Chapitre 5: Révélations

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 Pierre avait fait envoyer un fiacre pour amener Gabrielle au lieu de rendez-vous, la jeune femme trouva cela quelque peu malvenu de ne pas venir la chercher lui-même mais, après tout pourquoi pas? Cela ne valait certainement pas une discussion.

Le chemin lui parut relativement rapide. Elle ne savait pas réellement où se situait ce restaurant, et plus elle s’éloignait des beaux quartiers, plus elle commençait à s'inquiéter. La fraîche atmosphère de l'été débutant rendait le voyage très agréable malgré le fait qu’il s’éternise, elle pouvait profiter du paysage, admirer de loin les monuments, les rues bondées de piétons, les étrangers venus pour l’exposition universelle. Là un fleuriste, ici la boulangerie et ses divines odeurs de pain chaud, des bouquinistes, des peintres de rue, des musiciens. La vie était si paisible et appréciable dans Paris.

Doucement, elle voyait se rapprocher Montmartre et ses quartiers pauvres. Un peu plus loin, elle apercevait les rues non pavées, les enfants traînant devant les maisons à jouer aux osselets. Son inquiétude oscillait entre malaise et panique.

Le fiacre s'immobilisa enfin, Boulevard de Clichy. Seul Pierre attendait sur le trottoir, il accueillit Gabrielle en l’aidant à descendre.

« Mais Gabrielle, enfin… Tu es radieuse, mais ta tenue n’est pas vraiment de rigueur là où nous allons.

Alors qu’il disait cela, Pierre montra d’un mouvement de tête l'établissement à deux pas, une taverne jouxtant un cabaret, et pas n’importe lequel “L’Enfer”. Sa devanture macabre fascinait Gabrielle autant qu’elle la dégoutait. Puis ce fut à nouveau la colère qui montait en elle. Encore une fois, Armand s’était joué d’elle. Évidemment qu’il savait où ils se rendaient, évidemment qu’il avait sciemment donné de fausses informations pour qu’elle se ridiculise.

  • Viens avec moi.»

Gabrielle ne dit plus rien, elle prit le bras de Pierre et avança avec lui vers l’établissement. C’était une taverne qui semblait jouer de son emplacement pour se faire une clientèle. La décoration était si sombre, si lugubre… Il n’y avait que des chandeliers sur les tables, aucune lumière électrique. Ca et là des hommes discutant entre eux, il y avait bien des femmes, mais Gabrielle doutait fortement qu’elles soient clientes. Les décolletés plongeants et les robes légères en disaient long. Elle n’était pas pudibonde, mais l’idée de s’asseoir à une table ici la mettait mal à l’aise. Aux murs, elle pouvait voir des peintures, des petites gravures, représentant des scènes de femmes torturées, de démons dansants et de squelettes. De lourds rideaux de velours rouges ornaient les quelques fenêtres, au sol le parquet aurait eu bien besoin d’être ciré, ainsi que les tables. Le zinc du bar était, quant à lui, parfaitement brillant, mais également couvert des verres et de pintes des clients qui s’y amassaient. L’ambiance était très étrange, certaines personnes semblaient encore dans l’hystérie de la visite inhabituelle du cabaret, et d’autres parlaient tout bas, se regroupant. Au fond de la salle, un pianiste jouait une musique calme.

En un coup d'œil, elle repéra Armand qui se tenait à une table en compagnie d’un homme d’une belle stature. Il lui aurait presque fait de l’ombre. Armand leva les yeux et les posa immédiatement sur Gabrielle. Un petit sourire s’étira sur ses lèvres et il se leva pour attirer Pierre et sa compagne vers sa table. La colère lui brûlait tout le corps, elle n’avait qu’une envie: lui sauter dessus pour l’insulter de tous les noms. Mais son éducation et la présence étrangère de celui qu’elle soupçonnait être le médecin légiste la retenait. Armand présenta Gabrielle et Pierre au Docteur Eugène Courtois.

