Chapitre 11 : Siège de la capitale (2/3) (Corrigé)

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La structure imposait tant de hauteur que d’éminence. Des pierres opalescentes et anthracite s’alternaient sur des dizaines de mètres. Des fondations d’antan qui résistaient aux affres du temps, remparts entre deux mondes en connexion. Dans les interstices se glissaient des ramifications, mêlées d’architecture et de plantes grimpantes. Les tours cylindriques couronnaient le tout au-dessus des courtines sur lesquelles mages et archers faisaient office de protecteurs.

Au-delà du visible se tapissait l’indiscernable. Nul ne percevait les gémissements d’une population prise en otage au sein de ces murs. Enfants ou vieillards, impotents ou impuissants, tous ces innocents se réfugiaient derrière cette dernière protection. À défaut de s’être exilés ailleurs comme beaucoup d’autres. Ils se fiaient aux talents de leurs défenseurs. Ils croyaient à un Ridilan en paix. Douce chimère, tant cette lutte s’éternisait, tant nous nous claquemurions dans la perpétuation de nos pires idées !

— Denna ! héla Maedon en me secouant. Ce n’est pas le moment d’admirer le décor. Bon sang, nous sommes exposés aux tirs ennemis, nous devons bouger !

Des salves de flèches enflammées suivirent leur drastique trajectoire parabolique. Combinées aux sorts, elles s’apparentaient à une ardente pluie que personne ne savait franchir ! Ridilanais et Ithinois nous poursuivaient en tenaille outre ces assaillants hors d’accès… Si nous ne trouvions pas une stratégie sur-le-champ, nous ne risquions pas de faire long feu ! Nos supérieurs devaient en avoir élaboré une.

Même placer des protections magiques et désaxer les projectiles adverses ne nous préservaient pas de la fatalité ! Par dizaines mes compagnons d’armes calanchaient… Qu’ils fussent consumés, foudroyés, gelés, décapités ou piquetés de traits, ils coulaient dans le néant éternel.

Une scission se construisait parmi nos troupes. Plusieurs généraux se séparèrent, parmi lesquels Jalode et Berthold choisirent de suivre deux voies opposées. Ils parvinrent à s’entendre dans le tumulte général et à discuter dans ce chaos !

— Nos mages ont avancé vers l’ouest, informa Jalode. Nous devons cheminer dans cette direction afin de gagner l’entrée ! Il s’agit de l’endroit optimal pour créer une ouverture et ainsi pénétrer dans l’enceinte de la capitale.

— Allez-y ! conseilla Berthold. Je vous couvrirai. Jusqu’à la mort, s’il le faut ! Mais ne traînez pas, ces foutus Ridilanais essaient de nous encercler !

Bientôt leurs voix se tarirent face à l’intense mélodie des lames et des sorts, aussi résonnantes fussent-elles. Les instructions furent concises. L’exécution fut immédiate. Nous nous divisâmes en deux groupes au sein d’une bien plus importante coalition. Berthold brandit son épée afin d’engager le regroupement. Lui et ses alliés nous protégèrent pendant que nous allions sur une pente risquée. Ils hurlèrent pendant que nous œuvrions à courir sans peine ni heurt. Peu de jalons nous cornaquaient, sinon les indications de nos généraux. Nous devions parer et riposter pour ensuite repartir de plus belle !

Dans un tel champ de bataille, chaque pas pouvait être le dernier… Nombreuses furent les traits et les rayons à me frôler. Bien que je dégoulinasse de transpiration, bien que mon cœur tambourinât contre ma cage thoracique, mon corps rudoyé se laissait guider vers l’objectif. Alliés comme ennemis continuèrent de périr tandis que les survivants s’apprêtaient à se confronter au pire.

Nous ne chancelâmes ni ne vacillâmes. De soldats à sergents, de commandants à généraux, nul n’était épargné. Repousser l’hostilité paraissait futile tant ils semblaient réapparaître à l’infini, depuis les courtines ou les platanes. Parfois nous ralentissions pour nous défendre, voire contre-attaquer. Il nous était impossible d’allier vitesse et précaution sur un terrain aussi instable ! Des projectiles de toute nature s’abattaient comme s’entrechoquaient les armes prolongées de flux. Par-delà la mort et la souffrance pantelaient des vies bouleversées… Elles battaient d’une aura magique aux confins de l’invasion.

Alors la porte se dévoila. Elle fulgurait de céruléen au lointain, tant elle s’élevait sur une vingtaine de mètres, fortes de grillage et de gonds. Archers et mages s’unissaient par centaines entre le sol et le mâchicoulis afin d’empêcher quiconque d’y pénétrer. Ainsi, même en perçant les défenses, nous étions incapables de nous dresser face à cette protection ! Mais nous nous rassemblâmes envers et contre tout. Tel s’enchaînait le siège de la capitale.

