Chapitre 8

12 minutes de lecture

Manipulation

Le vent soufflait fort, si fort dans mon dos. Comme s'il me poussait, comme s'il attendait que je le fasse. La pluie n'allait plus tarder maintenant. Mes yeux embués de larmes ne voyaient plus rien. Je sentais simplement le vent et la douleur dans mes mains à force de me tenir à la rambarde. La police avait décrété l'état d'urgence plus personne en ville ne devait sortir pour sa propre sécurité. Autant dire que personne ne passerait par là.

J'avais l'impression que mes poches allaient craquer, à cause des cailloux et des pierres que j'avais enfournés. En dessous de moi le courant du fleuve était déchaîné, si je sautais il y avait peu de chance que je remonte vivante, mais néanmoins j'avais bien fait de prendre ces pierres au cas où.

Je n'avais qu'à avancer mes pieds de quelques centimètres et tout serait terminé. Je serai libérée de tout le bordel qu'il y avait dans ma tête. Ma poitrine m'était tellement douloureuse. Cela faisait plusieurs nuits que je n'avais pas fermé l'œil et mon corps choisit ce moment pour me faire part de son engourdissement. Est-ce que je méritais la main que la mort me tendait ? Non. Je méritais seulement les tourments de ma souffrance, mais je ne pouvais pas les supporter. Tout était ma faute. Ils avaient été enterrés la semaine dernière et tout était ma faute. Comment pouvais-je me dégoûter à ce point-là ?

  • Hey toi !

Je tournais la tête sur ma droite, et je vis quelques mètres plus loin un garçon que je n'avais jamais vu auparavant. Ses cheveux blonds juraient avec le paysage grisonnant. La moto à côté de lui me fit penser que même si la route était barrée il avait facilement pu passer avec cet engin fluide, bien que ce soit très dangereux de rouler par un temps pareil. Même si la police avait conseillé aux habitants d'Erié de rester chez eux, il y avait toujours un con pour faire le contraire de ce qu'on lui disait et il avait fallu que je tombe sur lui.

  • Descend de là !

Descendre de là ? C'est ce que j'allais faire juste avant qu'il arrive. Je ne demandais pas de spectateur. Mais après réflexion cela pourrait m'être utile si on ne retrouvait pas mon corps. Une fille aux cheveux roses qui saute d'un pont. Je pense qu'il n'aura pas de mal à s'en souvenir.

  • Ne bouge pas j'arrive.

  • NON reste loin de moi !

Qui était-il donc ? Bien qu'il ait entendu distinctement mon désaccord, il passa à son tour par-dessus la rambarde du pont. Encore un gars qui voulait faire son acte héroïque du jour.

  • Salut !

Maintenant qu'il s'était approché de moi, la seule chose qu'il trouvait à dire était salut ? Et c'est quoi se sourire de psychopathe qu'il me montre ?

  • Je m'appelle Tyron .

  • Bon je suis occupé maintenant dégage.

Je me demandais s'il m'écoutait seulement. Ses yeux étaient rivés sur le vide en dessous de nous.

  • Honnêtement ma journée serait vraiment gâchée si je te laissais sauter.

Il pensait à sa petite journée ? je croyais rêver.

  • S'il te plaît. Éloigne ta tête aux cheveux roses du bord.

Ses petits arguments idiots ne me faisaient pas changer d'avis. Soudain, il faillit glisser. Il se retint de justesse, mais je voyais bien qu'il avait le vertige. Il me fallut plus de courage pour faire demi-tour, plutôt que de me jeter d'un pont. Il fut soulagé quand je passais ma jambe gauche de l'autre côté de la rambarde pour rejoindre la route.

  • Tu fais le bon choix.

  • Je n'ai pas envie d'être responsable de ta mort c'est tout.

Peu importe mes arguments, j'étais de l'autre côté et il en était heureux.

  • Alors le sadique ? content ?

  • Je ne suis pas sadique.

  • Si tu le dis.

  • Tu te sens toute seule, tu as l'impression que ta vie est inutile, minable et que tout le monde serait mieux sans toi.

Merde, comment il faisait ça ?

  • Je connais ça ne t'inquiète pas. ça te dirait de me venir avec moi ?

  • Ou ?

  • Dans un endroit où je pourrais t'aider à oublier.

Suivre cet inconnu serait débile, mais oublier était tout ce dont j'avais besoin. Et puis, une connerie de plus, ou de moins je n'étais plus à ça prêt.

