Confession

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Je déteste ma vie. Et ce que je considère aujourd’hui comme une désastreuse mésaventure ne m’aide pas à rendre mon existence plus intéressante. Évidemment, Clémentine, ma meilleure amie et colocataire, ne l’entend pas de cette oreille. Face à ma triste mine, elle ne cesse de me répéter que j’ai de la chance. Après tout, n’ai-je pas brillamment réussi mes partiels ce semestre ? N’ai-je pas trouvé un boulot idyllique dans le musée de notre ville ? Sans parler de ce garçon Jonathan (ou John tout court ?) qui me tourne autour. Comment lui expliquer que tout cela n’a pas la saveur espérée ? Comment lui faire comprendre qu’il n’est pas difficile de réussir ses partiels lorsqu’on appréhende d’aller dormir ? Comment lui dire que ce petit boulot me permet juste de trop penser à lui ? Comment lui avouer que si je n’ai pas retenu le nom du garçon qui s’intéresse à moi, j’ignore complètement celui de l’homme que j’aime ?

Et merde ! Je balance mon stylo sur le bureau pour me prendre la tête entre les mains. Non. Non. Non. Je refuse de croire un truc pareil. Je ne l’aime pas. Je ne l’aime pas ! Ce serait totalement stupide, impossible et inapproprié. Alors, pourquoi ai-je toujours aussi mal quand je repense à lui ? Ça va passer. Il me faut un peu plus de temps pour me remettre d’une telle soirée. Après tout, j’ai bien failli mourir. Deux fois ! Pas étonnant que mon cerveau ait un peu de difficulté à faire la part des choses.

Je me frotte les yeux. Je suis épuisée. Presque un mois qu’il est parti, mais je revois toujours l’éclat rubis de son regard. J’ai encore le goût de ses lèvres sur les miennes. Je pousse un soupir à fendre l’âme. De ce que je ressens, la mienne semble déjà bien abîmée. Je ne suis plus moi-même depuis la tempête. Mes proches s’en rendent compte sans pouvoir l’expliquer et je ne peux rien leur dire. Ce silence me tue à petit feu. Si seulement je pouvais en parler à quelqu’un…

Je jette un regard torve vers mon lit défait. Il est minuit passé, la fatigue me terrasse. Avec un peu de chance, je vais m’endormir vite d’un sommeil sans rêves. Je me glisse sous la couette, enlève mon bas de jogging, et éteins la lumière. J’entends le vent frôler le toit de la maison comme pour mieux chasser mes cauchemars. Je ferme les yeux. Mon oreiller sent bon. Je souris : Clémentine l’a parfumé avec des huiles essentielles censées m’apaiser. Elle sait que je dors mal : après tout, elle couche dans la chambre juste à côté ! Cette petite attention me noue la gorge : Clémentine est vraiment adorable. Elle ne mérite pas de traîner dans son sillage un boulet tel que moi, une nana chiante à souhait, jamais partante pour sortir et qui sourit quand elle suce un citron. Malgré tous mes défauts et ma mauvaise humeur actuelle, ma BFF ne baisse pas les bras : elle continue de croire qu’elle arrivera à me remonter le moral. Peine perdue, je le sais tout au fond de moi.

Une brise légère caresse mes cheveux, repoussant une tristesse sournoise qui s’insinuait en moi. J’esquisse un sourire : cela me fait du bien. Tout comme le souffle plus chaud qui sillonne ma joue avant de descendre vers mon cou. Une légère décharge électrise ma nuque et se propage en milliers de petites étincelles dans mon corps. J’entrouvre les lèvres, à la recherche d’un peu d’air frais pour calmer la chaleur qui envahit ma peau. Le souffle remonte jusqu’à ma bouche. Le matelas ploie derrière moi. Mon cœur accélère alors que je me tourne pour accueillir son baiser.

Je suis emportée dans un tourbillon de sensations délicieuses : mon dos se cambre vers celui qu’il a reconnu. Mon intimité se couvre d’une humidité qui m’aurait fait rougir en d’autres circonstances. Mais avec lui, ce n’est pas pareil : il me semble que je n’ai rien à lui cacher.

Il recule, entraînant la qui glisse le long de mon corps torturé par un désir nouveau. Je veux plus que ce baiser et il le sait. Sa bouche passe entre mes seins tandis que ses doigts ôtent ma culotte. Je tremble dans l’attente de son prochain geste, impatiente de connaître ce plaisir tout en redoutant ce qu’il déclenchera en moi. Parvenu au-dessus de mon pubis, il relève un instant la tête pour me faire languir un peu plus.

Mon cœur manque un battement alors qu’une eau glacée se rue dans mes veines. Ce n’est pas lui ! C’est un monstre, blond, moustachu, à la peau couverte de croûtes infâmes ! Je hurle en m’asseyant d’un bond dans mon lit. Le souffle court, je constate que je suis seule dans ma chambre, tordant ma couette contre mon ventre toujours sensible au désir qu’il ressentait quelques instants plus tôt. Un cauchemar. Encore. Pire. Je fonds en larmes et laisse mon corps retomber sur le matelas, secoué par des sanglots incontrôlables. Cela doit cesser ! Je ne peux pas continuer à passer des nuits aussi atroces ! Je vis chaque nuit de terribles cauchemars dans lesquels je suis poursuivie par des zombies qui ressemblent à Hilgarde. Ou bien plonge dans des songes érotiques qui me laissent pantoise et insatisfaite au réveil. Mais jamais les deux ne se sont mêlés aussi atrocement.