Un cercle de mages alliés s’était formé en léger contrebas. En son centre résidait Guerrante ainsi qu’une dizaine d’homologues. Du flux blanchâtre tourbillonnait autour de ces silhouettes saturées de magie tandis qu’ils fermaient leurs paupières. Ils produisaient des vibrations aptes à nous ébranler !

Andilla se plaça au-devant des mages en tant que porte-parole.

— Quelle est la situation ? se renseigna Jalode après avoir occis un lancier.

— Vous vouliez traverser les murailles par la porte, rappela Andilla. C’était la stratégie que vous aviez planifié.

— Tout juste. Pas de catapulte, de bélier, ni d’autres engins de siège comme au bon vieux temps. Nos ennemis nous noient de magie ? Eh bien, qu’ils goûtent à leurs propres méthodes !

— Si tel est le cas, vous devez protéger Guerrante et les mages à l’intérieur du bouclier. Détruire une porte aussi solide n’est pas donné à n’importe qui, surtout sur un champ de bataille peuplé de milliers de mages. Ils doivent canaliser du flux, le garder, et la matérialiser sous une forme assez destructrice pour démolir la porte !

— Trêve de description. Combien de temps faudra-t-il ?

— Au moins une quinzaine de minutes, si pas davantage.

Jalode réprima un grognement avant d’interpeller les troupes.

— Vous avez entendu ? héla-t-elle. Protégez nos mages ! Nous devons tenir tant que cette porte tiendra debout, est-ce bien clair ?

Une voix bien portée suffit à tous nous rassembler. Il s’agissait de s’armer de patience face à un combat d’usure. À la fragilité de notre position se cumulait la difficulté d’user de magie. L’on disait que le flux se renouvelait en continu, mais il n’était créé ni détruit, ce que nos mages exploitaient. Peut-être que l’ennemi en était aussi affaibli, toutefois la différence se révélait minime ! Ithinois comme Ridilanais savaient lutter avec les armes en lieu et place de sorts… Et ils nous le prouvèrent une fois encore.

Décousue était la mêlée dans laquelle nous plongions ! Assaillis de toute part, nous peinions même à anhéler dans la pression du surnombre. Chaque seconde, chaque minute s’étirait dans le déluge d’estocades et de projectiles. Je ne comptais plus le nombre d’épées et de lances qui me frôlèrent… Encore moins les flèches qui tombaient à mes pieds, déviées au dernier moment. L’excès de nuances propagées fusionnait avec l’assourdissement de la moindre action.

Ainsi je me parais à toute éventualité. Je me courbais au tintement de lames. Je m’arquai au sifflement des flèches. Je m’inclinai au crépitement des flammes. Je me voûtais au grondement de la foudre.

Et le massacre se poursuivait. Toute parcelle de terre se devait d’être préservée, sinon les ennemis créeraient leurs propres brèches afin de rompre notre sort. En ce sens, Andilla s’impliquait plus que n’importe quel militaire. Elle nourrissait un seul but : protéger son frère à tout prix. Non contente de renforcer les boucliers, elle générait des barrières magiques et des sorts de projection que nos opposants récoltaient de plein fouet. Elle temporisait aussi son flux pour ne pas abuser, ni consommer celui de ses homologues.

Fallait-il prendre exemple sur elle ? Il restait ardu de s’orienter là où des milliers se congloméraient. De forêt à murailles nous nous abandonnions à la profusion de lacérations couplées de vociférations. Plus nos camarades succombaient et plus nous redoublions d’ardeur en remparts humains. Ce n’était qu’une question de temps. De ressource. D’abnégation. D’une loyauté sans faille à une idéologie dubitable.

Des jets lumineux nous éblouirent soudain. Sous le bouclier s’élevèrent les mages, lesquels hissèrent leurs bras avant de générer des spirales aussi ivoirines que leurs yeux saturés de flux. Leur bouclier s’amenuisa pour une dernière convergence d’énergie. Face à celui de nos ennemis, déployés dans une tentative désespérée, les sorts étincelèrent au-delà des protections adverses.

— Écartez-vous ! avertit Andilla. Ils lancent le sort !

Nous nous rejetâmes à la puissance du fléau. Une fraction de secondes et nous fûmes à terre, nos tympans harassés par l’impact du fracas, tenaillés par l’intensité des secousses !

La muraille fut détruite en un clin d’œil.

Des volutes de fumée s’envolèrent tandis que nous reprenions peu à peu nos esprits. Mes muscles s’étaient tendus et quelques filets de sang coulaient sous mes brassards. Cependant…Nous avions bien été préservées en comparaison des Ridilanais. Une trentaine d’entre eux avait chu en même temps, bientôt écrasés sous les décombres. Soupirs et râles s’ancrèrent dans les traumatismes du présent… Bon sang, ils étaient tant à agoniser !

Mais nos meneurs n’en avaient cure. Jalode et Maedon ouvrirent grand la bouche au déploiement d’une cité aux milles splendeurs. Profitant de la détresse de l’ennemi, ils nous hélèrent en vue de prolonger l’assaut. Comment leur donner tort ? Le sort dévastateur avait créé une brèche d’une largeur incommensurable !

