Chapitre 17 : Le retour du frère prodigue

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HANNAH

 Confortablement assise au fond du canapé, j’observe ma nièce d’un an et demi qui s’évertue à vouloir grimper sur l’accoudoir depuis deux bonnes minutes. Elle sautille sur la pointe des pieds, ses petits doigts potelés agrippés à mon bras et son visage concentré dans une moue adorable. Je l’encourage en souriant, amusée de la voir s’acharner ainsi, avant de me redresser et de la soulever de terre en riant. Je chatouille son ventre et ses cuisses rondouillettes après avoir reposé son petit corps gesticulant sur mes genoux.

— Tu m’as manqué ma grenouille, je lui chantonne avant de la mitrailler de baisers, lui arrachant un nouvel éclat de rire.

Clark me regarde en haussant les sourcils, le coin de la bouche frémissant.

— Bah quoi ? Je lui rétorque en apercevant son regard amusé.

— Oh mais rien… répond-t-il en me dévoilant toutes ses dents. Qui aurait cru que tu deviendrais un jour aussi nunuche que tante Maria ?

— Arrêtes, je n’ai rien à voir avec tante Maria ! Elle passait son temps à nous pincer les joues, son haleine sentait la bouffe pour chat et elle avait de la moustache.

Mon frère ricane avant de renchérir d’un air moqueur.

— Peut-être… Mais cette intonation dans ta voix à l’instant … Je suis pratiquement sûr de l’avoir entendu gazouiller de la même façon avec son pékinois chéri.

Je grimace en feignant d’être offusquée et lui tire la langue avant de reporter mon attention sur sa fille.

— Papa dit n’importe quoi, tatie n’a rien à voir avec grande tante Maria. Pas vrai ? Et puis touches-moi ça, je lui dis en attrapant sa petite main dodue pour la poser sur ma joue, pas un seul poil !

Mon cœur fond littéralement lorsqu’elle pose sa deuxième main sur mon autre joue et qu’elle attire mon visage vers le sien pour y coller un énorme bisou baveux.

Ok, un point pour Clark. Je suis une tatie complètement gaga.

— Alors, comment s’est passé ton rendez-vous chez Maître Quinn ? Je l’interroge pour changer de conversation.

— Bien… répond-t-il d’un air songeur. J’ai signé les papiers et il m’a donné la lettre d’Annie. Est-ce que tu as lu la tienne ? me demande-t-il, sceptique.

Bien joué Hannah. Dans le genre « je tends le bâton pour me faire battre »…

Ma nièce qui ne tient pas en place, est déjà descendu de mes genoux et je l’observe s’avancer d’un pas chancelant vers les jambes de son père. Il la rattrape de justesse tandis qu’elle tente cette fois d’escalader la table basse.

— Ashley, non. On ne monte pas sur les tables … la gronde-t-il gentiment.

Je grogne pour toute réponse avant de m’enfoncer d’avantage dans les coussins moelleux du canapé. Honnêtement, je n’ai aucune envie de l’ouvrir. Oui je suis une dégonflée, et j’assume ma lâcheté. Mais j’ai eu ma dose de coups de théâtre pour au moins une décennie.

— Je suppose que c’est un non, ajoute-t-il en jaugeant mon silence sans fin. Tu devrais la lire, ajoute-t-il d’un ton plein de jugement.

— Qu’est-ce qu’Hannah devrait lire ?

Stacey qui marche comme un canard, s’avance vers le canapé en se tenant le bas des reins, le visage tordu par une grimace. Seigneur, elle a l’air épuisée. Clark et moi la regardons s’approcher les yeux ronds avant que ce dernier ne se lève précipitamment pour lui laisser sa place en bafouillant une excuse dégoulinante de tendresse. Il a passé sa matinée à la couver du regard et à la suivre partout, anticipant le moindre de ses besoins et caressant son ventre rebondi à la moindre occasion. Il est le total opposé de l’adolescent moqueur et pas tendre pour un sous qui m’a servi de grand frère durant les vingt premières années de ma vie.