Une main se pose sur mon épaule et je sursaute.

– Val ?

Je me cache dans l’oreiller, honteuse d’avoir dérangé Clémentine.

– Pardon, va te recoucher…

– Tu rigoles, là ?

Je hausse les épaules en reniflant. Sa présence m’apaise.

– Encore un mauvais rêve ?

J’opine.

– Tu me le racontes ?

– Non.

Je la sens se raidir. Mon Dieu, la dernière chose que je souhaite serait qu’elle se vexe ! Je me tourne vers elle, les yeux pleins de larmes.

– Je ne peux pas te raconter ça, ce n’est pas possible.

– Pourquoi ? demande-t-elle d’une voix douce.

Je me redresse pour lui faire face. Elle est assise sur le bord de mon lit et me prend la main. Je pince les lèvres puis détourne le regard : je ne peux pas lui raconter. Elle penserait que je suis folle…

– Je ne suis pas stupide, Val. Je sais bien qu’il s’est passé quelque chose la nuit de la tempête. Et comme je suis ton amie, je m’imagine des choses horribles…

Mon menton tremble : je vois très bien ce qu’elle peut s’imaginer. Une jeune fille seule dans un vieux manoir, pendant la tempête, qui repart en vélo par la forêt. En fin de compte, la vérité l’effraierait peut-être moins que ce qu’elle croit savoir. Je ne peux pas la laisser s’inquiéter autant !

– Non, t’inquiète Clem, il ne s’est rien passé cette nuit-là. Enfin, rien de ce que tu pourrais imaginer.

Je lui adresse un pauvre sourire qui fait plisser ses yeux. Je connais Clem depuis des années : j’en ai trop dit ! Son redoutable cerveau, rompu aux enquêtes policières au format poche, s’est mis en route.

– J’ai beaucoup d’imagination, tu sais… Ce n’est donc pas un homme le problème de tout ça ?

Que lui répondre ? Oui ? Non ? Après tout, ce n’est pas un homme au sens littéral du terme. Pourtant, c’est bien un mec qui me torture le cœur depuis des semaines…

– Oui et non. Je ne peux pas te raconter, tu ne me croirais pas et je ne veux pas que tu t’inquiètes encore plus à propos de ma santé mentale.

J’ai tenté l’humour et j’ai fait un bide. Pas un rictus ne traverse le visage de ma meilleure amie. Elle me fixe avec une intensité qui me met presque mal à l’aise.

– Qu’est-ce que tu as trouvé dans ce manoir, Val ?

Je ne parviens pas à retenir un léger sursaut et Clémentine s’en rend compte. Elle me serre un peu plus la main.

– Tu m’as dit qu’il y avait eu une coupure de courant et que tu avais eu la peur de ta vie en descendant à la cave, reprend-elle. Tu m’as aussi affirmé qu’il n’y avait pourtant rien dans cette cave.

Je serre les dents, refusant à la vérité de jaillir : non, je ne dois pas mêler Clem à cette histoire ! Je la vois se pencher un peu vers moi.

– Qui est-ce qu’il y avait dans cette cave, Val ?

Les larmes franchissent de nouveau la barrière de mes paupières. Ma gorge se noue et un sanglot me secoue.

– Tu… Tu ne veux pas le savoir… Clem, je t’en prie… Je ne veux pas en parler.

– Bien sûr que si tu veux en parler. Tu en parles toutes les nuits quand tu pleures, quand tu cries, et aussi quand tu l’appelles.

Je m’essuie les yeux et le nez avec le bord de mon tee-shirt : je ne suis plus à une honte près !

– Tu as dû mal entendre car je ne risque pas de l’appeler, fais-je avec une amertume non feinte. Je ne connais même pas son nom !

– Alors, dis-moi au moins comment il est.

Je prends de l’air comme un plongeur avant de me lancer. J’ai confiance en Clémentine et je sens que je ne pourrai pas me sortir toute seule de cette histoire. Je commence lentement, en cherchant mes mots.

– La première fois que je l’ai vu, il ressemblait à une sorte de zombie. Il était enchaîné dans la cave, le corps couvert de sang séché. Il avait la peau sur les os, les cheveux sales plaqués en arrière, mais ce n’était pas le plus effrayant. Le plus affreux c’étaient ses yeux rouges qui me fixaient.

Je guette la réaction de Clémentine. Je vois son regard s’agrandir légèrement, mais elle ne lâche pas ma main, comme pour m’inciter à continuer. Elle rompt le silence en premier.

– La première fois ? Parce qu’il y en a eu une seconde ?

– Oui, quand je l’ai libéré.

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