Chapitre 6 : Croyance de la paix (2/2) (Corrigé)

10 minutes de lecture

Ils étaient une cinquantaine en bas des marches. Archers, épéistes, mages, tous rassemblés dans un but identique : occire tout idéal de rébellion. Ils avaient semé des cadavres sur leur passage et nous réservaient un sort similaire. Vimona, meneuse en ces circonstances, plissaient les yeux dans notre direction. Nous nous situions en plein centre de sa ligne, ce pourquoi elle encochait sa flèche avec drastique précision.

— Donc vous vous étiez cachés là, se moqua-t-elle. Lâches que vous êtes, vous avez fui le combat au lieu d’endosser la responsabilité pour votre stupide mutinerie ! Shimri Elunawa Kinaos, Vandoraï et Denna Vilagui. Vous êtes les derniers représentants d’une cause à l’agonie.

— Nous n’avons pas fui ! se défendit Vandoraï. Nous avons protégé les villageois de vous !

— Vous avez préféré des inconnus, dangereux par nature, plutôt que votre propre camp. Ça ne m’étonne pas de toi, Vandoraï. Nous avons trouvé le cadavre du sergent Dalim peu avant de parvenir ici. Tu l’as tué, pas vrai ? Te voilà traître envers ton propre pays, tu n’as pas honte ?

J’agrippai à temps le bras de mon ami, dont le visage s’était enflammé en une fraction de secondes !

— Ne cède pas à la provocation ! suppliai-je. Sinon elle te tuera, comme tous les autres !

Les nerfs de Vandoraï se durcirent. La réplique de la commandante lui avait coupé la parole, et ses mots s’étranglèrent dans sa gorge. Il s’empêchait d’attaquer, mais ses membres le trahissaient.

— Ne m’ignorez pas ! hurla Vimona. Vous vous considérez spéciaux, c’est ça ? Eh bien, me voici obligée de vous féliciter pour votre parcours. Vous respirez là où les autres rebelles ont été tués ou se sont dispersés. Même le sergent Kiril, un imbécile jaloux, n’a pas fait long feu : il avait déjà reçu une flèche au bras avant que j’envoie des archers à sa poursuite. Deux possibilités s’offrent à vous : soit vous vous rendez, soit vous mourrez.

— Si nous nous rendons, rétorquai-je, vous poursuivrez les autres villageois ! Nous ne vous laisserons pas répandre le mal !

— Le mal, hein ? Quel raisonnement binaire ! Non, le monde n’est pas divisé entre les méchants envahisseurs et les gentilles victimes ! Non, incarner une pensée minoritaire ne vous donne pas forcément raison ! Votre désir de paix n’a engendré que plus de morts !

— Parce que vous avez répliqué !

— Traîtresse de noble ! Autant je m’attendais à un tel coup de la part de Shimri et Vandoraï, autant tu m’as déçue, Denna. Tu prétendais être loyale pour mieux nous poignarder dans le dos !

Des frissons s’emparèrent de chacun de mes membres. Mes doigts se crispèrent autour de la poignée de mon épée. Mon sang bouillonnait davantage à chaque seconde. Non, je ne devais pas m’abandonner à mes émotions, il ne fallait pas me ruer à corps perdu vers l’ennemi ! Ce que Shimri réalisa, car elle progressa d’une démarche placide, traits acérés mais guère distordus, son épée toujours glissée dans son fourreau.

— Derrière nous se dresse une merveille architecturale, déclara-t-elle d’une voix puissante. Derrière nous un refuge temporaire pour les martyrs de cette guerre. Derrière nous se dresse le fleuron de la culture ridilanaise. Manquez-vous tant de cœur, Vimona Orzo, pour que vous n’hésitiez pas un instant à souiller ce lieu ?

— Mon cœur appartient à Carône ! proclama la commandante. Alors si la hiérarchie me dicte d’attaquer ce pays, j’obéis, exactement comme vous avez fait jusqu’à aujourd’hui !

— Vous défendez donc les intérêts d’un empire qui se construit sur le malheur des autres pays.

— Qui es-tu pour me juger ? Je défends les intérêts de mon peuple ! Ronône est le royaume de Carône le plus proche du Ridilan ! Ma famille, mes amis, toutes mes connaissances sont exposées à la frénésie meurtrière des Ridilanais !

