Chapitre 2

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 Les rayons de l'après-midi peinaient à percer l'épaisse couche de feuillage qui couvrait le toit de la forêt. Le soleil avait quitté son zénith depuis de longues heures déjà et ma sa chaleur dorée continuait d'embaumer la quiétude du lieu. Tout était calme, les oiseaux pépiaient gaiement et les brindilles sèches au sol craquaient sous les pas graciles d'une biche. Le bruit des cours d'eau et des bêtes venus s'abreuver se mêlaient au chant du vent dans les feuilles et aux conversations des volatiles. Il faisait chaud et la nature de ses lieux aurait émerveillé le moindre oeil humain. Pourtant Wilthas restait insensible à la beauté de cette forêt. Il était cramponné à la paroi rocheuse d'une sorte de petite grotte. Il était fermement agrippé aux pics qu'il avait enfoncés dans le plafond de la voute rocheuse et se tenait plaqué au plafond sans bouger. La chaleur de l'après-midi lui parvenait par le souffle du vent qui pénétrait la grotte. Des odeurs de baies fruitées et de fleurs épanouies, virent chatouiller son nez. Il prit une grande inspiration, analysant la moindre fragrance, cherchant au-delà des odeurs de pins et de sève. Il souffla lentement, dans un silence maîtrisé. Il allait continuer à prendre son mal en patience. Il jeta un bref coup d'oeil à ce qui se trouvait sous lui, il savait qu'il ne se trompait pas de lieux. Au creux de la crotte se trouvait un amas de roche couvert de petits ossements de rongeur et de carcasses polies d'animaux bien plus gros. Il ne planait pourtant aucune odeur de charogne, les cadavres ayant été nettoyé du moindre morceau de chair depuis déjà plusieurs semaines. La Bête qui vivait là migrait à la mi-saison d'automne pour aller cherche le soleil dans les Terres du Sud et revenait au milieu du printemps.

 Wilthas traquait cette Bête depuis déjà trois ans. Analysant ses moindres habitudes, de l'alimentation jusqu'à l'accouplement. Le moindre oeuf que cette abomination pondait, il se faisait une joie de les détruire. À présent il était prêt pour s'occuper de la mère. C'était une créature solitaire et territoriale, il n'y en avait heureusement pas d'autres dans la région. Wilthas en avait déduit que l'accouplement se faisait durant la migration d'automne, car il avait déjà vu la Bête revenir pondre au printemps. Déjà trois jours qu'il était suspendu à la roche, ne s'octroyant tous juste le temps d'avaler quelques baies et de simples gorgées d'eau. Il ne voulait pas manquer le retour de sa cible.

 Une nouvelle brise souffla dans la grotte, faisant chanter les bords en pierre et rouler quelques feuilles mortes. Wilthas inspira de nouveau. Une odeur de chêne, de gland, une légère effluve d'un lièvre. Il se concentra cherchant la moindre variation d'odeur. Il perçut l'odeur molle de la terre, gonflée par les récentes pluies, puis le lointain fumet d'un feu probablement de voyageur s'arrêtant pour camper. Il inspira une fois de plus. Soudain, il le perçut. Cette odeur vaguement terreuse aux relents de fer. L'odeur humide et rance que l'on peut percevoir dans les marécages abandonnés couplés à un parfum de sang séché. La Bête approchait.

 Wilthas raffermit sa prise d'une de ses mains sur les pics plantés dans la roche et chercha de l'autre l'une de ses dagues accrochées à sa ceinture. D'un geste vif, il la glissa entre ses dents et se mit ensuite à farfouiller dans sa bourse. Il saisit une grosse poignée de terre humide et se mit à se barbouiller la figure avec. Son petit bouc blond, presque roux qui habillait son menton en une minuscule tresse se retrouva noir de boue et sa peau pâle déjà couverte d'une couche de terre sèche badigeonnée plus tôt paraissait presque grise. Il s'enduit le plus possible de terre pour masquer son odeur. Il avait déjà remarqué le faible odorat de la Bête, mais la prudence restait de mise. Il ne voulait pas gâcher trois années de dur labeur avec une erreur de novice. Il essuya sa main boueuse sur son torse et attrapa sa seconde dague qu'il garda en main.

