Retour dans la cave

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J’ai mal à la tête comme si j’avais été assommée. Enfin, j’imagine puisque je n’ai jamais été assommée ! Quoi qu’il en soit, je peine à ouvrir les yeux. Je reprends contact avec le monde réel à travers tout un panel de sensations désagréables : la dureté du sol sous mon bras ankylosé, sa froideur sous ma joue, le manque évident de lumière dans la pièce où je me trouve et cette odeur légère de moisissure.

Je sursaute en me redressant vivement sur un coude : putain ! Je suis dans la cave ! J’ouvre grands les yeux et distingue vaguement un mur sur ma gauche et sans doute le pied de l’escalier au bout. Je n’avais pas remarqué que cette pièce fût aussi vaste la première fois que j’y étais descendue. Si le vampire avait été tout au fond, peut-être même ne l’aurais-je pas vu… Mais alors, pourquoi était-il enchaîné si proche de l’escalier ? Une autre question, bien plus inquiétante, me frappe soudain : pourquoi le professeur Hildegarde m’a-t-il permis de descendre ici en sachant qu’une telle créature y était cachée ?

Mon cœur s’emballe. Je sens poindre au fond de moi un début de réponse qui ne va pas du tout me plaire, mais je n’ai pas le temps de poser des mots sur cette terrible impression. Une lumière crue jaillit soudainement d’un projecteur encastré dans le plafond et le professeur Hilgarde apparaît dans mon champ de vision. Je me mets à genoux, provoquant un bruit de chaînes qui me glace : un fin bracelet métallique relié à une chaîne enserre ma cheville, restreignant mes mouvements. Ma gorge se noue : je ne sais pas ce qui va en sortir en premier. Des pleurs ? Des cris ? Finalement, je me mords les lèvres en reculant pour m’éloigner le plus possible du fou qui m’approche. Mon dos cogne durement contre un mur en pierre. Je prends appui dessus pour me mettre debout.

La lumière entoure le professeur, traçant un chemin entre lui et moi. Le reste de la pièce reste plongé dans la pénombre. Il s’arrête à une distance qu’il juge sans doute raisonnable, mais que je trouve bien trop faible.

– Vous voilà réveillée, parfait.

– Qu’est-ce que vous voulez ?

– Oh, en fait, pas grand-chose de vous. Juste une sorte de nouvelle représentation face à un spectacle que j’ai bêtement raté.

– Pardon ?

– Vous allez comprendre, j’en suis sûr.

Il sort une télécommande de sa poche et une autre lumière éclaire la droite de la cave, à une dizaine de mètres de moi. Mes yeux s’agrandissent sous l’horreur de la vision qui s’offre à moi alors que je retiens difficilement des larmes. Le vampire est là, cloué à la paroi comme un Christ païen, le menton posé sur sa poitrine. On pourrait croire qu’il dort. Cependant, il n’en est rien : des cathéters sont plantés au niveau du pli de ses coudes et laissent échapper un liquide rouge sombre dans de fins tuyaux.

– Qu’est-ce… qu’est-ce que vous avez fait ?

– Disons que j’ai remis les pendules à zéro. Avec votre aide, d’ailleurs. Après sa fuite, la petite caméra ici présente m’a renseigné sur les modalités de son départ. J’ai bien regardé ces images obscènes, et je me suis demandé s’il n’allait pas bêtement s’attacher à vous.

– Quoi ?

– Allons, ne niez pas qu’il vous fait de l’effet. Cette sale engeance est douée pour cela, croyez-moi. Il n’a pas fallu longtemps pour qu’il réapparaisse dans votre vie.

– Mais pas du tout !

Mentir. Pour me libérer, mais aussi sauver le vampire. Car, quoi qu’il arrive cette nuit, je sens que je ne pourrai pas le laisser derrière moi.

– Tsssss, allons… Je sais ce qu’il s’est passé dans le parc.

Je déglutis. Comment peut-il savoir ça ?

– Je vous observe de près, Val…

L’inflexion de sa voix me terrorise. J’ai l’impression de me trouver de nouveau en face des trois hommes. Ma respiration s’affole, comme celle d’un petit animal pris au piège.

– Libérez-moi ! Je ne parlerai de tout ceci à personne. De toute façon, qui me croirait ?

Il pousse un soupir, mime une phase de réflexion. Mais je sais qu’il n’en est rien. J’ignore ce qu’il me veut, mais il fera tout pour l’obtenir. Il s’écarte puis marche vers le vampire. Sa mise en scène est théâtrale, il faut bien lui reconnaître ça.

– Voyez-vous, ma chère, lorsque ces hommes vous ont attaquée chez moi, votre petit ami s’est précipité pour vous aider.

– Ce n’est pas mon petit ami !

– Il a sauté sur celui qui vous avait administré la camisole chimique que je vous avais préparée, poursuit-il en faisant fi de ma remarque. Heureusement, nous étions prêts. Nous l’avons capturé à l’aide d’un filet métallique. Vous imaginez ? Un bon filet bien solide. Oh, je vous l’accorde, il n’aurait pas résisté bien longtemps, mais je suis un petit génie de la chimie ! Une injection supplémentaire et nous voilà tous réunis dans cette pièce.

Je n’ai jamais entendu le professeur parler autant : cela n’est pas rassurant du tout ! J’observe de nouveau le vampire qui parait inconscient alors que son sang coule lentement hors de son corps dans de petits bocaux.

– Mais qu’est-ce que vous faites ? soufflé-je, complètement décontenancée.

– Saviez-vous que ce spécimen a tué ma femme ?

Je déglutis.

– Oui, fais-je tout bas.

Il lève un sourcil étonné, puis sourit.

– Je vois que vous êtes plus intimes que je ne le pensais, c’est parfait.

– Mais qu’est-ce que vous voulez, à la fin ?

– Vous allez le nourrir.

– Pardon ?

– Allons, ce ne sera pas la première fois.

– Mais non ! Je ne veux pas !

– Dans ce cas, restez un petit moment ici à réfléchir.

– Vous ne pouvez pas me retenir : mes parents vont s’inquiéter et la police va venir !

Le professeur sort mon téléphone portable de sa poche et le déverrouille. Puis il me met un fil de discussion sous les yeux : je lis avoir souhaité bonne nuit à ma mère à 22 h 30. Mais quelle heure est-il ?

– Il est un peu plus d’une heure du matin, me répond-il comme s’il avait suivi le cours de mes pensées tout en rangeant mon téléphone dans sa poche. La nuit va être longue…

Puis, sans crier gare, il fait demi-tour, éteint le premier projecteur et ne laisse éclairé que le corps du vampire inconscient. Des larmes m’échappent enfin alors que je me rassois, le dos contre le mur glacé.

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