Le médecin légiste

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J'aimerais ouvrir les yeux mais j'en suis incapable. Coincée dans ce corps qui est le mien, mes paupières refusent de bouger, me condamnant à la cécité.

Seul le bip régulier d'un monitoring m'accroche au monde extérieur. J'essaie de tout remettre en place dans ma tête. Nous étions, mes troupes et moi, à l'assaut d'un institut. Doc a levé les troupes contre ma décision de les protéger. La balle, destinée à Doc, est venue me traverser de part en part. Les mains caressantes de Doc sur mon visage, c'est la seule chose que j'ai sentie avant de m'endormir. Dans la mort ? Je ne sais pas.

Doc. Ayden. Aimer deux hommes, avoir envie de jurer fidélité aux deux, voilà qui me causait du souci à l'époque. Mais maintenant me voilà allongée sur une surface dure et froide sans pouvoir bouger, comme paralysée.

Intérieurement je priais pour que Doc soit quelque part en vie et Ayden en sécurité aux grottes. Ayden... Il allait attendre un retour, mon retour. Seulement, je risque de ne jamais revenir. Ho ! Mon amour pardonne-moi ce que je t'ai fait subir. Je ne préfère même pas imaginer ce qu'il va ressentir quand il croira que je suis morte. J'ai voulu le protéger mais au final je crois que j'ai fait tout le contraire.

Je sens une aiguille me perforer le bras. Mais je n'ouvre pas la bouche pour crier. Je reste inerte. Aussi inerte que l'est GP-2. À cet instant précis j'aimerais pouvoir pleurer. J'aimerais pouvoir évacuer tout ce que je ressens, mes craintes mes doutes et mes regrets. Mais je ne bouge pas, restant seule avec mes sombres pensées, les membres comme absents.

Je reste ainsi de nombreux jours, flottant entre semi-conscience et inconscience. Je ne sais pas où je suis. Seulement que je ne suis sûrement pas en territoire allié. Mes forces ont été écrasées, décimées, massacrées. J'ai vu leurs corps s'effondrer sous mes yeux, alors que je pensais les fermer pour toujours.

– Docteur ?

Des pas se rapprochent sur ma droite. Puis ils s'arrêtent, tout près de moi.

– Je pense qu'elle est prête à être réveillée. Elle manifeste des signes de présence. Des signes de présence ? J'ai envie de leur hurler que je suis là. Que je les

entends, peu importe leurs intentions. Je ne veux plus être coincée dans cette prison de chair. Je vous en supplie, sortez-moi de là !

– Très bien, commencez la procédure de réveil.

Procédure de réveil ? Qu'est ce que c'est que ça encore ? Une main vient serrer la mienne.

– Séléné, si tu m'entends serre moi la main.

J'ai beau le vouloir de toutes mes forces rien ne se passe. Pas même un doigt ne bouge.

– Elle est encore trop faible pour avoir une quelconque activité physique, quelle qu'elle soit. Mais je pense qu'elle peut nous entendre.

Les voix que je perçois sont neutres. Ni tristes, ni en colère, heureuses ou déçues. Peu à peu mes membres se délient. Il y a quelques heures ils étaient encore ankylosés. Chaque doigt reprend son activité. Cependant, mes yeux restent fermés. Mes oreilles, à l'affût du moindre bruit m'indique quand quelqu'un entre ou sort de la pièce. Je tâte ce qu'il y a sur moi : des sangles. Je suis attachée à ce qui semblerait être une table. Alors que j'essaie une nouvelle fois d'ouvrir mes yeux, de la lumière inonde mon cerveau. Tout a beau être flou autour de moi, je commence à voir. Des elements lumineux clignottent autour de moi de façon régulière.

– Tu es réveillée, c'est parfait.

Je suis surprise d'entendre quelqu'un à coté de moi. Cette personne n'a pas dû bouger depuis que je suis consciente. C'est impossible. Une pâle silhouette se dresse sur mon coté gauche. J'essaie de me protéger le visage quand il dresse son bras mais les liens m'en empêchent. Depuis quand suis-je devenue aussi peureuse ? Je n'aime pas ce qu'il dégage. Il porte une blouse blanche comme Doc autrefois.

– Hé, doucement.

Je remue sous les sangles pour tenter de me dégager, faisant grincer la table. Ma vision s'éclaire avec les minutes qui passent. L'homme qui se penche au-dessus de moi doit avoir la soixantaine passée. Le front dégarni, le reste de ses cheveux formant une couronne de neige autour de sa tête, il fronce les sourcils d'un air chagrin. Caressant son bouc grisonnant de la main il semble réfléchir. Ôtant ses lunettes, il se masse l'arête du nez.

– Je vais prendre ta tension, d'accord ?

De toute façon je n'ai pas vraiment le choix. Mais je suis soulagée que ça ne fasse pas mal.

– Très bien. On va écouter ce que nous dit ce cœur.

Il essaye de remonter ma chemise mais grogne au passage de la sangle. Bougonnant, il me libère d'une des courroies. Je me sens respirer aussitôt. Je frissonne quand le stéthoscope glacé vient toucher ma peau.

– Désolé c'est un peu froid.

Un peu froid ? Non sans blague. De sa main libre, il tapote d'un doigt la cadence régulière de mon cœur.

– Je ne sais pas ce que tu as fait mais ils ont l'air d'avoir peur de toi.

– Où est ce que je suis ? Depuis combien de temps suis-je là ? Où est Doc ?

Ma voix est complètement enrouée, comme si cela faisait des décennies que je n'avais pas parlé. J'ai tellement de questions à poser, je voudrais savoir tant de choses.

– Une chose à la fois. Ici c'est la morgue.