 Au loin il perçut un léger glissement et le raclement de petits cailloux. Le bruit lourd et massif ne trahissait pas la taille conséquente de ce qui approchait. Au dehors, le chant des oiseaux s'était tu et Wilthas crû même entendre les bonds graciles de la biche galoper vers le lointain. Un sifflement rauque et sourd fit détaler le lièvre et bientôt il ne resta plus des bruits de la forêt que le vent dans les feuilles et le glissement sur la terre. Il vit une ombre imposante caresser le sol de la grotte le glissement était tout proche et la forme de l'ombre s'allongea petit à petit. Il retient son souffle alors qu'une énorme tête reptilienne pénétrait avec lenteur dans la grotte. C'était bien elle, la Guivre des forêts qu'il traquait depuis tout ce temps. Elle fit rouler son long corps de serpent à l'intérieur et s'enroula autour d'elle-même sans même remarquer la présence du Chasseur au-dessus d'elle. Cela devait faire des jours et des jours qu'elle traversait le Pays, se nourrissant de maigres animaux qui passaient à sa portée. Elle allait à présent devoir se reconstituer un stock de nourriture pour la saison. Mais avant cela, elle allait se reposer de son long et fatiguant voyage.

 Wilthas ne respirait plus. Le long serpent géant sous lui balançait son corps recouvert d'écailles épaisses de gauche à droite pour trouver une position confortable. En affrontement direct et avec son équipement léger, Wilthas ne faisait pas le poids face à cette Guivre. La nervosité et l'impatience lui chatouillèrent le mollet droit. Il dut se faire violence pour ne pas taper du pied. La patience face à l'objectif n'était vraiment pas dans sa nature. Mais il devait encore patienter. L'odeur âcre et rance de la peau écailleuse de la Bête lui prenait au nez, mêlé à l'odeur de boue qui couvrait son corps. La Guivre laissa tomber son énorme tête sur son corps enroulé et laissa échapper un long râle fatigué. L'odeur puante de cadavre qui sortit de sa bouche manqua de faire vaciller Wilthas. Il se retint de plaquer une main contre son nez et attendit encore.

 Il fixa intensément la tête du monstre, juste en dessous de lui. Il raffermit sa main sur sa dague et serra les mâchoires. Il était prêt. Son rythme cardiaque s'accéléra. La tension dans ses muscles gonfla. Ainsi suspendu en l'air, le corps contracté, il avait la sensation de flotter. L'air et les bruits ambiants se turent. Même le vent n'osa plus pénétrer la grotte. Wilthas assura une dernière fois la prise de sa dague. Il lâcha brutalement les pics, laissant la graviter s'emparer de son corps et l'entrainer à toute vitesse vers le crâne de la Guivre qui sentit à peine les deux dagues s'enfoncer dans la petite cavité de sa cervelle.

 Un bruit mou et humide s'écrasa au sol. L'un des clients venait de jeter au sol son pain de viande qu'il avait arrosé de bière, ivre et bien trop joyeux. L'ambiance à la Taverne de la Guilde était la même chaque jour. Rires et boutades, cries et fracas de verreries, danses et chant, alcool et vomit. La petite serveuse Meryl s'y était accoutumée depuis, même si ce n'était pas ce à quoi elle s'attendait lorsqu'elle avait proposé ses services à la Guilde des chasseurs. Elle qui était friande d'aventures et de trophées de chasse, elle n'avait presque le droit qu'à des mains aux fesses et des sceaux de vomis. Elle se mit à genoux et nettoya la masse poisseuse de ce qui était autrefois un pain de viande à terre. Pour autant, elle ne se plaignait pas trop. Malgré leurs manières un peu trop rustres et lestes sur l'alcool, les chasseurs étaient des gens fabuleux à ses yeux. Courageux et sans peur. Et par moment, elle pouvait assister au retour triomphant d'un Chasseur ayant accompli une de ses missions.

 À peine se fut-elle levée qu'elle entendit la porte de la taverne s'ouvrir à la volée. Ses yeux s'illuminèrent lorsqu'elle reconnut la longue silhouette du Chasseur Wilthas. Il était parti depuis déjà plus d'une semaine et la jeune Meryl commençait à désespérer de ne plus le voir. Elle se précipita vers le comptoir du bar, jeta dans un sceau sa serpillère couverte de pain de viande humide et fit claquer ses petits talons derrière le comptoir réserver aux Missions. Wilthas s'approcha d'elle d'un pas nonchalant. Sa barbe avait poussé sur ses joues, échappant à la tresse de son bouc. Ses cheveux dorés presque blancs brillaient sous la lumière du soleil rasant l'horizon. Il avait des croutes de terres séchées qui tombaient de son visage allongé et ses mains gantées étaient tachées de sang. Ça, c'était un vrai Chasseur ! Meryl le regarda avancer vers elle, l'oeil brillant : -Bonjour, Chasseur Wil ! chantonna-t-elle avec enthousiasme.

 - Salut Meryl.

Il avait la voix rauque et légèrement enrouée. Il toussa avant de continuer :

 - Tu veux bien aller chercher le vieux s'te plait ? J'aimerais valider ma Mission et aller me coucher le plus vite possible.

