Chapitre 15 - 4

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Attablée à une terrasse de café, leur conversation prit une autre couleur. Ils riaient beaucoup, se taisaient aussi, observaient les passants, plaisantaient, sirotaient leur Perrier-tranche et se parlaient en agitant les mains. Rapidement, ils retrouvèrent leurs repères. Martin s’épancha sur son break avec Lucie.

— Et après, tu comptes faire quoi ?

— Je ne sais pas encore. Mes projets restent flous…

— Oui, j’imagine. Tu n’as plus de nouvelles ? demanda-t-elle sobrement.

— Non, ou à peine. Mais ce n’est pas plus mal, soupira-t-il. Je ne sais pas quoi penser. Je croyais qu’elle me manquerait plus que ça, surtout après plus de trois ans de relation...

— Oui, mais vous ne vous êtes vus que les week-ends et les vacances…

— En fait, je ne me sentais pas prêt à m’engager définitivement. Je pensais, peut-être naïvement, que ça viendrait avec le temps. Cependant, je ne sais pas, je ne voudrais pas tout foutre en l’air définitivement.

Hélène comprenait chacune de ses paroles. Martin avait tant de mal à faire confiance. Et l’amour semblait ne pas l’intéresser plus que ça. Il vivait ses relations avec peu d’élan, peu d’enthousiasme. Quand il lui avait parlé de Lucie, elle n'avait pas cru en cette nouvelle histoire. Un feu de paille. Pourtant leur couple avait duré. Par quel miracle, Hélène l'ignorait. La distance avait certainement aidé à ne pas étouffer trop vite le jeune homme.

Le portrait que Martin lui avait fait de Lucie était somme toute assez classique. Une jeune femme conventionnelle, qui ne souhaitait qu’un mari, des gosses, et une maison. À y regarder de plus près, Hélène avait toujours été étonnée du choix de son ami. Pourquoi cette fille ?

Elle lui semblait si différente de lui… Et d’elle. Pourquoi cela me vexe-t-il qu’il ait choisi une fille qui acceptera de rester gentiment dans une maison ? S’il veut une vie pépère, ils sont faits pour être ensemble. Mais tu ne veux pas ça, Martin. Au fond de toi, tu dois le savoir. Hélène était jalouse de cette inconnue, qui incarnait ce qui, en Martin, l’éloignait d’elle.

Comment lui dire, alors qu'elle le voyait pour la deuxième fois de sa vie seulement, qu’elle ne pensait pas qu’il puisse se contenter de sortir avec une fille si sage, si normale. Alors quoi, Hélène, que veux-tu lui dire exactement ? Tu as presque écrit sur ton front « Choisis moi ! Bon sang !»

— Ça ne va pas, Hélène ?

L’expression soucieuse de Martin fit définitivement chavirer le cœur d’Hélène.

— Je pense à… Non, rien Martin, c’est idiot.

— Encore ? Tu sais attiser ma curiosité.

— Je ne le fais pas exprès.

— Je sais. Ça fait partie de ton charme.

— Mon charme ?

Martin saisit son verre, le porta à ses lèvres marquant une pause :

— Ce n’est pas le plus bel endroit du monde ici. Tu as visité des coins reculés et magnifiques, loin de toute civilisation. À te voir ici, je me demande si tu ne t’es pas égarée ?

— Tu as tort.

Hélène se tut quelques secondes. Martin la regardait, avide de ses paroles.

— Je ne suis pas perdue, Martin. Au milieu d’une foule, ou seule dans un désert, je ne me sentirai jamais égarée. Il n’y a pas de hasard. Là, cet instant, ce n’est pas du hasard. Je veux être avec toi, à cette table, à cette terrasse. Je veux découvrir l’homme que j’ai en face de moi dont je ne connais que l’enfance. Et toi Martin, que veux-tu ?

Martin, fidèle à lui-même, resta impassible et ne répondit pas.

— Tu veux qu’on aille se promener ou tu es fatiguée ?

Hélène essaya de réprimer sa déception. Encore une fois, Martin se défilait. Mais rentrer chez lui sonnerait la fin de cette journée et elle n’en avait pas envie. Elle voulait profiter encore de sa présence, essayer d’avoir à nouveau son bras près d’elle, si elle n’obtenait que cela de lui, alors elle s’en contenterait.

— Allons-nous promener, dit-elle gaiement.

Ils arpentèrent les rues de la ville, dans un silence consenti. De temps à autre, Martin lui montrait du doigt les curiosités de la ville. Hélène se laissait guider. Elle, si habituée à marcher seule, sans l’aide de personne, se sentit fragile. Son bras croisa à nouveau celui de son ami.

