Chapitre 7: Emancipation.

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Chapitre 7: Émancipation.

Une semaine avait dû s'écouler depuis la visite de sa mère, et Gabrielle ne l’avait plus

revue. Sa sœur ainsi que son frère étaient venus la visiter, ils étaient restés une après-midi complète. Pierre aussi était venu, plusieurs fois, ne restant que quelques minutes, ceci plusieurs fois par jour. Il avait du travail, aussi Gabrielle comprenait. Aucunement le sujet de la bonne ne refit son apparition, comme si la scène n’avait jamais eu lieu. Tant mieux, elle n’aurait pas su quoi répondre. Elle se forçait à sourire, à être avenante, mais au fond d’elle l’amertume s’était installée pour de bon.

Elle n’avait pas non plus revu Armand une seule fois. Elle était là, alitée dans sa propre demeure, mais pas une fois il n’était venu la visiter ou lui tenir compagnie. Le sentiment de proximité qu’elle avait ressenti à ses côtés la nuit précédent son malaise semblait bien lointain.

Le dimanche matin, elle sortit du lit pour retourner chez elle, enfin. Les forces lui étaient revenues partiellement. Se sentant toujours faible elle n’aurait pas été prête pour un tour à cheval, mais rentrer chez elle était désormais chose possible. Le médecin était revenu la voir la veille au soir, pour lui les choses rentraient dans l’ordre, Gabrielle avait pu un peu le questionner, mais il n’avait que des hypothèses quant à son état. Peut-être une crise aiguë d’anémie, un malaise dû au corset, du surmenage… L’ensemble de ces suppositions tenait la route. Elle s’était reposée, avait mangé des repas préparés avec soin, bu son eau au fer toute la journée, oui elle avait vraiment tout bien fait. Malgré tout cela, tous ces soins, rien ne pouvait plus retirer la douleur dans son cœur.

Sur le départ, Gabrielle traversa la maison en espérant apercevoir Armand, mais aucune trace de ce dernier, n’osant plus demander à Louise où se trouvait le maître des lieux, elle se résigna à monter dans le cabriolet d’Armand.

Sans un regard en arrière, Gabrielle passa la grande porte cochère.

***

Gabrielle avait presque hésité, cela faisait plusieurs jours qu’elle n’était que peu sortie de sa maison, voire de sa chambre. Mais elle avait fini par accompagner Pierre qui le lui avait demandé. Ils devaient rejoindre le commissaire chargé de l’enquête en cours sur les meurtres étranges, Pierre ne voulait pas se retrouver seul à ce dîner, pourtant Gabrielle savait bien qu’elle serait encore la seule femme, mais elle avait bien compris que Pierre avait, en quelque sorte, besoin d’elle. D’un côté, elle était bien contente d’être utilisée de cette façon, car elle pouvait assouvir sa curiosité et en découvrir toujours plus sur l’affaire. Et une partie d'elle avait bien comprit que c'était de cette façon qu'elle devait voir l'avenir pour pouvoir avancer sans sombrer.

Durant le trajet qui les menaient au café où il devaient se retrouver, Gabrielle apprit que Pierre avait déjà rencontré le commissaire: un Anglais, un homme très aimable lui avait-il dit. Durant ce premier échange au palais de justice, il avait pu en savoir un peu plus sur l’avancée de l’enquête: elle venait d’être présentée devant un juge pour définir un calendrier prévisionnel sur l’avancement de l’enquête, pour le moment les témoins et familles des victimes avaient commencés à être interrogée et les dossiers étaient monté consciencieusement.

Au bras de Pierre, Gabrielle descendit de sa voiture pour rejoindre l’entrée. Elle avait le cœur qui battait un peu trop vite pour elle, l’idée de revoir Armand après presque deux semaines la mettait dans tous ses états; ce qui la contrariait grandement. Gabrielle hésitait encore sur l’attitude à avoir avec lui. Distante? Froide? Peut-être sarcastique.