— Croyez-vous les protéger en exécutant des innocents sans remord ?

— Pauvres égoïstes… Vous ne voyez pas plus loin que vos idées. Je suis née à Carône, j’y ai grandi et j’offrirai ma vie pour la défendre. Shimri, ton pays n’est pas le seul à avoir bâti d’importantes bâtisses. Mais, pour préserver notre civilisation, il faut l’étendre au-delà des frontières, envahir d’autres contrées. Le Dunshamon et le Ridilan sont parmi les seuls pays à ne pas l’avoir compris ! L’histoire s’est toujours déroulée ainsi, il n’y a pas d’alternative !

— J’agis différemment.

— Ah oui ? Tente de protéger ta merveille architecturale, dans ce cas !

Alors Vimona décocha. Pas n’importe quel trait : engorgé de magie, si bien qu’il fila avec une prestesse inouïe, libérant une colossale quantité d’énergie ! Elle s’abattit en plein sur la colonne à notre gauche…

— Éloignez-vous ! avertit Vandoraï.

Des fissures strièrent le pilier tandis que les tremblements ébranlaient la structure même ! Nous plongeâmes sur les escaliers, quitte à se ravager la figure, quitte à se fêler les côtes. Des débris nous tombaient dessus à mesure que nous chutâmes, pour nous égratigner au mieux, pour nous lacérer au pire ! Et nous dégringolâmes des secondes durant avant de nous réceptionner…

Le fracas nous avait secoués. L’assaut nous avait désorientés. Mais nous survivions. Des bourdonnements assaillaient mes tympans comme des coupures écorchaient ma peau sous mes brassards. La destruction règnerait si de pareilles attaques se poursuivaient ! Vandoraï en était conscient car il se redressa aussitôt, cherchant Shimri du regard, avant de comprendre où elle se situait.

Plus haut… Trop haut. Par une opiniâtreté sans limite, par une inépuisable énergie, Shimri s’attribuait pour objectif de réparer les dégâts engendrés. Un morceau de marbre était enfoncé de sa cuisse depuis laquelle des filets de sang coulaient… Pourtant elle persévéra. D’une marche à l’autre, plantant ses ongles entre les amas, Shimri se traîna vers la colonne, là où elle estimait avoir encore un rôle à accomplir.

— Arrête ! s’époumona Vandoraï. Nous devons te soigner, tu ne peux plus marcher !

— Telle est ma destinée, affirma Shimri. Avant qu’on m’imprègne de la magie… Avant qu’on me force à lever l’épée… J’étais bâtisseuse et je le resterai ! Je créerai là où les autres ont semé la destruction ! Je… Je… Je réparerai les maux de notre humanité !

De toute évidence, nous n’étions pas de taille. Tout juste étais-je capable de tenir sur mes deux jambes. Il me fallait néanmoins regagner des forces, m’impliquer dans cette lutte, la raison même pour laquelle je m’étais jointe à eux ! Hélas… Hélas ! Projectiles physiques et magiques fusionnèrent pour nous occire. Il nous était impossible de rejoindre Shimri dans de telles conditions, tant les attaques s’intensifièrent. Pleuvaient les nuées de flèches quand nous nous hissions au sommet du lieu à protéger ! Jaillissaient les rayons lumineux chaque fois que nous détournions les yeux de nos assaillants !

Shimri continua malgré tout. Ses jambes avaient beau trémuler, sa plaie s’agrandissant seconde après seconde, elle se dressa toute entière face à son devoir de toujours. Les colonnes avaient beau s’effondrer, elle s’introduisait entre les amoncellements, défiant l’anéantissement. Elle avait tant à saisir. Tant à bâtir. Tant à rétablir. Aucun opposant ne l’endiguerait. Rien ne serait en mesure de…

Une flèche lui transperça le cœur.

Nous nous décomposâmes face au sourire de Vimona. Nous suffoquâmes face à cette âme encore tenace un instant plus tôt. Nous pâlîmes face au mutisme, répit dans l’hécatombe, soupir dans le tumulte. Un moment d’inattention, de blocage, et tout s’effaçait, s’effondrait.

