Déchirement 

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J’ai comme qui dirait quelques nausées. Je ne mange plus en même temps que tout le monde. J’arrive quelques minutes avant que la cantine ne ferme. De cette façon je peux éviter les regards assassins de mes anciens compatriotes. Cela a toutefois des inconvenant : J’ai le reste cramé du fond de la casserole et je n’échappe pas au regard torve de la cantinière qui me dépose avec agressivité, la bouillie brunâtre dans mon assiette.

Je m’arrange pour voir Hélios le plus souvent que je peux, entre deux séances de quête de renseignements. Lui aussi est très occupé. Etre un enfant ça demande de l’énergie et du temps. Jouer toute la journée, courir sauter et se cacher c’est épuisant. Aujourd’hui je dois lui annoncer que je m’en vais pour quelques temps. Bien évidement je ne peux pas l’emmener avec moi et il restera ici au bon soins de Namid, en sécurité dans les grottes.

A quelques mètres je le regarde jouer à colin Maillard. Les yeux bandés il évolue dans le noir complet à la recherche de ses camarades. Discrètement je me place devant lui en faisant signe de silence aux autres enfants. Bientôt ses petites mains me trouvent. Ses sourcils se froncent et sa bouche se pince. Tandis que ses mains courent sur on visage baissé vers le siens, son visage se fend d’un large sourire.

– Séléné !

Il hôte à la hâte son bandeau pour voir si il a deviné juste. Je passe une main dans ses cheveux pour les ébouriffer.

– Tu viens ? Il faut que je te parle de quelque chose.

Les traits de son visage se crispent. Néanmoins il me suis un peu à l’écart du groupe qui reprend le jeu comme si de rien était.

– Dis moi que ce n’est pas vrai.

Je cligne des yeux à plusieurs reprises.

– Dis moi qu’ils ont mentis et que ce n’est pas pour ça que tu viens me voir.

– Explique moi. Qu’est ce qu’ils t’on dit ?

– Les copains on entendue leurs parents parler de toi. Ils disent que tu vas t’en aller. Que tu quittes la rébellion et que tu les abandonnes. Ils disent que tu n’as pas de cœur et que tu vas me laisser.

Une boule se forme au creux de mon ventre, provoquant une sensation qui est bien trop familière ces derniers temps.

– Je vois… Certaines choses sont vraies. Mais d’autres sont fausse je peux te l’assurer. Oui je vais partir à nouveau, je ne reste pas dans les grottes. Mais je n’abandonne personne.

– Quand est ce qu’on doit partir ? Je n’ai pas envie de laisser mes amis.

J’avale ma salive à grand peine. Je sais que ce moment va être particulièrement difficile pour lui, en tant que petit garçon.

– Tu n’auras pas besoin de quitter tes amis Héli. Je m’en vais seule. Mais ne t’inquiète pas je reviens très vite.

J’ajoute ces derniers mots le plus rapidement que je peux. Mais je ne peux éviter la réaction de mon petit frère.

– Tu…tu me laisse ici ? Tout seul ?

– Non, non, non, pas tout seul. Namid veillera sur toi, et les adultes aussi. Tu ne sera pas tout seul il y a tes amis en plus. Tu verra ce sera vite passé. Je t’assure que je n’aurais même pas le temps de te manquer.

– Combien de temps tu pars ?

Sa voix chevrote et ses yeux brillent de larmes contenues.

– Je ne sais pas encore.

De la peine, son visage passe à la colère.

– Je ne pensais pas que d’avoir une sœur signifiait être à nouveau abandonné ! Comment peux tu dire que ça sera vite passé et que ça ne sera pas long alors que même toi tu ne sais pas combien de temps tu t’en va !

– Parce que je ne pourrais jamais rester très longtemps loin de toi Héli. Jamais je ne pourrais t’abandonner. Grace à toi j’ai une famille, une personne qui a dans ses veines, le même sang que moi !

Son visage se radoucie et c’est de nouveau la tristesse qui se peint sur ses traits.

– Je m’en vais demain et je reviens te voir.

– Est ce que tu me le promets ?

– Oui mon bonhomme, je te le promets.

Pour le moment, mon seul projet est de retourner chez monsieur Harnois. C’est un plan complètement stupide et insensé diront certains, pourtant c’est ma seule option.

Ce matin, je me lève du mauvais pied. Je ne sais pas pourquoi mais rien ne va. Je commence à en avoir plus qu’assez de ces regards assassins ou de me faire ignorer. Même quand je pose des questions on ne me réponds pas, comme si j’étais…inexistante. Je ne sais pas ce qui est le pire : de subir leur colère ou de supporter leur indifférence.