Son questionnement ne put réellement aboutir car elle aperçut un peu plus loin dans le café la silhouette d’Armand qui discutait déjà avec un autre homme.

L’endroit était étonnamment élégant, de grandes colonnades blanches, sûrement factices, formaient une allée qui rejoignait le bar. De chaque côté, des tables étaient disposées, de petites bougies ainsi que des fleurs sur chacune, contre les murs, des tables avec des banquettes en velours rouge faisaient tout le tour de la pièce. Non loin du bar, un escalier de marbre blanc grimpait à l’étage, en bas, un homme en barrait l’accès. Une lumière chaude et presque orangée baignait la grande salle, une odeur d’orange amer flottait dans l’air se mêlant aux effluves d’alcool, de cigarettes et de cigares. Hommes et femmes discutaient tous bruyamment, cependant l’endroit semblait à des lieux de la taverne à côté du cabaret de la fois précédente. De l’autre côté du bar, un orchestre jouait discrètement des airs connus.

Pierre rejoignit Armand et le commissaire, toujours en uniforme. Malgré le prestige de celui-ci, Armand n'était en rien éclipsé. Toujours drapé dans sa cape noire à l’intérieur doublé de pourpre sombre, il se tourna vers Gabrielle pour lui baiser la main, ganté de noir. Les cheveux regroupés en bas de sa tête d’un ruban noir lui aussi, Armand sourit un peu, il avait l’air un peu fatigué. Pierre présenta Gabrielle.

“Commissaire Taylor, voici ma fiancée, Gabrielle Deslante.

  • Mademoiselle, c’est un enchantement de vous rencontrer.

Gabrielle sourit un peu, car monsieur Taylor s’exprimait avec un accent fort charmant.

  • Monsieur Taylor, enchantée.
  • Je vous en prie, appelez-moi Daniel.

Il prit à son tour la main de Gabrielle pour lui faire un baise main, mais il resta une longue seconde penché devant elle. Gabrielle eut le temps de se demander si les manières en Angleterre était différentes d’ici.

  • Ohhhh Gabrielle, votre parfum. Il sourit tout en jetant un œil à Armand. Cela vous va à ravir!

Gabrielle rougit un peu, gênée par un compliment si inattendu.

  • Je vous remercie.”

Alors que Daniel se redressait, celui-ci n’avait pas lâché Armand des yeux. L’ami de son fiancé semblait agacé au mieux, voire gêné. Qu’est-ce qui avait provoqué cette réaction?

Les présentations faites, ils rejoignirent une banquette tout au fond de la salle, loin de l’orchestre. Pierre et Armand s’échangèrent rapidement quelques messes basses. Gabrielle en profita pour détailler Daniel, c’était un homme d’une belle stature, sûrement autant que Pierre, mais il était bien plus séduisant: il était châtain aux yeux noisettes, mais son visage avait quelque chose de fascinant. Il était vraiment beau, pas aux goûts de Gabrielle, mais elle savait reconnaître un bel homme quand elle en voyait un.

Pierre lui tira une chaise pour l’installer, et pendant que les hommes s'asseyaient, un serveur vint prendre leur commande. La conversation eut à peine le temps de commencer que Pierre se lança directement dans les hostilités en parlant de l’affaire. Gabrielle écoutait attentivement tout en regardant les gens qui allaient et venaient.

"Alors, Où en êtes vous? Je commence à peiner à avoir des contacts chez vous, fort heureusement, Armand connaît toujours la bonne personne au bon endroit.

  • En réalité, je ne connaissais pas Armand avant tout cela, c'est lui qui m'a contacté, arrivant d'une personne à l'autre, il a fini par remonter jusqu'à moi. Expliqua Daniel, récupérant sa commande alors que le serveur était déjà de retour.
  • Cela revient à la même conclusion, Armand connaît toujours la bonne personne! sourit Pierre, tapant sur l'épaule de son conseiller.