L’homme était d’une grande taille, il surplombait Gabrielle d’une tête au moins. Ses cheveux blonds étaient coiffés d’une raie sur le côté et ses yeux étaient bleus, très foncés. La lumière n’aidait pas à le détailler plus que cela hélas. Le tavernier vint leur apporter du vin et de la bière ainsi qu’un candélabre supplémentaire. Gabrielle fut installée entre Monsieur Courtois et Armand. Celui-ci ne cessait de la regarder, ses épaules, la naissance de sa nuque, les cheveux bouclant dans son dos. Furieuse, elle se drapa un peu mieux de son châle pour éviter ses regards mal placés. Armand lui sourit de nouveau avant de se pencher vers elle discrètement.

« La colère vous va très bien, il va me falloir me retenir de vous provoquer à l’avenir.»

Les hommes avaient commencé à discuter de leur affaire et Gabrielle dû se mordre la lèvre pour ne rien rétorquer à son voisin de table. Elle se concentra alors sur les gens qui allaient et venaient dans la taverne pour se changer les idées. Certains sortaient du cabaret voisin, encore tout émoustillés du spectacle, parlant sans retenue de ce qu’ils y avaient vu, des frayeurs et étonnements qu’ils avaient vécus.

Puis son attention fut attirée vers le dossier du docteur Courtois. Il venait d'ouvrir un dossier contenant des photographies..

« Voilà tout ce que nous avons pour le moment, nous irons voir les cuisines par la suite pour que vous vous fassiez une idée par vous même. Le corps a été retrouvé le matin par le patron de la taverne, l’homme qui est derrière le bar là-bas. Le médecin montra du menton le-dit patron.

  • Je me permets... fit Pierre en prenant les photos.

Gabrielle se pencha vers lui pour voir un peu mieux.

Le corps d’un homme reposait sur le carrelage sale de la cuisine. Les yeux grands ouverts, la bouche un peu racornie et les lèvres figées dans une expression inhabituelle. C'était la première fois qu’elle voyait un cadavre, plus encore, la première fois qu’elle voyait un cadavre dans cet état. Le malheureux était raide et semblait incroyablement pâle, bien qu’elle ne puisse en être parfaitement sûre, les photos étant en noir et blanc.

  • Voyez: son corps était parfaitement froid, modérément raide, ce qui nous permet de dater avec certitudes qu’il est bien mort pendant la nuit. Sûrement aux alentours de 3 heures du matin, expliquait le Dr Courtois en faisant passer les comptes rendus de l’autopsie.

Armand et Pierre écoutaient attentivement tout en examinant les photos.

  • Rien n’a été retrouvé autour ? demanda Pierre en prenant des notes.
  • Presque rien: Seulement quelques objets de la cuisine renversés, du sel, des casseroles. Cela laisserait présager que la victime a été agressée physiquement et a tenté de se défendre.
  • Quelle était la taille de la victime? demanda Gabrielle.

Ses trois vis-à-vis tournèrent le regard vers elle, visiblement étonnés qu’elle prenne la parole. Cette réaction mit Gabrielle plutôt mal à l’aise.

  • Je demande cela car l’homme a l’air corpulent, s’il était aussi de grande taille cela donnerai sûrement des indices sur son agresseur. Un tel homme ne pourrait pas être mis à terre par n’importe quel adversaire. Prit-elle le temps d’expliquer

Pierre eut un sourire à la fois charmé et intéressé. Le docteur Courtois prit alors la peine de répondre.

  • En effet Mademoiselle, la victime était d’assez grande taille et devait peser aux alentours des 100 kilos, sans souci.

Armand ne disait rien, jouant avec un objet dans sa main. Sûrement une montre, dont le boîtier était recouvert d’une pierre noire avec de petites taches blanches, comme des flocons de neige.

  • Savez vous comment le corps a été exsanguiné? demanda t-il enfin.

Le docteur Courtois eut un long soupir.

