop heureux passé. Plus rien pour lui rappeler la fin de ses jeunes années. L'herbe du jardin avait eu le temps de repousser. Faussement verte et traitrement propre. Comme si quelqu'un continuait de la couper impeccablement comme le faisait sa mère. Peut-être était-ce son père. Peut-être que Syllen avait raison et qu'il se trouvait quelque part dans ce village. Dans une nouvelle maison où ni lui ni Syllen n'avait laissé d'empreinte. Une nouvelle maison stérile de tout malheur.

 Wil ferma les yeux, invoquant n'importe quelle entité supérieure de donner raison à sa soeur, pour une fois. Il voulait revoir son père finalement. Peut-être ne lui en voudrait-il plus d'être parti. Il lâcha un soupir tremblant. Syllen devait déjà avoir atteint la place de l'Honneur depuis un petit moment. Peut-être même qu'elle avait déjà trouvé Garann, au milieu de la foule de parents, observant les jeunes s'exposer à la pierre. Tous de potentiels magiciens qui seraient jetés au roi pour mourir comme des traitres. Des traitres à quoi ? songea le chasseur. Est-ce que naitre avec un don sans le vouloir faisait d'eux des traitres à la couronne ? Ou simplement les victimes d'un seigneur superstitieux. Wil n'avait jamais connu le monde avant l'éradication des mages. La loi avait été apposée quelques années avant sa naissance. La magie. Wilthas n'en connaissait rien. Syllen avait hérité du don de leur grand-mère maternelle, mais ce n'était pas une réelle magicienne. Il n'y avait toujours eu qu'un seul mage dans leur famille depuis plusieurs générations. Il ne devait d'ailleurs plus être de ce monde à présent...

 Wilthas envoya sa tête heurter le mur derrière lui. Il l'avait abandonné. Il les avait tous abandonnés.

 Un ombre passa furtivement devant lui. Une silhouette encapuchonnée descendait la ruelle d'un pas rapide. Wil la fixa du regard lorsqu'elle s'arrêta face aux ruines sèches de sa maison. L'inconnu posa le pied sur l'herbe du petit jardin qui tentait de garder un soupçon de vie à l'édifice. Le chasseur se leva d'un bond. Cette personne était en train de se diriger vers le fond du jardin, dans la petite parcelle qui se glissait derrière la maison. Wil pouvait apercevoir la capuche disparaitre derrière les poutres calcinées. Il s'élança vers la maison. Qui était cette personne pour pénétrer ainsi dans son ancien logis et se diriger vers cet endroit précis que Wil s'efforçait de ne pas regarder. L'inconnu venait de sortir de son champ de vision, camouflé derrière les pans de mur écroulé :

 — Hey !

 Il s'agissait sûrement de son père. Seuls les membres de leur famille savaient ce qu'il se trouvait au fond du jardin. Qui d'autre que son père pourrait venir ainsi en ce jour de jugement fouler du pied la tombe de sa mère ? Wil déboucha derrière les amas de poutre et de pierre qui composaient autrefois sa maison. Un visage de nacre teinté de rose balança sa longue chevelure blanche aux reflets blond vers lui. Elle avait les yeux rougis de larmes naissantes. Agenouillée, face à elle se trouvait un petit monticule de terre recouvert d'herbe tendre au-dessus duquel poussait un chèvrefeuille. Une nouvelle fois, Wil sentit l'entièreté de ses jambes se dérober. Ses genoux virent imiter ceux de la jeune fille qui ouvrait de grands yeux ronds face à lui. Le coeur de Wilthas se mit à hurler. Ses mains tremblèrent. Ce visage face à lui. Celle qu'il avait abandonnée. Celle qu'il pensait ne plus jamais revoir. Celle qui faisait naitre tous ses remords. Nessandra, sa petite soeur.

 Il avait la gorge sèche et nouée. Le moindre son lui paraissait impossible à produire. Il se sentit tout un coup devenir muet. Pourtant il avait tant de choses à dire. Les joues de la jeune fille en face de lui devinrent roses et le vert de ses yeux se noya de larme. Elle jeta ses mains de chaque côté du visage blême du chasseur :

 — Je le savais ! exulta-t-elle, je savais que tu viendrais. Je savais que tu ne m'avais pas abandonné !

Elle tremblait de tout son long, raclant ses genoux contre la terre pour se rapprocher de lui :

 — Tu es revenu, comme pour maman. Tu es revenu me voir. Je savais que tu ne me laisserais pas toute seule.

 Ses mots étaient entrecoupés de rires et de larmes, une joie apaisante et des soupirs de soulagement. Ses grands yeux scrutaient le visage de son frère comme pour vérifier qu'il s'agissait bien de lui. Tant d'années les avaient séparés. Tant de jours maudits où elle avait désespérément eu besoin de lui. Il était là à présent. Tout comme le jour où leur mère était morte, il était revenu pour calmer son chagrin :

 — Wil...

