Chapitre 5-2

3 minutes de lecture

À la moindre remarque de Martin, Lucie bondit. Elle voudrait ne rien laisser paraître, mais il suffit d'un mot, d'un regard, d'une moue esquissée pour qu'elle se sente agressée. Il lui avait promis d'être un mari exemplaire. Alors, où est passé cet époux fabuleux, aimable, drôle et prévenant ? L'exercice est périlleux et Lucie n'est pas convaincue d'en ressortir indemne. Elle doit faire attention à tout. Même les questions d'Arnaud la rendent fébrile, surtout que Martin continue de faire la tête. Elle est tellement concentrée pour ne pas flancher qu'elle ignore la cause de sa bouderie. Elle ne voit que Juliette. Comment peuvent-elles discuter de manière si ordinaire après ce qui s'est passé la veille ? Elles n'ont pas eu le temps, ni le courage, d'aborder le sujet avant le dîner. Lucie a même hésité à annuler à la dernière minute, mais l'envie de la voir l'a emporté sur ses peurs.

Les assiettes sont presque vides, Juliette regarde les convives finir les dernières bouchées.

— On passe à la suite ? propose-t-elle.

— On peut faire une pause cigarette ? demande Arnaud.

— Oui, bien sûr ! Vas-y !

Arnaud se dresse, attrape son manteau, vérifie dans la poche la présence desdites cigarettes et de son briquet. Avant de sortir, il demande si quelqu’un souhaite l’accompagner — un fumeur seul est un fumeur triste. Drôle de proverbe. Martin accepte le premier, suivi d’Hélène. Ils quittent la table à leur tour, laissant Juliette et Lucie seules.

— Je vais t’aider à débarrasser, propose cette dernière.

— Non, c’est bon, je me suis déjà organisée.

Lucie n'obtempère pas, se lève et rassemble les assiettes. Déterminée à profiter de cette occasion, elle suit son amie dans la cuisine.

— Tu fais quoi, Lucie ?

— Laisse- moi t’aider.

— Je n’en ai pas besoin.

Juliette saisit des mains les assiettes, frôlant les doigts de Lucie au passage. Les deux femmes se figent à ce contact et rougissent aussitôt.

— Retourne au salon Lucie. S’il te plaît, laisse-moi m’occuper de ça, dit calmement Juliette.

Ça ? Tu comptes sérieusement te réfugier dans ton rôle d’hôtesse parfaite ? Il y a d’autres choses plus importantes à gérer que tes assiettes, rétorque Lucie qui lâche prise, émue.

Juliette pose la vaisselle sur le plan de travail, marque un temps d’arrêt, avant de se retourner vers celle qui ne peut cacher ses larmes. Lucie se sent soudain minuscule face au chaos qui se fait en elle, à l'effondrement des derniers murs qui la tenaient debout. Elle essaye encore de trouver du sens dans le regard de Juliette :

— Dis quelque chose, bon sang ! Nous ne sommes plus des enfants. Je fais comme si tout allait bien alors que j’attends juste de pouvoir te parler vraiment.

— Je t’écoute alors.

— Je ne sais pas quoi te dire maintenant… Mais faire semblant que ça n’a pas existé… Je te déçois ? Je te dégoûte ? Dis-le-moi si j’ai eu tort de t’embrasser. J’ai franchi la ligne, c’est ça ? Tu as le droit de m’en vouloir.

Les mains de Lucie s’agitent, se tordent, rougissent à force d’être frictionnées sans ménagement. Son regard évite soigneusement celui de Juliette qui l’observe calmement.

— Je peux partir si ma présence te gêne. Je rentre chez moi, je laisse passer le week-end et on voit ça lundi. Ou un autre jour si tu veux. Je suis désolée...

— Et puis merde !

Juliette s'est approchée vivement, elle prend le visage de Lucie dans ses mains, l'observe quelques secondes avant de venir plaquer ses lèvres sur les siennes. Lucie voit des centaines de couleurs jaillir aux quatre coins de la pièce. Elle a le sentiment de sortir d'un profond sommeil. Juliette embrasse ses paupières, puis le bout de son nez, son menton tremblant, ses joues et ses lèvres. Longuement. Tendrement. La porte d’entrée grince. Les corps des jeunes femmes se pétrifient. Maintenant que Lucie a goûté aux baisers de sa belle amie, de nouvelles certitudes naissent dans son cœur réchauffé. Elle se contente d’une caresse furtive sur le visage empourpré de son amie. Les deux femmes s’éloignent l’une de l’autre avant qu'Arnaud ne fasse son apparition dans la cuisine. Juliette détourne le regard, Lucie s'empresse de mettre les assiettes dans le lave-vaisselle.

Qui saurait remarquer leurs joues légèrement colorées ou leurs regards troublés ?

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 6 versions.

Vous aimez lire Ainhoa ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0