Gabrielle eut une petite hésitation, Armand et Daniel ne se connaissaient pas? Pourtant ils semblaient avoir une attitude bien familière l'un envers l'autre.

  • Bref, notre affaire. Les choses avancent de façon très mesurée. Nous avons négocié plus d'effectifs sur l'enquête avec le préfet de Police, les choses commencent à les inquiéter. De plus, la conservation des pièces à conviction, aussi maigre soient-elles pose soucis. Ce sont les corps des défunts, ce qui fait que nous avons dû pratiquer de multiples autopsies, photographies, analyses, et il nous a été impossible de rendre certains corps. Ceux qui ont pu être restitués aux familles ont été mis en bière avant que quiconque ne puisse les voir et scellés, il ne fallait pas que quelqu'un les voit dans cet état. Les familles sont assez mécontentes.
  • Ce qui est compréhensible. Le deuil est une étape déjà assez compliquée à vivre, alors voir un proche tué de cette manière et son corps mutilé… fit Armand, secouant la tête avec contrition.
  • Ce que nous comprenons! Nota Daniel Taylor. Mais cela fait ralentir notre enquête. De temps en temps, nous recevons des familles en larmes car leur proche à été retrouvé dans le même état que l'homme dans sa cuisine.
  • Vous avez d'autres morts sur les bras? demanda Pierre, les sourcils froncés.
  • Oui et non…
  • Comment cela "oui et non"? s'agaça Armand.
  • Oui, nous avons régulièrement de nouveaux cadavres sur les bras. Mais il n'y a absolument aucune différence. Les corps sont retrouvés dans le même état, dans les mêmes conditions, sans aucun indice. Rien du tout. Cela revient juste de manière régulière, toutes les semaines, voire tous les dix jours. Expliqua Daniel, buvant un peu de vin.
  • Comment cela se fait-il que nous n'ayons pas été mis au courant? demanda Armand, montant d'un ton.
  • Je travaille sans relâche sur cette affaire, il faut absolument que vous donniez mon nom aux familles des victimes pour qu'elles puissent se porter parties civiles et que je les ajoute au dossier. Cela va peser un poids énorme! s'exclama Pierre.
  • Je comprends votre agacement, mais ce ne sont pas des familles qui ont les moyens de payer un avocat de votre trempe. Ils n'ont pas même de quoi payer du pain tous les jours.
  • Qu'importe. Envoyez les moi quand même. Je ne suis pas à la recherche d'argent pour cette affaire.
  • Et pourquoi cela? demanda Daniel, fort étonné et même un peu amusé.
  • Mon objectif est de pouvoir être connu au sein de certains milieux, pour des contributions à la ville de Paris et de mon arrondissement. J'aimerai me présenter aux élections du conseil municipal pour le 1er arrondissement. Le cabinet a bonne réputation, je veux être connu et être élu.

Daniel sembla agacé, et tourna la tête vers Armand.

  • Vous tentez de faire une récupération politique de cette affaire?
  • Non, cette affaire fera son chemin comme elle doit le faire. intervint Armand. Mais en parallèle, Pierre va pouvoir se faire connaître de personnes bien placées, l'enquête va prendre un tournant politique d'elle-même. Quand cela sera terminé tout le monde connaîtra son nom. Et il pourra entrer en campagne de façon locale.
  • Grâce au malheur de tous ces gens… piqua Daniel, contrarié.
  • La politique se fait toujours sur le dos des autres, Monsieur Taylor. Grinça Pierre.

Comment la conversation pouvait-elle à ce point s'être tendue? Tous étaient là avec le même but, mais les deux ne semblaient pas s'entendre.

  • De quel parti êtes-vous, Monsieur Loiseau? demanda Daniel, sur le même ton. Ligue de la patrie française ou ligue des patriotes?
  • Ah nous en sommes toujours là alors? Dreyfusard ou non? s'exclama Pierre, semblant découvrir le pot au rose, riant jaune.