Shimri se dressa encore. Une aura lactescente l’enveloppa comme ses bras s’écartèrent. Une onde de choc se propagea alors à son sursaut : chaque militaire s’effondra sous l’effet du sort, juste ainsi, comme dans un claquement de doigts. Après quoi Shimri perdit ses forces et tout ce qui la composait. Elle s’effondra devant nous, chuta jusqu’en bas des marches. Notre cœur tambourinait à preste rythme, d’épaisses larmes mouillaient notre visage, mais les plaies s’estompèrent à notre cadence.

Vandoraï enveloppa une bâtisseuse dans ses bras. Elle toussait, crachait du sang, toutefois la détermination amplifiant ses traits demeurait authentique.

— Baissons l’épée…, plaida-t-elle. Cessons de tuer…

— Ne dis pas n’importe quoi ! hurla Vandoraï. Shimri, je…

— Ce n’est pas ta faute… Ni la tienne, Denna… Vous m’avez aidé… Vous avez fait tout votre possible… Hélas…

— J’ai échoué ! Si je t’avais suivie plus tôt…

— Écoutez… C’est le silence. Plus personne ne détruit, plus personne ne se bat… C’était mon combat, inespéré, impossible… J’espère… J’espère… avoir sauvé des vies…

Et Shimri rendit son dernier souffle.

Mon corps se figea. Mon teint se plomba. Mes yeux se noyèrent, quand bien même j’essayai de les détourner… Sa voix porteuse d’espoir s’était éteinte, et avec elle les flammes de ses ambitions. Tout autour d’elle étaient éparpillés moult débris, pourtant le temple avait résisté aux assauts. Nous ne percevions plus de cris, sinon nos sanglots. La mélodie du combat s’engouffrait au creux de nos pleurs. Inutile de me départir, inutile de nier, Shimri était bel et bien morte.

Ce fut une courte trêve. À peine mes paupières closes, humectées par le deuil, que je dus les rouvrir. Une dizaine de soldats venait de se relever, dont Vimona, armée de dédain.

— Ils sont… vivants ? bégaya Vandoraï, d’innombrables sillons le défigurant.

— Le souhait de Shimri, expliquai-je. Elle voulait les vaincre sans les tuer, mais son sort a été moins efficace après que… après que…

— Votre amie est morte pour rien, se gaussa Vimona. Mais je la respecte, car elle est restée fidèle à ses convictions jusqu’à la mort. Une vie de gâchée…

— Moi, je n’ai pas fait le serment de vous épargner ! beugla Vandoraï.

Vociféra Vandoraï comme il se précipita au cœur de l’adversité. Il répliqua à la violence par sa fureur, son cimeterre en meilleur argument. Vengeance le cornaquait, si telle était sa voie, comment ne pouvait-elle pas me guider ? À peine me relevai-je qu’une flèche se planta sur mon épaule et que je fus contrainte à gémir au sol. La dépouille de Shimri s’ancrait au centre de ma vision…

Des étincelles accompagnèrent l’offensive du Tordwalais. Il répondait à son seul être, pourfendant quiconque s’opposait à lui. Ainsi il décapita une archère, ainsi il empala un épéiste, ainsi il cisailla la gorge d’une mage, ainsi il lacéra chaque militaire après quelques parades. Comme si ses plaies s’étaient effacées au profit d’une incontrôlable fureur. Il répandait le sang sans distinction. Tombèrent les soldats les uns après les autres, incapables de lutter, inaptes à appréhender.

Sauf une. Vimona décocha derechef sitôt qu’une ouverture se créa. Le sifflement n’eut lieu qu’une fois ses alliés abattus… Sa flèche s’était fichée sur le genou droit de Vandoraï.

— Tu es tenace ! constata la commandante. J’aime me confronter à des adversaires difficiles, les victoires n’en deviennent que plus glorifiants. Par contre, après ton carnage, ta gloire à toi s’est définitivement envolée.

Mais mon confrère n’avait pas lâché sa lame. Il n’avait pas flanché nonobstant sa géhenne, fût-elle interne ou externe. D’un rugissement il bondit, paré à asséner son dernier coup, mais un nouveau trait fusa tel un éclair et transperça son mollet. Là il fut forcé de s’agenouiller, haletant, vaincu.