  • Pas du tout. C’est là tout le problème. Il n’y a plus une goutte de sang dans le corps de cet homme, mais je n’ai aucune idée de la façon dont il aurait pu en sortir. J’ai tout essayé, tout imaginé, il n’a pas de traces de blessures, pas d'ecchymose, pas non plus d'hémorragie interne, aucune trace d’aiguille pour faire sortir le sang via un système de saignée ou quoi que ce soit d’autre… Je l’ai inspecté plusieurs fois, sous toutes les coutures, j’ai même rasé ses cheveux, ainsi que ses poils pour trouver la moindre trace. Mais rien… rien du tout.

Gabrielle était fascinée et effrayée. Cette affaire était incroyable. Elle semblait ne pas être la seule; son fiancé et son associé ne disaient plus un mot, les yeux dans le vide.

  • Aucune trace n’a été retrouvée autour du corps, aucun contenant pour y mettre du sang, aucune éclaboussure. C’est un professionnel. Je me demande s’il ne pourrait pas s’agir d’un médecin ou un vétérinaire. Il doit avoir une connaissance du corps humain parfaite.

Pierre vida son verre de vin.

  • Allons voir cette cuisine! Je veux voir les issues de sortie.
  • Très bien.»

Armand et le docteur Courtois se levèrent d’un seul homme, mais Pierre resta quelques secondes à table, debout, sortant un étui à cigares de la poche de sa veste, ainsi qu’une boîte d’allumettes.

« Reste ici Gabrielle s’il te plait, ce n’est pas un endroit pour les femmes, je comprends ton intérêt pour l’affaire, c’est pour cela que je t’ai emmené avec moi, mais ne nous gêne pas s’il te plaît.»

Un sourire des plus faux s’étira sur le visage de Gabrielle en guise de réponse. Mais dans son esprit, de multiples phrases assassines fusaient, toutes prêtes à sortir. Et alors qu’elle voyait Pierre s’éloigner dans un nuage de fumée bleutée, elle eut soudainement très envie de partir. Elle n’avait eu aucune vengeance; oui, elle s'était bien habillée, mais pour quoi? Pour être, encore une fois, ridiculisée. Elle ne se sentait pas de répondre à Pierre, car bien qu'elle soit prête à répondre, il ne l'avait pas directement critiquée. Il lui demandait juste de rester un peu à l'écart. Voilà maintenant qu’elle était mise de côté alors qu’elle ne se sentait pas particulièrement de trop, ou gênante. Non, c’en était assez. C’était le moment de partir, elle s'expliquerait avec Pierre plus tard s’il le fallait, elle n’avait pas peur de lui. Au contraire, elle pensait bien que plus elle essaierait de se faire respecter, moins Pierre ne tenterait de lui marcher sur les pieds. Ce n’était pas une gentille petite fille sage, après tout, Pierre ne lui avait-il pas fait comprendre que ce qui l'intéressait chez elle c’était justement son insoumission?

Elle prit son sac posé sur la table et se leva pour sortir de la taverne. Comme elle put, Gabrielle tenta de rester droite et fière alors qu’elle se faufilait entre les clients bruyants et éméchés. Alors qu’elle passait la porte, elle sourit un peu, contente d’elle-même.

Gabrielle avança sur le boulevard Clichy pour tenter de trouver un fiacre. La rue était follement animée et vivante, mais aussi incroyablement odorante. Les tavernes, bars, restaurants déversaient dans le boulevard ses groupes de fêtards et visiteurs saouls. Au milieu de la route circulaient fiacres, automobiles, chevaux et piétons en horde. Elle marcha d’un pas décidé, cherchant du regard un véhicule libre. Après avoir fait seulement quelques mètres, Gabrielle su que sa tenue n’était pas du tout adaptée quand elle intercepta les regards appuyés des hommes mais également des femmes. Non, en effet, on ne pouvait pas dire qu’elle se fondait dans la masse, ce qu’elle portait était une tenue de gala. Et par ici, il n'y avait pas de gala.