— Désolé Chérie, je ne t’avais pas entendu arriver, assieds-toi. Est-ce que tu veux boire quelque chose ? ajoute-t-il, anxieusement.

C’est de pire en pire ma parole… il a définitivement égaré ses testicules.

— Non merci, répond-t-elle en ronchonnant. Je n’avalerai plus une seule goutte d’eau de la journée. J’ai déjà fait pipi neuf fois depuis ce matin. Neuf. Fois. Je jure sur la tête de notre chien que si ta progéniture continue à utiliser ma vessie comme pushing-ball, je débarque à la clinique pour qu’on me l’expulse avant l’heure.

Elle foudroie son mari du regard, comme si ce dernier était seul responsable du chaos régnant dans son abdomen - ce qui n’est pas totalement faux - et s’assoie tant bien que mal avec une moue renfrognée. Mon frère qui semble complètement désemparé, l’observe d’un œil inquiet. Impuissant face aux déboires de sa femme enceinte de huit mois, il attrape sans dire un mot un de ses pieds enflés et commence à lui masser la voute plantaire, lui arrachant des soupirs de béatitude.

Je les observe, amusée et attendrie par leur petit numéro. Du moins jusqu’à ce que Stacey ne se mette à gémir sans retenue.

— Non mais sérieusement, il y a des chambres pour ça, je leur grogne en grimaçant.

— Tais-toi Hannah, et laisse-moi savourer cet instant de bonheur par pitié, marmonne Stacey en posant sa tête sur le dossier du fauteuil. De toute façon, aucune chance qu’il ne me touche d’ici les cinq prochaines années. Je ne prendrais pas le risque de le laisser m’engrosser une troisième fois. Elle grogne de nouveau avant de fermer les yeux et je pouffe en entendant le rire nerveux de Clark. La mine déconfite, il continue de lui masser énergiquement les orteils.

— Bon alors, qu’est-ce que tu étais censé lire ? Reprend celle-ci, en entrouvrant les paupières pour me jeter un regard perquisiteur.

—La lettre d’Annie, je lui réponds en soupirant.

Je sens venir les questions indiscrètes typiquement Stacey et le discours moralisateur de Clark.

— Je sais que je me répète, mais tu devrais la lire, insiste Clark en me fixant d’un air sérieux, ses mains toujours afférées à malaxer les pieds boudinés posés sur ses cuisses. Franchement, reprend-t-il, tu n’as pas arrêté de te plaindre des cachoteries d’Annie ces dernières semaines, qu’est-ce que tu attends au juste ?

Qu’est-ce que je disais … Clark ou Monsieur le donneur de leçon en chef.

— Je vais la lire cette fichue lettre, je rétorque, agacée. J’ai juste besoin d’un peu de temps. Est-ce que j’ai encore le droit à mon libre arbitre dans cette maison ?

Ils m’emmerdent tous. J’ai l’impression de ne plus rien maitriser ces derniers temps. Si je ne peux même plus décider seule du moment le plus propice pour lire une simple lettre, où va le monde ? Je laisse passer quelques secondes sans dire un mot, histoire de faire redescendre d’un cran mon niveau d’énervement. Ashley qui est assise sur la moquette, joue sagement avec une de ses chaussures miniatures. Elle l’approche de son visage et l’examine avec intérêt comme si le reste du monde n’existait pas. Je l’envie. Aucune obligation. Aucun souci. Juste manger, jouer et dormir. La vie de rêve.

Irritée, je leur réponds d’un ton las.

— Quand je l’aurai lu, tu en seras le premier informé, d’accord? Je suppose, vu ton empressement à me voir lire cette lettre, qu’il doit y avoir pas mal de réponses à nos questions ?

— Tu n'as qu'à la lire.

Arggnn. Il m’exaspère. Depuis quand Monsieur a t’il acquit cette sagesse et patience légendaire ? Une bonne chamaillerie fraternelle n’aurait pas été de refus à cet instant. J’ai besoin de me défouler, et lui hurler dessus gratuitement aurait parfaitement pu faire l’affaire.