  • Ok mais je te préviens si tu es un obsédé sexuel, sache que je peux être une vraie hystérique.

il rigola.

  • Je note. Allez-je t'emmène.

Je le suivais où je montais derrière lui sur son énorme moto.

  • Au fait je ne connaît pas ton nom.

  • Erin . Je m'appelle Erin Summers .

J'ouvris les yeux. Ma respiration était saccadée. Le cerveau encore embrumé je revivais encore mon rêve. Un rêve, un cauchemar, je ne savais pas comment définir ce qui était au final un simple souvenir. J'étais en sueur, mon lit était humide et froid, mon pyjama me collait à la peau. Je me sentais tellement mal à l'aise. Pourquoi ce rêve ? Pourquoi maintenant ?

Je me relevais doucement enlevant les cheveux collés à mes joues par la même occasion. Me souvenant de la journée précédente, je tournais la tête dans la direction du matelas sur le sol. Vide. Les draps encore défaits, le lit était vide. Les jambes faibles, je me levais avec difficulté. Mon estomac me criait famine; mais la simple idée d'avaler quelque chose me donnait la nausée. Je sentais que la bonne humeur ne m'avait pas regagné et vu mes cheveux courts dans le miroir de la salle de bain n'arrangea rien.

Je descendis fatiguer les escaliers quant au rez-de-chaussée j'entendis des voix. En descendant devant la télévision je reconnus une tignasse brune que je croyais déjà partie.

  • Tu es encore là toi ?

  • Ouais, mon père n'est pas encore parti au boulot.

  • Il est quelle heure ?

  • un peu moins de six heures du matin.

  • Et tu es déjà levé ?

Il tourna enfin la tête dans ma direction, en souriant.

  • Une certaine personne m'a empêchée de dormir.

  • Quoi ?!

  • Tu parles en dormant.

Je me crispais.

  • J'ai dit quoi ?

Mon cœur s'emballa, j'espérais ne pas avoir dit de connerie.

  • Je n'en sais rien tu as parlé de caillou ....

Ouf ! J'avais hâte que Damon s'en aille de chez moi, mais il allait être là encore un bon moment. Je décidais donc de faire mes tâches quotidiennes sans m'occuper de sa présence.

Mais cela fût finalement plus difficile que je le pensais, sentir une présence dans la pièce d'à côté me mettait mal à l'aise. Depuis combien de temps je ne m'étais pas réveillée en sentant une présence chez moi ? Même les hommes avec qui je couchais se faisaient virer de mon lit ou partaient dès que le boulot était fini. La douleur dans ma poitrine qui s'était quelque peu amoindrie m'élança. Une douleur saisissante et abominable qui prenait de plus en plus d'ampleur à chacune de mes inspirations. Si douloureux que j'en lâchais ma tasse dans l'évier. Dès que tout allait un peu mieux, le retour à la réalité était fulgurant et chaque fois cela devenait un petit peu plus insoutenable.

Oui, aujourd'hui allait être une mauvaise journée, une de ces journées ou m'apitoyer sur mon sort était mon seul programme. Non, je ne voulais pas. Pas aujourd'hui. Hier avait déjà été un calvaire, il était hors de question que je me remémore la personne pitoyable que j'avais été et que j'étais encore. Aussi, je me tournais vers la petite étagère qui était derrière moi. Ici était rangé le service de mariage de mes parents, je pris une théière en porcelaine blanche avec le plus grand soin. Je l'ouvris et en sortit un sac plastique. Je m'assis sur la table de la cuisine et l'ouvris.

  • ça va ?

Je me retournais, Damon me regardant encore fatigué dans l'embrasure de la porte.

  • Oui pourquoi ?

  • Je t'ai entendu faire tomber un truc.

Je ne répondis pas et sortais mon paquet de tabac, mes feuilles à rouler et le sachet qui contenait une barre marron.

  • C'est quoi ?

  • Tu le sais très bien.

Je commençai à fabriquer mon joint évitant de croiser son regard inquisiteur. Je pouvais déjà entendre ses reproches venir. Mais plutôt que parler il s'assit en face de moi.

  • Tu fumes dès le matin...

Je soupirais.

  • Non Damon, figure-toi que non. Habituellement.

  • Alors pourquoi ?

  • Pour faire parler les bavards.