Son malaise allait grandissant quand elle commença à se sentir suivie. Un homme se planta face à elle, l'arrêtant net. Sa taille était si imposante, il sentait la bière et la sueur.

« Alors ma beauté, on est perdue?

Gabrielle ne prit pas la peine de répondre et tenta de contourner l’homme, cherchant toujours un fiacre. Son cœur battait si fort dans sa poitrine qu’elle se sentait presque sur le point de défaillir. Le corset limitait sa respiration, et ce n’était pas de bon augure.

  • Eh mademoiselle, partez pas comme ça! Qu’est-ce qu’une petite souris comme toi fait dehors toute seule?
  • Laissez-moi tranquille. Je ne suis pas perdue.

L’homme avait posé sa main sur le bras de Gabrielle, tentant de la retenir par la force. D’instinct, elle ne se figea pas, mais risposta en tentant d’arracher son bras à cette emprise, l’adrénaline coulant à flot dans son corps. L’homme ne l’entendit pas de cette oreille et attrapa l’autre main de Gabrielle.

  • Oh là! Pas de ça chez moi…

Il se rapprocha très près de Gabrielle, mais alors qu’il n’était plus qu’à quelques centimètres d’elle, une main s'abattit sur l’avant bras de l’homme.

  • Si j’étais vous, Monsieur, je laisserais ma compagne tranquille.»

Seul un cri sortit de la bouche du malotru, alors qu’il se tordait de douleur. Gabrielle tourna la tête et vit Armand près d’elle. Rapidement, il relâcha sa prise, laissant partir l’homme qui ne demanda pas son reste. Une vague de soulagement l’envahit.

« C’est précisément la raison pour laquelle je suis venu te chercher. Quand j’ai vu que Pierre venait sans toi, je suis revenu dans la salle. C’était une très mauvaise idée de te laisser seule dans cet endroit.

  • Surtout dans cette tenue. Précisa Gabrielle, levant les sourcils.
  • Je te présente mes excuses. C’est ma faute.
  • En effet.
  • Viens avec moi, Gabrielle.
  • Pourquoi?

Pleine de défiance, elle se tenait toujours face à lui. Plantée dans son regard vert intense.

  • Je suis sûr que ta curiosité n’a pas été assouvie, et que tu souhaites te rendre dans cette cuisine.

Gabrielle ne répondit pas, le cœur toujours affolé par ce qu’il venait de se passer, le sang ayant du mal à circuler jusqu'à sa tête.

  • Viens, et nous irons chez moi après. Je ne veux pas rester dans ce trou à rats et toi non plus.
  • Très bien.»

Gabrielle emboîta le pas d’Armand pour rejoindre la taverne, mais en chemin celui-ci l’attrapa pour ne pas la perdre. Gabrielle se laissa faire bon gré mal gré, s’accrochant à la main gantée de peau de chevreau noir. A l’intérieur, personne ne les regarda revenir et ils rejoignirent la cuisine. Une chaleur étouffante vint lui serrer la gorge, s’ajoutant aux odeurs de nourritures, d’humidité, de champignons et de sueur. Lâchant sa main, Armand sortit un mouchoir de sa veste pour le donner à Gabrielle alors qu’il la guidait vers Pierre et le Dr Courtois. Elle porta le tissu à son nez pour se protéger des odeurs, le parfum puissant d’Armand lui monta à la tête, divin.

Armand s’approcha de Pierre et lui parla à l’oreille, en même temps, son fiancé se retourna vers elle, visiblement contrarié puis approuvant de la tête. Il reprit alors sa conversation avec le Dr Courtois.

« Voyez par ici, il est impossible de fuir, il y a une issue dans la salle d'où nous venons, donc la salle de restaurant. Il y a une autre porte de l’autre côté donne sur une cour intérieure, elle sert à stocker des poubelles et aux employés pour fumer et prendre une pause. C’est sans issue, cela ne donne pas dans la rue.