***

Je ne savais pas, Hélène, que ton bras contre moi pouvait me faire cet effet-là. Ne t'enfuis pas. Reste avec moi un peu plus longtemps. Jusqu’à ce que le soleil tombe. Jusqu’à ce qu’il se lève à nouveau. Et encore un peu après. Rien ne me fera m’ennuyer de toi. Accroche-toi solidement. Je te tiens. Je suis prêt. Emmène-moi dans tes bagages, dans tes voyages, emporte-moi, je saurai me faire petit, discret si nécessaire, fort quand tu auras besoin d’aide, protecteur quand tu souffriras, attentif quand tes déborderont tes pensée, amant si tu souhaites... Je serai celui que tu voudras. Mais, ne me laisse pas ici Hélène, ma place n’est pas là. Elle est près de toi. Je le sais maintenant.

***

Il se faisait tard. Hélène se serra davantage contre Martin. Elle frissonna. Les badauds étaient rentrés chez eux depuis longtemps. Quelques couples étiraient le temps, jusqu’à ce que la lune ne mît un terme à leurs rêveries. Martin ralentit le pas jusqu’à s’arrêter devant un immeuble.

— Nous sommes arrivés, lui glissa-t-il doucement.

— Quoi ?

L’état de grâce s’achevait ici. Quelques heures plus tôt elle était remplie de joie, de doute, d’impatience, d’excitation… désormais, elle était heureuse de l’avoir retrouvé, apaisée d’être à ses côtés et triste de le quitter.

— Je n’ai pas vu la journée passer.

— Moi non plus. Tu montes te réchauffer ? Enfin, tu dois avoir froid avec cette robe. Je veux dire… le temps s’est rafraîchi.

Martin s’embarquait dans toutes sortes d’excuses, Hélène s’amusait à le laisser parler, se délectant de le voir dans cette situation embarrassante.

— Je m’en voudrais de te laisser partir au pied de mon immeuble. Tu as la chair de poule, regarde-moi ça !

Il frictionna maladroitement les bras nus d’Hélène, qui ne put s’empêcher de sourire en tressautant sous les coups secs de Martin.

— Je peux t’embrasser ? demanda-t-elle subitement.

— Oui, Hélène. Bien sûr que tu peux.

Elle se hissa sur la pointe des pieds, arriva à hauteur du jeune homme, entoura son cou de ses bras nus et l’embrassa délicatement. Timidement. Martin l’enlaça à son tour, lui rendant son baiser plus profondément. Elle fléchit, s’appuya sur son torse, arquant son corps pour mieux s’offrir à ses baisers tendres.

Hélène oublia le froid, la nuit tombée, sa mère mourante, ses envies de voyages, de fuite, sa culpabilité : elle était à la bonne adresse. Elle avait fait le tour du monde pour se retrouver ici, dans les bras de cet homme, elle le savait désormais. Elle était chez elle, avec lui.

***

Ton corps contre le mien. Tes lèvres sur les miennes. Les jours d’ennui s’évaporent, Hélène. Les nuits à lire tes lettres, à te parler, ce n’était qu’une façon de t’attendre. J’ignorais que je t’attendais de cette façon-là. Je comprends enfin mon cœur, découvre son existence. Il était endormi. Jusqu’à toi. Jusqu'à tes lèvres.

***

Hélène passa la nuit chez Martin. Ils burent du café, s’embrassèrent, et s’embrassèrent encore, plus forts, plus heureux. Ils se firent des promesses de voyages communs, d’une adresse commune, de valises qu’ils finiraient par ranger, et peut-être même d’un chien.

Ils s’endormirent l’un contre l’autre avec le bonheur de s’être retrouvés. Sagement. Ils n’étaient pas allés au-delà des baisers. Ils avaient tout le temps de se découvrir davantage.

Au petit matin, Martin se réveilla confus, entre deux rêves. Son bras tendu rencontra le vide, la froideur d’un drap abandonné trop tôt. Il se leva et se rendit au salon. Hélène n’était plus là. Rapidement il aperçut une lettre posée sur la table basse, à côté des roses.

« Martin,

Je te rappelle,

Hélène »

Un bruit de papier froissé vint rompre le silence.

***

Sur la route la menant chez elle, Hélène dépassait la limitation de vitesse. Elle écoutait en boucle Jean Ferrat « La Montagne », encore et encore, inlassablement, jusqu'à imprimer douloureusement chaque note dans sa mémoire. Elle les accrochait aux arbres ondulants, à la lumière éclatante, aux troupeaux de vaches sur les bords de la route. Elle aurait voulu pleurer, mais le vide s’était emparé d’elle, comblé uniquement par la musique.

Hélène ne pourrait plus jamais écouter sa voix chaude sans penser à cette belle journée d'été, à son amie Irène, plongée soudainement dans le coma, et à sa fille, Juliette.

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