Apres une douche rapide, je m’attache les cheveux encore humides, et passe des vêtements propres. Je ne porte plus les habits victoriens qu’Abby m’avait faits confectionnés. Squirel, la couturière, était tellement fière de son ouvrage. La penderie ouverte, je caresse les tissus. C’est étrange, j’ai pourtant envie de les porter, j’ai envie d’hurler à la face du monde que je continue de me battre. Mais je sais que c’est faut. Pour le moment je ne me bats plus pour la rébellion, je me bats pour moi et pour Ayden.

J’emprunte le couloir pour me rendre au réfectoire. Sur mon passage j’entends les chuchotements. Ma mâchoire se crispe et mon dos se tend.

– Je n’aurais jamais pensée qu’elle fut si lâche.

– Regarde là, comment peut elle croire qu’il l’acceptera encore après ce qu’elle a fait ?

– Elle n’a pas sa place ici. Elle veut partir ? Et bien qu’on la mette dehors.

Toutes ces paroles me font tellement mal ! Je sens leurs regards glisser dans mon dos, dégoulinant de mépris. Je me retourne vivement face à toutes ces personnes.

– Comment pouvez vous vous permettre de me juger. Apres tout ce que j’ai fait pour vous !

Ma voix n’est qu’un souffle, ma bouche est rempli de venin, pourtant je me force à le contenir, ravalant mon orgueil.

– J’ai fais plus de sacrifice ici que n’importe lequel d’entre vous.

Une voix sort de la masse. Je l’identifie comme appartenant à une petite femme aux joues creuse, les yeux cernés de grandes poches noire.

– Et mon fils ? Il n’est plus que l’ombre de lui même, c’est toi qui en souffres ? Où la blessure à la jambe de cet homme là bas, qui ne pourra plus jamais marcher à cause de la balle qu’il a prise ? Tout ces gens qui t’on suivie aveuglement au combat ? Le père du jeune Dany c’est toi qui ira le consoler en lui disant que tu as fais plus de sacrifice que lui ? Je parie que tu ne sais même pas qui était Dany.

Je reste muette, les yeux écarquillés. Je secoue bêtement la tête. Non je ne sais pas qui était Dany.

– Dany est le petit éclaireur qui s’est prit une balle entre les deux yeux lorsqu’il est ressortit du bâtiment. Tu t’en souviens ? Ton visage a été éclaboussé de son propre sang. C’était le fils unique de ce pauvre homme. Alors je t’interdit de dire que tu as fais plus de sacrifice que nous.

Je vois que l’on guette ma réaction. Je ne m’étais pas rendue compte à quel point tout ces gens on soufferts. Je ne voyais pas à quel point les pertes étaient aussi importantes. Je me sens coupable, autant pour les morts que pour les vivants.

– Je suis désolée…il est vrais que je ne connaissais pas le nom de l’éclaireur qui est tombé dans mes bras. Cependant…

Les larmes se mettent à couler sur mes joues et les mots restent bloqués dans ma gorge. Je suis incapable de prononcer le moindre son. Je me retourne et part d’un pas rapide. Ils ont raison, je suis lâche. Je n’ai même pas le courage d’affronter la souffrance que j’ai causé. Je fonce dans le couloir sans même regarder ou je vais. Je heurte quelqu’un sans le vouloir. Je ne m’excuse même pas, cherchant à m’enfuir le plus vite possible.

– Séléné ? Ca ne va pas ?

La main qui m’attrape par le bras me retient d’avancer d’avantage. Doc me regarde de ses grands yeux inquiets. Il regarde autour de lui, ouvre la porte d’une salle de stockage et me pousse dedans avant de m’y suivre. Fermant la porte derrière lui, il regarde mes larmes couler. Je me laisse glisser contre une pile de carton à moitié moisi. Assise sur le sol froid je cale ma tête entre mes mains, sans m’arrêter de pleurer.

– Séléné qu’est ce que tu as ?

Il s’accroupit à face à moi. Je sens son regard caresser mes cheveux en bataille. Je secoue la tête. Tout ce que cette femme a dit était vrai. J’ai l’impression d’avoir tué tout ces gens moi même. J’ai l’impression qu’ils sont mort par ma faute et que maintenant tout le monde s’en rend compte. Je sers les poings au point que je sens mes ongles s’enfoncer dans la chaire de mes paumes dessinant de petits croissants de lunes. Et pour dire vrai, cette sensation me soulage, parce que j’ai l’impression que je mérite de souffrir pour ce que je leur ai fait subir. J’ai envie de me gifler tant je suis en colère après moi même.