  • Donc le tueur était dans le restaurant?
  • Il y a toutes les chances, ou alors il venait de la cour, mais cela voudrait dire qu’il serait passé par une fenêtre de l’un des bâtiments alentour.

Pierre et le Dr Courtois inspectaient chaque élément de cuisine, à la recherche du moindre indice oublié. Autour d’eux tout s’activaient, le chef cuisinier et ses seconds travaillaient dans un bruit épuisant. Les assiettes de volailles farcies, de pommes de terre et de pâté en croûte, tout un festival de plats lui tournait autour, prêts à être servis aux clients affamés. La crasse ambiante était des plus repoussante, comment une cuisine pouvait être tenue de la sorte? Gabrielle sentait le sol coller sous ses chaussures…

Le docteur Courtois les invita à le suivre pour sortir de la cuisine. Il se dirigea vers la petite porte dans le fond de la pièce pour rejoindre la cour intérieure. Gabrielle ne se fit pas prier pour les suivre et respirer un peu d’air frais.

  • En effet, arriver par ici pourrait être possible mais il faudrait faire preuve d’une détermination sans faille et d’une volonté de tuer incroyable … commenta Pierre

La cour était toute petite et la première fenêtre accessible était à environ quatre mètres de hauteur. Un saut était possible depuis là, mais il aurait fallu passer par les logements adjacents.

  • Les voisins ont été interrogés ? demanda Pierre

Le Docteur Courtois ouvrit son dossier de l’enquête, feuilletant. Armand ne disait rien, il regardait simplement tout ce qu’il se passait, droit, impassible. Gabrielle, encore sous le coup du stress de l’incident, avait encore le ventre un peu serré, mais l’intérêt qu’elle portait à l’affaire était trop fort et l’aidait à se changer les idées.

  • Tous. Personne n’a rien vu, ils étaient tous chez eux au moment des faits et dormaient… à cette heure de la nuit, il n'y a rien de surprenant.
  • En effet …

Ils retournèrent dans la cuisine, Armand restant dans l’encadrement de la porte pour laisser rentrer de l’air frais.

  • Avec cette saleté on aurait forcément retrouvé du sang et des traces … soupira le Dr Courtois.
  • Effectivement.
  • Je suppose qu'aucune trace n'a été retrouvée sur les autres scènes de crime? demanda Gabrielle.
  • Non, rien du tout. En parlant de cela, je suis content que vous abordiez le sujet Mademoiselle. Les autres meurtres que j'ai eu l'occasion de couvrir, et les autopsies que j'ai effectué sont arrivées à la même conclusion: je n'ai aucune piste. Jusque là, les victimes étaient des personnes indésirables aux yeux de tous: prostituées, mendiants, … La police n'était pas intéressée, mais maintenant que cet homme, le cuisinier avait une famille et que celle-ci porte plainte, on commence à faire des liens.
  • S’il s’agit bien d’une suite de meurtres commis par la même personne… Ce meutre-ci était peut-être une erreur de parcours? se hasarda Pierre.
  • Cela ne serait pas improbable. C'est la première fois que cela n'a pas lieu dans la rue, il n'y a toujours pas de témoin, mais sa façon de faire a différé. expliqua Eugène.
  • Votre théorie d'un tueur en série semble parfaitement logique, je pense que plus personne ne se moquera de vous.» Dit doucement Armand.

Le Docteur Courtois soupira longuement tout en souriant, il était réellement épuisé, l’ambiance de la cuisine semblait lui peser sur le moral. Pierre ne semblait rien arranger, il n’avait fait que poser question sur question sans laisser de répit à l’homme pour boire même une gorgée de vin. Tous retournèrent dans la salle de réception de la taverne, s’asseyant rapidement avant de reprendre leur verre. Gabrielle hésitait à tremper ses lèvres dans son breuvage. Après avoir vu l’état de la cuisine, elle n’avait ni confiance en la propreté du verre mais également en la qualité de ce qu’elle allait boire.