Rarement un peuple avait été aussi malmené… Ainsi s’esquissaient nos iniquités. Personne n’était épargné.

— Allez-y ! suggéra Andilla. L’attaque a coûté trop de flux à Guerrante et à ses camarades… Ils se sont évanouis.

— Protégez-les, alors ! dit Jalode, gardant ses yeux braqué vers l’avant. Quant à nous, notre objectif est tout autre… Cette cité nous est ouverte et nous allons la conquérir !

Forte de l’autorisation de la générale, la mage revint auprès de son frère et s’adonna à la guérison, en opposition de la consécration du reste des troupes. Tangar et Galdine formèrent la ligne avec les autres commandants. Il fallut une impulsion, un appel, et nous nous retrouvâmes au cœur de notre occupation.

L’orgueil de notre nation fut remis en question dès notre intrusion. Outre la statue de Deibomon, à mi-hauteur des murailles, une fontaine en marbre s’élevait sur quatre étages. Derrière elle s’étalaient trois rues en déclive où des maisons en pierre apparaissaient. Moult nuances bâtissaient chaque structure en parfaite cohérence les unes avec les autres. Parfois des minerais s’incrustaient sur les murs composés de hourdage, non sans souligner une certaine richesse culturelle. Seuls les toits, incurvés ou triangulaires, reflétaient l’artisanat du bois en opposition avec la roche. Une abondance de splendeurs existait au-delà de ces pavés bien tracés. Il suffisait de le pressentir. D’oublier l’affrontement.

Qui s’en souciait parmi nous ? Peu appréhendaient une culture étrangère, surtout quand nous nous y confrontions ! Autrefois Orocède devait rayonner de vie. Autrefois les citoyens se baguenaudaient innocemment. Autrefois ils riaient, buvaient, dansaient, chantaient… Virmillion n’avait rien à envier à cette cité. Mais cette époque était résolue. Désormais les victimes s’abritaient aux tréfonds de ces merveilles d’architecture. Peut-être que, de là où ils étaient, ils percevaient ce concert de cliquetis enchevêtré de vacarme. Rien n’avait résisté à nous, l’envahisseur… Ni leurs troupes, ni leurs forêts, ni leurs murailles. Comment moi, de peintre à soldate, pouvais-je ressentir les couleurs de leur peur ? Je ne les connaissais pas… Pourtant mon poignet tremblait à l’idée de soulever encore mon épée.

Voici le tableau dont les traits et pigments apparaissaient à peine. Voilà la fresque dans laquelle nous nous immiscions aux profondeurs. Sans réaliser, sans compatir, nous peignions les teintes de la décrépitude.

Jalode se ficha de mon ralentissement et contempla la statue quelques secondes durant. Sûrement la considérait-elle comme une hérésie. Une sculpture à détruire, un culte à honnir, une légende à débâtir. Elle ne s’y attarda pas… mais la pensée devait avoir germé.

La générale se rua vers ses adversaires. Nous poursuivîmes notre lutte entre charpentes et sculptures. Rien ne semblait l’arrêter, tout y convergeait, centre d’un monde comme des objectifs. Là où le flux renaissait amenait à un amas de chair meurtrie ou consumée sous notre équipement. J’avançai puis esquivai. Je parai puis ripostai. J’anhélai puis retournai. À chaque offensive, partie d’instinct, revenue de force, je m’adaptais à un mouvement général dépourvu de stratégie. Jalode ne beuglait plus que de minimes instructions avant de trancher dans le vif. Maedon se précipitait à courte distance en alternant entre les différentes gardes. Rohda décapitait et fendait des crânes à tour de bras. Kione et Hintor tailladaient à foison, sans distinction des ennemis à portée. Tous faisaient de même, par centaines, par milliers, noyés dans la folie du surnuméraire.

J’étais parmi eux, tous à batailler en l’absence de stratégie. De cœur ou de raison nous nous égarions ! Nous ne savions plus où aller ni de quoi nous emparer… C’était là que nous nous étions fourvoyés. La guerre ne consistait pas en une simple succession d’étapes. Au-delà des ruines et des cendres subsistait l’unique volonté… Celle de survivre. Car le triomphe n’avait aucun sens si personne n’était présent pour y assister. Ainsi Ridilanais et Ithinois se sacrifiaient l’un après l’autre. Plus aucun but n’animait qui que ce fût sinon de pourfendre l’adversaire se dressant face à nous. Nous souffrions ou nous périssions, il n’y avait pas d’autre alternative.

Je progressais malgré moi. Minutes après minutes, assauts après assauts, la bataille s’étendait de rues en rues ! Des murs s’écroulaient tandis que des fondations se fissuraient sous la dévastation que nous semions… Cette démence ne s’arrêterait-elle donc jamais ? La cité s’embraserait par pernicieuses déflagrations, à ce rythme ! Moins d’une heure suffisait à anéantir tout ce qui fut bâti et reconstruit en des siècles d’existence.

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