 Nessandra se jeta contre lui, pressant sa joue contre son torse figé. Le chasseur n'osait plus bouger. Il n'y avait pas de doute, il s'agissait bien de sa petite soeur. Elle avait tellement grandi. La dernière fois qu'il l'avait vu, elle n'avait même pas encore dix ans. Mais il savait que c'était elle. Ses cheveux brillants d'un blanc tout juste teinté d'or, semblable à ceux de Syllen. Ses grands yeux émeraude toujours ouverts sur tout ce qui l'entourait. Leur tristesse qui n'avait plus jamais quitté son regard depuis l'enterrement.

 Wilthas posa ses mains contre les épaules de la jeune fille et la décolla doucement de lui. Il jeta un oeil à son poignet, une dernière vérification pour être sûr qu'il avait bien en face de lui Nessandra Rocherelli. Un fin bracelet monté de petite pierre blanche roulait contre sa peau. C'était elle. Wil l'observa entièrement, gravant dans sa mémoire le nouveau visage de sa soeur. Elle lui offrait un doux sourire qu'il ne méritait pas :

 — Ness...Tu...Tu es...Dis-moi ! Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Où est papa ? Pourquoi la maison est dans cet état ?

 Brusquement, la douceur se décomposa dans le regard de Nessandra. Son sourire s'envola et un voile de tristesse ternit son teint rosé :

 — Tu ne sais rien...tu n'es donc pas venu pour moi...Ils avaient donc raison. Tu m'as abandonné. Ici. Toute seule...

 Ses fins sourcils blancs se froncèrent et Wil crut voir face à lui le miroir de sa propre rancoeur. Ness se leva d'un bond et envoya claquer sa main contre la joue de son frère. Surpris, sonné et interdit, il ne réussit à bouger que lorsque sa petite soeur était déjà sortie du jardin à grands pas furieux :

 — Attends, Nessy, je t'en pris.

Elle se retourna, le visage creusé de plus en plus par la colère :

 — Ne m'appelle pas comme ça ! Tu as perdu le droit de jouer les grands frères aimant le jour où tu m'as abandonné ! hurla-t-elle

 — Non, c'est faux. Jamais je ne t'aurais abandonné. Papa...dans la dernière lettre que j'ai reçue de lui il...il disait que... Wil sentit son coeur se rompre dans sa poitrine. Il allait prononcer les mots qui le hantaient depuis si longtemps. La raison pour laquelle il n'était pas revenu :

 — Tu es morte... s'étrangla-t-il, la lettre disait que tu avais été choisit comme sacrifiée et que tu étais morte dans la forêt.

 Wilthas voulut faire quelques pas dans la direction de Ness, mais celle-ci recula :

 — Alors c'est pire que ce que je croyais. Tu me pensais morte et tu n'es même pas venu voir si j'étais enterré.

 — Je n'ai...aucune excuse. J'ai été lâche, pardonne moi. L'idée de te savoir...seule et sacrifiée à la forêt m'était insupportable. Je...

 Les remords lui avaient dévoré la vie depuis ce jour-là. Lui qui, le jour de ses 15 ans, alors que Ness n'avait que 8 ans à peine, était partit du village pour devenir chasseur. Il avait fui leur foyer par crainte. Crainte du don effrayant de leur soeur, crainte de la pierre et du sacrifice, mais crainte aussi de la magie naissante entre les mains de sa petite soeur. Il n'avait aucune excuse hormis sa lâcheté. Il méritait la haine de sa soeur :

 — C'est vrai...Je t'ai abandonné. Je nous ai tous abandonnés.

 Il baissa la tête, incapable de supporter le regard noir de sa cadette. L'ai autour de lui se mit à grésiller. Il sentit ses cheveux se dresser sur son crâne et le moindre poil de ses bras se mit au garde-à-vous. Quelques morceaux de pavé, mal imbriqués, se mirent à trembler, prêts à se décrocher du sol. Ness relâche soudainement ses poings serrés, inspirants à grandes bouffer pour calmer la colère qui lui rongeait le coeur. L'atmosphère retomba d'un coup. La jeune fille perdait peu à peu le brouillard dans ses yeux et contempla piteusement son frère, la nuque courbée vers ses pieds, repentants. À quoi bon lui en vouloir davantage, ce qui était fait est fait.

Nessandra fit quelques pas dans sa direction et saisit la barbichette tressée qui coulait sous son menton. Elle laissa échapper un rire :

 — Ça te va plutôt bien.

 Il releva la tête, surpris de sentir le rire dans la voix de sa soeur. Ses grands yeux arboraient une mélancolie ornée de nostalgie. Elle était tout de même heureuse de revoir son frère:

 — Tu...tu ne te fâches pas davantage ?