Gabrielle compris sur le champ les choses étaient en train de glisser vers un sujet de conversation plus que sujet à conflits… Jamais aucun échange productif et sain ne pouvait ressortir de l'affaire Dreyfus, combien de fois avait-elle assisté à des débats houleux, des bagarres et des grands cris? L'opinion publique se déchirait depuis des années sur cette affaire et cela avançait fastidieusement.

  • Changeons de sujet, Pierre, je crois que nous n'arriverons à rien. Concentrons nous sur l'affaire. intervint Armand, posant sa main sur le bras de Pierre.

Le visage de Pierre se détendit sur le champ, et Daniel aussi. Gabrielle fronça les sourcils en les regardant reprendre la discussion à propos de l'enquête. Comme si de rien était.

Gabrielle ne comprit pas ce qu’il venait de se passer. Pierre avait changé si soudainement d’avis, et l’attitude de Daniel? Armand avait jeté un coup d'œil vers Gabrielle et se pencha vers lui pour lui parler à l’oreille.

“Il n’y a aucun souci, c’est sa façon de travailler.”

En même temps, il effleura sa main, mais Gabrielle avait croisé ses mains sur ses genoux, le fuyant. Hors de question de le laisser la toucher. Gabrielle se savait beaucoup trop fragile psychologiquement et physiquement, elle n’avait pas la force de lutter contre lui, de se mettre en opposition mais aussi de se laisser aller. Au fond d’elle, elle savait parfaitement ce qu’il se passerait si elle s’autorisait à plus. Elle ne voulait même plus y penser, même ça, c’était dangereux.

"Bref quoi qu'il en soit il faut que vous sachiez que le docteur Courtois, qui s'est occupé des autopsies, a été muté.

  • Comment ça muté? demanda Pierre, étonné.
  • Tout à fait. Il a agacé beaucoup de monde avec ses idées farfelues. Il n'arrêtait pas de parler d'un tueur en série qui serait un animal ou une créature étrange, un fou furieux buveur de sang. Les choses ne lui allaient pas du tout, il voulait parler au préfet, il voulait sans arrêt examiner de nouveau les corps.
  • Pourtant il nous avait semblé tout sauf dérangé…
  • Vous ne l'aviez pas au quotidien. Trancha Daniel.

Pierre se redressa pendant qu’on venait débarrasser leurs verres. Le serveur se pencha vers Monsieur Taylor pour lui parler à l’oreille. Il soupira et se leva en récupérant son képi.

  • Je suis désolé mais je dois y aller, j’ai déjà beaucoup discuté avec Monsieur de L’Estoile de tout cela, je pense qu’il vous fera un rapport détaillé, vous avez un très bon associé.

Tous se levèrent pour le saluer.

  • Encore désolé Maître Loiseau, je sais que ce n’est pas ce à quoi vous vous attendiez, mais on m’a fait demander au commissariat.
  • Eh bien ce fut succinct, en effet. Mais je vous en prie, allez y, le travail c’est le travail!”

Daniel Taylor les remercia de nouveau avant de partir.

Pierre se rassit, comme sonné. Gabrielle pouvait deviner ce qu’il ressentait à ce moment. L’enquête venait pour ainsi dire de reculer, enfin c'est sûrement la façon dont il le ressentait. Le départ d'une personne au sein de l'enquête était assez significatif de la mauvaise santé de celle-ci.

“La résolution de cette affaire se fera Pierre, n’ai crainte. Elle n’est peut-être pas aussi importante que ce que le Docteur Courtois le pensait.

  • J’y croyais vraiment… Comment un médecin peut-il se tromper à ce point? Quelle déception. soupira Pierre, vidant son verre d’un trait.
  • Nous ne sommes jamais à l'abri d’une erreur de jugement; Il devait y voir ce qu’il voulait y voir. Cette affaire est tellement étrange, comment deviner au premier coup d'œil ce qu’il est impossible de voir?

Pierre soupira de nouveau, longuement. Il leva le bras pour commander de nouveau un verre de vin.