Je frissonne. Si je suis à la morgue je suis morte logiquement. Alors pourquoi est-ce que je parle ? Je n'ai jamais cru à l'au-delà. Mais j'avoue être sérieusement ébranlée. Je tourne la tête de part et d'autre. En effet, nous sommes bien dans une morgue. Il n'y a qu'à regarder les frigos tiroirs vitrés. Dans la plupart d'entre eux on peut voir deux plantes de pied à travers les informations défilant sur la vitre.

– Ils t'ont crue morte alors ils t'ont amenée ici. Après une heure en tiroir de congélation je me suis rendu compte que tu étais vivante. Heureusement que ces tiroirs sont bien conçus, j'ai été tout de suite informé ! Tu nous as fait une belle hypothermie.

J'ai frôlé la mort. Pire, j'étais morte. Mais me revoilà admise à nouveau dans le monde des vivants.

– Depuis combien de temps es-tu ici ? Exactement un mois et quatre jours.

– Quoi ?

Je m'étrangle presque me mettant aussitôt a tousser. Depuis plus d'un mois je suis dans l'inconscience. Les Exclus, la révolution, ça ne peut pas être vrai, ils ont besoin de moi !

– Je ne connais pas l'homme dont vous me parlez.

– Mais si ! Il y avait un homme quand j'ai perdu connaissance. Il a bien du être emmené quelque part !

J'ai peur d'admettre la vérité. C'est plus fort que moi, je l'imagine en train de mourir sous les balles. Je le connais, jamais il ne m'aurait abandonnée à mon triste sort.

– Y a-t-il eu des survivants ?

– Tu sais, je ne suis que le médecin légiste.

Il semble sincèrement navré de ne pas pouvoir me répondre. Le dégout me frappe de plein fouet. Je suis entre les mains d'un docteur qui se fait porte parole des morts. Beurk.

J'imagine les corps de mes amis s'amonceler. Leur sang s'entremêlant dans la chaleur pesante.

Est-ce vrai qu'ils ont peur de moi ? Qu'est ce que j'ai fait ? Qui suis je aujourd'hui ?

– Je vous en supplie laissez-moi partir.

– Ils arrivent. Il est déjà trop tard pour les supplications.

J'ai beau bander mes muscles je ne parviens pas à me défaire de ces sangles. Je secoue la table sous moi, jusqu'à la renverser sur le coté. Le médecin légiste fait un bond en arrière pour éviter qu'elle ne heurte ses jambes.

– Ne la détachez surtout pas, Docteur ! Une fois libre, c'est une vraie furie !

Deux femmes viennent d'entrer dans la pièce, observant avec amusement ma situation. En effet, je suis écrasée sous la table, cette dernière me faisant ressembler à une tortue.

L'une d'elle est en blouse blanche, quant à l'autre, elle endosse le treillis militaire. Dans ma tête je fais l'inventaire de tout ce qui pourrait me servir d'arme. Mais, écrasée comme je le suis, je serais incapable de brandir quoi que ce soit.

– Administrez-lui un sédatif, qu'on puisse lui enfiler une camisole de force et l'emmener en salle d'interrogatoire.

Je tique à deux choses. Premièrement, la camisole de force. Empêchant celui qui la porte de faire un seul mouvement, elle est synonyme de prison à elle toute seule. Et la seconde chose c'est la salle d'interrogatoire. Ce n'est jamais une bonne chose que de se faire interroger. Ils n'utilisent jamais la douceur. Je n'ai qu'à me souvenir d'Abby lorsqu'elle a interrogé Doc. Si je n'étais pas intervenue, je ne sais pas jusqu'où elle aurait pu aller. Et Abby est sensée se trouver du coté des gentils.

– Je ne sais pas si c'est une bonne idée. Elle vient à peine de se réveiller. Et j'ai peur que son corps ne supporte pas deux anesthésies aussi proches.

– Vous êtes le docteur des morts, moi des vivants, laissez moi faire mon travail. Je vous dis qu'elle le supportera.

– Comme vous voudrez.

Emplissant une seringue d'un liquide limpide aux reflets bleutés il me jette de petits regards désolés. Comme si j'allais mourir suite à cette injection. Alors qu'il s'approche de moi je glisse sur le sol pour lui échapper, ma table sur le dos. Évidemment je ne parviens pas à me soustraire, provoquant le gloussement de satisfaction des deux femmes.

– Il n'est pas trop tard, Docteur, vous pouvez encore sauver une vie. Ne préférez vous pas la vie à la mort ?

Il s'arrête dans son mouvement. L'aiguille à quelques centimètres de mon épiderme. Ses yeux expriment une douceur contenue, mais ne sont-ils pas la fenêtre de l'âme ? De sa main gauche il me caresse la joue.

– Je suis désolé.

Puis il transperce ma peau. Le liquide provoque une violente brûlure dans mes veines. Elles semblent se consumer de l'intérieur. Je me recroqueville en position foetale. La main du médecin légiste glissant sur mes cheveux, je sens tout son regret, toute sa peine. Le sommeil me tends les bras, cherche à me happer de ses grand bras protecteur mais je sais que je ne dois pas m'endormir, que je ne dois fermer les yeux sous aucun prétexte.

Je lutte avec toute l'énergie dont je dispose. Je me bats pour échapper à ce destin.

– Pourquoi ne s'endort-elle pas ?

– Je n'en sais rien. Toute anesthésie a besoin d'aide. Elle ne lui accorde aucune place dans son corps. Elle lutte contre le sédatif.

Excédée, la doctoresse s'approche de moi, l'arme de la femme en treillis à la main.

– J'ai une solution plus radicale.

Elle m'assène sur la tête un violent coup de crosse. Je m'effondre sur le carrelage, la joue cuisante en contact avec la fraîcheur du sol. Après un dernier geignement je finis par me laisser aller.

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