Pont de la rivière Kwaï.

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Pat le « caillera » était réglé comme une horloge. Fin des cours du matin, manger à la cantine, un expresso, une clope et grosse commission. Il se retrouvait donc pratiquement tous les jours aux toilettes vers 12h45. Les amies d’Alice obtinrent rapidement ces renseignements par leur large réseau. Elles avaient même appris qu’il sifflait dès qu’il posait son cul sur les lunettes d’un WC. Elles surent alors ce qu’elles allaient faire…

Vers une heure moins quart, comme prévu, Pat lança son traditionnel : « J’vais en poser une, mecs ! » et quitta sa bande de copains avec qui il fumait dehors. Il entra dans l’établissement scolaire et se dirigea vers les toilettes. Les couloirs étaient peu fréquentés pendant la pause midi. La plupart des élèves profitaient du beau temps et étaient sortis pour prendre l’air. Il ne croisa pratiquement personne, à part Ben, un élève qu’il connaissait et qu’il salua respectueusement. Ben était debout, appuyé contre le mur en face de l’entrée des toilettes et consultait son portable.

- Yo Ben, ça smart mec ? lui dit Pat.

Ben leva à peine le nez de son portable et répondit dans un bref grognement incompréhensible. Cela énerva Pat qui, dans d’autres circonstances, n’aurait pas hésité à sauter de rage sur le gars pour lui arracher une oreille avec les dents, par exemple. Seulement Ben était une force de la nature. Il faisait plus de deux mètres et avait une impressionnante masse musculaire. Ses copains le surnommaient « Grizz », diminutif de grizzli. Pat prit sur lui et continua son chemin jusqu’à la porte des toilettes. Le « caillera » aurait bien aimé avoir Ben dans sa bande et avait essayé de le convaincre. Un tel mastodonte dans son équipe pouvait être très utile. Il pouvait soulever un type de quatre-vingt kilos avec une seule main. Mais ce n’était pas le genre de Ben qui, heureusement pour tout le monde, était pacifique, non violent et avait bon cœur. Il ne se laissait toutefois pas emmerder et savait se faire respecter. Il ne fallait pas le chercher mais personne n’osait le chercher. Et puis il ne pouvait pas blairer Pat.

Dès que Pat entra dans les toilettes et que la porte se referma derrière lui, Ben (Benjamin en réalité mais il voulait qu’on l’appelle Ben et personne n’osait le contrarier) se posta à l’extérieur, devant l’entrée, bras croisés et jambes légèrement écartées. Façon vigile. Ben était une connaissance des amies d’Alice et il leur devait un service. C’est pour cela qu’il était posté devant la porte des chiottes pendant la pause de midi en disant « hors service ! » à tous ceux qui voulait entrer. Pat, à l’intérieur, ne se doutait pas de ce qu’il se tramait dehors. Il était seul dans les toilettes et il s’enferma dans une des cabines. Il baissa son froc, s’assit et commença à en poser une en sifflotant, comme d’habitude. Ce fut le signal ! Dès que Ben dehors a commencé à l’entendre siffler, il fit un signe aux filles pour qu’elles rappliquent. Elles s’étaient cachées dans les couloir en attendant l’arrivée de Pat. Ben leur ouvrit la porte en silence et elles entrèrent. Pat (qui sifflait la musique du « Pont de la rivière Kwaï »), n’entendit rien. Son affaire réglée, il releva son pantalon, tira la chasse en regardant disparaître son étron, puis ouvrit la porte de sa cabine et alla directement se laver les mains au premier lavabo en face de lui en se regardant dans la glace pour voir à quel point il se trouvait irrésistible. Il sifflotait toujours.

- Hum, hum, toussota Chloé.

Il sursauta et se retourna sur sa gauche, d’où venait le bruit. Il vit Jade, Chloé, Mila et Léa. Ça lui coupa le sifflet direct ! Elles s’étaient volontairement placées entre lui et la porte de sortie derrière laquelle Ben montait la garde. Elles ne voulaient pas qu’il puisse s’échapper. Elles s’étaient alignées l’une à côté de l’autre de la plus grande à la plus petite, comme pour former un mur. Un amateur de bandes-dessinées aurait pensé en les voyants : Tiens, les Daltons au féminin ! Passé le moment de surprise Pat repris un peu de son assurance et dit :

- Weeeeeesh, le meufs, quelqu’un s’est gouré là. Mais à c’que j’sais ici c’est les chiottes des mecs ! Qu’est-ce qu’vous foutez là ?

Mais qu’il est con ce mec, pensa Léa la plus grande près de la porte, il a quatre nanas supers gaulées en face de lui et il se flingue en sortant une connerie pareil ! Elle dû prendre sur elle pour dire d’une voix douce :

- Salut Pat, on est venu te voir, mes amies et moi, parce qu’on a une gentille proposition à te faire. Elle insista sur le mot « gentille ».

Les quatre affichaient un joli sourire et avaient pris des postures qu’elles voulaient aguicheuses. Pat, nouveau dans l’école, connaissait peu ces filles et ignorait le lien d’amitié qu’elles avaient avec Alice. Quand il entendit Léa parler de « gentille proposition » son ego démesuré et sa testostérone un peu trop présente lui fit imaginer tout autre chose que ce qu’il allait entendre. Il se voyait déjà allongé dans un grand lit avec ses quatre nanas, à faire des trucs que seul son esprit dérangé pouvait imaginer. Il allait être déçu.