  • Heureusement que nous sommes dans un endroit agréable, disons que cela aide à mieux digérer la nouvelle. Est-ce le commissaire qui nous a fait nous retrouver ici?
  • Non, c’est moi. Je ne pouvais pas vous recevoir chez moi ce soir, j’ai des invités et je voulais les laisser passer une soirée tranquille pour se remettre de leur voyage. Expliqua Armand, buvant lentement son vin. C’est un troquet chic qui cache un étage privé.
  • Ah vraiment? Et qui a-t-il là-haut?
  • Des salles privées, on y sert des marchandises bien différentes. A peu près tout ce que quiconque puisse désirer… Selon les goûts. On y rentre que si on connaît quelqu’un là bas.
  • Et tu connais évidemment quelqu’un Armand. Sourit Pierre.
  • Je connais toujours quelqu’un. Répondit son ami avec aplomb.

Pierre commença à se lever.

  • Eh bien allons voir là-haut alors.

Gabrielle se crispa sur sa chaise, ne bougeant pas d’un pouce. Comment ça, monter à l’étage?

  • Non. s’entendit-elle dire à voix haute. Je suis désolée mais cela ne m’intéresse pas.

Pierre commença à soupirer, l’air très visiblement agacé.

  • Gabrielle, nous pouvons aller faire un tour, rien ne nous oblige à rester toute la soirée. Et puis j’imagine que tu peux rester quelque part pour boire un verre tranquillement.

En deux phrases, Gabrielle sentit la colère l’envahir. Elle se leva pour lui faire face, prête à partir. Et sans trop savoir d’où lui venait cette force de caractère, elle s’opposa à lui.

  • J’ai. Dis. Non, Pierre. Je ne veux pas être vue dans un endroit pareil, je ne suis pas une femme que l’on ballade comme un trophé. Tu tiens à ta carrière politique et ton image, mais être vu dans un bordel ne te dérange pas?

Immédiatement, Gabrielle regretta ses mots, effrayée de ce qui allait se passer, des conséquences de ses paroles. Et elle vit sur le champ le regard noir de Pierre qui lui attrapa le bras, serrant fort, Gabrielle lâcha un gémissement de douleur. Sauf qu’au même moment, ce fut Armand qui se leva pour attraper la main de Pierre.

  • Ça suffit, Pierre. Lâche-là.

Gabrielle avait tourné la tête vers Armand. Celui-ci semblait en colère. Pierre lâcha sa fiancée avant de se reculer. Il ne semblait pas du tout calmé, mais au moins, il ne la menaçait plus physiquement.

  • Ici, Pierre ne risque pas d’être vendu ou mis en avant, c’est un endroit fréquenté par toute sorte de personnes et tout le monde sait pourquoi l’on y vient. Si une personne fait sortir un nom, tout le monde saura qu’elle aussi fréquente le club. Cependant, si tu ne veux pas y aller, rien ne te force à venir.

Armand expliquait cela à Gabrielle alors qu’il remettait sa cape en place. Lui non plus ne semblait pas prêt à rester ici.

  • Très bien, rentrez si vous le voulez. Je n’ai pas fait le déplacement pour rien. Mais je te préviens Gabrielle, ne t’avises plus de me parler comme ça.
  • Pourquoi? La vérité te fait-elle peur? Je croyais que tu voulais une femme de caractère et pas une potiche qui reste à sourire dans un coin. Je ne suis pas ce genre de femme.

Ici, Gabrielle se sentait inatteignable, il y avait beaucoup trop de monde tout autour et Armand était là. Sans trop savoir pourquoi, sa présence l’aidait à s'émanciper, son intervention juste avant lui avait donné des ailes. Et là se produisit l'inattendu: Pierre se mit à rire. Décontenancée, elle jeta un œil vers Armand, et son regard la rassura.

  • C’est vrai, Gabrielle. Allez si tu préfère rentrer, je ne te retiens pas
  • Je vais la raccompagner.” intervint Armand.