Pendant encore quelques minutes Pierre prit des notes sur ce qu’ils avaient vu et conclu, Armand l’aidant à remettre le tout en place.

« Mademoiselle, Messieurs, ce n’est pas que votre compagnie m’est désagréable, mais je passe de très longues journées et j’aimerai rentrer me reposer.

  • Je vous en prie docteur, nous vous remercions pour vos précieuses informations. Nous allons prendre contact également avec l’inspecteur chargé de l’enquête. Déclara Armand, se levant pour l’accompagner.
  • Très bien, j’espère que nous allons pouvoir avancer dans cette affaire cela devient interminable. »

Le Dr Courtois serra la main de Pierre et Armand avant de saluer rapidement Gabrielle, puis de s’en aller.

« Rentrons chez moi, cet endroit m’exaspère, j’aspire à un peu plus de calme. »

Pierre approuva la proposition d’Armand avant qu’ils ne rejoignent tous l’extérieur de la taverne. Pierre était venu avec Armand dans sa voiture à moteur, ils durent se serrer sur la banquette pour s'installer tous les trois dans le véhicule avant de prendre la route. Coincée entre Armand et Pierre, Gabrielle regardait la route défiler et Paris briller dans la lumière du soir.

A peine arrivés chez Armand, Louise la gouvernante de la maison vint les accueillir. Pierre lui avait parlé d’elle la dernière fois, c’était celle qui gérait tout dans cette maison. Une femme âgée, certe, mais visiblement expérimentée, discrète et d’une grande politesse. Cela en disait beaucoup sur Armand malgré lui, Gabrielle avait appris à remarquer que les hommes bien considéraient les femmes d’une certaine façon. En tout cas, pas à la manière de Pierre. Louise avait dû être une très belle femme dans sa jeunesse, Gabrielle voyait bien cela, la manière très délicate d’attacher ses cheveux, son sourire chaleureux et la douce inclinaison de ses sourcils.

Dans le magnifique hall, Gabrielle s’attarda quelques secondes pour regarder les peintures accrochées, beaucoup de paysages, de forêts, de champs, parfois l’océan. Presque pas de portraits. Chose agréable, Armand n’avait a priori pas de portrait de lui-même, ce qui pourtant semblait être légion dans les maisons bourgeoises. Mais visiblement, Armand était bien au-dessus de la bourgeoisie.

Louise refit son apparition afin d’inviter Pierre et Gabrielle à venir dîner. Elle demanda quelque chose à l’oreille d’Armand qui s’excusa avant de les laisser rejoindre la petite salle à manger. Louise fit retirer la troisième assiette avant de s'éclipser de nouveau. Un majordome vint leur servir leur repas: une entrée de crevettes et de fond d'artichaut.

« Je suis désolé pour ce qui est arrivé tout à l’heure. Je ne pensais pas que tu partirais.

Pierre débuta directement la discussion alors qu’il s'apprêtait à manger.

  • J’étais vexée, je n’ai pas envie d’être traitée comme cela.

Pierre sourit un peu.

  • J’oubliais à qui j’avais à faire.
  • En effet.
  • Je comprends ton enthousiasme quant à cette affaire, mais pour moi c’est un véritable casse tête. Un médecin pense à un tueur en série, notre affaire se retrouve liée à cela et pourtant il n’y a aucun suspect en vue. Cela va durer des mois voire des années, je vais me retrouver avec un travail monumental pour défendre la famille du pauvre malheureux qui est mort là- dedans. Je peux entrer en lien avec l’homme en charge de l’enquête, cela va me donner des pistes et un avantage précieux pour faire avancer l’affaire. Il faut que je centralise les documents, les preuves, que je fasse un peu de lien entre toutes les sources d'information.
  • Comment comptes-tu faire avancer cela? Tu n’es qu’un avocat, pas un policier. demanda Gabrielle.

Pierre tiqua un peu.