  • Je vois. Je peux me servir un café ?

  • Bien sûr

Il prit la tasse que j'avais lâchée dans l'évier et se servit le café encore restant d'hier. Il trouva seul comment marchait le micro-onde. Mon joint près je m'installais sur le fauteuil du salon. Il n'avait, pour une fois pas cherché à comprendre ni à savoir ce que je faisais et pourquoi je le faisais. Il ne devait sûrement pas avoir la force, de commencer un combat verbal avec moi dès le matin. Et puis en y repensant, Damon avait lui aussi ses problèmes à régler. Je me demandais soudainement comment devait être ses parents.

Je savais qu'il était né dans une famille qui avait énormément de moyens. Sa mère devait être une de ces femmes superficielles qui ne jurait que par le physique. Sophistiqué, les enfants ne devaient pas être une priorité. Son père je l'imaginais, charismatique, intimidant, un air sévère collé au visage. Le genre d'homme à ne penser qu'au travail, à la réussite et l'honneur de la famille. Le peu de choses que Damon avait bien voulu me dire sur son père me faisaient confirmer cette idée.

Je vis d'ailleurs le cadet Atkins s'asseoir sur le fauteuil à ma gauche. Je pris le briquet sur la table en verre et allumais l'objet de mes désirs. La première bouffée m'emplit les poumons comme une libération et un soulagement. Je tournais ma tête vers mon invité.

  • Quoi ?

Il me regardait de façon étrange, perdu dans ses pensées.

  • Rien.

Je ne fis pas plus attention et la télé captiva mon attention. Les minutes défilèrent, puis les heures. Arriva sept heures du matin.

  • Tu comptes faire quoi aujourd'hui ? Me demanda-t-il. Me faisant sursauter par la même occasion.

  • Rien. Et toi ? Oh ! ne répond pas, tu comptes aller traîner chez d'autres filles ?

  • Pourquoi pas. Tu es jalouse ?

Automatiquement je le mitraillais du regard.

  • Non

  • Je ne vois pas en quoi ça te regarde de toute façon.

Pourquoi soudainement cet air froid ? Une nuit de sommeil et voilà revenue le connard fini ?

  • Je tiens simplement à savoir si tu vas faire du mal à d'autres filles aujourd'hui.

Il retira un paquet de cigarettes de sa poche et en alluma une.

  • Ton avis sur moi est énervant.

  • Mais justifié. Avais-je renchéri.

Il se pencha et s'accouda sur ses genoux. Son regard était glacial.

  • On va mettre les choses au clair toi et moi. Les femmes que je fréquente je ne les force pas. C'est elle qui vient à moi, je leur donne simplement ce qu'elles veulent. Quant à toi tu n'as ni reproche, ni remarques à me faire, car tu es très mal placé pour me faire la morale.

Je déglutis. Le ton de sa voix était calme, mais parfaitement menaçant. Je ne crus pas ce que j'entendais.

  • Et berner les filles comme tu l'as fait avec moi c'est un comportement absolument irréprochable peut-être.

  • Les filles que j'ai dépucelées ne se sont jamais plaintes jusqu'à présent.

  • Moi si.

  • On n'a pas couché ensemble. Et tu es la seule à me faire des reproches.

  • Tu entends quoi par là ?

  • Que je suis un sacré coup au lit, et que tu ne sais pas ce que tu as perdu.

Son attitude si versatile et lunatique me déroutait de plus en plus.

  • Et si j'étais vraiment le salaud que tu décris j'aurais laissé ces types t'embarquer dans leur voiture.

  • Ce n'était pas tes affaires.

Il rit d'une façon amère.

- Bien, la prochaine fois je te laisserais te faire violer. Et vu l'état dans lequel tu te mets en soirée, ça pourrait arriver plus vite que prévu.

  • Qui t'as parlé de viol ?

  • Te fou pas de ma gueule, tu ne voulais pas les suivre.

Je fis basculer ma tête en arrière. Fumant le joint qui me permettait tout de même de rester calme. Pendant plusieurs minutes j'évitais son regard. Lui, il regardait de nouveau la télévision avec beaucoup de concentration.

  • Tu te trompes...

Je tournais la tête pour voir son visage. Il me regarda sans vraiment comprendre pourquoi je disais ça.

  • Je me fichais complètement qu'ils me baisent ou pas. Je ne voulais pas monter dans leur voiture c'est tout. Je ne veux plus jamais monter dans une voiture.