— Tue-moi…, réclama-t-il. J’ai échoué…

— Je ne te ferai pas ce plaisir, répliqua Vimona. Rappelle-toi que vous rendre constituait la deuxième alternative. Nous en avons tué bien assez de rebelles pour aujourd’hui, il faut en ramener certains en vie pour les juger. Je parle surtout de toi, Denna Vilagui. J’imagine déjà la déception de ta tante quand elle découvrira ta trahison… Et si je t’amochais plus, pour entamer le travail ?

Moi qui m’étais tant effacée me transformais en cible. Voilà tout ce que je méritais, après tout… Souffrir sans mourir, attendre que le sort s’abattît sur moi, sans possibilité de me relever cette fois-ci. La corde se tendit sous la pression du trait. Vimona me visa en souriant, scrutant la meilleure parcelle de mon corps à entamer.

Kiril surgit de derrière et la transperça entre les côtes. J’aurais sursauté si j’en avais eu la force ! Le sergent, même ensanglanté, s’était faufilé sans un bruit. Il avait réussi là où beaucoup avaient sombré...

— Vous auriez dû vérifier que j’étais mort ! lança-t-il. Et vous n’auriez pas dû laisser ouverte la brèche du voile ! J’ai accompli ce pourquoi je suis venu ! Je me suis enfin battu pour mes valeurs ! Plus jamais tu ne verseras le sang, traîtresse !

— Et toi…, murmura Vimona. Tu aurais dû… vérifier… qu’il ne me reste pas de flèche.

D’ultimes bribes de flux se transmirent à son arc, permettant à son bras de tenir au moment où elle s’effondra ! L’archère se retourna ce faisant et le projectile s’abattit en pleine poitrine du sergent. Aussi les deux s’écroulèrent en même temps…

— Je suis désolé, murmura l’archer. Certains adversaires… sont insurmontables.

Kiril mourut sitôt étendu. Un autre ami fauché, disparu, occis. S’effaçait sa mélodie tandis que ses paupières se fermait à l’appel du destin. Il restait des flèches à son carquois, comme s’il n’avait pas exécuté sa volonté jusqu’au bout… Tout s’achevait alors que rien n’avait débuté.

Vimona, quant à elle, résistait bien trop longtemps ! Elle était étendue sur l’herbe, autour des dépouilles de ses subordonnés, face au résultat de ses atrocités. S’écoulait son fluide vital alors que borborygmes et crachats jaillissaient de sa bouche. Presque enveloppée au sein de son destin, elle fit face à son jugement. Kalida Lorak s’était téléportée devant elle et la toisait.

— Encore une mage…, souffla la commandante. Je décèle du mépris dans ton regard… Tu me juges ?

— Oui, confirma l’immortelle. Je le peux et je le fais.

— Mais… tu es aussi coupable… que moi, pas vrai ? Combien… en as-tu tué ?

— Des centaines.

— Alors oui… nous sommes tous… des monstres.

Kalida hocha la tête. Elle contempla les derniers instants de Vimona, ses ultimes soubresauts, de peines en repentirs. Et la commandante périt sans que le moindre allègement n’assouplît mon cœur. Shimri resterait morte quoi qu’il arrivât.

Cette voix si chagrinée résonna par-devers le massacre.

— Je suis désolée…, s’excusa Kalida. Je ne peux plus rien faire pour vous. Les villageois sont en sécurité, soyez rassurés. Ou affligés, au vu des circonstances.

— Attendez ! implorai-je. Vous pouvez encore agir ! Vous disposez d’incommensurables pouvoirs, servez-vous en ! Nous sommes désespérés, terrassés… Il est encore possible de nous battre, de poursuivre notre lutte, pour tous ceux qui se sont sacrifiés !

— Ce serait vain. Désolée, Denna. Désolée, Vandoraï. Désolée, Shimri… Mon élue a réussi mais le constat reste le même. Mon rôle ici est terminé. En quoi pourrais-je aider, de toute manière ? Le monde court à sa perte.

Kalida se téléporta ailleurs. Elle abandonna cette désolation. Elle nous rejeta à notre souffrance.

À notre échec.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Saidor C ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0