  • En effet, mais je peux trouver les bonnes personnes pour ça. Tu sais, il suffit juste de savoir à qui donner de l’argent. C’est pour cela qu’Armand est avec moi. De plus, je compte me servir de cette affaire pour me faire élire au conseil municipal de Paris. L’élection a lieu tous les trois ans, et il ne me reste que deux ans pour faire mes preuves. J’ai déjà des connaissances à l’intérieur du conseil mais également à l’Assemblée nationale. J’ai besoin de tout ce petit monde pour être élu.

Alors qu’il finissait sa phrase, une bonne rentra pour leur servir du vin. Gabrielle la reconnu tout de suite, c’était la même jeune femme à qui Pierre avait peloté les fesses la dernière fois. Celle-ci vint servir Pierre de façon tout à fait inappropriée, se collant à lui. Mais le pire, ce fut le regard de Pierre, son fiancé levant les yeux vers elle pour la reluquer comme on regarde une catin. Plein de concupiscence, Pierre s'essuya nerveusement le coin de la bouche avec sa serviette.

  • Je vois.» Fit Gabrielle, platement.

Oui, elle voyait très bien. Vraiment très très bien. Pierre n’avait pas du tout l’intention de terminer cette conversation, il n’avait même pas l’intention de terminer son repas. Il ne faisait qu’attendre que la bonne sorte de la pièce, et puis quelques secondes pour la suivre. Furieuse, Gabrielle ne put se retenir.

« Moi qui pensais m’être fiancée avec un homme bien.

  • Pense bien ce que tu veux, Gabrielle. Les hommes ont des besoins.»

Pierre lui avait répondu cela, debout devant la porte, lui lançant un regard dur; Plein de reproches et presque de dégoût. Puis il claqua la porte, laissant Gabrielle seule à table. Le silence envahit la pièce, ne laissant plus entendre que le léger bruit des ampoules électriques.

Quelle humiliation, quelle honte!

Comme sonnée, Gabrielle n’avait pas bougé de la table. Des centaines de pensées envahissaient son esprit: Qu’allait-elle faire tout de suite? et pour la suite? Devait-elle aller le chercher? Fallait-il en parler à son père? Dans quelle situation s’était-elle mise?… Finalement, il n’avait rien de différent des autres. Ce n’était qu’un goujat aux manières de rustre dès que l’on grattait la couche de dorure… Et il couchait avec une bonne. C’était sûrement la seule pour laquelle elle était au courant, car maintenant qu’il venait de faire cela devant elle, qui sait de quoi il pouvait être capable?

La porte s’ouvrit, Gabrielle tenta de se redresser et se prépara à demander au valet de retirer son assiette. Mais ce fut Armand qui entra dans la salle à manger, il ne portait plus qu’un veston par-dessus sa chemise blanche. L’air contrit, il s’avança un peu.

« Si tu souhaites partir, je peux te faire préparer une voiture. Je suis désolé pour le comportement de Pierre.

Gabrielle se leva d’un coup, repoussant sa chaise.

  • Vous vous pensez bien poli de venir vous excuser pour votre ami, mais vous acceptez cela sous votre toit alors que sa fiancée est toute seule à votre table en train de dîner? Me proposer une voiture pour partir ressemble soudainement à une insulte.
  • Effectivement. Armand soupira. Si tu le désires, je peux également… comment dire cela… t’armer face à lui.

Gabrielle plissa les sourcils. A quoi est-ce qu’il était en train de jouer? Malgré tout, elle était étonnée car Armand semblait étrangement sincère et gêné pour elle.

  • Je connais Pierre mieux que personne, je sais donc comment t’aider à t’en sortir avec lui.
  • Pourquoi jouer contre lui? Vous semblez être un bien mauvais ami en agissant de la sorte.
  • Vous êtes ce qui est arrivé de mieux à Pierre et ce qui pourra assurer son avenir. C’est dans notre intérêt à tous que votre mariage réussisse, expliqua Armand, repassant au vouvoiement. Suivez-moi, Gabrielle.»

A suivre...

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