Il ouvrit la bouche, mais rien ne sortit. Encore une fois j'avais avoué à Damon mes sentiments, mes craintes.. Encore une fois j'avais mis dans la pièce une ambiance sordide et froide. Aussi je préférais la quitter.

La cuisine était plus chaleureuse. Surement à cause de la peinture jaune canard. J'étais énervée, agacée de mon propre comportement. Si faible, si fragile. Je commençai à laver des tâches imaginaires sur ma vaisselle propre pour m'occuper.

  • Tu veux de l'aide ? Fit une voix derrière moi.

  • Non c'est bon.

Il resta silencieux. Pourtant il s'approcha de moi et prit un torchon afin d'essuyer la vaisselle.

  • Je pense que j'ai quand même bien fait d'intervenir.

Il continuait d'en parler. La colère montais en moi. J'étais fatiguée de le voir. Fatigué de l'entendre. Je voulais bien faire preuve de charité, mais je n'avais jamais donné l'autorisation pour qu'il se mêle de ma vie. Qui était-il pour juger ce qui est bon pour moi ou non ? Qui était-il pour me dire ce que j'avais à faire ?

  • Je peux faire la vaisselle toute seule. Dis-je durement.

  • Ne t'inquiète pas.

Je croyais qu'il allait enfin s'arrêter de parler. Mais non.

  • Ce week-end reste avec Sheldon , moi je ne serais pas là.

Trop tard, ce fut la phrase de trop.

  • C'est bon j'en ai marre.

  • Quoi ?!

- Je n'ai pas besoin de conseils, et surtout pas des tiens. Je baise avec qui je veux, quand je veux, et comme je veux. Je me fous d'être une salope, la pire des garces qui baise tous les types du quartier.

  • Non mais écoutez là je rêve.

Je ne pouvais pas le supporter, l'entendre parler me donnai des frissons et son attitude du beau gosse intouchable me faisaient sortir de mes gonds. Je lâchais ma vaisselle, et partais dans le salon furibond.

Evidemment il me suivi.

  • Je veux que tu partes de chez moi.

  • C'est quoi ton problème à la fin ?

  • Je ne peux pas te supporter, tu es arrogant, impoli, un connard et tu préfères jouer les petits cons plutôt que montrer ce que tu es vraiment.

  • C'est marrant tu fais une description exacte de toi-même.

Il restait étonnamment calme devant mes propos. Et c'était horriblement exaspérant.

  • Je te demande pardon ? je n'ai rien à voir avec toi.

  • Tu couches avec tout le monde, dès que quelqu'un s'approche un peu trop près de toi tu le vires de ta vie et tu préfères jouer les filles que rien ne touche plutôt que d'affronter les autres.

  • Je crois rêver.

  • Tu veux que je te dise ? On se ressemble bien plus que tu ne le penses. Et c'est pour ça que moi aussi je vois clair dans ton petit jeu.

  • Moi ? un jeu ? Mais vas-y fait moi partager ta théorie toi qui es si brillant en matière de relation humaine.

  • Je vois bien que tu n'es pas la fille que tu montres. Si vraiment rien ne te touchait comme tu le prétends, tu aurais accepté l'aide que tes amis t'apportaient. Mais tu préfères rester dans ton malheur. Tu te détestes tellement que tu préfères te bousiller.

  • Exactement. Ironisais-je. Mais tu as raison j'ai besoin de l'aide de personne.

  • Ah ouais ? si vraiment c'était le cas tu ne m'aurais jamais laissé passer la nuit ici.

Je me tu. Du moins je ne savais pas quoi répondre.

  • Dégage de chez moi.

  • Comme tu veux. Mais un dernier truc, arrête de me juger. Tu es une fille sûrement plus détestable que moi, t'as même pas réussi à garder tes amis , d'ailleurs si tu te respect un minimum, arrête de baiser dans les chiottes publiques.

  • Va te faire foutre.

  • Très bien, tu ne veux pas d'aide. Alors personne ne t'aidera. Mais tu te retrouveras seule Erin Summers et ce jour-là il n'y aura personne pour t'arrêter à la prochaine tentative de suicide.

Il partit. En claquant la porte. Et je restai là, sans bouger bouleversée d'avoir entendu tellement de vérités à mon sujet.

Annotations

Vous aimez lire Sitraka Tiavina ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0