– Parles-moi. Dis moi ce qui te tourmente.

– J’ai fais tellement de mal autour de moi Doc. J’ai rependue la souffrance et le désespoir.

J’entends le bruit sourd de quelqu’un qui se laisse tomber sur le sol. Dans un raclement au sol je l’entends replier ses jambes sous lui, peut être pour se mettre en tailleur. En réalité tout ça m’est bien égal.

– Séléné, tu as fais ce que tu pensais être juste. Tu as agis en pensant faire ce qui était le mieux pour le bien de tous.

– Mais Doc, comment j’ai pu oublier ceux qui se sont sacrifiés ? Comment j’ai pu un seul instant penser que j’étais la seule à souffrir ?!

– La douleur des autres et leurs sacrifices ne rendent pas ton chagrins et tes propres sacrifices moins importants. Ce que tu ressens, comment tu perçois les choses, ta vision des évènements, tout ça est important. Parce que tu le vie du plus profond de toi. Ils ont sacrifiés leurs enfants, tu as sacrifiée ta liberté. Tu as porté le poids des décisions, toute seule. Et ça peu de gens l’auraient fait.

Je secoue la tête énergiquement. Comment peut il ne pas comprendre ? Je quitte la protection de mes bras pour lever mon visage vers lui. Je suis consciente d’avoir les yeux rouges et les paupières boursoufflées mais quelle importance face à tout ce qui s’est passé ?

– Doc, j’ai privée ces parents de leurs enfants. J’ai menée ces personnes à l’abattoir.

– Ce que tu sembles oublier Séléné, c’est que tu as toi même risquée ta vie. Tu les as menée dans un guet-à-pend oui, mais toi aussi tu en as payée le prix.

J’ai beau savoir qu’il a raison je ne me pardonne pas ce qui s’est passé.

– Ce n’est pas la mort de leurs enfants qu’ils te reprochent. Souviens toi de l’accueil que tu as reçue quand tu es revenue avec la caravane. Non, ce qu’ils te reprochent c’est de quitter ton rôle de leader.

– Je ne peux pas rester Doc, je te jure que je ne peux pas. J’ai besoin d’Ayden, j’ai besoin de vivre, j’ai besoin d’être libre.

– Et je ne t’en blâme pas.

Je me mets à sourire bêtement quand je me rends compte à qui je parle.

– Qu’est ce qui te fait sourire ?

Je lève les yeux au ciel, maudissant ma stupidité.

– Je suis vraiment gauche pas vrais ? Je te parle, à toi, de culpabilité, de remord et de vies fauchées.

Il esquisse un sourire.

– J’ai mis longtemps à me pardonner. Me regarder dans un miroir est quelque chose d’encore difficile pour moi. Je n’oublie pas ce que j’ai fais, et je ne veux pas l’oublier. Ce que l’on fait, fait de nous ce que nous sommes. Ce que nous avons fait par le passé ne définis pas forcement notre vie ou notre personnalité tu comprends ?

Je hoche la tête sans grande conviction.

– Mouais, tu dis oui pour me faire plaisir.

Il esquisse une moue boudeuse ce qui as pour effet de m’arracher un sourire en coin.

– J’aurais au moins eu l’avantage de t’avoir fais sourire.

Le silence s’installe entre nous. Et l’étroitesse de la pièce me paraît soudainement étouffante. Et l’inconvenance de cette situation me saute aux yeux. Que vont penser les autres, que vont t’ils imaginer ?

– Allez ne rumine plus tout ça. Va plutôt te renseigner sur Ayden. Tu ne voudrais pas te retrouver perdue avec moi pour seule compagnie.

Il me tend la main pour m’aider à me relever. Je me sens rougir jusqu'à la racine des cheveux. En cet instant je le maudis pour son manque de tact et pour cette peau si pale qui dévoile au grand jour à quel point sa remarque a été entendu.

– Oui, je vais continuer de chercher.

Pourtant il ne lâche pas ma main. Je le regarde donc en attendant ce qu’il a à me dire.

– Tu l’aimes ?

Sa question est tellement soudaine que je ne sais pas trop quoi lui répondre. Ce qui me perturbe, puisque la réponse devrait être tellement spontanée. Je pars à sa recherche, je pense que cette démarche est une réponse en elle même.

Il hoche imperceptiblement la tête et libère ma main.

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