- Wesh, meufs, c’est chaud là ! Vas-y j’técoute, c’est quoi vot’gentille proposition là ?

- Ce matin tu t’en es pris à une fille, elle lisait un livre, tu t’en souviens ?

- Wesh, l’intello qui r’garde pas où elle va. Et bhen quoi ?

- Et bien figure-toi que c’est une de nos amies, alors tu vas aller t’excuser auprès d’elle et ensuite tu ne l’approcheras plus jamais, c’est clair ?

Il resta un court instant étonné de ces dernières paroles. Comme si l’information avait de la peine à être comprise par son cerveau. Ça lui paraissait tellement absurde et en décalage avec ce qu’il avait imaginé qu’il en rit :

- Mouarf ! C’est ça vot’proposition les meufs ? Tu déconnes ! Non mais t’es qui pour me parler comme ça ? Hé, Va t’faire foutre !

Il fit des « fucks », un à chaque main.

- Ah non, poursuivit Léa, ça ce n’est pas notre gentille proposition, ça c’est un ordre. Notre gentille proposition c’est que tu acceptes d’y obéir sans qu’on t’y oblige.

Il ne croyait pas ce qu’il venait d’entendre. Ses « fucks » lui en tombèrent.

- Quoi ? Qu’est-ce tu dis ? (Il prononçait « qu’esse-tu dis ? ») T’es ouf ou quoi ?

- T’as parfaitement entendu !

Il avait entendu, oui. Cette fille le menaçait, lui, la terreur. Elle était gonflée. Toutefois, inconsciemment, sa curiosité fut piquée. Il voulut savoir ce qu’il se passerait s’il refusait.

- Putain, sale pute ! Tu sais à qui tu parles, bordel ? Tu crois quoi ? Que j’vais t’obéir comme un chien ? Vous f’rez quoi si j’vous envoie faire foutre ? Vous allez m’taper avec vos p’tits poings ?

Léa prit un ton grave pour lui répondre. Les filles ne souriaient plus et adoptèrent des postures plus sévères.

- Ah non, pas « nous », sale con, seulement Jade ici présente (Jade, la plus petite de l’équipe, fit un petit salut de la main et un bref sourire comme pour dire : coucou c’est moi !) Si tu ne fais pas ce qu’on te demande, elle va te démonter la gueule et ensuite on va te faire passer un tel sale moment que tu obéiras de toutes manières. P’têtre même que tu vas nous supplier de pouvoir aller t’excuser.

Silence. Personne n’avait jamais osé lui parler comme ça. Encore une fois il n’en revenait pas ! Elles délirent ou quoi ? Se dit-il. Pat observa Jade de la tête aux pieds. C’était la plus petite de l'équipe. Elle avait une tête et demie de moins que lui et ses cuisses ne devaient pas être plus grosses que ses bras. Le corps de la fille était mince et très musclé. Elle portait un mini short en jeans rose pâle, un haut à manches courtes et des baskets blanches immaculées. Le haut, qui laissait apparaître ses gracieuses épaules, était bleu ciel, ce qui faisait ressortir ses magnifiques yeux de la même couleur. Ses habits mettaient en valeur son bronzage caramel. Elle avait détaché ses longs cheveux blonds, qui s'étaient encore éclairci avec le soleil d'été et les avaient ébouriffés pour leur donner du volume. Elle était magnifique et ressemblait à une fragile poupée…

Il explosa de rire.

- Me faire casser la gueule par… par ça ! Dit-il du mieux qu’il put dans son fou-rire en pointant Jade du doigt.

Léa attendit qu’il se calme un peu et continua :

- Exact, t’as tout compris ! Alors, qu'est-ce que tu décides ? Tu vas t’excuser tout seul ou on t’oblige ?

- J’décide d’aller vous faire foutre les p’tites putes (re-fucks). Dégagez d’ici avant qu’j’m’énerve vraiment et que j’vous explose !

- Les filles, c’est Jade qui prit la parole en regardant ses amies, je crois bien que Patounet refuse notre offre et qu’il va falloir que j’y aille le taper avec mes petits poings…

Elle prit l'élastique qu'elle avait au poignet et s'attacha rapidement les cheveux en un chignon serré. Elle faisait toujours ça avant d'engager un combat, ça laissait moins de prises. Chloé, Mila et Léa reculèrent de trois pas, laissant Jade seul en avant. Cette dernière se planta en face de Pat et prit volontairement une espèce de position de combat ridicule de nunuche en levant ses poings devant sa poitrine, comme si c’était la première fois qu’elle se battait. Ça a bien amusé ses trois copines qui riaient intérieurement. Chloé roula des yeux avec un petit sourire. Impayable cette Jade, me fera toujours marrer ! Pensa-t-elle.

Pat, quant à lui, qui ne supportait pas qu’on l’appelle « Patounet », se dit : rien que pour ça j’vais t’péter l’nez sale p’tite pute de blondasse et ce n’sra qu’un début !

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