Elle sentait qu'elle tenait quelque chose, la réaction de Pierre n’était pas du tout ce qu’elle pensait provoquer, mais au final elle servait sa cause. Il y avait quelque chose à ne pas lâcher, de toute évidence il avait envie qu’on lui tienne tête. Mais jusqu'où? Et puis peu importe qu’il reste là, Gabrielle se fichait bien dorénavant que son fiancé aille voir ailleurs, l’idée d’être l’épouse d’un mari infidèle était bien rentrée dans sa tête. Si sa réputation n’en pâtissait pas et qu’elle avait, elle, la paix, pas de souci.

Armand accompagna Pierre jusqu’à l’étage, laissant Gabrielle une minute seule en bas, avant de revenir pour régler leurs consommations. Tranquillement, il proposa son bras à Gabrielle pour rejoindre l’extérieur.

“C’est mieux de rentrer, tu as eu raison.

Le portier les fit sortir, et Armand la dirigea vers sa voiture à chevaux qui attendait plus loin. Il réveilla le cochet à moitié endormi avant de faire monter Gabrielle.

  • Je ne veux pas y aller. Aucune de ces choses ne m’intéresse, et je ne comprends pas pourquoi il veut absolument que je l’accompagne.
  • C'est sûrement un fantasme pour lui.
  • Ce ne sont pas des choses pour moi. rougit Gabrielle, à ce mot.
  • Nous avons tous nos "choses", comme tu le dis.

Armand avait souri, mais pas de façon moqueuse. Il semblait amusé par le comportement de Gabrielle.

  • J'aurais préféré être avec un homme trop absorbé par son travail, ou même un parieur. Mais ses intérêts sont tout autres… Bien trop portés sur tout ce qui est illégal. Ce qui est étonnant pour un homme de loi.
  • Plus les hommes ont accès au pouvoir et à l'argent, plus ils ont de facilités à tomber dans ces travers. Le jeu, l'alcool, la drogue, le sexe… énuméra Armand, regardant un peu dehors le paysage défiler.

Gabrielle hésita un petit moment avant de poser sa question, ayant peur de laisser paraître une facette trop curieuse d'elle-même … bien qu'elle l'eut été.

  • Et toi, quels sont tes travers Armand? Je trouve ton image un peu trop lisse pour ce milieu et pourtant c'est toi qui connaît l'endroit et qui sait comment y rentrer.
  • J’ai d’autres intérêts. Éluda t-il, souriant légèrement.
  • Qui sont? insista-t-elle, souriant elle aussi.
  • Ce ne sont pas des choses que l'on dit devant une dame.

Gabrielle se sentit rougir un peu plus quand les yeux d'Armand glissèrent fugacement le long de son corps. D'instinct, elle serra les cuisses, en proie à une montée d'un désir très inattendu. Face à elle, les yeux d'Armand semblaient s'être un peu assombris. Qu'est-ce qu'il venait de se passer?

  • J'espère ne pas t'avoir mise mal à l'aise… sourit Armand, de nouveau joueur.
  • Oh, je t'en prie. Fit-elle, un peu outrée. Je ne suis pas une nonne non plus.
  • Je ne sais pas ça! J'ai toujours du mal à trouver une position confortable pour tout le monde. Les hommes semblent se complaire dans le vice et vous les femmes souffrent d'hystérie.
  • Je ne suis pas hystérique! s'offusqua Gabrielle.
  • Ce n'est pas ce que j'ai dit. intervint Armand. Je dis juste qu'il y a un monde entre les hommes et les femmes.
  • Pourtant, tu es un homme, tu devrais savoir comment te comporter en leur présence? Et je doute que tu sois de ceux qui aient du mal à comprendre les femmes.
  • Qu'est-ce qui te fait dire ça? demanda Armand.

Gabrielle rougit de nouveau.

  • hé bien… Tu .. tu discutes beaucoup, et tu .. enfin quand je parle tu m'écoute. peina t-elle à expliquer.

