Chapitre 21 - 1

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À l’abri dans sa chambre, Juliette en profite pour se détendre un peu. Elle a la sensation d’être à bord d’un navire qui prend l’eau de toute part. Elle essaie de boucher les trous tant bien que mal. Elle voudrait ignorer les convives qui l’attendent en bas pour oublier cette soirée au plus vite. Plus que le dessert. Il faut finir sur une bonne note. Avec un peu de chance, on ne retiendra que la fin. Ils oublieront le dérapage de Lucie, l’indiscrétion et le taux d’alcool élevé d’Arnaud, le garçon muet et taciturne qu’est Martin. Elle-même peut se reprocher d’avoir failli. N’a-t-elle pas poussé en un sens Lucie à exploser ? Juliette se sent responsable des actes de la jolie blonde. Elle l’a embarquée dans quelque chose qui la dépasse sûrement. Sans tenir compte de ce qu’elle est capable de supporter, Juliette n’a pensé qu’à vivre le moment présent intensément, comme elle en a l’habitude. Des limites invisibles ont été franchies. La culpabilité habite l’autre côté de la frontière. Seule Hélène a fait un sans-faute. Heureusement qu’elle était là pour rattraper les situations.

Avec du recul, Juliette se demande pourquoi elle a voulu organiser cette soirée. Quelle idée d’inviter à la fois son mec, sa séduisante collègue et le mari de celle-ci. C’était avant que Lucie ne l’embrasse sur le parking, avant qu’elle ne se rende compte de cette attirance. Arrête de te comporter comme une gamine capricieuse ! Embrasser Lucie était une erreur. Fantasmer sur elle au point de coucher avec Arnaud dans la foulée encore plus. Finalement, je suis la pire de la soirée. Est-ce qu’elle m’a entendue ?

En attrapant les herbiers, elle compte sur l’aura d’Hélène pour apaiser définitivement les tensions. Elle veut se faire oublier des autres. Elle s’en veut aussi d’avoir été incapable de réagir quand Lucie a dérapé. Une simple spectatrice. C’est une position qu’elle ne connait pas vraiment. Un rôle inattendu. Juliette ne pouvait prendre parti ni pour elle ni pour Arnaud. Alors elle s’est tue. Allez, Juliette, plus que le dessert et le café !

En dévalant les escaliers, chargée des cadres, Juliette remet son masque d’hôtesse parfaite en place. Le sourire vissé au visage, elle fait une entrée éclatante dans le salon et distribue les herbiers aux convives. Chacun les regarde avec attention, en particulier Lucie, avant de poser le cadre en douceur sur la table.

— Pourquoi faites-vous semblant de ne pas vous connaître ?

— Pardon ? s’étrangle Hélène.

— Je demandais juste pourquoi vous faites semblant de ne pas vous connaître avec mon mari.

— De quoi tu parles ? réagit Juliette.

Arnaud se sert un verre qu’il engloutit aussi sec.

— Je ne pense pas avoir posé une question difficile.

Martin tente d’attraper la main de son épouse, en vain.

— Chérie…

— Sérieusement, vous n’allez pas me répondre ?

La jolie blonde est étonnamment calme. Beaucoup trop calme.

— Qu’est-ce que tu as ce soir ? Je ne te reconnais pas, tente à nouveau son mari.

— Je ne vais pas répondre à cette question. Je trouve que c’est presque insultant que tu oses me demander ça. Hélène, entre nous, vous allez bien vouloir me répondre, non ?

Hélène reporte son attention sur les herbiers.

— Lucie, c’est ridicule, pourquoi ils auraient fait semblant de ne pas se connaître ? demande Juliette. Hélène, dis-le-lui, qu’on passe au dessert.

Afin de clore ce début de conversation tendu, Juliette se lève pour aller chercher le cheesecake dans le frigidaire. Elle n’a pas le temps d’atteindre la porte du salon qu’une une voix profonde confirme ses craintes :

— Elle a raison pourtant.

Une seule phrase peut jeter un froid autour d’une table. Juliette se retourne et dévisage Hélène à la recherche d’une explication.

— Nous nous connaissons, poursuit l’ainée.

La bouche mi-ouverte, Juliette parvient avec difficulté à prendre la parole.

— Je ne comprends pas, Hélène. Si tu le connaissais, tu avais juste à le faire savoir… à moins que…

Juliette couvre sa bouche d’une main. Une supposition effrayante lui traverse l’esprit.

— Vous avez été ensemble ? demande gravement Lucie.

— Ce n’est peut-être pas le bon moment pour parler de ça, non ? tente Arnaud timidement.

— Toi, tu la fermes, rétorque aussitôt la jeune femme. Tu vas gentiment continuer à remplir tes verres et arrêter de te mêler de ce qui ne te regarde pas.

Le jeune homme se laisse tomber lourdement contre le dossier et attrape son verre d’un geste maladroit. Juliette est sonnée. Hélène ne montre aucune émotion en particulier.

— Ça veut dire quoi être ensemble, finalement ? Partout, il faut mettre des mots, des définitions à tout et n’importe quoi. Il faut tout nommer, tout clarifier, tout cloisonner. Je n’ai jamais réussi à trouver la frontière. Si je veux être franche avec toi, Lucie, ça sera sûrement difficile à comprendre et je ne pourrai parler qu’en mon nom.

— Hélène, tu n’es pas obligée de répondre.

Pour la première fois, Martin réagit. Le visage livide, les mains crispées, il n’en mène pas large. Il inspire presque de la pitié à Juliette. Et presque aussitôt une grande colère nait dans cœur de la jeune femme. D’abord en sourdine, elle gagne de l’espace, de l’ampleur, chasse les autres émotions jusqu’à les éclipser totalement. Il ne reste que la colère. Une flaque de colère qui cherche à devenir un océan.

— Laisse-moi lui répondre, s’il te plait, insiste Martin.

— Ce n’est pas compliqué. Oui ou non, avez-vous été ensemble ? s’impatiente Lucie.

Hélène saisit l’herbier, caresse le cadre et observe la pulpe de ses doigts avant de les frotter entre eux. De la poussière flotte dans l’air. Juliette ne parvient à décrocher son regard de ses lèvres qui s’étirent en un petit sourire. Elle y voit de la tristesse. Le bruit crispant d’une chaise raclant le sol la fait sursauter. Lucie est debout, les mains à plat sur la table, les sourcils froncés, le regard braqué sur Hélène qui tarde à répondre.

— D’accord… Nous n’avons pas été ensemble, soupire-t-elle, tout en continuant à frotter ses doigts.

— Bon voilà, on a la réponse ! Allez, on passe à autre chose ? s’empresse Juliette dans une ultime tentative de diversion. J’ai fait un cheesecake avec deux coulis. L’un au citron et l’autre à la fraise pour ceux qui n’aimeraient pas le premier. Martin, fraise ou citron ? Martin ? Martin !

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