Je m’enfonce davantage dans les coussins, si tenté qu’il soit encore possible de m’avachir plus que je ne le suis déjà, et croise les bras en boudant. Je râle dans ma moustache lorsque j’entends une voiture se garer dans l’allée.

Oh mon Dieu, c’est James.

Prise de panique, je me redresse précipitamment en jetant un œil affolé par la fenêtre, puis vers mon frère, qui se contente simplement de froncer les sourcils. Il embrasse sa femme avant de lui marmonner quelque chose puis se lève et s’avance vers le couloir.

Oh non ! Il va lui casser la figure. Je repense à ma rencontre avec James et à ma colère ce jour-là. J’ose à peine imaginer ce que Clark serait capable de lui faire. D’accord, il est insupportable. Et il passe le plus clair de son temps à m’emmerder. Mais est-ce une raison valable pour se faire démolir le portrait ? ça me fait mal de l’admettre, mais ratatiner un visage comme le sien serait un pur gâchis. Je me lève à mon tour et m’apprête à lui emboiter le pas quand Stacey empoigne mon bras et m’arrêtes dans mon élan.

— Laisses-le gérer ça.

— Mais …

— Fais-lui confiance, me coupe-t-elle en me regardant d’un air rassurant.

Je me rassoie en bredouillant, confuse. J’entends la porte s’ouvrir ; puis la voix de Clark sur le porche avant que la porte d’entrée ne se referme derrière lui. Puis je n’entends plus rien. Seulement des voix étouffées et ma respiration fébrile. Angoissée, je me relève et parcours le salon de long en large, faisant les cents pas tel un lion en cage. Bon sang mais qu’est-ce qu’ils fabriquent ?

Au bout de cinq interminables minutes de torture, Clark réapparait. Je le scrute, déconcertée. Aucune ecchymose. Pas de nez en sang, ni de lèvre fendue. Bon. Il a vraiment un nouveau don pour le self-control. Je devrais penser à lui demander des leçons. Je m’apprête à le questionner lorsque j’entends le moteur de la voiture de James redémarrer.

— Il s’en va. Il restera chez un ami pendant les prochains jours pour nous laisser en famille.

— Oh…

Je ne trouve rien de mieux à dire. Depuis quand James est-il conciliant ? Il a passé les dernières semaines à me pourrir l’existence, et il suffit que mon frère débarque pour qu’il se transforme en être humain poli ?

— Tu sais, c’est un gars sympa… - Il m’ignore lorsque je renifle et continue - Il m’a dit que votre colocation était compliquée. Et Franchement, je te connais assez pour avoir pitié de lui !

Vexée, je m’apprête à rétorquer lorsqu’il pose son index sur mes lèvres pour me clouer le bec.

— Laisses-moi finir s’il te plait. Il m’a aussi dit qu’il ne t’avait pas vraiment facilité la tâche et il s’en excuse. Mais je sais à quel point tu peux être têtue. Il faut que tu lâches l’affaire ! Et que tu lises cette foutue lettre.

Son doigt libère enfin mes lèvres et je reste figée de longues secondes, désarçonnée par ses paroles. Il expire bruyamment avant de reprendre.

— Tu sais que je serais toujours là pour t’aider. Quoi qu’il arrive, tu peux compter sur moi. Mais là, tu es la seule à pouvoir agir ! Tu dois arrêter de ressasser le passé. Tu dois t’ouvrir aux autres. Tu as vingt-cinq ans Bon Sang ! Tu es censé t’amuser, sortir, voyager, rencontrer des gens ! Je m’inquiète pour toi ! Rester enfermer dans un appartement, et maintenant dans cette maison, à ruminer ainsi, ce n’est pas une vie ! Il s’arrête, soupire et passe une main dans ses cheveux en regardant ses pieds, avant que ses yeux remplis d’inquiétude ne reviennent se poser sur mon visage ahuri.

— Promets-moi que tu feras l’effort d’essayer. S’il te plait. Promets-moi que tu vas vivres ta vie. Enfin.

***

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