Armand la regarda, sans intervenir, Gabrielle continua alors.

  • Les hommes ne nous écoutent pas. Notre discussion est forcément superficielle, alors… Nous ne parlons pas.
  • Le silence est pourtant une vertue, à force de ne rien dire, tu dois voir des choses auxquelles certains ne feront jamais attention.
  • Si tu savais. Sourit Gabrielle.
  • J'ai tendance à préférer la présence de certaines femmes. Non pour les mêmes raisons que les autres hommes. Vous êtes moins dominées par vos besoins, moins colériques, plus attentives et fines d'esprit. C'est pour cela que j'apprécie ta présence.

Gabrielle sourit à son vis-à-vis, touchée par ses mots.

  • Tu ne ressembles en rien à Pierre, comment peux-tu être ami avec lui….
  • La force de l'habitude. Et parfois les opposés s'attirent.
  • Je n'en crois pas un mot. Les opposés ne s'attirent pas.
  • C'est peut-être vrai… Réfléchit Armand. En règle générale, on devient plutôt complémentaire. En amour et en amitié.
  • As-tu déjà été amoureux? demanda Gabrielle, osant.
  • Oui. souffla-t-il, après une petite hésitation.
  • Comment est-ce?
  • Tu n'as jamais aimé? s'étonna t-il.
  • Non.
  • Hé bien … Armand baissa les yeux. C'est comme mourir un peu, et parfois c'est toucher à la félicité.
  • Cela ne donne pas vraiment envie…
  • Non. C'est parfois une souffrance intolérable pour bien peu de bonheur. Expliqua Armand, remettant en place la manche de sa chemise.
  • Tu en parles comme si tu n'avais jamais été heureux en amour.
  • C'est tout ce que je connais. Sourit amèrement Armand.

Gabrielle ne répondit pas, réfléchissant à ce qu’il venait de dire. Elle voulut répondre quelque chose mais Armand reprit la parole, changeant de conversation.

  • Est-ce que tu voudrais m’accompagner voir un ballet la semaine prochaine? J’ai été invité à y aller et je pensais que cela pourrait te plaire.
  • Avec plaisir! Sourit Gabrielle, surprise qu'il pensa à elle.
  • Je suis beaucoup trop souvent invité partout pour honorer tout le monde et avoir des personnes pour m’accompagner. Expliqua Armand.
  • Et ta bonne amie?

Armand l’interrogea du regard.

  • Elisabeth, je crois, non?
  • Ah oui, Elisabeth. Elle n’est pas souvent là.”

Gabrielle n’insista pas, car la réponse laconique d’Armand n’appelait pas à poursuivre. Soudainement elle reconnut la route, en une petite minute elle serait devant chez elle. Nerveusement, elle jouait avec sa bague de fiançailles.

"Un jour il faudra que tu me parles de toi. Vraiment. dit Gabrielle, rependant à la discussion sur l'amour.

  • Si tu veux, mais il n’y a rien d’intéressant à dire de plus que ce que tu sais déjà.
  • Laisse-moi en douter. Eh bien, à la semaine prochaine Armand de l’Estoile.
  • Je passerai te prendre mardi soir, et cette fois, tu pourras trouver une tenue adaptée.
  • On verra, peut-être aurais-je envie d’être aussi séduisante qu’une vendeuse de boutons.”

Gabrielle lui sourit en descendant, et celui qu’elle reçut en réponse la bouleversa. Comme si c’était la première fois: elle vit Armand sourire. Vraiment sourire. Et sous son masque de sérieux, elle découvrait enfin le jeune homme qu’il était.

De nouveau, elle prit un peu peur. Baissant les yeux, elle tourna le dos au carrosse pour rejoindre la porte de sa maison.

Derrière elle, elle entendit le fouet du cocher, puis les fers des chevaux marteler les pavés. Finalement elle regarda partir le carrosse. Non. Non. C’était la pire des idées à avoir.

Résolue, elle franchit la porte de chez elle.

A suivre...

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