Chapitre 15 - 3

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Les premières minutes dans son appartement furent déstabilisantes. Hélène ne parvenait pas à le regarder, tandis que lui ne se gênait pas pour la dévorer des yeux. Il a tellement changé ! Elle avait bien vu sur les photos qu’il avait grandi. Mais ce n’était pas pareil une fois la personne en face de soi. Hélène était perturbée par sa taille qui la dominait, ses traits fins plus affirmés et sa façon de la détailler. Son regard perçant n’avait pas changé, même si elle avait du mal à le soutenir. Elle évitait de le croiser, pour ne pas rougir.

Son seul repère restait sa voix. Elle s’était familiarisée avec ce timbre grave, masculin, grâce aux échanges téléphoniques. Il lui fallait juste un peu de temps pour être à l’aise. En cet instant, Martin était à la fois son confident, son ami le plus intime, et un parfait étranger.

— Tu veux boire quelque chose ? De l’eau, du jus de fruit, une bière ? demanda-t-il. Ou n’importe quoi d’autre. Je peux descendre acheter ce que tu veux.

— De l’eau, ça ira très bien.

— Assied-toi, j’arrive…

Martin ouvrit trop précipitamment la porte et elle buta violemment contre une desserte. Le bruit de la collision, des bouteilles s’entrechoquant, fit sursauter Hélène.

— Je suis désolé… c’est un vieux frigo qui a du mal à s’ouvrir. J’y vais toujours trop fort, se confondit en excuses Martin.

Hélène se contenta d’esquisser un sourire. Elle tournait autour du canapé sans y prendre place. Ses mains caressaient le cuir usé tandis que son regard parcourait la pièce. Il lui était impossible dans son état de rester statique. Cependant, l’état des lieux fut vite expédié. Un vrai repère de mecs. Elle aimait bien. Le dépouillement le plus absolu. Aucune décoration, aucune personnalisation ; juste un bouquet de roses au milieu de la table basse. Elle ne voyait que lui. Les fleurs délicates sortaient du cadre. Magnifiques. Sublimées par la nudité de la pièce.

— Tu es là depuis combien de temps déjà ? s'enquit-elle.

— Mumm… Deux ans je crois, lui répondit Martin, deux verres à la main.

— Ah oui, quand même !

Il posa l’eau sur la table basse et s’assit le premier sur le canapé. Hélène l’imita en respectant une distance correcte. Tous les deux avaient perdu leurs habitudes, incapables de se mouvoir de façon naturelle dans le regard de l’autre. Ils devaient s’apprivoiser à nouveau. En se tenant l’un à côté de l’autre, en silence, comme à Saint-Louis. Hélène n'avait toujours pas le courage de tourner la tête vers lui. Elle sentait son regard sur elle. Des frissons parcouraient son corps.

— Ça fait bizarre, Martin, déclara-t-elle après un long silence.

— Comment ça ? s’étonna-t-il.

— Je ne pensais pas être si intimidée pour te dire la vérité. Je dois m’habituer à ton visage. Tu es si grand aussi. Tu me dépasses maintenant. C’est perturbant ! Je ne sais pas. C’est bête à dire, mais j’avais oublié qu’une voix avait besoin d’un corps. Elle me parait plus réelle, soudain. Je repense à tout ce que j’ai pu te dire au téléphone.

Martin se leva avant de se rassoir aussitôt au bord de l’assise.

— Je vois, réfléchit-il à haute voix sans regarder son invitée. Je ne veux pas te mettre mal l’aise, tu sais. Pour moi aussi, c’est étrange d’être face à toi. Même si tu n’as pas changé. Ou si, tu es plus petite maintenant ajouta-t-il avec un sourire.

Hélène sourit à son tour, heureuse de retrouver la malice de Martin.

— Qu’est-ce qui t’aiderait à te sentir mieux ?

— Que tu ne me regardes plus ? risqua-t-elle. Enfin, pour le moment.

Martin détourna immédiatement le regard et le posa sur le bouquet de fleurs.

— Je les ai choisies pour toi.

— Tu as bon goût. Pour les fleurs en tout cas.

— Tu fais allusion à mes talents de décorateur ?

— Je ne me permettrais pas, voyons !

La jeune femme rit doucement. La prévenance de son ami la touchait.

— Si tu veux aller ailleurs, je connais d’autres endroits nettement mieux décorés qu’ici, proposa-t-il sans détacher ses yeux des fleurs.

Hélène profita de cet instant pour tourner la tête vers lui. Le profil offert à ses peurs, ses interrogations, sa curiosité. Envolé l’ado.

Martin, le Martin de ses souvenirs, c’était un livre ; abimé, déchiré par endroit, crayonné à d’autres, corné, baladé partout. Lu et relu. Une couverture tant de fois caressée du regard, rassurante, engageante. C’était un roman sans titre, sans quatrième de couverture, sans résumé, sans auteur. Elle emmenait ce livre dans l’intimité de sa vie. Confiante.

À présent, quelque chose avait changé. Et ce livre si familier renfermait désormais un nouveau texte, un texte qu’elle ne connaissait pas.

— Je te vois sourire, tu sais.

— Je pense à quelque chose de bête, dit-elle.

— Raconte-moi.

— Que penses-tu d’un livre que tu connais par cœur, vraiment par cœur, et que tu découvres sous un nouveau jour ?

— Je dirais que c’est un bon livre !

— Comment ça ?

— Un bon livre n’est jamais exactement le même, il se renouvelle, se dévoile, de lecture en lecture. Ou bien…

— Ou bien ? reprit Hélène.

— Tu dis que tu le connaissais par cœur ce livre ?

La jeune femme acquiesça.

—Alors, je ne vois qu’une autre possibilité. C’est la lectrice qui a changé. Tu as dû changer d’opinion sur ce livre tout simplement. Il t’apparait autrement.

— Tout simplement, répéta Hélène, les yeux dans le vague.

La jeune femme s’empressa de détourner la conversation.

— On ne devait pas sortir ?

Les rues regorgeaient de monde. Par la force des choses, ils se rapprochèrent. Ils parcoururent la ville, l’un contre l’autre, dans le brouhaha ambiant d’un samedi après-midi. Ils s’échangèrent des regards d’abord gênés, qui devinrent plus complices à mesure qu’ils s’enfonçaient dans les ruelles étroites. La sensation de l’avoir près de lui commençait à lui plaire. Hélène finit par glisser son bras sous le sien. Martin esquissa un sourire avant de détourner le regard. Elle sourit, elle aussi, de son embarras. Elle revoyait l’adolescent dans ses traits, retrouvait ces expressions sérieuses qui l'avaient touchée la première fois qu’ils s’étaient rencontrés. L’ancienne histoire n’avait finalement pas disparu. Les minutes qui s’écoulaient étaient délicieuses à présent. Hélène réalisa alors ce qui se passait. Elle était au bras de Martin. Cet homme, son confident, était grand, très grand, protecteur… et sexy. Oh mince ! Effrayée par cette découverte, elle s’accrocha un peu plus à son bras.

— On se pose quelque part ? lui proposa-t-il à l’oreille.

Elle se contenta de hocher la tête. Elle devait quitter le bras de son ami et n’en avait pas envie. Sa chaleur la réconfortait bien plus que le soleil.

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