 — À quoi bon ? Je n'ai aucune envie de passer mes nerfs contre toi. Une prochaine fois peut-être. Ça ne veut pas dire que je te pardonne ! Mais je ne veux pas gâcher nos retrouvailles.

 Elle se jeta sur lui et plongea sa tête contre son torse. Elle avait certes grandi, mais beaucoup moins que lui. Debout, le haut de sa tête frôlait son menton. Elle le serra dans ses bras, poussa un long et fatigué soupir qu'elle gardait depuis bien trop longtemps. Wil s'octroya le droit de passer sa main contre la chevelure de sa petite soeur :

 — J'en demande peut-être trop, mais...tu veux bien me raconter ce qu'il s'est passé ? Et où est papa ?

 Il avait pris une voix douce et calme, redoutant un nouvel accès de colère. Les épaules de Nessandra s'affaissèrent et un nouveau soupire, bien plus lourd, ensuivi. Elle se détacha de Wilthas, la tête basse, le coeur serré :

 — Il est mort !

 Ness se retourna vivement. Ce n'était pas elle qui avait parlé. La silhouette longiligne de Syllen se tenait droite au milieu de la rue, face à la maison. Elle avait croisé les bras sur son torse, masquant l'insigne du Duc. Son visage inexpressif contrastait avec la révélation qu'elle venait d'annoncer :

 — Quoi ?

 Wilthas en resta bouche bée, fixant tour à tour chacune de ses soeurs. Il était venu dans ce village avec la certitude d'y revoir son père et de pleurer sa soeur. Mais finalement, c'était tout le contraire qui s'imposait à lui. Syllen avança d'un pas calme et lent vers sa petite soeur :

 — Je ne m'attendais pas à te revoir, Nessandra. J'aimerais te dire que je suis heureuse de te voir saine et sauve, mais...Garann vient de m'apprendre la mort de notre père. Cela altère un peu mon émotion, pardonne-moi.

 Il n'y avait pas la moindre émotion qui transparaissait sur son visage de porcelaine. Ness resta interdite face à ses mots, cette expression. Sa grande soeur, malgré sa réserve naturelle, ne lui avait jamais paru aussi inhumaine qu'à cet instant :

 — Comment peux-tu dire des choses pareilles, de cette manière ! s'écria Wil qui retrouvait ses esprits. C'est tout ce que ça te fait ?! Depuis qu'on est arrivé ici, j'ai l'impression que tu te fiche royalement de tout !

 Wilthas pressa ses deux mains contre ses yeux. La colère montante frappait sur ses tempes. Il passait de l'incompréhension à la frustration en une fraction de seconde, incapable de calmer les sautes bondissantes de ses émotions. Le visage bien trop serein de son aînée face à la situation le mettait hors de lui :

 — Je ne reconnais plus la soeur que j'avais. Tu es devenu une marionnette sans coeur ! Depuis combien d'années tu n'as pas revu Nessy ? 15 ans ? Et c'est tout ce que tu trouves à lui dire ?! Tu me dégoutes.

 Wil saisit Nessandra par le bras et l'entraina avec lui dans la rue. Il voulait s'éloigner de Syllen. La simple vue de son visage suffisait à lui faire perdre tous ses moyens. Ness ne comprenait plus rien. Elle était perdue entre son incompréhension face à la rancoeur de Wil et la colère naissante qu'elle ressentait envers sa soeur. Tous deux dépassèrent Syllen qui ne bougea pas. Le regard fixé sur leur maison brulée. Nessandra jeta un oeil perdu à sa soeur, les yeux de cette dernière tremblaient et devenaient flous. Wilthas tira une fois de plus sur le bras de sa cadette pour la faire avancer.

 Il voulait qu'elle l'accompagne jusqu'à sa nouvelle maison. Il avait besoin d'un endroit calme et tranquille pour discuter avec elle. Autour d'eux, le village semblait avoir retrouvé ses activités. Tout le monde se dirigeait, tête basse, vers leurs occupations. Les jeunes enfants sautillaient joyeusement. Ceux qui avaient passé le jugement étaient soulagés d'en être sortit indemne. Certains pleuraient. D'avoir perdu un ami ou tout simplement d'avoir eu trop peur.

 Wilthas ne se souciait pas d'eux. Ce n'était plus son monde, ce n'était plus sa vie, même si cette dernière semblait se fissurer depuis son arrivée ici. Nessandra trainait du pied, toujours maintenu par le bras. Elle essayait de remettre tant bien que mal sa capuche, ballotée en tout sens par le pas pressé de Wil. Ce dernier s'arrêta brusquement, hors d'haleine, essoufflée par sa propre adrénaline :

 — Excuse-moi, Nessy, je t'ai un peu forcé la main, mais...

 Il se retourna pour lui faire face quand quelque chose heurta brutalement le visage de sa jeune soeur.

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