 - Tout de suite !

 La jeune fille partie d'un pas sautillant par la porte de derrière, bienheureuse d'avoir pu échangé quelque mot avec ce Chasseur de grande renommée :

 - Hey, dis-lui que j'l'attent dehors ! lui cria-t-il depuis le comptoir avant de repartir d'un pas lent.

 Il était exténué. Il avait trainé le corps sans vie de la Guivre jusqu'ici, la transportant à l'aide d'un chariot de fortune. Pour valider sa Mission, il aurait simplement pu lui couper la tête et la ramener en trophée, mais Wilthas n'aimait pas faire les choses à moitié. Une Bête de se calibre là se revendait bien, surtout la peau écailleuse. Un vieux bonhomme, à peine plus haut que la jambe de Wil sortit de la taverne et boitilla jusqu'à lui :

 - J'te croyais déjà dans le tas de fumier de ta bête ! Croquer, digérer et chier mon gars ! T'en as mis du temps pour zigouiller ton reptile.

 - J'aime faire les choses bien, grommela-t-il

 - Je t'écoute !

 Wilthas inspecta le vieux Marcus qui venait d'asseoir son derrière osseux sur le sol. Ce petit gars ne payait pas de mine, mais c'était le négociant de la Guilde, il achetait aux chasseurs les matières premières et les revendait aux plus offrants. C'était également lui qui validait les Missions données aux Chasseurs. Wilthas pointa du pousse le corps de la Guivre dans son dos qui gisait dans le petit chariot, dont les roues croulaient sous le poids. Marcus se frotta le menton et inspecta la Bête de là où il était :

 - Femelle, à peu près 12 ans vu la forme de sa queue. Elle a de jolies écailles dit-moi. Un beau bleu, ça se vendra bien. T'as inspecté les chicots ?

 - Elle a perdu une petite dent du fond, mais les cavités de venins sont intactes.

 - J'te crois ! Vendu ! Je te ferais parvenir la prime de ta Mission et le prix de ton serpent d'ici ce soir, j'aimerais aller l'inspecter encore un peu.

 Wilthas lui fit un signe entendu de la tête et tourna vivement les talons. Ce n'était plus son affaire, Mission accomplie. Il contourna la bâtisse de la Taverne, dont le but premier était pourtant le quartier général de la Guilde, mais l'amour pour la beuverie des Chasseurs en avait décidé autrement. Au-delà de ce bâtiment se trouvaient les baraquements de la Guilde, les logements offerts aux Chasseurs qui le désiraient. Wilthas ne leva pas les yeux dessus l'improbable grappe de bâtiments. La structure des baraquements semblait chaotique et improbable. À mesure que la Guilde avait pris de l'ampleur, des maisons et petites habitations avaient été construites les unes sur les autres avant de déborder sur les côtés. Il était presque impossible de comprendre comment le tout tenait debout. Appuyées contre le flanc d'une falaise, certaines maisons étaient maintenues par de longs cordages fixés dans la roche. Wilthas habitait d'ailleurs un de ceux-là. L'un des plus hauts baraquements du bâtiment central, légèrement tordu et dont le balconnet exposé Sud semblait gratter la paroi de la falaise.

 Wil gravit la multitude d'escalier et échelles de cordes qui tournaient dans tous les sens le long du bâtiment. Il dut marcher sur quelques vêtements et caleçons que l'on avait mis à sécher sur le passage avant d'atteindre la porte grise qui marquait l'entrée de sa propriété. Il n'avait certes pas grand-chose, mais pour lui, un lit et quelques étagères lui étaient largement suffisants. Il était d'ailleurs plus que ravis de pouvoir retrouver sa fidèle paillasse qui avait surement commencé à prendre la poussière. Il fit jouer la clé dans la porte et constata sans étonnement qu'elle bougeait dans le vide. Il avait peut-être oublié de fermer en partant. Il poussa la porte d'un coup de pied, déboucla sa ceinture d'un mouvement du pouce et l'envoya voler à travers la pièce. Il referma la porte avec son talon et traina les pieds dans le couloir d'entrée. Il s'étira de tout son long, poussant un râle de fatigue qui résonna dans la pièce. Il pénétra alors la pièce principale de son petit logis et se figea net. Face à la fenêtre où scintillaient les dernières lueurs flamboyantes de soleil couchant se trouvait une silhouette. Une silhouette de femme qu'il n'avait pas revue depuis tant d'années et qu'il ne se sentait pas d'humeur à revoir. La longue chevelure blonde presque blanche de la jeune femme fouetta le vent lorsqu'elle se tournait vers lui :

 - Je suis ravie de te voir Wilthas.

 - Syllen...soupira-t-il

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